CA Lyon, 1re ch. civ. B, 3 septembre 2024, n° 23/06053
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Caisse de Crédit Mutuel (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Goursaud
Conseillers :
Mme Lemoine, Mme Lecharny
Avocats :
Me Panzani, Me Dana, Me Rebotier, Me Lutz
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M et Mme [M] ont souscrit auprès de la Caisse de Crédit mutuel Europe, deux prêts immobiliers :
- un premier prêt suivant offre de prêt émise le 4 juin 2004, destiné à financer la construction d'une maison individuelle à [Localité 11] (44), d'un montant de 366 000 CHF, et remboursable in fine moyennant une échéance unique en capital de 366 000 CHF payable le 31 juillet 2017 et des intérêts et cotisations d'assurance payables mensuellement moyennant un taux d'intérêt de 2,160 % l'an, indexé sur l'indice Libor 3 mois ; le taux effectif global (TEG) annoncé dans l'offre de prêt est de 2,747 % l'an; ce prêt a fait l'objet d'un avenant suivant offre émise le 20 mars 2007, portant le taux d'intérêt à 3,720 % l'an, indexé sur l'indice Libor 3 mois, l'échéance unique en capital à verser étant ramenée à un montant de 353 000 CHF, et le TEG annoncé de 4,142 % l'an ;
- un second prêt suivant offre de prêt émise le 21 octobre 2004, destiné à financer l'achat d'un appartement situé à [Localité 9] (33), d'un montant de 255.000 CHF, et remboursable in fine moyennant une échéance unique en capital payable le 31 octobre 2016 et des intérêts et cotisations d'assurance payables annuellement moyennant un taux d'intérêt de 2,250 % l'an, indexé sur l'indice Libor 3 mois, le taux effectif global (TEG) annoncé dans l'offre de prêt étant de 2,799 % l'an ; ce prêt a fait l'objet d"un avenant suivant offre émise le 20 mars 2007, portant le taux d'intérêt stipulé à 3,720 % l'an (le TEG étant annoncé à 4,144 %), indexé sur l'indice Libor 3 mois, et ramenant l'échéance unique en capital à 237 725 CHF.
Les remboursements des deux prêts étaient chacun garantis, notamment, par la mise en gage, au profit de la banque, d'un contrat d'assurance-vie souscrit par M. [M].
Par exploit d'huissier de justice délivré le 26 avril 2016, M et Mme [M] ont fait assigner la banque devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, mettant notamment en cause la responsabilité de la banque et les stipulations des contrats relatives au TEG.
Par jugement du 14 mai 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :
- dit que l'action en nullité de la stipulation prévoyant un remboursement en francs suisses, formée par M et Mme [M], était irrecevable pour être prescrite,
- en conséquence, rejeté la demande de condamnation du Crédit mutuel Europe à recalculer depuis l'origine, les écrits en € ;
- dit que l'action en responsabilité formée par M. et Mme [M] au titre de manquements du Crédit mutuel Europe aux obligations d'information et de mise en garde, était irrecevable pour être prescrite,
- dit que l'action indemnitaire à hauteur de 30.000 € était irrecevable pour être prescrite,
- dit que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts contractuels, formée par M. et Mme [M] au titre de l'absence de mention du taux de période dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004, était irrecevable pour être prescrite,
- dit que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels, formée par M. et Mme [M], au titre d'irrégularités affectant le taux effectif global affiché dans les offres de prêt, était irrecevable pour être prescrite, sauf en ce qui concerne l'irrégularité tenant en la prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt pour le calcul du taux effectif global annoncé dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004,
- rejeté l'action en déchéance du droit du Crédit mutuel aux intérêts stipulés dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004, faute pour M. et Mme [M] de démontrer l'erreur affectant le calcul du taux effectif global affiché,
- dit que l'action en nullité de la clause d'indexation formée à titre principal par M. et Mme [M] était irrecevable pour être prescrite,
- dit que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels formée à titre subsidiaire par M. [L] [M] et Mme [J] [K] épouse [M], au titre de la clause d'indexation, était irrecevable pour être prescrite,
- dit que les règles relatives à la prescription n'avaient pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'offres de prêt, réputées non écrites au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
- rejeté la demande formée par M. [L] [M] et Mme [J] [K] épouse [M] tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.3 et 10.5 incluses dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004,
- rejeté en conséquence, la demande formée par M. [L] [M] et Mme [J] [K] épouse [M], tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements était réputé être intervenu en € et à ce qu'il soit ordonné au Crédit mutuel Europe de recalculer les paiements sur ces bases,
- dit que l'action formée par M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M], relative à la non-indexation du taux d'intérêt selon l'indice Libor tel que stipulé dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004, n'était pas prescrite et donc recevable,
- rejeté, en l'absence de justificatifs, la demande de condamnation du Crédit mutuel Europe à appliquer aux prêts litigieux le taux d'intérêts indexe sur l'évolution du Libor CHF trois mois et à restituer aux demandeurs les sommes reçues excédant le jeu négatif de l'index,
- rejeté la demande tendant à voir ordonner au Crédit mutuel Europe le coût des périodes de différé,
- rejeté la demande de substitution du taux de l'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel,
- rejeté la demande tendant à voir ordonner la réouverture des débats avec injonction au Crédit mutuel Europe de produire pour chacun des contrats de crédit, un tableau d'amortissement des crédits accordés rémunérés au taux de l'intérêt légal en vigueur à la date de la décision à intervenir, et sur la base du capital emprunté en € selon la contre-valeur euro/CHF à la date du 20 mars 2007, soit 218 942 € pour l'offre/avenant au prêt N°20336l 001 50 et 147 444 € pour l'offre/avenant au prêt N°20336l 002 51,
- rejeté la demande tendant à la condamnation du Crédit mutuel à verser à M. [L] [M] et à Mme [J] [K] épouse [M], le trop-perçu résultant de la différence entre les sommes payées en € par les emprunteurs pour honorer le paiement en € des intérêts calculés en francs suisses en application des taux contractuels de Foffre/avenant au prêt immobilier n°203361 001 50 et de l'offre/avenant au prêt immobilier n°203361 002 51, et les sommes qu'ils auraient dû verser par application du taux d'intérêt légal en vigueur à la date de la décision à intervenir,
- rejeté la demande tendant à la condamnation du Crédit mutuel Europe à verser à M. [L] [M] et à Mme [J] [K], épouse [M] le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements effectués en € par les emprunteurs pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF,
- rejeté la demande tendant à fixer la somme à restituer au titre de l'offre/avenant du prêt n°20336l 001 50 (Lotissement [Localité 11]) au 31 juillet 2017 à hauteur de 218.942 €, en substitution du montant de 353.000 CHF prévu par le contrat litigieux et au titre du prêt N°20336l 002 51 (Résidence [Localité 9]) au 31 octobre 2016 à hauteur de 147.444 €, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux,
- condamné in solidum M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] à payer au Crédit mutuel Europe la somme de 1.200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande formée par M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. [L] [M] et Mme [J] [K] épouse [M] aux dépens,
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 19 juin 2019, M et Mme [M] ont interjeté appel.
Par un arrêt du 27 septembre 2021, la cour d'appel de Colmar a :
- confirmé le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, sauf :
- en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite la demande en dommages-intérêts fondée sur une responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de conseil,
- en ce qu'il a déclaré la demande en déchéance du droit aux intérêts de M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] recevable en ce qui concerne l'irrégularité tenant en la prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt pour le calcul du taux effectif global annoncé dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004 et les en a déboutés,
et statuant à nouveau des chefs de demande infirmés,
- dit que la demande en déchéance du droit aux intérêts de M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] en ce qu'elle concerne l'irrégularité tenant en la prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt pour le calcul du taux effectif global annoncé dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004 est irrecevable comme prescrite,
- dit que la demande en dommages-intérêts fondée sur une responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de conseil est recevable,
- débouté M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] de leur demande à ce titre,
- y ajoutant, condamné in solidum M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] aux dépens de l'appel,
- condamné in solidum M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M] à payer à la Caisse de Crédit mutuel [Localité 7] Europe la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [L] [M] et Mme [J] [K], épouse [M].
M et Mme [M] ont formé un pourvoi en cassation.
Par un arrêt du 28 juin 2023 (1re Civ., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-24.720), la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par M. et Mme [M] au titre d'un manquement de la société Crédit mutuel [Localité 7] Europe à son devoir d'information et qu'il rejette la demande tendant à réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des offres de prêt émises les 4 juin et 21 octobre 2004, rejette en conséquence leur demande tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements est réputé être intervenu en € et à ce qu'il soit ordonné à la banque de recalculer les paiements sur ces bases et de leur verser le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements qu'ils ont effectués en € pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF, ainsi que leur demande tendant à cantonner le montant du capital du prêt in fine à restituer au titre de l'offre du prêt n° 203361-001-50 au 31 juillet 2017 à 218 942 €, en substitution du montant de 353 000 CHF prévu par le contrat litigieux et au titre du prêt n° 203361-002-51 au 31 octobre 2016 à 147 444 €, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux, condamne M. et Mme [M] aux dépens, rejette leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne in solidum à payer à la société Crédit mutuel [Localité 7] Europe la somme de 2.500 €, l'arrêt rendu le 27 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
- condamné la société Crédit mutuel [Localité 7] Europe aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société caisse Crédit mutuel [Localité 7] Europe et l'a condamné à payer à M. et Mme [M] la somme de 3.000 €.
Au visa de l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relatif aux clauses abusives, la Cour de cassation :
- a rappelé que « par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat »;
- et a relevé que « pour rejeter la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des contrats relatives aux modalités de remboursement des prêts et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrits en franc suisse, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances a nécessairement dû alerter les emprunteurs qui ne disposaient pas de ressources en franc suisse, que le recours à la devise suisse n'emportait aucune incidence sur la durée du prêt sauf en cas de remboursement anticipé et que la banque produit pour chaque prêt une attestation annexée à l'offre, signée des emprunteurs, par laquelle ils déclarent expressément avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse. »;
- pour en déduire que « en statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Par déclaration du 25 juillet 2023, M et Mme [M] ont saisi la cour d'appel de Lyon, cour de renvoi.
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 26 avril 2024, les consorts [M] demandent à la cour de :
à titre principal :
- confirmer le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal judiciaire de Mulhouse en ce qu'il a jugé recevables les demandes en constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt et les demandes en restitution des sommes versées sur le fondement de telles clauses,
- infirmer le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal judiciaire de Mulhouse en ce qu'il a rejeté la demande en constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt et jugé irrecevable l'action en responsabilité au titre du manquement à l'obligation d'information.
et statuant à nouveau :
- juger recevables les demandes en restitution des sommes versées sur le fondement de clauses abusives,
- juger recevable l'action en responsabilité intentée pour manquement au devoir d'information,
- constater le caractère abusif de la clause 5-3 « Remboursement du crédit », ainsi que la clause 10-5 relative au changement de parité du prêt n°203361-001-50 ;
- constater le caractère abusif de la clause 5-3 « Remboursement du crédit », ainsi que la clause 10-5 relative au changement de parité du prêt n°203361-001-50 ;
- constater le caractère abusif de la clause 5-3 « Remboursement du crédit », ainsi que la clause 10-5 relative au changement de parité du prêt n°203361-001-51 ;
- constater que les contrats ne peuvent subsister amputés des clauses abusives et que les parties doivent être replacées dans la situation qui aurait été la leur si les clauses jugées abusives n'avaient pas existé ;
- en conséquence, condamner M. et Mme [M] à rembourser la contre-valeur en € du capital emprunté au titre du contrat de prêt in fine n°203361-001-50, soit la somme de 223 000 € ;
- condamner M. et Mme [M] à rembourser la contre-valeur en € du capital emprunté au titre du contrat de prêt in fine n°203361-001-51, soit la somme de 154 539 € ;
- condamner la Caisse de Crédit mutuel [Localité 7] Europe à restituer à M. et Mme [M] les amortissements, les intérêts, cotisations et commissions perçues ainsi que les primes d'assurance emprunteur, au titre des prêts in fine n°203361-001-50 et n°203361-001-51;
- ordonner la compensation des créances réciproques ;
- ordonner l'application des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
à titre subsidiaire :
- condamner la Caisse de Crédit mutuel [Localité 7] Europe à verser à M. et Mme [M] la somme de 108 817,71€, à titre de dommages et intérêts en réparation de leur perte de chance de ne pas conclure le contrat de prêt litigieux n°203361-001-50;
- condamner la Caisse de Crédit mutuel [Localité 7] Europe à verser à M. et Mme [M] la somme de 76 603,98 €, à titre de dommages et intérêts en réparation de leur perte de chance de ne pas conclure le contrat de prêt litigieux n°203361-001-51;
- ordonner la compensation des créances réciproques ;
- ordonner l'application des intérêts au taux légal à compter de l'assignation
en tout état de cause :
- rejeter les demandes principales et incidentes, fins et prétentions faites par la Caisse de Crédit mutuel [Localité 7] Europe,
- condamner la Caisse de Crédit mutuel [Localité 7] Europe à payer à M. et Mme [M] la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 26 mars 2024, la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe (la banque) demande à la cour de :
statuant sur l'appel principal :
- le déclarer mal fondé ;
- débouter les appelants de toutes leurs fins et prétentions ;
- confirmer le jugement entrepris sous réserve de l'appel incident et de l'arrêt de cassation ;
- en particulier, déclarer que les contrats proposés par la CCM concluante sont «transparents » et qu'ils ne comportent aucune clause abusive ;
- déclarer l'action restitutoire exercée par les appelants irrecevable car prescrite, subsidiairement mal fondée ;
- condamner les appelants solidairement au paiement d'une indemnité de 5.000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers frais et dépens ;
statuant sur l'appel incident de la CCM [Adresse 8] :
- le déclarer recevable et bien fondé ;
- infirmer la disposition suivante du jugement entrepris (TGI Mulhouse 14.05.2019) :
« dit que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'offres de prêt réputées non écrites au sens de l'article L 132-1 code de la consommation » ;
- en conséquence, déclarer l'action restitutoire exercée par les appelants, irrecevable car prescrite, subsidiairement mal fondée ;
- rejeter toutes conclusions des époux [M] ;
- condamner les époux [M] au paiement d'une indemnité de 2.000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'appel incident.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la prescription de la demande en restitution des sommes versées
La banque soutient que l'action exercée par M et Mme [M] en restitution des sommes qu'ils ont versées en exécution des prêts qu'ils ont contractés, est prescrite.
Elle fait notamment valoir que:
- si l'action (ou l'exception) en constatation de clause abusive paraît imprescriptible, l'action restitutoire est, quant à elle, prescriptible sous réserve du « principe d'équivalence » et du « principe d'effectivité », afin de préserver la sécurité juridique,
- concernant la durée du délai de prescription d'une action restitutoire, la CJUE considère comme compatible avec le droit communautaire, un délai de 3 ans ou de 5 ans,
- concernant le point de départ du délai de prescription, la CJUE considère qu'un délai de prescription peut être compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule,
- l'article 2224 du code civil est conforme aux lignes directrices précitées puisque la prescription de 5 ans court à compter du jour « où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » ;
- en l'espèce, la partie adverse a invoqué les clauses abusives pour la première fois par ses conclusions du 12.07.2018, et n'a fait valoir l'action restitutoire qu'à compter de ses conclusions adressées à la cour de céans, de sorte que leur action est prescrite;
- la Cour de cassation n'a pas vu que la jurisprudence à laquelle elle se réfère concerne des actions elles-mêmes prescriptibles, alors qu'en espèce, elle fait dépendre la prescription de l'action restitutoire d'une action en constatation de clause abusive imprescriptible, ce qui est incompatible avec le principe de sécurité juridique.
M et Mme [M] font notamment valoir en réplique que:
- l'action tendant à la reconnaissance du caractère abusif d'une clause est imprescriptible,
- par arrêt rendu le 12 juillet 2023, la Cour de cassation a jugé que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l'action en restitution des sommes indûment versées sur le fondement des clauses abusives relatives au remboursement du prêt en francs suisses et au risque de change supporté par l'emprunteur doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses,
- ils sont recevables à solliciter la restitution des sommes versées sur le fondement des clauses abusives.
Réponse de la cour
La banque ne conteste pas que l'action de M et Mme [M], tendant à la constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt qu'ils ont souscrits, est imprescriptible.
En revanche, elle soutient que leur demande tendant à la voir condamner à leur restituer les sommes qu'ils estiment avoir indûment payées sur le fondement d'une clause abusive figurant dans les contrats de prêts qu'ils ont souscrits est prescrite.
Cependant, le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L 110-4 du code de commerce, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
Cette règle, qui fixe le point de départ du délai de prescription à compter de la décision judiciaire constatant le caractère abusif d'une clause et, par voie de conséquence, à compter de la décision judiciaire constatant l'indu, ne tend pas à rendre imprescriptible l'action restitutoire et ne méconnaît pas le principe de sécurité juridique.
En l'espèce, aucune décision de justice n'a encore constaté le caractère abusif des clauses des contrats de prêts souscrits par M et Mme [M].
En conséquence, la demande de M et Mme [M], tendant à voir condamner la banque à leur restituer les sommes qu'ils estiment lui avoir indûment versées est recevable.
2. Sur le caractère abusif des clauses
M et Mme [M] sollicitent que soit constaté les caractère abusif des clauses 5-3, relative au remboursement du crédit, et 10-5, relative au changement de parité, des prêts n° 203361-001-50 et 203361-001-51 et, les contrats ne pouvant subsister amputés de telles clauses, qu'ils soient condamnés à rembourser à la banque la contre-valeur en euros du capital emprunté au titre des contrats, soit respectivement les sommes de 223 000 euros et de 154 539 euros, et la banque condamnée à leur restituer les amortissements, les intérêts, cotisations et commissions perçues, ainsi que les primes d'assurance emprunteur.
Ils font notamment valoir que:
- la clause de remboursement en devise d'un prêt libellé en devise étrangère relève de l'objet du contrat et ne peut être jugée abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, que si elle n'est ni claire, ni compréhensible,
- ils n'ont pas été informés, par des termes clairs et compréhensibles, des risques réels de change auxquels ils s'exposaient pendant toute la durée des contrats de prêt, et de leurs conséquences économiques négatives, dans l'hypothèse d'une dépréciation de l'euro face au franc suisse, de sorte que les clauses, objet des contrats de prêt, ne satisfont pas aux exigences de clarté de l'alinéa 3 de l'article L. 212-1 du code de la consommation,
- la banque ne pouvait raisonnablement s'attendre, tout en respectant l'exigence de transparence à leur égard, à ce qu'ils acceptent, à la suite d'une négociation individuelle, les risques réels de change totalement déplafonnés puisque rien ne vient limiter l'engagement du consommateur en cas d'appréciation forte du franc suisse, susceptibles de résulter des clauses litigieuses sur leurs obligations s'ils avaient été correctement informés,
- s'ils avaient pu comprendre avant de conclure les prêts l'ampleur de ces risques déplafonnés et évaluer leurs conséquences financières, ils auraient refusé de conclure de tels prêts, de sorte que l'existence du déséquilibre significatif est caractérisée,
- la banque n'est exposée à aucun risque de change car elle n'effectue aucune opération de change pour son compte propre,
- le constat du caractère abusif des clauses litigieuses doit conduire à prononcer l'anéantissement rétroactif des contrats,
- afin de les replacer dans la situation qui aurait été la leur en l'absence de conclusion des contrats de prêt fondés sur des clauses abusives, il convient de les condamner à restituer à la banque la contrevaleur en euros des sommes empruntées en devises, aux conditions de change en vigueur lors de la conclusion des prêts,
- ils restitueront en conséquence la contrevaleur en euros de la somme empruntée en francs suisses, fixée au cours de change alors applicable, soit la somme de 223 000 euros, contrevaleur de la somme de 366 000 francs suisses, comme l'indique le contrat de prêt in fine n°203361-001-50, ainsi que la contrevaleur en euros de la somme de 255 000 francs suisses, soit 154 539 euros comme l'indique le contrat de prêt in fine n°203361-002-5.
- la banque sera condamnée à leur restituer les amortissements, les intérêts, les commissions et les primes d'assurance emprunteur perçues au titre des contrats de prêt in fine.
La banque soutient que les clauses définissant l'objet des contrats de prêt sont « transparentes » et qu'il n'existe pas de déséquilibre significatif. Elle fait notamment valoir que:
- la CJUE exige que la transparence des clauses définissant l'objet d'un contrat soit vérifiée, d'une part, au regard de leur caractère explicatif, clair et complet quant au «mécanisme » du prêt et à l'ampleur du risque pris jusqu'au remboursement complet et, d'autre part, au regard de la capacité des emprunteurs de comprendre ce «mécanisme » en référence à un « consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé »;
- en l'espèce, les échéances, payables en euros, sont libellées en francs suisses, de sorte que les changements de parité se répercutent directement et immédiatement sur le montant prélevé en euro et la durée du prêt n'est pas affectée,
- M. et Mme [M] ont bénéficié d'une mise en garde expresse contre le risque de change jointe aux offres ;
- M. et Mme [M] ne sont pas des « consommateurs moyens » mais des cadres résidant dans une région frontalière de la Suisse, parfaitement avertis du risque de change,
- la conclusion du contrat et son exécution n'ont donné lieu à aucune difficulté, les époux [M] ayant parfaitement compris qu'ils devaient rembourser des prêts libellés en francs suisses avec leurs revenus en euro, ce qui suppose à chaque paiement une opération de change,
- la rédaction de l'article 5.3. ne mérite nullement les critiques adverses : la dette étant libellée en francs suisses, son remboursement ne peut être effectué qu'en cette devise mais l'article 5.3. précise expressément que la monnaie de paiement est l'euro, sauf à supposer que les emprunteurs disposent de francs suisses ;
- en l'espèce, les emprunteurs ont payé en euro, n'ayant pas de francs suisses, ce qui a supposé une opération de change réalisée sur le compte auxiliaire en francs suisses,
- M et Mme [M] ont compris ce mécanisme élémentaire, qui n'a jamais donné lieu, ni à difficulté, ni même à interrogation, de sorte que la condition de « transparence » est remplie,
- concernant l'exigence de bonne foi, définie par la CJUE comme étant l'obligation du professionnel de révéler au consommateur le « risque disproportionné» de change en considération des circonstances connues de l'époque, les prêts en cause ont été consentis en 2004, alors qu' il n'existait aucune alarme sur le risque de change,
- le risque de change n'a pas été « plafonné » au profit de la banque alors qu'il serait illimité pour l'emprunteur, de sorte qu'il n'existe aucune dissymétrie qui permettrait de déceler un déséquilibre,
- les emprunteurs ont sollicité des prêts en francs suisses pour bénéficier de l'avantage certain des taux d'intérêt, dont ils ont bénéficié, moyennant un risque de change que les « experts » estimaient alors limité et sur lequel leur attention a été expressément attirée.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, applicable au litige, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (...) Les clauses abusives sont réputées non écrites. Toutefois, (...) l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Par arrêt du 10 juin 2021 (BNP Paribas Personal Finance SA, C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que:
- l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat;
- l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
En l'espèce, les prêts conclus entre M et Mme [M] et la banque le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004, destinés à financer deux biens immobiliers, étaient remboursables in fine respectivement le 31 juillet 2007 et le 31 octobre 2016 et garantis par l'inscription de sûretés immobilières sur le bien financé et le nantissement d'un contrat d'assurance-vie souscrit auprès de GE Capital.
Les deux clauses que M et Mme [M] considèrent comme étant abusives présentent les caractéristiques suivantes:
- Article 5-3 « Remboursement du crédit »: « (...) Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais de garantie seront payables en euros. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du co emprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré (...) ».
- article 10 « Dispositions propres aux crédits en devises »:
10.1 « Le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des charges en vigueur au jour de la réalisation.
10.2 Le prêt pourra être remboursé par anticipation. Tout remboursement anticipé
partiel devra au moins être égal au triple de la première échéance non échue dans le plan d'amortissement. Tout remboursement partiel s'imputera d'abord sur les intérêts et les frais, ensuite sur le principal. Il sera alors établi un nouvel échéancier prévoyant soit une réduction
de la durée du prêt, soit une diminution du montant des échéances, selon le souhait de l'emprunteur.
10.3 Le prêt est réputé convertible en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur
la conversion du prêt en euros sous préavis de 30 jours au minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation.
10.4 L'emprunteur déclare dès à présent accepter toutes les modifications de clauses
du présent contrat qui pourraient découler des changements de réglementation des changes.
10.5 Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt.
10.6 L'emprunteur s'oblige à domicilier auprès du prêteur ses revenus, quelle que soit
leur nature ou leur origine (salaire, pension, etc') pendant toute la durée du présent prêt. »
Ces stipulations, relatives à la devise choisie par l'emprunteur et aux modalités de remboursement, portent sur l'objet principal du contrat.
Dès lors, il convient d'examiner si ces clauses sont rédigées de manières claire et compréhensible, étant précisé que ces exigences ne se réduisent pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical puisque le contrat doit également exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause afin que le consommateur soit en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
Il y a lieu d'abord d'observer qu'en dépit de ce que la clause 5.3 affirme que la monnaie de paiement est l'euro, elle prévoit, en contradiction avec cette assertion, à plusieurs reprises, que tous les remboursements auront lieu « dans la devise empruntée » et que les échéances sont débitées à titre principal sur tout compte en devises de l'emprunteur.
Ensuite, les contrats de prêt ne contiennent aucune information sur la manière dont la clause est mise en oeuvre, sur la manière d'effectuer les remboursements en francs suisses alors même que les emprunteurs ne percevaient que des revenus en euros, alors que des conversions doivent intervenir et en conséquence, qu'un taux de change est appliqué.
Par ailleurs, la seule mention à la stipulation 10.1 selon laquelle le concours financier est réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation est imprécis et laisse l'emprunteur dans l'expectative quant au taux de change pris en compte pour le paiement des intérêts et pour le capital payable in fine.
Alors que ces clauses ont pour effet de faire dépendre les sommes dues par l'emprunteur du taux de change, en faisant de la monnaie étrangère, la monnaie de compte, aucune stipulation contractuelle ne l'informait du risque de dépréciation de l'euro et des conséquences potentiellement significatives que ces clauses pouvaient avoir sur le montant des remboursements.
A cet égard, l'attestation signée par les emprunteurs en même temps que l'offre, aux termes de laquelle ils mentionnent notamment « avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse » qui a pour objet de les informer du risque de dépréciation de l'euro par rapport à la devise choisie, est une information extra-contractuelle, non reprise par les stipulations du contrat et ne saurait, par voie de conséquence, conférer à celles-ci un caractère clair et compréhensible.
En outre, cette attestation indiquant l'existence d'un risque de dépréciation de l'euro par rapport à la devise choisie, n'informe pas concrètement les emprunteurs du risque de dépréciation importante de l'euro et de ses incidences sur leurs obligations financières, notamment à l'aide d'un exemple chiffré, d'une simulation ou de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale.
Enfin, les circonstances économiques à la date de la souscription des prêts en 2004, et notamment le cours du franc suisse et l'attractivité exceptionnelle de cette devise, étaient de nature à justifier une information spécifique de la banque quant au risque de dépréciation, afin que les clauses d'indexation sur le cours du franc suisse puissent être jugées claires et compréhensibles, ce qu'elle n'a pas fait.
Au total, il est établi que les documents remis aux emprunteurs ne leur permettaient pas, au regard des connaissances d'un consommateur moyen, d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières, de sorte que la banque n'a pas satisfait à l'exigence de transparence à leur égard.
Il est précisé à cet égard que la circonstance que M et Mme [M] soient des emprunteurs résidant dans une région frontalière de la Suisse, qui, selon la banque, ferait présumer qu'ils avaient connaissance du risque de change, ce qui n'est au demeurant pas démontré, ne les exclut en tout état de cause pas de la protection accordée au consommateur, la qualité de consommateur averti ou non averti n'ayant en outre aucune incidence en matière de clauses abusives.
Or, en respectant l'exigence de transparence à l'égard des emprunteurs, la banque ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'ils acceptent un tel risque de change déplafonné, rien ne venant limiter l'engagement des consommateurs en cas de dépréciation forte du franc suisse.
L'existence du déséquilibre significatif est d'autant plus caractérisée que la banque n'est exposée à aucun risque de change, à défaut d'effectuer une opération de change pour son propre compte.
Dès lors, par infirmation du jugement, il convient de retenir que la clause 5.3 et celle en lien avec celle-ci, la clause 10.5, des contrats de prêt constituent des clauses abusives, qui doivent être réputées non écrites.
Les clauses réputées non écrites constituant l'objet principal des contrats et ceux-ci ne pouvant subsister sans elles, puisqu'elles concernent le remboursement en devises,, il convient de faire droit à la demande d'annulation des contrats formée à titre principal par les emprunteurs.
En conséquence de l'annulation du prêt, il y a lieu de condamner, d'une part, M et Mme [M] à restituer à la banque la contre valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée, soit les sommes non contestées par la banque de 223 000 euros s'agissant du prêt n° 203361-001-50 et de 154 539 euros, s'agissant du prêt n°203361-002-51 et, d'autre part, la banque à leur restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt (amortissements, intérêts, commissions, primes d'assurance), soit la contre valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Il y a lieu d'ordonner la compensation et d'assortir la somme due après compensation de l'intérêt légal à compter de la signification du présent arrêt.
Le jugement est donc infirmé de ces chefs.
3. Sur les autres demandes
M. et Mme [M] ne sollicitant la condamnation de la banque à leur verser des dommages-intérêts qu'à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu d'examiner cette demande.
Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.
La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M et Mme [M] et condamne la banque à leur payer la somme de 4.000 euros à ce titre.
Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de la banque.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Dans la limite de sa saisine,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il dit que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'offres de prêt, réputées non écrites au sens de l'article L 132-1 du code de la consommation,
statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable la demande en restitution des sommes versées à la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe formée par M et Mme [M],
Déclare abusives les clauses des articles 5-3 et 10-5 des contrats de prêt des 4 juin (n° 203361-001-50) et 21 octobre 2004 (n°203361-002-51);
Prononce la nullité des contrats de prêt précités conclus entre les parties;
En conséquence,
Condamne M et Mme [M] à payer à la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe la somme de 223 000 euros au titre du prêt n° 203361-001-50;
Condamne M et Mme [M] à payer à la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe la somme de 154 539 euros, au titre du prêt n°203361-002-51 ;
Condamne la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe à restituer à M et Mme [M] les sommes perçues (amortissements, intérêts, cotisations, commissions, primes d'assurance) en exécution des contrats de prêt précités, soit la contre valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements ;
Dit que les sommes se compensent et que la somme due après compensation portera
intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt;
Condamne la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe à payer à M et Mme [M], la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la Caisse de crédit mutuel [Localité 7] Europe aux dépens et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.