Cass. 2e civ., 23 mai 2024, n° 22-12.254
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteur :
M. Cardini
Avocat général :
M. Adida-Canac
Avocats :
SARL Gury & Maitre, SARL Thouvenin, Coudray et Grévy
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 13 décembre 2021) et les productions, par ordonnances des 17 décembre 2015 et 27 décembre 2016, un tribunal d'instance, statuant comme tribunal de l'exécution, a ordonné, à la requête de la société GAT Holding (la société), l'exécution forcée immobilière de biens immobiliers appartenant à la société SCI de la [Adresse 2] (la SCI).
2. Par arrêt du 27 juin 2016, une cour d'appel, statuant sur le pourvoi immédiat formé par la SCI, a constaté que la société ne détient de titre exécutoire que pour la somme de 500 000 euros en principal, outre 50 000 euros en intérêts et frais, et confirmé l'ordonnance de vente forcée aux fins de recouvrement d'une somme de 550 000 euros.
3. La SCI a assigné la société devant le tribunal de l'exécution aux fins de voir ordonner la suspension des opérations de vente forcée, subsidiairement, limiter l'exécution forcée à la somme de 200 000 euros et, à titre infiniment subsidiaire, ordonner la compensation avec les dommages et intérêts lui revenant pour violation de l'affectio societatis.
4. Par un jugement du 8 février 2021, le tribunal a déclaré recevable la demande de la SCI, mais l'en a débouté.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à l'infirmation du jugement rendu le 8 février 2021 par le tribunal de Sélestat, à ce qu'il soit ordonné en l'état la suspension des opérations de vente forcée, subsidiairement à ce que l'exécution forcée soit limitée à la somme de 200 000 euros, très subsidiairement, qu'il soit opéré une compensation avec les dommages et intérêts lui revenant pour violation de l'affectio societatis, alors « que le tribunal de l'exécution forcée immobilière connaît des demandes en réparation fondées sur l'exécution dommageable des mesures d'exécution forcée immobilière ; qu'en retenant « qu'il n'entre pas dans la compétence du tribunal de l'exécution (non plus d'ailleurs que dans la compétence du juge de l'exécution), de fixer une créance de dommages et intérêts pour violation de l'affectio societatis » cependant que la mise en oeuvre par un associé d'une personne morale d'une mesure d'exécution forcée immobilière à son encontre, dans le but de nuire à cette personne morale et en méconnaissance de l'affectio societatis, peut donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts par le tribunal de l'exécution, la cour d'appel a violé l'article L. 215-8 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 223-2, devenu L. 215-8, du code de l'organisation judiciaire, le tribunal de l'exécution connaît, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, de l'exécution forcée sur les biens immeubles.
8. Ayant relevé que la SCI faisait valoir qu'il y avait lieu de compenser la créance de la société avec sa propre créance qui découle de la faute commise par cette dernière, titulaire d'une part sociale, et qui a, par son action, nuit à la SCI et à ses associés, c'est sans encourir les griefs du moyen, une telle demande ne constituant pas une demande de réparation fondée sur l'exécution dommageable de la mesure d'exécution, que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 223-2, devenu L. 215-8, du code de l'organisation judiciaire et les articles 158 et 159 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle :
11. Il résulte de ces textes qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du tribunal de l'exécution de se prononcer sur une demande, formée par le débiteur saisi, tendant à la compensation avec une créance alléguée de dommages et intérêts contre le créancier saisissant dont la responsabilité serait engagée pour violation de l'affectio societatis, laquelle n'est pas fondée sur l'exécution dommageable de la mesure d'exécution.
12. Le défaut de pouvoir juridictionnel d'un juge constitue une fin de non-recevoir qui peut, comme telle, être proposée en tout état de cause en application de l'article 123 du code de procédure civile.
13. Après avoir relevé que la SCI faisait valoir qu'il y avait lieu de compenser la créance de la société avec sa propre créance qui découle de la faute commise par cette dernière, titulaire d'une part sociale, et qui a, par son action, nuit à la SCI et à ses associés, ce dont il résulte que celle-ci ne se bornait pas à se prévaloir d'une compensation, et retenu qu'il n'entre pas dans la compétence du tribunal de l'exécution de fixer une créance de dommages et intérêts pour violation de l'affectio societatis, l'arrêt confirme le jugement ayant débouté la SCI.
14. En statuant ainsi, alors qu'une telle demande était irrecevable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 11 et 12, que la demande de la SCI tendant à voir ordonner la compensation avec les dommages et intérêts lui revenant pour violation de l'affectio societatis est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement en tant qu'il a déclaré recevable la demande de la société SCI de la [Adresse 2] tendant à ordonner la compensation avec les dommages et intérêts lui revenant pour violation de l'affectio societatis et l'en a débouté, l'arrêt rendu le 13 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.