Cass. crim., 5 septembre 2023, n° 22-84.400
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Avocat :
SCP Thouin-Palat et Boucard
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 8 décembre 2014, un agent de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a procédé au contrôle d'un chantier de construction sur lequel intervenait la société Etablissements [T] (Ets [T]), dont le gérant est M. [S] [Z] [T].
3. Il a été constaté la présence de dix personnes de nationalité portugaise en situation de travail, salariées de la société de droit portugais Comet Prestige.
4. Sur réquisitions du procureur de la République, un second contrôle a été effectué le 13 avril 2015, au cours duquel a été relevée la présence de onze personnes, de nationalité portugaise, en situation de travail, employées par la société Previodestak, entité juridique ayant pris la suite de la société Comet Prestige.
5. A l'issue de l'enquête, M. [Z] [T] et la société Ets [T] ont été poursuivis des chefs susvisés.
6. Le tribunal correctionnel, par jugement du 8 octobre 2019, a retenu leur culpabilité.
7. Appel a été interjeté par les prévenus et le ministère public.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Z] [T] et la société Etablissement [T] coupables des faits de recours à la sous-traitance sans faire accepter le sous-traitant et agréer ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage entre le 25 juin 2014 et le 13 avril 2015 à [Localité 1], opération illicite de prêt de main d'oeuvre exclusif dans un but lucratif par personne morale entre le 27 octobre 2014 et le 13 avril 2015 à [Localité 1], marchandage par personne morale : opération illégale à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre entre le 27 octobre 2014 et le 13 avril 2015 à [Localité 1] et exécution d'un travail dissimulé entre le 27 octobre 2014 et le 13 avril 2015 à [Localité 1], alors :
« 1°/ que tout jugement ou arrêt doit être motivé et la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en considérant d'une part que la société Les Petits Prés, maître de l'ouvrage, n'avait pas autorisé la société Etablissements [T] à avoir recours à des sous-traitants et n'avait pas agréé les sociétés Comet Prestige et Previodestak pour son chantier (arrêt, p. 8, § 8), ce qui implique que les sociétés Comet Prestige et Previodestak étaient sous-traitants de la société Etablissements [T], donc les employeurs des travailleurs concernés, d'autre part que la prestation des sociétés portugaises Comet Prestige et Previodestak auprès de la société Etablissements [T] aurait consisté en réalité en une opération de location de main d'oeuvre(arrêt, p. 8 in fine), que les salariés des sociétés sous-traitantes auraient travaillé sous l'autorité et le contrôle de la société Etablissements [T], que le lien de subordination aurait été déplacé au profit de la société Etablissements [T] (arrêt, p. 9, § 1) et que les travailleurs de sociétés portugaises auraient été des salariés de la société Etablissements [T] (arrêt, p. 10, § 3), la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 8271-1-1 du code du travail, 1 et 3, alinéa 1, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 :
10. Le premier de ces textes sanctionne la méconnaissance de l'obligation faite par le troisième à l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants de faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché.
11. Selon le deuxième, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage.
12. Il s'en déduit que l'infraction susvisée ne peut être caractérisée en présence d'une situation de sous-traitance fictive.
13. En l'espèce, pour déclarer les prévenus coupables du délit prévu à l'article L. 8271-1-1 précité, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas contesté que le maître d'ouvrage n'a pas autorisé la société Ets [T] à avoir recours à des sous-traitants et par conséquent n'a pas agréé les sociétés Comet Prestige et Previodestak pour son chantier.
14. Pour retenir leur culpabilité également des chefs de travail dissimulé, prêt illicite de main-d'oeuvre et marchandage, les juges relèvent que les salariés des sociétés Comet Prestige et Previodestak travaillaient en réalité sous l'autorité et le contrôle de l'encadrement de la société Ets [T], qui mettait à leur disposition l'ensemble du matériel et les matériaux et distribuait, organisait et contrôlait les travaux.
15. Les juges retiennent que ce mode d'organisation a permis à la société Ets [T] de réaliser une économie notamment en évitant le recours à des entreprises de travail temporaire.
16. Ils ajoutent que les salariés ont subi un préjudice, les règles françaises relatives à la durée du travail et à sa rémunération ayant été éludées.
17. En l'état de ces motifs, dont il résulte que la sous-traitance était fictive, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité du chef du délit prévu à l'article L. 8271-1-1 du code du travail, dès lors que les autres déclarations de culpabilité n'encourent pas la censure, et aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
20. Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 7 mars 2022, mais en ses seules dispositions relatives au délit prévu à l'article L. 8271-1-1 du code du travail, et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé sur les seules peines, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.