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Décisions

Cass. com., 4 septembre 2024, n° 23-10.446

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

GRG (Sté)

Défendeur :

Mecarungis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Delamarre et Jehannin

Paris, du 5 oct. 2022

5 octobre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 octobre 2022), la société anonyme Mecarungis – Société informatique de grossistes en produits agro-alimentaires (la société Mecarungis) exerce l'activité de gestion de la caisse centrale du « Pavillon des Viandes V1P » du Marché d'intérêt national (MIN) de Rungis. Elle a été créée en 1972 en tant qu'outil de mutualisation de l'activité des grossistes-mandataires de ce « Pavillon », qui sont à la fois ses actionnaires, ses administrateurs et ses clients.

2. Elle a conclu avec la société GRG, grossiste-mandataire en viande sur le MIN de [Localité 3] et associée dans cette société, un premier « contrat de prestation de services marché » le 5 mars 1975, puis un second le 31 octobre 2001, à durée indéterminée.

3. Par lettre recommandée du 26 janvier 2016, la société GRG a rompu les relations commerciales avec un préavis de huit mois expirant le 1er octobre 2016.

4. La société Mecarungis a assigné la société GRG afin d'obtenir la réparation de la rupture brutale de la relation commerciale établie. Cette dernière a soulevé une fin de non-recevoir tirée du caractère illicite de l'activité de la société Mecarungis qui, selon elle, relèverait du monopole des experts-comptables.

Examen des moyens

Sur le second moyen, qui est préalable

Enoncé du moyen

5. La société GRG fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir et de la condamner à payer à la société Mecarungis la somme de 202 700 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles établies, alors « que nul ne peut exercer la profession d'expert-comptable s'il n'est inscrit au tableau de l'ordre des experts-comptables ; qu'à cet égard, l'expert-comptable, dont l'activité n'est pas régie par les dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies, fait notamment profession de tenir, de centraliser, d'ouvrir, d'arrêter et de surveiller les comptabilités des entreprises auxquelles il n'est pas lié par un contrat de travail ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations des juges qu'au titre de son activité de fourniture de services de gestion comptable à ses adhérents, la société Mecarungis assurait notamment le suivi quotidien de leur facturation, le journal de leurs ventes, et le récapitulatif des mouvements de leur caisse centrale ; qu'en retenant néanmoins que ces prestations de la société Mecarungis ne relevaient pas d'une activité d'expert-comptable, pour appliquer à la résiliation litigieuse les dispositions propres à la rupture brutale des relations commerciales établies, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, en violation des articles 2 et 3 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 et de l'article L. 442-6, I, 5°, devenu L. 442-1, II, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt relève que la société Mecarungis exerce l'activité de gestion de la caisse centrale du « pavillon des viandes V1P » du MIN de [Localité 3], qu'à ce titre elle gère la facturation des 2 200 clients professionnels de celui-ci pour le compte de ses clients grossistes, qu'elle assure le suivi des encaissements liés à cette activité, ainsi que le suivi de leur recouvrement, outre sa mission de prestataire de services informatiques pour ses adhérents, mettant à disposition des logiciels de comptabilité, de gestion commerciale et de traçabilité des viandes. Il relève également que, au titre de son activité de « fourniture de services se rattachant à la gestion comptable (de ses adhérents) », la société Mecarungis assure notamment le suivi quotidien de la facturation, le journal des ventes et le récapitulatif des mouvements de la caisse centrale.

7. De ces constatations, faisant ressortir que la société Mecarungis n'établissait pas les documents comptables de ses clients, à l'exclusion de la tenue du seul journal des ventes effectuées par l'intermédiaire de la caisse centrale dont elle assurait la gestion, et n'exerçait pas de mission de tenue de la comptabilité de ses clients, ni, a fortiori, de vérification ou de redressement des comptes, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les conséquences légales de ses constatations, a exactement déduit que la société GRG ne rapportait pas la preuve de l'exercice d'une activité d'expertise-comptable visée à l'article 2 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société GRG fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Mecarungis la somme de 202 700 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles établies, alors :

« 1°/ que les conditions de cessation des relations entre une société de commerçants détaillants et ses adhérents ne sont pas régies par les règles applicables aux ruptures brutales de relations commerciales établies ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations des juges que la société GRG était, comme tous les autres adhérents, l'actionnaire de la société Mecarungis et que celle-ci était un outil de mutualisation des coûts d'exploitation entre les professionnels adhérents ; qu'en faisant néanmoins application des règles propres à la rupture brutale d'une relation commerciale établie à la rupture du contrat de prestation de service conclu avec un actionnaire en conséquence de son adhésion, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, devenu L. 442-1, II, du code de commerce ;

2°/ que les rapports existant entre une société et ses associés ou actionnaires ne relèvent pas des dispositions applicables aux ruptures brutales de relations commerciales établies ; qu'en retenant, en l'espèce, que la décision de la société GRG de mettre un terme à ses relations contractuelles avec la société Mecarungis devait être assimilée à une rupture brutale de relations commerciales établies, quand il était constant et constaté par les juges eux-mêmes que le capital de la société Mecarungis était détenu par ses adhérents, qui étaient également ses actionnaires, et que cette société avait pour objet de conclure des contrats de prestation de service avec ses actionnaires et administrateurs afin de mutualiser les charges et risques de leur activité professionnelle, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, devenu L. 442-1, II, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. Ayant relevé que les contrats signés entre la société Mecarungis et la société GRG, auxquels celle-ci avait mis fin, portaient sur des « prestations de services marché » et énoncé à bon droit que l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, s'applique à toute relation commerciale établie, que celle-ci porte sur la fourniture d'un produit ou une prestation de service, la cour d'appel, qui n'était pas saisie des conditions d'un éventuel retrait de la société GRG de la société Mecarungis, dont elle est restée associée, mais seulement de la rupture de la relation d'affaires issue des contrats de prestations de services précités, a exactement retenu que les règles relatives à la rupture brutale d'une relation commerciale établie étaient applicables.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.