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Décisions

CJUE, gr. ch., 10 septembre 2024, n° C-465/20 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Annulation

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne

Défendeur :

Irlande

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. K. Lenaerts

Présidents de chambre :

Mme K. Jürimäe, M. C. Lycourgos, M. E. Regan, M. T. von Danwitz, M. Z. Csehi, Mme O. Spineanu‑Matei

Vice-président :

M. L. Bay Larsen

Juges :

M. M. Ilešič, M. J.‑C. Bonichot, M. I. Jarukaitis, M. A. Kumin, M. N. Jääskinen, M. N. Wahl

Avocat général :

M. G. Pitruzzella

Avocats :

Me C. Riis-Madsen, Me E. van der Stok, Me A. von Bonin

CJUE n° C-465/20 P

9 septembre 2024

 

1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 juillet 2020, Irlande e.a./Commission (T‑778/16 et T‑892/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:338), par lequel celui-ci a annulé la décision (UE) 2017/1283 de la Commission, du 30 août 2016, concernant l’aide d’État SA.38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple (JO 2017, L 187, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).

I. Les antécédents du litige

2 Les antécédents du litige, tels qu’ils ont été exposés aux points 1 à 47 de l’arrêt attaqué, peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

A. Sur l’historique du groupe Apple

1. En ce qui concerne le groupe Apple

3 Le groupe Apple, fondé en 1976 et établi à Cupertino (États-Unis), se compose d’Apple Inc. et de toutes les sociétés contrôlées par cette dernière (ci-après, dénommées ensemble, le « groupe Apple »). Le groupe Apple conçoit, fabrique et commercialise notamment des équipements de communication mobile et multimédia, des ordinateurs personnels ainsi que des lecteurs portatifs de musique numérique et vend des logiciels, d’autres services, des solutions de mise en réseau ainsi que des contenus et des applications numériques de tiers. Le groupe Apple commercialise ses produits et services auprès des consommateurs, des entreprises et des pouvoirs publics du monde entier, par le biais de ses boutiques physiques, de ses boutiques en ligne et de son service de vente directe ainsi que par l’intermédiaire d’opérateurs de réseaux mobiles tiers, de grossistes, de détaillants et de distributeurs. L’activité mondiale du groupe Apple est articulée autour de secteurs fonctionnels clés, gérés et dirigés depuis les États-Unis par des dirigeants établis à Cupertino.

2. En ce qui concerne ASI et AOE

4 Au sein du groupe Apple, Apple Operations International Ltd (AOI) est une filiale à 100 % d’Apple Inc. AOI détient 100 % de la filiale Apple Operations Europe Ltd (AOE), anciennement dénommée « Apple Computer Ltd (ACL) ». Celle-ci détient 100 % de la filiale Apple Sales International Ltd (ASI), anciennement dénommée « Apple Computer Accessories Ltd (ACAL) », puis « Apple Computer International ». ASI et AOE sont toutes deux constituées en tant que sociétés de droit irlandais, mais ne sont pas résidentes fiscales irlandaises.

5 Ainsi qu’il est indiqué aux considérants 113 à 115 de la décision litigieuse, une partie importante des membres des conseils d’administration d’ASI et d’AOE étaient des directeurs, employés par Apple Inc. et établis à Cupertino. Au considérant 115 de cette décision sont reproduits des extraits de résolutions et de procès-verbaux des réunions des assemblées générales et des conseils d’administration d’ASI et d’AOE. Les résolutions des conseils d’administration portaient généralement sur des sujets tels que le versement de dividendes, l’approbation des rapports des directeurs, ou encore la nomination et la démission de ces derniers. De manière plus occasionnelle, ces résolutions concernaient la constitution de filiales et l’octroi à certains directeurs de procurations couvrant des activités telles que la gestion des comptes bancaires, les relations avec les gouvernements et les organismes publics, les audits, la conclusion de contrats d’assurance, la location, l’achat et la vente d’actifs, la réception de marchandises et les contrats commerciaux.

6 Apple Inc., d’une part, et ASI et AOE, d’autre part, étaient liées par un accord de partage des coûts (ci-après l’« accord de partage des coûts »). Les coûts partagés portaient notamment sur la recherche et le développement (R & D) des technologies incorporées aux produits du groupe Apple. L’accord de partage des coûts a été initialement conclu au mois de décembre 1980 entre Apple Inc., alors dénommée « Apple Computer Inc. », et ACL. Au cours de l’année 1999, Apple Computer International est devenue partie à cet accord. L’accord de partage des coûts a été modifié à plusieurs reprises, afin notamment de prendre en compte des changements dans la réglementation applicable.

7 En vertu de cet accord, les parties ont accepté de partager les coûts et les risques des activités de R & D concernant les biens incorporels développés dans le cadre du programme de développement des produits et services du groupe Apple. Les parties se sont également accordées sur le fait qu’Apple Inc. demeurait le propriétaire légal officiel des biens incorporels à coûts partagés, y compris des droits de propriété intellectuelle (ci-après la « PI ») du groupe Apple. En outre, Apple Inc. a octroyé des licences libres de redevance à ASI et à AOE leur permettant d’utiliser la PI du groupe Apple en vue, notamment, de fabriquer et de vendre les produits concernés sur l’ensemble des territoires situés en dehors du continent américain. Enfin, les parties à l’accord de partage des coûts étaient tenues d’assumer les risques résultant de cet accord, le principal risque étant constitué par l’obligation de payer les coûts de développement des droits de PI du groupe Apple.

8 Au cours de l’année 2008, ASI a conclu un contrat de services marketing avec Apple Inc., dans le cadre duquel cette dernière s’engageait à lui fournir des services de commercialisation, comprenant notamment la création, le développement et la mise en œuvre de stratégies de marketing, de programmes et de campagnes de promotion. ASI s’engageait, en contrepartie, à payer à Apple Inc. une redevance correspondant à un pourcentage des « frais raisonnables encourus » par Apple Inc. pour ces services, augmenté d’une marge.

3. En ce qui concerne les succursales irlandaises

9 ASI et AOE disposent, chacune, d’une succursale en Irlande, désignée en langue anglaise par le terme « branch ». Ces succursales sont dépourvues de personnalité juridique distincte.

10 La succursale irlandaise d’ASI est notamment responsable de la réalisation des activités d’achat, de vente et de distribution, associées à la vente de produits de la marque Apple à des entités liées et à des clients tiers dans les régions couvrant l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Afrique (EMEIA) ainsi que l’Asie-Pacifique (APAC). Les principales fonctions exercées au sein de cette succursale incluent l’achat de produits finis de marque Apple auprès de fabricants tiers et liés, les activités de distribution associées à la vente de produits à des entités liées dans les régions EMEIA et APAC, les activités de vente et de distribution associées à la vente de produits à des clients tiers dans la région EMEIA, la vente en ligne, les opérations logistiques et l’exploitation du service après-vente. La Commission a constaté, au considérant 55 de la décision litigieuse, que de nombreuses activités associées à la distribution dans la région APAC étaient réalisées par des entités liées dans le cadre de contrats de services.

11 La succursale irlandaise d’AOE est responsable de la fabrication et du montage d’une gamme spécialisée de produits informatiques en Irlande, tels que des ordinateurs de bureau, des ordinateurs portables et d’autres accessoires informatiques, qu’elle fournit à des entités liées pour la région EMEIA. Les principales fonctions exercées au sein de cette succursale incluent la planification et la programmation de la production, l’ingénierie des processus, la production et l’exploitation, l’assurance et le contrôle de la qualité et les opérations de reconditionnement.

B. Sur les rulings fiscaux contestés

12 Par lettres des 29 janvier 1991 et 23 mai 2007, les autorités fiscales irlandaises ont adopté des décisions fiscales anticipatives, dites « rulings fiscaux », concernant la détermination des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande (ci-après, prises ensemble, les « rulings fiscaux contestés »), conformément aux propositions formulées à cet égard par les représentants du groupe Apple. Ces rulings fiscaux sont décrits aux considérants 59 à 62 de la décision litigieuse.

1. Sur le ruling fiscal de 1991

a) Sur la base imposable d’ACL, prédécesseur d’AOE

13 Par lettre du 12 octobre 1990, adressée aux autorités fiscales irlandaises, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont décrit les activités d’ACL en Irlande et celles exercées par sa succursale irlandaise établie à Cork (Irlande). Ce courrier précisait que cette succursale était propriétaire des actifs afférents aux activités de fabrication, mais qu’ACL avait conservé la propriété des matériaux utilisés, des produits en cours et des produits finis.

14 À la suite d’un échange de courriers, les autorités fiscales irlandaises ont, par lettre du 29 janvier 1991, donné leur accord à la proposition du groupe Apple pour que le bénéfice imposable d’ACL en Irlande, imputable aux revenus de sa succursale irlandaise, soit calculé selon la méthode suivante :

– le bénéfice net imputable à la succursale irlandaise correspond à 65 % des coûts d’exploitation de cette succursale à concurrence d’un montant annuel de [confidentiel](1) et à 20 % de ces coûts au-delà de ce montant ;

– si le bénéfice global de la succursale irlandaise est inférieur au montant ainsi obtenu, ce bénéfice global est utilisé pour déterminer le bénéfice net de cette succursale ;

– les coûts d’exploitation à prendre en considération pour le calcul du bénéfice net de la succursale irlandaise comprennent l’ensemble des dépenses d’exploitation de cette succursale, à l’exclusion du matériel destiné à la revente et des coûts relatifs aux actifs incorporels facturés par les sociétés affiliées au groupe Apple, et

– un allégement pour amortissement peut être sollicité à condition qu’il ne dépasse pas de [confidentiel] les amortissements déclarés dans les comptes pertinents.

b) Sur la base imposable d’ACAL, prédécesseur d’ASI

15 Par lettre du 2 janvier 1991, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont informé les autorités fiscales irlandaises de l’existence d’ACAL, dont la succursale en Irlande était décrite comme étant responsable de l’approvisionnement auprès de fabricants irlandais en produits destinés à l’exportation.

16 Le 16 janvier 1991, les représentants du groupe Apple ont envoyé une lettre aux autorités fiscales irlandaises résumant les termes de l’accord qui avait été conclu lors d’une réunion entre ce groupe et ces autorités le 3 janvier 1991 quant à la détermination du bénéfice imposable d’ACAL. Selon cette lettre, le calcul du bénéfice de la succursale devait être fondé sur une marge de 12,5 % des coûts d’exploitation de la succursale, à l’exclusion du matériel destiné à la revente.

17 Par lettre du 29 janvier 1991, les autorités fiscales irlandaises ont confirmé les termes de l’accord tels qu’exprimés dans la lettre du 16 janvier 1991.

2. Sur le ruling fiscal de 2007

18 Par lettre du 16 mai 2007, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont proposé aux autorités fiscales irlandaises de réviser la méthode de détermination de la base imposable des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE.

19 S’agissant de la succursale irlandaise d’ASI, le groupe Apple a proposé que le bénéfice imposable attribué à cette succursale corresponde à [confidentiel] de ses coûts d’exploitation, à l’exclusion des coûts tels que les sommes facturées par les sociétés affiliées au sein du groupe Apple et les coûts de matériel.

20 S’agissant de la succursale irlandaise d’AOE, le groupe Apple a proposé que le bénéfice imposable attribué à cette succursale soit déterminé en ajoutant au montant correspondant à [confidentiel] de ses coûts d’exploitation, à l’exclusion des coûts tels que les sommes facturées par les sociétés affiliées au sein du groupe Apple et les coûts de matériel, un montant égal à [confidentiel] de son chiffre d’affaires, représentant le rendement sur PI pour les technologies de processus de fabrication élaborées par ladite succursale. Le groupe a également demandé un allégement pour les amortissements « normalement calculés et autorisés » sur les usines et les bâtiments.

21 Le groupe Apple a proposé que le nouvel accord entre en vigueur à partir du 1er octobre 2007 pour les deux succursales, qu’il soit applicable pendant une durée de cinq ans, sauf changement de circonstances, et qu’il soit renouvelé par la suite annuellement. Il a également suggéré que cet accord puisse être appliqué à de nouvelles entités qui pourraient être créées ou transformées au sein du groupe Apple, pour autant que leurs activités correspondent à celles exercées respectivement par ASI et par AOE.

22 Par lettre du 23 mai 2007, les autorités fiscales irlandaises ont donné leur accord à l’ensemble des propositions contenues dans la lettre du 16 mai 2007. Cet accord a été appliqué jusqu’à la clôture, le 27 septembre 2014, de l’exercice fiscal 2014.

C. Sur la procédure administrative devant la Commission

23 Par lettre du 12 juin 2013, la Commission a demandé à l’Irlande de lui fournir des renseignements au sujet de la pratique des rulings fiscaux sur son territoire, en particulier au sujet de ceux ayant été accordés à certaines entités du groupe Apple, dont ASI et AOE.

24 Par décision du 11 juin 2014, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (ci-après la « décision d’ouverture ») concernant les rulings fiscaux contestés, au motif que ces rulings fiscaux pouvaient constituer des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La Commission, après avoir examiné si les accords sur les prix de transfert contenus dans les rulings fiscaux contestés s’écartaient des conditions qui auraient été fixées entre des opérateurs de marché indépendants et donc du principe de pleine concurrence, a estimé que ces rulings fiscaux étaient susceptibles d’avoir procuré un avantage aux entreprises auxquelles ils avaient été accordés. Cette décision a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 17 octobre 2014.

25 Par lettres des 5 septembre et 17 novembre 2014, l’Irlande et Apple Inc. ont, respectivement, présenté leurs observations sur la décision d’ouverture.

26 Lors de la procédure formelle d’examen, plusieurs échanges et réunions ont eu lieu entre la Commission, les autorités fiscales irlandaises et Apple Inc. En outre, l’Irlande et Apple Inc. ont présenté deux rapports ad hoc sur l’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, établis par leurs conseillers fiscaux respectifs.

D. Sur la décision litigieuse

27 Le 30 août 2016, la Commission a adopté la décision litigieuse, qui porte sur les rulings fiscaux contestés. Après avoir décrit le cadre juridique et factuel (section 2) et la procédure administrative (sections 3 à 7), la Commission s’est concentrée sur l’analyse de l’existence des aides (section 8).

28 Premièrement, la Commission a relevé que les rulings fiscaux contestés avaient été accordés par l’administration fiscale irlandaise et étaient donc imputables à l’État. Elle a estimé que, dans la mesure où ces rulings fiscaux entraînaient une réduction du montant de l’impôt dû par ASI et par AOE, l’Irlande avait renoncé à des recettes fiscales, ce qui avait donné lieu à une perte de ressources d’État (considérant 221 de la décision litigieuse).

29 Deuxièmement, la Commission a considéré que, ASI et AOE faisant partie du groupe Apple, actif dans tous les États membres, les rulings fiscaux contestés étaient, de ce fait, susceptibles d’affecter les échanges à l’intérieur de l’Union européenne (considérant 222 de la décision litigieuse).

30 Troisièmement, la Commission a retenu que, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE, aux fins de l’établissement de l’impôt sur les sociétés en Irlande, ils procuraient un avantage à ces deux sociétés (considérant 223 de la décision litigieuse).

31 En outre, selon la Commission, les rulings fiscaux contestés ayant été uniquement octroyés à ASI et à AOE, leur nature sélective pouvait être présumée. Toutefois, par souci d’exhaustivité, la Commission a constaté que ces rulings fiscaux constituaient une dérogation au cadre de référence pertinent, défini comme le système de droit commun d’imposition des sociétés en Irlande (considérant 224 de la décision litigieuse).

32 Quatrièmement, la Commission a relevé que, les rulings fiscaux contestés ayant entraîné une réduction du montant de l’impôt dû par ASI et par AOE, ils étaient de nature à renforcer la position concurrentielle de ces deux sociétés et, dès lors, à fausser ou à menacer de fausser la concurrence (considérant 222 de la décision litigieuse).

1. Sur l’existence d’un avantage sélectif

33 Dans la section 8.2 de la décision litigieuse, la Commission a suivi l’analyse en trois étapes issue de la jurisprudence afin de prouver l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce. Ainsi, tout d’abord, elle a identifié le cadre de référence et justifié l’application du principe de pleine concurrence. Ensuite, elle a examiné l’existence d’un avantage sélectif découlant d’une dérogation au cadre de référence. En substance, en s’appuyant sur des raisonnements à titre principal, à titre subsidiaire et à titre alternatif, la Commission a considéré que les rulings fiscaux contestés avaient permis à ASI et à AOE de réduire le montant de l’impôt dont elles étaient redevables en Irlande au cours de la période pendant laquelle ils étaient en vigueur, à savoir entre l’année 1991 et l’année 2014 (ci-après la « période pertinente »), et que cette réduction du montant de l’impôt représentait un avantage par rapport à d’autres sociétés se trouvant dans une situation comparable. Enfin, la Commission a constaté que ni l’Irlande ni Apple Inc. n’avaient avancé d’arguments concernant la justification de cet avantage sélectif.

a) Sur le cadre de référence

34 Aux considérants 227 à 243 de la décision litigieuse, la Commission a estimé que le cadre de référence était constitué par le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Irlande, dont l’objectif serait d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt en Irlande, qu’elles soient résidentes ou non-résidentes. La Commission a considéré que les sociétés intégrées et les sociétés non intégrées se trouvaient dans une situation juridique et factuelle comparable au regard de cet objectif. Partant, l’article 25 du Taxes Consolidation Act de 1997 (code des impôts consolidé de 1997, ci-après le « TCA 97 »), qui prévoit l’imposition des sociétés non-résidentes au titre des revenus commerciaux réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une succursale active en Irlande, devrait être considéré comme faisant partie intégrante de ce cadre de référence, et non comme un cadre de référence distinct.

b) Sur le principe de pleine concurrence

35 Aux considérants 244 à 263 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué qu’il ressortait tant des termes de l’article 25 du TCA 97 que de sa finalité que cette disposition, qui ne donne aucune orientation sur la manière dont doit être déterminé le bénéfice imposable d’une succursale irlandaise, ne pouvait être appliquée qu’en utilisant une méthode d’attribution des bénéfices. À cet égard, elle a relevé que l’article 107, paragraphe 1, TFUE exigeait que cette méthode soit fondée sur le principe de pleine concurrence, indépendamment du fait que l’Irlande ait ou non incorporé ce principe dans son système juridique national. La Commission a fondé cette considération sur deux prémisses. D’une part, elle a rappelé que toute mesure fiscale adoptée par un État membre devait respecter les règles relatives aux aides d’État. D’autre part, elle a soutenu qu’il découlait de l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), qu’une réduction de la base imposable qui résulte d’une mesure fiscale permettant à un contribuable d’employer des prix de transfert, dans le cadre de transactions intragroupe, qui ne sont pas proches des prix qui sont pratiqués dans des conditions de libre concurrence, confère un avantage sélectif à ce contribuable au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

36 Ainsi, la Commission a soutenu que le principe de pleine concurrence constituait un critère de référence pour déterminer si une société intégrée bénéficiait d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE du fait d’une mesure fiscale déterminant ses prix de transfert et, partant, son assiette fiscale. Ce principe viserait à garantir que les transactions intragroupe soient traitées, à des fins fiscales, de la même manière que celles effectuées entre des sociétés autonomes non intégrées. Son application permettrait d’éviter une inégalité de traitement entre des sociétés se trouvant dans une situation factuelle et juridique similaire au regard de l’objectif du système commun de l’impôt sur les sociétés, qui serait d’imposer les bénéfices de l’ensemble des sociétés relevant du champ d’application de cet impôt.

37 Quant aux principes développés dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission a indiqué qu’ils constituaient uniquement des orientations utiles pour les autorités fiscales, afin d’assurer que les méthodes d’attribution des bénéfices et de fixation des prix de transfert produisent des résultats conformes aux conditions du marché.

c) Sur le raisonnement à titre principal de la Commission relatif à l’existence d’un avantage sélectif du fait de la non-attribution aux succursales irlandaises des bénéfices dérivés des licences de PI détenues par ASI et par AOE 

38 À titre principal, aux considérants 265 à 321 de la décision litigieuse, la Commission a soutenu que le fait que les autorités fiscales irlandaises aient accepté, dans les rulings fiscaux contestés, la prémisse selon laquelle les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE devaient être attribuées hors d’Irlande avait conduit à ce que les bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande s’écartent d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence.

39 En substance, la Commission a considéré que les licences de PI détenues par ASI et AOE pour l’achat, la fabrication, la vente et la distribution de produits du groupe Apple en dehors du continent américain avaient contribué de manière considérable au revenu de ces deux sociétés.

40 Ainsi, la Commission a reproché aux autorités irlandaises d’avoir erronément attribué aux sièges d’ASI et d’AOE des actifs, des fonctions et des risques, alors que ces sièges n’avaient pas de présence physique ni de salariés en dehors du territoire irlandais. Plus particulièrement, s’agissant des fonctions afférentes aux licences de PI, la Commission a estimé que de telles fonctions n’avaient pas pu être exercées uniquement par le biais des conseils d’administration d’ASI et d’AOE, en l’absence de personnel au niveau des sièges de ces sociétés. Elle a relevé, à cet égard, l’absence de références à des discussions et à des décisions en rapport avec la PI dans les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration qui lui avaient été fournis. Partant, selon la Commission, dans la mesure où les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient pas pu contrôler ni gérer les licences de PI du groupe Apple, ces sièges n’auraient pas dû se voir attribuer, dans un contexte de pleine concurrence, les bénéfices tirés de l’utilisation de ces licences. Dès lors, ces bénéfices auraient dû être attribués aux succursales d’ASI et d’AOE, qui étaient seules en mesure d’exercer effectivement des fonctions en rapport avec la PI du groupe Apple essentielles à l’activité commerciale d’ASI et d’AOE.

41 Partant, en omettant d’attribuer aux succursales d’ASI et d’AOE les bénéfices dérivés de la PI du groupe Apple, et ce de façon non conforme au principe de pleine concurrence, les autorités fiscales irlandaises auraient procuré un avantage à ASI et à AOE, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sous la forme d’une réduction de leurs bénéfices annuels imposables respectifs. Selon la Commission, cet avantage présentait un caractère sélectif, puisqu’il entraînait une réduction de la charge de l’impôt d’ASI et d’AOE en Irlande par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable reflète les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. La Commission a ajouté, enfin, que l’application de l’approche autorisée de l’OCDE relative à l’attribution des bénéfices à un établissement stable (ci-après l’« approche autorisée de l’OCDE ») permettait d’aboutir à une conclusion similaire.

d) Sur le raisonnement subsidiaire de la Commission relatif à  l’existence d’un avantage sélectif du fait du choix inadéquat des méthodes d’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE 

42 À titre subsidiaire, aux considérants 325 à 360 de la décision litigieuse, la Commission a estimé que, à supposer même que les autorités fiscales irlandaises aient été fondées à attribuer les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE hors d’Irlande, les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées par les rulings fiscaux contestés avaient, en toute hypothèse, abouti à ce que les bénéfices annuels imposables de ces deux sociétés en Irlande s’écartent d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence. En effet, selon la Commission, ces méthodes étaient fondées sur des choix méthodologiques inadéquats qui avaient conduit à une réduction du montant de l’impôt dont devaient s’acquitter ASI et AOE par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable, au titre des règles de droit commun d’imposition des bénéfices en Irlande, est déterminé par les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. Partant, selon la Commission, les rulings fiscaux contestés, du fait de l’approbation desdites méthodes, avaient procuré un avantage sélectif à ASI et à AOE au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

e) Sur le raisonnement alternatif de la Commission relatif à l’existence d’un avantage sélectif du fait de la dérogation au cadre de référence constitué par l’article 25 du TCA 97

43 À titre alternatif, la Commission a fait valoir, aux considérants 369 à 403 de la décision litigieuse, que, à supposer même que le cadre de référence soit constitué uniquement par l’article 25 du TCA 97, les rulings fiscaux contestés avaient procuré un avantage sélectif à ASI et à AOE, sous la forme d’une réduction de leur base imposable en Irlande. D’une part, la Commission a considéré que l’application de l’article 25 du TCA 97 en Irlande se fondait sur le principe de pleine concurrence. Or, en l’espèce, la Commission aurait démontré que les rulings fiscaux contestés se seraient écartés d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence, ce qui aurait procuré un avantage économique à ASI et à AOE. D’autre part et en tout état de cause, la Commission a fait valoir que, même s’il devait être considéré que l’application de l’article 25 du TCA 97 n’était pas fondée sur le principe de pleine concurrence, il y avait lieu de conclure que les rulings fiscaux contestés avaient été adoptés par les autorités fiscales irlandaises de façon discrétionnaire, en l’absence de critères objectifs liés au système fiscal irlandais, et que, de ce fait, ils procuraient un avantage sélectif à ASI et à AOE.

f) Conclusion de la Commission sur l’existence d’un avantage sélectif

44 La Commission a conclu que les rulings fiscaux contestés avaient réduit les charges qu’ASI et AOE auraient normalement dû supporter dans le cadre de leurs activités courantes et que, partant, ils devaient être considérés comme ayant octroyé à ces deux sociétés des aides au fonctionnement. Toutefois, elle a considéré que, dans la mesure où ASI et AOE faisaient partie du groupe Apple, au caractère multinational, et où celui-ci devait être considéré comme une unité économique unique, au sens de la jurisprudence, ce groupe dans son ensemble avait bénéficié des aides d’État octroyées par l’Irlande au moyen des rulings fiscaux contestés (sections 8.3 et 8.4 de la décision litigieuse).

2. Sur l’incompatibilité, l’illégalité et la récupération des aides

45 La Commission a relevé que ces mesures d’aides étaient incompatibles avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et que, n’ayant pas été préalablement notifiées, elles constituaient des aides d’État illégales mises à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (sections 8.5 et 9 de la décision litigieuse).

46 Enfin, la Commission a indiqué que l’Irlande devait récupérer les aides octroyées par les rulings fiscaux contestés pour la période allant du 12 juin 2003, date à partir de laquelle ces aides n’étaient pas atteintes par la prescription et devaient donc être considérées comme des aides « nouvelles », au 27 septembre 2014, date à laquelle ces rulings fiscaux ont cessé d’être appliqués. Elle a précisé que le montant à récupérer devait être calculé sur le fondement d’une comparaison entre l’impôt effectivement payé et celui qui aurait dû être payé si, en l’absence de rulings fiscaux, les règles de droit commun d’imposition des bénéfices avaient été appliquées (section 11 de la décision litigieuse).

47 En réponse aux arguments concernant la violation des droits procéduraux de l’Irlande et d’Apple Inc. lors de la procédure administrative, la Commission a indiqué que, la portée de son enquête relative à l’existence d’aides d’État étant demeurée inchangée entre la décision d’ouverture et l’adoption de la décision litigieuse, ces droits avaient été pleinement respectés (section 10 de la décision litigieuse).

II. La procédure devant le Tribunal

48 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 novembre 2016, l’Irlande a introduit le recours dans l’affaire T‑778/16, visant à l’annulation de la décision litigieuse.

49 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 décembre 2016, ASI et AOE ont introduit le recours dans l’affaire T‑892/16, visant à l’annulation de la décision litigieuse.

50 Par décision du 28 juin 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande en intervention de l’Irlande au soutien des conclusions d’ASI et d’AOE dans l’affaire T‑892/16.

51 Par ordonnances du 19 juillet 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit, d’une part, aux demandes d’intervention du Grand-Duché de Luxembourg et de la République de Pologne au soutien, respectivement, des conclusions de l’Irlande et de celles de la Commission dans l’affaire T‑778/16 et, d’autre part, à la demande d’intervention de l’Autorité de surveillance AELE au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire T‑892/16.

III. L’arrêt attaqué

52 Après avoir décidé qu’il y avait lieu de joindre, pour cause de connexité, les affaires T‑778/16 et T‑892/16 aux fins de la décision mettant fin à l’instance (point 87 de l’arrêt attaqué), le Tribunal a relevé que, à l’appui de leurs recours respectifs, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE soulevaient, respectivement, neuf et quatorze moyens, lesquels se recoupaient pour la majeure partie.

53 Le Tribunal a rappelé, à titre liminaire et aux fins de l’examen de la légalité de la décision litigieuse, que, dans le cadre du contrôle des aides d’État, pour examiner si les rulings fiscaux contestés ont constitué de telles aides, il incombait à la Commission de démontrer que les conditions d’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étaient réunies et notamment que ces rulings fiscaux avaient procuré un avantage sélectif (points 100 et 101 de l’arrêt attaqué).

54 S’agissant de l’examen proprement dit des moyens invoqués, le Tribunal a, en premier lieu, écarté le huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et le quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16, tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de celle-ci dans les compétences des États membres (points 103 à 123 de l’arrêt attaqué). Le Tribunal en a déduit que, dans la mesure où la Commission était compétente, dans le cadre du contrôle des aides d’État, pour examiner si les rulings fiscaux contestés avaient constitué de telles aides, il convenait, par la suite, d’analyser les moyens invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE visant à contester le bien-fondé de chaque étape du raisonnement que la Commission avait exposé dans la décision litigieuse afin de démontrer l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce (point 124 de l’arrêt attaqué).

55 En deuxième lieu, le Tribunal a examiné les moyens tirés des erreurs commises dans le cadre du raisonnement à titre principal de la Commission (points 125 à 313 de l’arrêt attaqué).

56 Tout d’abord, il a écarté comme étant non fondés les griefs relatifs, d’une part, à l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité (points 133 à 139 de l’arrêt attaqué) et, d’autre part, au cadre de référence tel que défini dans la décision litigieuse (points 140 à 164 de l’arrêt attaqué).

57 Ensuite, compte tenu de ce que le cadre de référence défini dans la décision litigieuse, à savoir le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Irlande, intégrait notamment les dispositions de l’article 25 du TCA 97, le Tribunal a jugé qu’il y avait lieu d’analyser les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre de l’interprétation par la Commission de ces dispositions (point 165 de l’arrêt attaqué).

58 À cet égard, le Tribunal a infirmé le raisonnement à titre principal de la Commission concernant l’existence d’un avantage pour deux motifs.

59 Premièrement, le Tribunal a relevé que, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, la Commission avait commis des erreurs en ce qui concerne l’application de l’article 25 du TCA 97 (point 187 de l’arrêt attaqué), du principe de pleine concurrence (point 229 de cet arrêt) et de l’approche autorisée de l’OCDE (points 244 et 245 dudit arrêt). Le Tribunal en a déduit que le raisonnement à titre principal de la Commission était fondé sur des appréciations erronées sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce.

60 Deuxièmement, le Tribunal a accueilli les griefs invoqués par les parties requérantes, examinés « [a]ux fins d’exhaustivité » (point 250 de l’arrêt attaqué), à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission portant sur les activités au sein du groupe Apple. Il a considéré que, en l’espèce, la Commission n’était pas parvenue à démontrer que, eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, aux décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales, lesdites succursales auraient dû se voir attribuer les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI du groupe Apple, aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande (points 310 et 311 de l’arrêt attaqué). Le Tribunal s’est référé dans ce contexte, d’une part, aux activités limitées exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE telles qu’elles sont indiquées dans la décision litigieuse et, d’autre part, aux décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales par les dirigeants et les salariés d’Apple (points 255 à 302 de cet arrêt) ainsi que par les directeurs d’ASI et d’AOE (points 301 et 303 à 309 dudit arrêt).

61 En troisième lieu, s’agissant du raisonnement à titre subsidiaire de la Commission relatif à l’existence d’un avantage, le Tribunal a accueilli les griefs invoqués à l’encontre, premièrement, des constatations de la Commission sur le choix erroné des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme parties testées dans l’application des méthodes d’attribution des bénéfices sur lesquelles étaient fondés les rulings fiscaux contestés (points 328 à 351 de l’arrêt attaqué), deuxièmement, des constatations de la Commission sur l’erreur méthodologique relative au choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices de ces succursales (points 352 à 417 de cet arrêt) et, troisièmement, des constatations de la Commission sur l’erreur méthodologique relative aux niveaux des rémunérations acceptés dans les rulings fiscaux contestés (points 418 à 478 dudit arrêt). Le Tribunal a indiqué que, si les défaillances constatées dans les méthodes de calcul des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE démontraient le caractère lacunaire et parfois incohérent des rulings fiscaux contestés, ces défaillances ne suffisaient pas, à elles seules, à prouver l’existence d’un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (point 479 de l’arrêt attaqué).

62 En quatrième et dernier lieu, le Tribunal a considéré qu’il y avait lieu d’accueillir les moyens invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE tirés du fait que, dans le cadre de son raisonnement à titre alternatif, la Commission n’était pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans qu’il soit besoin d’examiner les griefs tirés de la violation des formes substantielles et de la violation du droit d’être entendu, invoqués par ASI et AOE à l’encontre des appréciations de la Commission dans le cadre de ce raisonnement (points 486 à 504 de l’arrêt attaqué).

63 Eu égard à ces considérations, le Tribunal, estimant que la Commission n’était pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, a annulé la décision litigieuse dans son intégralité, sans examiner les autres moyens et griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE, a condamné la Commission à supporter ses dépens ainsi que ceux des parties requérantes dans le cadre des affaires T‑778/16 et T‑892/16 et a décidé que l’Irlande, dans le cadre de l’affaire T‑892/16, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE supporteraient leurs propres dépens.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

64 Par un acte déposé le 25 septembre 2020, la Commission a introduit le présent pourvoi.

65 Par un acte déposé le 23 avril 2023, les avocats d’ASI et d’AOE ont informé la Cour que, à la suite d’une fusion réalisée conformément au droit irlandais, AOE avait été absorbée par AOI avec effet au 2 avril 2023. AOI a donc remplacé AOE en qualité de partie à la présente affaire.

66 Par son pourvoi, la Commission  demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de rejeter les premier à quatrième et huitième moyens dans l’affaire T‑778/16, ainsi que les premier à cinquième, huitième et quatorzième moyens dans l’affaire T‑892/16 ;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il se prononce sur les moyens qui n’ont pas encore été examinés, et

– de réserver les dépens de la procédure en première instance et du pourvoi.

67 L’Irlande demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable et/ou non fondé et

– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure.

68 ASI et AOI demandent à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la Commission à payer leurs dépens.

69 Le Grand-Duché de Luxembourg  demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure.

70 L’Autorité de surveillance AELE demande à la Cour :

– d’accueillir le pourvoi dans son intégralité ;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour un examen des moyens sur lesquels il n’a pas statué, et

– de réserver les dépens de la procédure de première instance et du pourvoi.

V. Sur le pourvoi

71 À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens. Le premier moyen vise les motifs de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a jugé que le raisonnement à titre principal ayant conduit la Commission à conclure à l’existence d’un avantage était erroné. Le second moyen est dirigé contre les motifs de l’arrêt attaqué ayant trait à l’examen du raisonnement retenu à titre subsidiaire par la Commission.

A. Considérations liminaires

72 La Commission fait valoir que le pourvoi s’articule essentiellement autour de la question de savoir s’il était permis au Tribunal de tenir compte des fonctions exercées par Apple Inc. lorsqu’il a rejeté les constatations de la décision litigieuse selon lesquelles les rulings fiscaux contestés conféraient un avantage à ASI et à AOE au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En se fondant sur les fonctions exercées par Apple Inc. pour rejeter ces constatations, le Tribunal aurait méconnu des principes fiscaux fondamentaux et les règles qui concrétisent ces principes et, ce faisant, aurait appliqué erronément la notion d’« avantage », en violation de cette disposition. Dans sa réplique,  la Commission précise que, bien que le Tribunal ait approuvé le critère juridique adéquat, reposant sur une comparaison des fonctions d’ASI et d’AOE avec celles de leurs succursales, pour constater l’existence d’un avantage au titre de ladite disposition, il a appliqué un critère différent et erroné, reposant sur une comparaison des fonctions de ces succursales avec celles d’Apple Inc., pour rejeter les constatations de la décision litigieuse relatives à l’existence d’un avantage.

73 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État. Les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 104 ainsi que jurisprudence citée).

74 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence bien établie que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 105 ainsi que jurisprudence citée).

75 En ce qui concerne la condition relative à l’avantage sélectif, celle-ci impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 106 ainsi que jurisprudence citée).

76 Afin de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable. La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer, dans un troisième temps, que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 107 ainsi que jurisprudence citée).

77 La détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 108).

78 Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 109 ainsi que jurisprudence citée).

79 Aux fins de l’appréciation du caractère sélectif d’une mesure fiscale, il importe donc que le régime fiscal commun ou système de référence applicable dans l’État membre concerné soit correctement identifié dans la décision de la Commission et examiné par le juge saisi d’une contestation portant sur cette identification. La détermination du système de référence constituant le point de départ de l’examen comparatif devant être mené dans le contexte de l’appréciation de la sélectivité, une erreur commise dans cette détermination vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 110 ainsi que jurisprudence citée).

80 Dans ce contexte, il convient, en premier lieu, de préciser que la détermination du cadre de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 111 ainsi que jurisprudence citée).

81 En second lieu, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité. Il en va, notamment, ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur et des éventuelles exonérations dont il est assorti (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 112 ainsi que jurisprudence citée).

82 Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier le système de référence en matière de fiscalité directe, cette identification étant elle‑même un préalable indispensable, en vue d’apprécier non seulement l’existence d’un avantage, mais aussi le point de savoir si celui-ci revêt un caractère sélectif (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 113 ainsi que jurisprudence citée).

83 Cette conclusion est toutefois sans préjudice de la possibilité de constater que le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, dès lors que le système fiscal en cause a été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner ce droit (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 114 ainsi que jurisprudence citée).

84 En l’espèce, la Commission ne s’est pas référée, dans la décision litigieuse, à la circonstance que le système fiscal en cause aurait été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires destinés à contourner les principes applicables en vertu du droit de l’Union en matière d’aides d’État, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt.

85 Cette institution a, en effet, considéré, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, que, par les rulings fiscaux contestés, dont l’objet était de déterminer le bénéfice imposable des sociétés irlandaises non-résidentes ASI et AOE en vertu de l’article 25 du TCA 1997, les autorités fiscales irlandaises auraient procuré un avantage à ces sociétés, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sous la forme d’une réduction de leurs bénéfices annuels imposables respectifs, en omettant d’attribuer aux succursales desdites sociétés les bénéfices générés par l’exploitation de la PI du groupe Apple, et ce de façon non conforme au principe de pleine concurrence. À titre subsidiaire, la Commission a estimé que, à supposer même que les autorités fiscales irlandaises aient été fondées à attribuer hors d’Irlande ces bénéfices, les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées par les rulings fiscaux contestés avaient, en toute hypothèse, abouti à ce que les bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande se sont écartés d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence.

86 C’est sous le bénéfice de ces précisions liminaires qu’il convient d’examiner le pourvoi.

B. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs dans l’appréciation du raisonnement à titre principal concernant l’existence d’un avantage

87 Par son premier moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs en censurant son raisonnement à titre principal concernant l’existence d’un avantage établi dans la décision litigieuse. Ce moyen se compose de trois branches.

88 D’emblée, il y a lieu de rappeler que, aux termes de son raisonnement à titre principal, la Commission avait retenu, en substance, que, dans la mesure où les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient pas pu contrôler ni gérer les licences de PI du groupe Apple, ces sièges n’auraient pas dû se voir attribuer, dans un « contexte de pleine concurrence », les bénéfices tirés de l’utilisation de ces licences. Partant, ces bénéfices auraient dû être attribués aux succursales d’ASI et d’AOE, qui auraient été les seules en mesure d’exercer effectivement des fonctions en rapport avec la PI du groupe Apple essentielles à l’activité commerciale d’ASI et d’AOE. La Commission a ainsi considéré que, par les rulings fiscaux contestés, les autorités irlandaises avaient, à tort, accepté que les licences de PI du groupe Apple et les bénéfices en découlant devaient être entièrement attribués hors d’Irlande, à savoir aux sièges d’ASI et d’AOE, sans avoir vérifié si ces licences et ces bénéfices devaient, entièrement ou en partie, être imputés aux succursales irlandaises de ces sociétés au titre de l’article 25 du TCA 97.

89 Le raisonnement à titre principal de la Commission repose donc, ainsi que cela ressort des considérants 265 à 321 de la décision litigieuse, sur le postulat que, pour attribuer correctement les bénéfices conformément à l’approche de l’entité distincte et au principe de pleine concurrence consacrés par cette disposition, il incombait aux autorités irlandaises compétentes de vérifier si les bénéfices tirés de l’utilisation des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et par AOE ne devaient pas, en tout ou partie, être imputés à leurs succursales irlandaises. L’absence des vérifications requises par ladite disposition a, selon la Commission, entraîné une réduction de la charge fiscale de ces sociétés, leur conférant un avantage sélectif.

90 La Commission est parvenue à cette conclusion après avoir constaté notamment que, alors qu’il n’existait aucune preuve de ce que les sièges d’ASI et d’AOE prenaient des décisions ou exerçaient des fonctions en rapport avec les licences de PI du groupe Apple, voire disposaient de la capacité de le faire (considérants 281 à 293 de la décision litigieuse), les succursales irlandaises exerçaient plusieurs fonctions pour lesquelles l’utilisation de ces licences était cruciale (considérants 294 à 304 de cette décision). La Commission reconnaît dans sa décision que les principales fonctions en rapport avec la PI du groupe Apple étaient exercées par Apple Inc., soit en qualité de société mère du groupe Apple, soit en vertu de l’accord de partage des coûts, mais elle explique que cette circonstance est dénuée de pertinence aux fins de la répartition des bénéfices d’ASI et d’AOE entre leurs sièges et leurs succursales respectifs, seule pertinente au regard du cadre de référence applicable (considérants 308 à 318 de ladite décision).

91 Le Tribunal a rejeté ce raisonnement à titre principal pour deux motifs, qui, ainsi que cela ressort du point 312 de l’arrêt attaqué, concernent, d’une part, les appréciations de la Commission sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce, lesquelles sont visées par la première branche du premier moyen de pourvoi, et, d’autre part, les appréciations de la Commission sur les activités au sein du groupe Apple, lesquelles sont visées par les deuxième et troisième branches du premier moyen de pourvoi.

92 Plus précisément, le Tribunal a retenu :

– que la Commission, en considérant que les licences de PI du groupe Apple devaient par défaut être attribuées aux succursales au motif qu’ASI et AOE n’avaient ni salariés ni présence physique en dehors des succursales irlandaises, avait procédé à une attribution des bénéfices « par exclusion », qu’elle n’avait pas correctement évalué les activités de ces sociétés en Irlande et qu’elle avait fondé son raisonnement sur une évaluation erronée de l’imposition normale en vertu du droit irlandais (points 166 à 249 de l’arrêt attaqué) ;

– que les succursales d’ASI et d’AOE en Irlande ne contrôlaient pas les licences de PI du groupe Apple et ne généraient pas les bénéfices que la Commission prétendait qu’elles réalisaient (points 251 à 295 de l’arrêt attaqué), et

– que les accords et les activités d’ASI et d’AOE en dehors de l’Irlande témoignaient du fait que ces sociétés étaient en mesure de développer et de gérer la PI du groupe Apple et de générer des bénéfices en dehors de l’Irlande et que ces bénéfices n’étaient, par conséquent, pas soumis à l’impôt en Irlande (points 296 à 311 de l’arrêt attaqué).

1. Sur la première branche du premier moyen

a) Argumentation des parties

93 Par la première branche du premier moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que le Tribunal, en jugeant qu’elle aurait procédé à une analyse « par exclusion », a entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit, d’une irrégularité de procédure et d’un défaut de motivation.

94 Premièrement, la Commission  soutient que, aux points 125, 183 à 187, 228, 242, 243 et 249 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété erronément la décision litigieuse en jugeant que son raisonnement à titre principal concernant l’existence d’un avantage était fondé uniquement sur l’absence de salariés et de présence physique aux sièges d’ASI et d’AOE et qu’elle n’avait pas cherché à démontrer que les succursales irlandaises exerçaient effectivement des fonctions justifiant que leur soient attribués les bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE.

95 La Commission souligne que, contrairement à ce qu’affirme le Tribunal, elle n’a pas, dans la décision litigieuse, procédé à une analyse « par exclusion » pour étayer son raisonnement à titre principal concernant l’existence d’un avantage. Ainsi qu’il ressortirait de la structure et du contenu de cette décision, elle aurait au contraire examiné clairement les fonctions effectivement exercées tant par les sièges que par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE en rapport avec les licences de PI du groupe Apple détenues par ces sociétés pour justifier l’attribution des bénéfices découlant de l’exploitation de ces licences à ces succursales aux fins de l’impôt. Les points 255 à 295 de l’arrêt attaqué confirmeraient eux-mêmes que la Commission a examiné les fonctions effectivement exercées par lesdites succursales en rapport avec les licences de PI du groupe Apple. Si le Tribunal, ainsi qu’il l’a d’ailleurs fait par le deuxième motif pour lequel il a rejeté le raisonnement à titre principal de la Commission, pouvait ne pas partager l’appréciation de celle-ci selon laquelle les fonctions exercées par les succursales irlandaises justifiaient de leur attribuer des bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI du groupe Apple, il ne ferait cependant aucun doute que la Commission a, dans la décision litigieuse, examiné ces fonctions.

96 En jugeant que la Commission a procédé à une analyse « par exclusion » pour attribuer les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et par AOE aux succursales irlandaises, le Tribunal aurait donc erronément interprété la décision litigieuse et commis, par conséquent, une erreur de droit.

97 Deuxièmement, le fait que le Tribunal n’ait pas dûment pris en considération la structure et le contenu de la décision litigieuse ni les explications données par la Commission dans ses observations écrites concernant les fonctions exercées par les sièges et les succursales irlandaises en rapport avec ces licences constituerait une irrégularité de procédure.

98 Troisièmement, le fait que le Tribunal ait reconnu, aux points 268 à 283, 286 et 287 de l’arrêt attaqué, que la Commission, dans cette décision, avait examiné les fonctions exercées par les succursales irlandaises pour justifier l’attribution à des fins fiscales des licences de PI du groupe Apple à ces succursales entacherait son arrêt d’une contradiction de motifs et, partant, d’un défaut de motivation.

99 Dans sa réplique, la Commission soutient que, contrairement à ce qu’affirment l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI, la première branche du premier moyen, qui tend notamment à démontrer que le Tribunal a procédé à une interprétation erronée de la décision litigieuse, n’est ni inopérante ni irrecevable. Quant au bien-fondé de cette branche, elle fait valoir que les considérants 288 et 289 de cette décision, qui sont les seuls cités par le Tribunal, par l’Irlande ainsi que par ASI et AOI pour considérer qu’elle aurait procédé à une analyse « par exclusion », ne feraient pas partie de l’analyse des activités des succursales irlandaises qu’elle a effectuée aux considérants 294 à 304 de ladite décision et qui l’a amenée à attribuer les licences de PI du groupe Apple à ces succursales. Ces considérants 288 et 289 viseraient à répondre à un argument avancé par Apple Inc. au cours de la procédure administrative.

100 L’Irlande fait valoir que c’est à juste titre que le Tribunal a estimé que la Commission s’était appuyée sur une approche « par exclusion ». Il ressortirait en effet de la décision litigieuse que la Commission a effectivement retenu que les bénéfices d’une société non-résidente devaient être attribués par défaut à ses succursales irlandaises dans la mesure où ces bénéfices ne peuvent être attribués à d’autres parties de cette société. Le Tribunal aurait non seulement jugé qu’une telle approche était fondamentalement incompatible avec le droit irlandais, le principe de pleine concurrence et l’approche autorisée de l’OCDE, mais il aurait également estimé que les affirmations factuelles de la Commission quant à la prétendue « absence de toute activité au sein [d’ASI et d’AOE] en dehors de l’Irlande liée aux licences de [PI du groupe Apple] » étaient incorrectes. À cet égard, le Tribunal aurait formulé, aux points 251 à 310 de l’arrêt attaqué, des constatations factuelles détaillées sur les succursales et le processus décisionnel d’ASI et d’AOE aux États-Unis et aurait estimé que les affirmations de la Commission concernant les activités réelles des succursales irlandaises et des sièges de ces sociétés étaient inexactes.

101 L’Irlande fait également valoir que, dans la mesure où la Commission n’identifie aucune erreur de droit, la première branche du premier moyen est irrecevable et/ou non fondée. Cette branche serait également inopérante. En effet, même à supposer que le Tribunal ait commis une erreur de droit, il ressortirait des constatations factuelles auxquelles il a procédé concernant les succursales irlandaises que les bénéfices mondiaux liés aux licences de PI du groupe Apple ne pourraient pas être attribués à ces succursales, de sorte qu’une telle erreur de droit serait sans incidence sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué.

102 ASI et AOI soutiennent que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant irrecevable en ce qui concerne la prétendue interprétation erronée de la décision litigieuse et, en tout état de cause, comme étant non fondée dans son intégralité.

103 Elles estiment que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en considérant que la Commission avait procédé à une analyse « par exclusion » pour établir l’existence d’un avantage. Le Tribunal aurait constaté à bon droit que la Commission avait en grande partie fondé son analyse sur le fait que les bénéfices d’ASI et d’AOE auraient dû être attribués aux succursales irlandaises « dans la mesure où ces sociétés n’avaient pas de présence physique ni de salariés en dehors desdites succursales et n’auraient donc pas pu [...] exercer le contrôle [des licences de PI du groupe Apple] » (points 39 et 183 de l’arrêt attaqué). Ce constat serait conforme au raisonnement de la Commission, exposé au considérant 289 de la décision litigieuse, selon lequel les fonctions et les risques pertinents « n’auraient pu être respectivement exécutés et assumés que par les succursales irlandaises, et non par les sièges », puisque ceux-ci ne disposaient d’aucun salarié. De plus, la Commission tenterait de dénaturer le sens de l’arrêt attaqué, le Tribunal ayant expressément reconnu que la décision litigieuse n’était pas limitée à l’approche « par exclusion ». En outre, l’arrêt attaqué ne serait pas entaché d’irrégularité de procédure dans le sens où le Tribunal a examiné de manière approfondie les arguments de la Commission concernant les activités des succursales irlandaises et des sièges en dehors de l’Irlande. Par ailleurs, le Tribunal aurait exposé de manière détaillée les raisons du rejet des arguments de la Commission, de manière à permettre aux parties de comprendre les motifs de son arrêt et à la Cour d’exercer son contrôle. En tout état de cause, l’argumentation de la Commission reviendrait à contester des constatations de fait du Tribunal et, à ce titre, devrait être déclarée irrecevable.

104 Le Grand-Duché de Luxembourg soutient que le Tribunal a conclu à bon droit que la Commission avait procédé à une attribution des bénéfices non conforme aux règles fiscales irlandaises. Il fait observer que la Commission ne conteste pas, dans son pourvoi, l’interprétation par le Tribunal de l’article 25 du TCA 97, mais cherche à appliquer la même approche « par exclusion » que celle qu’elle a fait prévaloir dans la décision litigieuse.

105 L’Autorité de surveillance AELE, enfin, avance que la Commission n’a pas procédé à une analyse « par exclusion » dans son appréciation en vue de l’attribution des licences de PI du groupe Apple, mais a examiné en détail les fonctions exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par les sièges d’ASI et d’AOE et par leurs succursales irlandaises en rapport avec ces licences. L’appréciation du Tribunal selon laquelle la Commission aurait procédé à une analyse « par exclusion » dans la décision litigieuse pour attribuer les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI du groupe Apple à ces succursales procéderait par conséquent d’une interprétation erronée de cette décision, constitutive d’une erreur de droit.

b) Appréciation de la Cour

106 La première branche du premier moyen de la Commission est dirigée contre les points 125, 183 à 187, 228, 242, 243 et 249 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal aurait jugé que la Commission, en attribuant les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI, à des fins fiscales, aux succursales irlandaises au motif que les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient pas de salariés ni de présence physique pour en assurer le contrôle et la gestion, avait procédé à une attribution de bénéfices « par exclusion » qui n’était conforme ni à l’article 25 du TCA 97, ni au principe de pleine concurrence, ni à l’approche autorisée de l’OCDE. La Commission invoque, à cet égard, trois griefs tirés, en substance, de ce que le Tribunal a interprété la décision litigieuse de manière erronée, de ce qu’il a commis une irrégularité de procédure et de ce qu’il a entaché l’arrêt attaqué d’une contradiction de motifs.

107 Il convient, d’emblée, de se prononcer sur la recevabilité et le caractère opérant de la première branche du premier moyen de la Commission qui sont contestés par l’Irlande ainsi que par ASI et AOI.

1) Sur la recevabilité et le caractère opérant de l’argumentation de la Commission

108 En premier lieu, pour ce qui est de la recevabilité de l’argumentation de de la Commission, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI soutiennent que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant irrecevable en ce qui concerne la prétendue interprétation erronée de la décision litigieuse. Elles font valoir, en substance, qu’une éventuelle erreur commise dans l’interprétation de la décision litigieuse ne saurait être assimilée à une erreur de droit susceptible d’être invoquée devant la Cour. L’argumentation de la Commission ne pourrait être déclarée recevable que s’il était établi que le Tribunal a dénaturé le contenu de cette décision.

109 Cette exception d’irrecevabilité ne saurait être accueillie.

110 Il convient de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents. L’appréciation de ces faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 29, ainsi que du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, point 71).

111 Or, en soutenant que le Tribunal a retenu à tort que la Commission avait, dans la décision litigieuse, suivi une approche dite « par exclusion » non conforme à l’analyse fonctionnelle requise en vertu du droit irlandais, et en particulier de l’article 25 du TCA 97, la Commission vise à remettre en cause la compréhension par le Tribunal du raisonnement exposé dans cette décision et, en définitive, du critère juridique retenu aux fins de l’identification de l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE au profit des sociétés du groupe Apple.

112 Une telle question constitue une question de droit pouvant être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Commission/Freistaat Bayern e.a., C‑167/19 P et C‑171/19 P, EU:C:2022:176, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

113 En second lieu, s’agissant du caractère opérant de l’argumentation développée à l’appui de la présente branche, c’est à tort que l’Irlande fait valoir que, même à supposer que le Tribunal ait commis l’erreur de droit visée par cette branche, il ressortirait des constatations factuelles, énoncées dans l’arrêt attaqué, relatives aux activités des succursales irlandaises que les bénéfices mondiaux générés par les licences de PI du groupe Apple ne pouvaient pas être attribués à ces succursales.

114 À cet égard, il est, certes, bien établi qu’un moyen dirigé contre des motifs d’un arrêt attaqué qui sont sans influence sur le dispositif de celui-ci est inopérant et doit, dès lors, être rejeté (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, EU:C:2001:408, points 26 à 29, ainsi que du 20 décembre 2017, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a., C‑677/15 P, EU:C:2017:998, points 49 et 50).

115 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 22 de ses conclusions, dans la mesure où le Tribunal s’est fondé, s’agissant du raisonnement à titre principal de la Commission, sur les deux motifs rappelés au point 91 du présent arrêt, il appartenait à la Commission d’invoquer, à l’appui de son pourvoi, des griefs visant ces deux motifs. Partant, la circonstance que les griefs développés dans le cadre de chacune des branches du premier moyen, envisagés séparément, ne seraient pas en soi suffisants, s’ils étaient accueillis, pour obtenir l’annulation de l’arrêt attaqué ne permet pas de conclure qu’ils sont inopérants puisqu’ils doivent être appréciés dans le cadre du premier moyen de pourvoi envisagé dans son ensemble.

116 Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation tirée du caractère inopérant de la première branche du premier moyen et, partant, d’examiner le bien‑fondé de celle-ci.

2) Sur le fond

i) Sur le premier grief, tiré de l’existence d’une erreur d’interprétation de la décision litigieuse

117 La Commission fait valoir que, aux points 125, 183 à 187, 228, 242, 243 et 249 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété erronément la décision litigieuse en considérant que son raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage était fondé uniquement sur l’absence de salariés et de présence physique aux sièges d’ASI et d’AOE et qu’elle n’avait pas cherché à démontrer que les succursales irlandaises de ces sociétés exerçaient effectivement des fonctions justifiant que leur soient attribués les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI du groupe Apple que détiennent lesdites sociétés. Le Tribunal aurait donc erronément déduit de la décision litigieuse que la Commission avait procédé à une attribution des bénéfices « par exclusion ».

118 Il y a lieu de relever que la Commission ne conteste pas, par son pourvoi, les constatations formulées par le Tribunal aux points 180 à 182, 184, 209, 227 et 242 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles elle était tenue de procéder à une analyse fonctionnelle, en vue d’identifier les activités « réelles » des succursales irlandaises en rapport avec les licences de PI du groupe Apple lors de l’attribution des bénéfices générés par l’exploitation de ces licences à ASI et à AOE, plutôt que de présumer de l’existence de ces activités en se fondant sur l’absence de salariés et de présence physique aux sièges d’ASI et d’AOE. Ainsi que la Commission l’a précisé dans sa réplique, elle n’entend donc pas contester le fait que l’approche « par exclusion » est effectivement contraire au droit fiscal irlandais, et en particulier à l’article 25 du TCA 97.

119 La Commission estime toutefois qu’elle n’a nullement suivi un raisonnement « par exclusion » en considérant que les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI auraient dû être attribués, à des fins fiscales, aux succursales irlandaises au motif que les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient ni salariés ni présence physique en dehors de ces succursales pour assurer le contrôle et la gestion de ces licences.

120 En l’occurrence, il ressort, premièrement, de la décision litigieuse que le raisonnement de la Commission repose sur le postulat selon lequel, d’une part, l’application de l’article 25 du TCA 97 requérait que soit déterminée au préalable une méthode d’attribution des bénéfices que cette disposition ne définit pas et, d’autre part, cette méthode devait parvenir à un résultat conforme au principe de pleine concurrence. Ce postulat n’a pas été remis en cause par le Tribunal, qui a toutefois souligné, et ce conformément à ce qui a été jugé dans l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 96 à 105), que, contrairement à la position défendue par la Commission, l’article 107, paragraphe 1, TFUE n’induit pas une obligation pour les États membres d’appliquer ce principe, indépendamment de la teneur du droit fiscal national applicable à l’imposition des sociétés en cause.

121 En effet, au point 221 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a clairement écarté la thèse défendue par la Commission selon laquelle il existerait une obligation autonome d’appliquer le principe de pleine concurrence qui ressortirait de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qui obligerait les États membres à appliquer ce principe de manière horizontale et dans tous les domaines de leur droit fiscal national.

122 Le Tribunal a ajouté, au point 224 de l’arrêt attaqué, que l’imposition dite « normale » est définie par les règles fiscales nationales et que l’existence même d’un avantage doit être établie par rapport à celles-ci. Il a toutefois précisé que, si ces règles nationales prévoient que les succursales des sociétés non-résidentes, en ce qui concerne les bénéfices résultant des activités commerciales de celles-ci en Irlande, et les sociétés résidentes sont imposées dans les mêmes conditions, l’article 107, paragraphe 1, TFUE permet à la Commission de contrôler si le niveau des bénéfices attribués à de telles succursales, accepté par les autorités nationales pour la détermination des bénéfices imposables de ces sociétés non-résidentes, correspond au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché.

123 L’application du principe de pleine concurrence dans le cas d’espèce se fonde dès lors, ainsi que le Tribunal l’a reconnu aux points 210, 211, 218 à 220 et 247 de l’arrêt attaqué, sur les règles fiscales du droit irlandais relatives à l’imposition des sociétés et, partant, sur le système de référence identifié par la Commission et confirmé par le Tribunal. À cet égard, le Tribunal a explicitement reconnu, au point 239 de l’arrêt attaqué, que, contrairement à ce que soutenait l’Irlande, l’application de l’article 25 du TCA 97, telle que décrite par cet État membre, correspondait en substance à l’analyse fonctionnelle et factuelle dans le cadre de la première étape de l’approche autorisée de l’OCDE, étant précisé que cette première étape vise à identifier les actifs, les fonctions et les risques qu’il y a lieu d’attribuer à l’établissement stable d’une société.

124 Ces constatations du Tribunal l’ont notamment conduit à juger, au points 247 et 248 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle s’est prévalue du principe de pleine concurrence en tant qu’outil, afin de contrôler si, dans l’application de l’article 25 du TCA 97 par les autorités fiscales irlandaises, le niveau des bénéfices attribués aux succursales d’ASI et d’AOE pour leurs activités commerciales en Irlande, tel qu’accepté dans les rulings fiscaux contestés, correspondait au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché, et lorsqu’elle s’est fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE aux fins de cette application, en prenant en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre ces succursales et les autres parties de ces sociétés. Lesdites constatations doivent être tenues pour acquises, dès lors qu’elles n’ont pas été valablement remises en cause par les autres parties dans le cadre de la présente procédure de pourvoi.

125 Deuxièmement, il convient de relever que la Commission a considéré, s’agissant de la méthode d’attribution des bénéfices fondée sur le principe de pleine concurrence que, selon elle, les autorités fiscales irlandaises auraient dû suivre en vertu de l’article 25 du TCA 97, que les bénéfices à attribuer à la succursale d’une société non-résidente en application de cet article sont « ceux que [cette succursale] aurait pu réaliser, dans des conditions de pleine concurrence, en particulier dans ses opérations avec d’autres parties de la société, si elle avait constitué une entreprise distincte et indépendante exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues, compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par la société par l’intermédiaire de sa succursale et des autres parties de la société » (considérant 272 de la décision litigieuse). Selon la Commission, il incombait dès lors en l’espèce aux autorités irlandaises de vérifier, avant d’approuver la méthode d’attribution des bénéfices proposée par Apple Inc., si, comme l’affirmait cette dernière, les licences de PI et les bénéfices y afférents devaient être attribués hors d’Irlande. Elles auraient dû, pour ce faire, comparer les fonctions exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par ASI et par AOE par l’intermédiaire, respectivement, de leurs sièges et de leurs succursales irlandaises (considérant 273 de la décision litigieuse).

126 Troisièmement, la Commission a, successivement, analysé la pertinence et la réalité des fonctions exercées par les sièges d’ASI et d’AOE (considérants 276 à 294 de la décision litigieuse), par les succursales d’ASI et d’AOE (considérants 295 à 304 de cette décision), ainsi que par Apple Inc. (considérants 308 à 318 de ladite décision). Elle en a, en particulier, conclu, d’une part, qu’une attribution hors d’Irlande de bénéfices générés par les licences de PI détenues par ASI et AOE n’aurait pas été acceptée par les succursales irlandaises de ces sociétés si elles avaient été des entreprises distinctes et autonomes agissant dans des conditions de marché et, d’autre part, que, compte tenu de l’absence de fonctions exercées par les sièges et/ou compte tenu des activités exercées par ces succursales, ces licences de PI auraient dû être attribuées à ces dernières à des fins fiscales (considérant 305 de la décision litigieuse).

127 Quatrièmement, la Commission a déduit de l’ensemble de son examen que, compte tenu de la méthode d’attribution des licences de PI et des bénéfices y afférents utilisée par les autorités fiscales irlandaises, les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une réduction significative des bénéfices annuels d’ASI et d’AOE imposables en Irlande et avaient, dès lors, octroyé à ces sociétés un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (considérants 320 et 321 de la décision litigieuse).

128 Il ressort ainsi des étapes du raisonnement exposé dans la décision litigieuse que la Commission a, tout d’abord, estimé que, afin de déterminer, conformément à l’article 25 du TCA 97, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande selon le principe de pleine concurrence, il convenait de comparer les fonctions exercées respectivement par les sièges et par les succursales irlandaises de ces sociétés en rapport avec les licences de PI. Ensuite, en application de ce critère, elle a procédé à un examen distinct du rôle de chacun de ces sièges et de chacune de ces succursales en rapport avec ces licences. Au terme de cet examen, elle a constaté, d’une part, une absence de fonctions en rapport avec les licences de PI pour ce qui est des sièges et, d’autre part, en particulier aux considérants 296 à 303 de la décision litigieuse, un rôle actif des succursales irlandaises découlant de l’exercice d’un certain nombre de fonctions et de risques liés à la gestion et à l’utilisation de ces licences. De plus, la constatation de l’absence de fonctions « actives ou critiques » exercées par les sièges est fondée sur l’absence de preuves contraires apportées par Apple Inc., en conjonction avec l’absence de capacité effective de ces sièges à exercer ces fonctions. Ainsi, le raisonnement à titre principal de la Commission repose non seulement sur l’absence de fonctions exercées par les sièges en rapport avec les licences de PI, mais aussi sur l’analyse des fonctions effectivement exercées par les succursales en rapport avec ces licences.

129 Dès lors, ainsi que l’a, en substance, relevé M. l’avocat général au point 29 de ses conclusions, ce n’est pas le constat selon lequel les sièges n’avaient ni salariés ni présence physique en dehors des succursales irlandaises qui a conduit la Commission à conclure que les licences de PI et les bénéfices y afférents devaient être attribués à ces succursales. La Commission a tiré cette conclusion au terme de la mise en relation de deux constatations distinctes, à savoir, d’une part, l’absence de fonctions actives ou critiques exercées et de risques assumés par les sièges et, d’autre part, la multiplicité et le caractère central des fonctions exercées et des risques assumés par lesdites succursales, et ce en application du critère juridique énoncé au considérant 272 de la décision litigieuse.

130 Le constat figurant au point 186 de l’arrêt attaqué, selon lequel, « dans le cadre de son raisonnement principal, la Commission n’a[vait] pas cherché à démontrer que les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient effectivement contrôlé les licences de PI du groupe Apple, lorsqu’elle a conclu que les autorités fiscales irlandaises auraient dû attribuer à ces succursales les licences de PI du groupe Apple », dénature ainsi le contenu de la décision litigieuse.

131 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré, en interprétant la décision litigieuse de manière erronée, que, dans son raisonnement à titre principal, la Commission s’était limitée à une approche « par exclusion ».

132 Il s’ensuit que le premier grief de la première branche du premier moyen doit être accueilli.

ii) Sur les deuxième et troisième griefs

133 Eu égard à l’accueil du premier grief de la première branche du premier moyen, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs de cette branche, dirigés contre la même appréciation du Tribunal.

2. Sur la deuxième branche du premier moyen

a) Argumentation des parties

134 Par la deuxième branche de son premier moyen de pourvoi, la Commission soutient que le Tribunal, en ayant implicitement admis, aux points 255 à 302 de l’arrêt attaqué, que les fonctions exercées par Apple Inc. devaient être prises en compte afin de déterminer le bénéfice imposable d’ASI et d’AOE en Irlande, a entaché cet arrêt d’irrégularités de procédure, d’un défaut de motivation, d’erreurs de droit et d’une dénaturation du droit national applicable.

135 Premièrement, ces points seraient entachés d’une irrégularité de procédure et d’une violation de l’obligation de motivation. La Commission indique avoir expliqué, aux considérants 308 à 318 de la décision litigieuse et dans ses mémoires en première instance, les raisons pour lesquelles les fonctions exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple étaient dénuées de pertinence aux fins de l’appréciation des rulings fiscaux contestés, qu’il s’agisse de fonctions exercées « au bénéfice » d’ASI et d’AOE ou « pour le compte » de celles-ci. La circonstance que le Tribunal ait invoqué les fonctions d’Apple Inc. pour rejeter le raisonnement à titre principal de la Commission, sans tenir compte de ces explications ni répondre à la question de savoir si les salariés d’Apple Inc. pouvaient être considérés comme exerçant des fonctions « pour le compte » d’ASI et d’AOE aux fins de l’attribution des bénéfices, serait constitutive d’une irrégularité de procédure et d’un défaut de motivation. Enfin, en invoquant les fonctions d’Apple Inc., le Tribunal contredirait le critère juridique qu’il a approuvé, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, aux points 240 et 248 de l’arrêt attaqué, dans lesquels il s’est référé aux fonctions exercées, aux actifs utilisés et aux risques assumés par les succursales et par les sociétés auxquelles celles-ci appartiennent, sans faire mention des fonctions exercées par Apple Inc. Cette contradiction constituerait un défaut de motivation.

136 Deuxièmement, la Commission fait valoir que, aux points 267, 269, 273 à 275, 277, 281, 283 et 298 à 302 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, en invoquant les fonctions exercées par Apple Inc. pour rejeter l’attribution aux succursales irlandaises des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE, a méconnu l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence. Il aurait, par conséquent, qualifié erronément les faits exposés aux points 251 à 311 de cet arrêt lorsqu’il a jugé que la Commission n’avait pas démontré, dans la décision litigieuse, l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

137 Cette erreur de droit consisterait, en premier lieu, en une interprétation erronée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et en une dénaturation du droit national. Étant donné, d’abord, qu’Apple Inc. ne détiendrait pas les licences de PI du groupe Apple, les fonctions qu’elle exerce en rapport avec cette PI ne sauraient déterminer l’attribution de ces licences aux sièges d’ASI et d’AOE ou à leurs succursales. Il découlerait, ensuite, de l’approche de l’entité distincte et du principe de pleine concurrence qu’Apple Inc., d’une part, ainsi qu’ASI et AOE, d’autre part, doivent être traitées comme des entités distinctes aux fins de l’impôt et que leurs relations commerciales et financières, régies par des transactions intragroupe, doivent être valorisées selon le principe de pleine concurrence. Pour la répartition des bénéfices d’ASI et d’AOE entre leurs sièges et leurs succursales respectifs, seules compteraient les fonctions exercées par ces sièges et ces succursales. Les fonctions en rapport avec la PI du groupe Apple exercées par Apple Inc. « au bénéfice » d’ASI et d’AOE ou « pour le compte » de celles-ci ne pourraient donc, en principe, être attribuées aux sièges ou aux succursales desdites sociétés. Enfin, selon la Commission, si les politiques de groupe peuvent servir de base aux transactions intragroupe entre sociétés associées d’un groupe multinational, elles ne peuvent pas être prises en considération aux fins de l’attribution des bénéfices à un établissement stable d’une société non-résidente appartenant à ce groupe, comme expliqué au considérant 317 de la décision litigieuse ainsi que dans les mémoires en première instance de la Commission.

138 En second lieu, le Tribunal, en invoquant à tort les fonctions exercées par Apple Inc. pour rejeter le choix de la Commission, conformément à l’approche de l’entité distincte, au principe de pleine concurrence et à la structure du groupe Apple, d’attribuer les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et par AOE à leurs succursales irlandaises, aurait méconnu cette approche et ce principe. Ce faisant, il aurait, aux points 255 à 302 de l’arrêt attaqué, appliqué erronément la notion d’avantage visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE et/ou dénaturé le droit national.

139 En ce qui concerne, tout d’abord, le contrôle de la qualité, la gestion des installations de R & D et la gestion des risques d’entreprise, mentionnés aux points 259 à 267 et 288 de l’arrêt attaqué, la Commission estime que toutes les fonctions et tous les risques sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour rejeter son raisonnement à titre principal concernant l’existence d’un avantage étaient assumés par Apple Inc., soit en tant que société mère du groupe Apple dans le cadre des politiques de groupe, soit « au bénéfice » d’ASI et d’AOE en vertu de l’accord de partage des coûts. Comme l’aurait expliqué la Commission aux considérants 308 à 318 de la décision litigieuse, ces fonctions et ces risques sont dénués de pertinence aux fins de la répartition des bénéfices d’ASI et d’AOE entre leurs sièges et leurs succursales respectifs.

140 Ensuite, ce serait à tort que le Tribunal a invoqué, aux points 268 à 284 de l’arrêt attaqué, des fonctions exercées par Apple Inc. lorsqu’il a examiné chacune des fonctions dont la Commission, dans la décision litigieuse, avait indiqué qu’elles étaient exercées par la succursale irlandaise d’ASI. Les politiques et stratégies conçues et développées par Apple Inc. ne joueraient, en effet, aucun rôle dans la répartition des bénéfices d’ASI entre son siège et sa succursale.

141 En outre, s’agissant des fonctions exercées par la succursale irlandaise d’AOE, abordées aux points 285 à 295 de l’arrêt attaqué, ce serait à tort que le Tribunal a considéré qu’elles ne justifiaient pas que la Commission ait attribué à cette succursale les licences de PI du groupe Apple.

142 Enfin, quant aux exemples de décisions stratégiques au sein du groupe Apple, invoqués aux points 298 à 302 de l’arrêt attaqué, ils seraient dénués de pertinence aux fins de la répartition des bénéfices d’ASI et d’AOE entre leurs sièges et leurs succursales respectifs. S’agissant, en particulier, des prétendues preuves de contrats qui « ont été négociés et signés par la société mère, Apple », mentionnées au point 301 de l’arrêt attaqué, elles auraient été produites non pas au cours de la procédure administrative, mais pour la première fois devant le Tribunal, dans le cadre de l’affaire T‑892/16, et seraient donc irrecevables. En ce qui concerne les procurations en vertu desquelles les dirigeants d’Apple Inc. auraient signé ces contrats « pour » ASI, trois d’entre elles n’auraient été présentées qu’au stade de la réplique produite dans cette affaire. En se fondant sur ces procurations, dont rien ne justifiait qu’elles ne soient pas présentées au stade de la requête, le Tribunal aurait commis une irrégularité de procédure. En tout état de cause, ces éléments de preuve seraient dénués de pertinence aux fins de la répartition des bénéfices d’ASI et d’AOE entre leurs sièges et leurs succursales respectifs.

143 Dans sa réplique, la Commission rejette l’allégation des défenderesses selon laquelle le Tribunal a estimé que seules les fonctions exercées par les succursales irlandaises étaient pertinentes aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, et n’a donc pas invoqué ni eu besoin d’invoquer les fonctions exercées par Apple Inc. pour rejeter son raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage.

144 La Commission fait valoir, à cet égard, que, aux points 240, 242, 247 et 248 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a approuvé le critère juridique, qu’elle avait exposé aux considérants 265 à 274 de la décision litigieuse, fondé sur la seule prise en compte, afin de constater l’existence d’un avantage, des activités exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par les sièges et les succursales d’ASI et d’AOE. Si l’Irlande, ASI, AOI et le Grand-Duché de Luxembourg ne souscrivent pas aux constatations énoncées dans ces points, celles-ci, faute d’avoir été contestées dans le cadre d’un pourvoi incident, seraient désormais revêtues de l’autorité de la chose jugée (arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 110). La Commission relève, enfin, que, contrairement à ce que soutiennent l’Irlande, ASI, AOI et le Grand-Duché de Luxembourg, le Tribunal a effectivement appliqué un critère différent de celui qu’il a approuvé, reposant sur une comparaison entre les fonctions exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, d’une part, et celles exercées par Apple Inc., d’autre part.

145 L’Irlande estime que les allégations de la Commission concernant les fonctions « exercées par Apple [Inc.] » sont irrecevables, inopérantes et, en tout état de cause, non fondées.

146 Premièrement, l’Irlande soutient que ces allégations dénaturent l’arrêt attaqué. Elle fait valoir que, contrairement ce que soutient la Commission, le rejet, par l’arrêt attaqué, du raisonnement à titre principal est fondé non pas sur les prétendues « fonctions exercées par Apple [Inc.] », lesquelles ne sont pas pertinentes aux fins d’apprécier les activités des succursales irlandaises, mais sur les activités réelles de ces succursales et sur la circonstance que la Commission n’avait fourni aucun élément de preuve que lesdites succursales avaient effectivement exercé les fonctions clés et géré les risques liés à la PI du groupe Apple. Le Tribunal aurait, en réponse aux allégations de la Commission, retenu que toutes les décisions stratégiques relatives à la PI du groupe Apple ont effectivement été prises aux États‑Unis et que les directeurs d’ASI et d’AOE avaient en fait la capacité d’exercer, et avaient exercé, les fonctions essentielles de ces sociétés.

147 Deuxièmement, l’Irlande estime qu’il ne saurait être reproché au Tribunal une irrégularité de procédure ou un défaut de motivation. Le Tribunal, qui n’était pas tenu de répondre à chaque point qui lui était soumis, aurait bien examiné les arguments de la Commission quant au rôle des salariés d’Apple Inc. Quant aux preuves relatives à la signature de contrats, dont la recevabilité est contestée par la Commission, l’Irlande fait valoir qu’il ne s’agissait que d’une partie des preuves invoquées par le Tribunal au soutien de son appréciation au point 302 de l’arrêt attaqué. En tout état de cause, contrairement à ce que la Commission prétend, un recours en annulation pourrait être fondé sur des informations non fournies au cours de la procédure administrative, si ces informations étaient disponibles à l’époque et auraient dû être examinées par la Commission (arrêts du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 71, et du 22 mai 2019, Real Madrid Club de Fútbol/Commission, T‑791/16, EU:T:2019:346, point 118).

148 Troisièmement, l’Irlande fait valoir que les allégations de la Commission prises de la violation et de l’application erronée de l’article 107 TFUE ainsi que d’une dénaturation du droit national viseraient en réalité à remettre en cause des constatations factuelles du Tribunal. En particulier, la Commission n’aurait avancé aucune argumentation ni aucun élément de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle le Tribunal aurait dénaturé le droit irlandais. Cette affirmation serait donc, pour ce motif, irrecevable. La Commission n’aurait pas davantage explicité pour quels motifs l’arrêt attaqué viole l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’une violation ou d’une méconnaissance de l’approche de l’entité distincte ou du principe de pleine concurrence.

149 En tout état de cause, l’argumentation de la Commission serait inopérante. L’Irlande soutient que les faits constatés par le Tribunal montrent qu’il ressort de l’application de l’approche autorisée de l’OCDE invoquée par la Commission que les bénéfices sur lesquels l’impôt a été effectivement payé par ASI et par AOE étaient conformes au principe de pleine concurrence. Même si le Tribunal avait commis des erreurs de droit et violé l’article 107 TFUE ou dénaturé le droit national, quod non, cette circonstance ne pourrait pas modifier ces constatations de fait que la Commission ne peut, en l’absence de dénaturation des éléments de preuve, contester.

150 ASI et AOI soutiennent que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant non fondée et/ou inopérante.

151 À titre liminaire, elles avancent que le défaut fondamental de l’approche de la Commission tient à ce que son évaluation des activités d’ASI et d’AOE en Irlande est erronée. Le Tribunal aurait examiné les nombreux éléments de preuve et aurait jugé – à bon droit – que, compte tenu des fonctions et activités exercées par les succursales irlandaises, le niveau d’imposition de ces sociétés en Irlande était conforme au droit fiscal national. De fait, aucun des arguments avancés par la Commission ne permettrait d’infirmer l’arrêt attaqué.

152 Premièrement, ce serait à tort que la Commission soutient que le Tribunal a violé l’article 107 TFUE et dénaturé le droit national. La Commission dénaturerait l’arrêt attaqué et viserait, en réalité, à remettre en cause les constatations de fait du Tribunal. Or, la Commission n’indiquerait pas quels sont les éléments de preuve spécifiques que le Tribunal a dénaturés et de quelle manière.

153 Deuxièmement, ce serait à tort que la Commission soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’une irrégularité de procédure et d’un défaut de motivation, en ce que le Tribunal n’aurait pas répondu à ses arguments concernant les « fonctions exercées par Apple [Inc.] » et les salariés d’Apple Inc. agissant pour ASI et AOE et au nom de celles-ci. En effet, le Tribunal aurait, par une motivation suffisante permettant aux parties de comprendre les justifications de sa décision et à la Cour d’exercer son contrôle au stade du pourvoi, examiné et rejeté ces arguments.

154 Troisièmement, il ne pourrait pas être valablement soutenu que le Tribunal s’est appuyé sur des éléments de preuve irrecevables. En premier lieu, ce serait à tort que la Commission fait grief au Tribunal de s’être appuyé sur des preuves relatives aux activités d’ASI et d’AOE en dehors de l’Irlande qui ont été produites pour la première fois dans la requête déposée dans l’affaire T‑892/16. En tout état de cause, le Tribunal aurait été tenu de prendre en considération toutes les informations pertinentes qui auraient pu être obtenues par la Commission au cours de la procédure administrative (arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 71). En deuxième lieu, ce serait également à tort que la Commission fait valoir que certaines procurations accordées par ASI et par AOE étaient irrecevables. Ces sociétés auraient, en effet, informé la Commission de l’importance des procurations au cours de la procédure administrative, notamment en lui fournissant les procès-verbaux des conseils d’administration. ASI et AOI font valoir qu’elles étaient donc en droit d’inclure ces preuves dans leur requête et que le Tribunal était fondé à admettre et à examiner celles-ci, même s’il s’est finalement appuyé sur les faits et les preuves exposés dans le dossier de la Commission pour fonder son arrêt. ASI et AOI soutiennent, également, que le grief de la Commission est, en tout état de cause, inopérant, dans la mesure où les procurations, qui concernent les fonctions de ces sociétés en dehors de l’Irlande, ne sont pas de nature à modifier l’appréciation du Tribunal selon laquelle la Commission a commis une erreur dans son évaluation des activités desdites sociétés en Irlande.

155 Le Grand-Duché de Luxembourg précise qu’il entend uniquement répondre à certains points soulevés par la Commission dans son pourvoi qui touchent à des questions transversales, et notamment au raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage et aux principes et au standard de preuve pertinents dans l’examen des rulings fiscaux contestés. Il ne se penche pas, en revanche, sur les développements de la Commission concernant la répartition des fonctions entre les différentes entités du groupe Apple. Il note simplement, à cet égard, qu’il s’agit exclusivement de questions de fait, lesquelles ne peuvent pas, selon une jurisprudence constante, faire l’objet d’un pourvoi.

156 Sur le fond, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, premièrement, que la Commission ne saurait s’appuyer sur des principes fiscaux fondamentaux, en particulier le principe de pleine concurrence et l’approche de l’entité distincte, qu’elle définit de manière autonome et en faisant abstraction des règles fiscales nationales. Le Tribunal aurait notamment rappelé, à juste titre, que l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (point 223 de l’arrêt attaqué) et que c’était donc exclusivement par rapport au droit fiscal irlandais qu’il incombait à la Commission de vérifier si les rulings fiscaux contestés avaient abouti à la création d’un avantage (point 234 de l’arrêt attaqué). Deuxièmement, la Commission ignorerait totalement la première partie de l’arrêt attaqué qui constate sans équivoque l’application erronée par cette institution du droit fiscal irlandais et passerait sous silence des constats déterminants du Tribunal sur l’interprétation de ce droit, en particulier de l’article 25 du TCA 97 qui concerne l’imposition des sociétés non-résidentes en Irlande. Troisièmement, le Grand-Duché de Luxembourg soutient que, bien qu’elle ne soit pas nécessaire pour annuler la décision litigieuse, la prise en compte par le Tribunal des fonctions d’Apple Inc. était correcte et pertinente pour confirmer que les succursales irlandaises n’avaient pas « réellement » exercé toutes les fonctions en lien avec la PI du groupe Apple.

157 L’Autorité de surveillance AELE, enfin, souscrit à la position défendue par la Commission. Elle soutient que, pour se conformer à l’approche de l’entité distincte et au principe de pleine concurrence, l’autorité fiscale irlandaise aurait dû, dans le cadre de l’application de l’article 25 du TCA 97, apprécier les fonctions exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE par rapport aux fonctions exercées par leurs sièges en lien avec les licences de PI du groupe Apple détenues par ces sociétés. C’est ce qu’aurait confirmé le Tribunal, au point 248 de l’arrêt attaqué, en relevant que, « aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, l’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non-résidente devait prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ». Le Tribunal n’aurait toutefois pas appliqué ce critère pour rejeter le raisonnement à titre principal de la Commission, aux points 251 à 302 de l’arrêt attaqué.

b) Appréciation de la Cour

158 En substance, la deuxième branche du premier moyen de pourvoi est dirigée contre les points 251 à 311 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a examiné les appréciations de la Commission relatives aux activités au sein du groupe Apple, en analysant successivement les activités de la succursale irlandaise d’ASI (points 255 à 284 de l’arrêt attaqué), les activités de la succursale irlandaise d’AOE (points 285 à 295 de cet arrêt) et les activités en dehors de ces succursales (points 296 à 309 dudit arrêt).

159 La Commission fait valoir, à cet égard, que, étant donné qu’Apple Inc. est une entité distincte d’ASI et d’AOE, les fonctions qu’elle a exercées en rapport avec la PI du groupe Apple en sa qualité de société mère du groupe ou en exécution d’accords intragroupe, que ce soit « au bénéfice » de l’ensemble du groupe ou spécifiquement d’ASI et d’AOE, ou « pour le compte » de ces dernières, n’ont aucune incidence sur la répartition des bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI du groupe Apple que détiennent ces deux sociétés pour l’achat, la fabrication, la vente et la distribution de produits de ce groupe en dehors du continent américain.

160 La Commission invoque dans ce contexte deux griefs. Le premier grief est pris de ce que le Tribunal a commis une irrégularité de procédure et a retenu une motivation insuffisante et contradictoire. Le second grief a trait à une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, à une dénaturation du droit irlandais et à une irrégularité de procédure du fait de la prise en compte d’éléments de preuve irrecevables.

161 Sur le fondement d’arguments qui coïncident en grande partie, l’Irlande, ASI et AOI ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg soutiennent que les griefs invoqués par la Commission sont partiellement irrecevables, inopérants et, en tout état de cause, non fondés.

162 Il convient d’examiner, en premier lieu, le second grief invoqué par la Commission.

1) Sur le second grief, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, d’une dénaturation du droit irlandais et d’une irrégularité de procédure

163 La Commission fait valoir que, en se fondant sur les fonctions exercées par Apple Inc., le Tribunal a méconnu l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence sur lesquels repose l’article 25 du TCA 97. Dès lors que, conformément à la jurisprudence, une erreur dans l’interprétation ou l’application du droit national constitue une erreur d’interprétation et d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal aurait également méconnu cette disposition. Plus précisément, le Tribunal aurait correctement interprété le droit irlandais en affirmant, au point 248 de l’arrêt attaqué, que, « aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, l’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non-résidente devait prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ». Toutefois, aux points 255 à 302 de cet arrêt, il aurait appliqué un « critère juridique » différent et erroné en comparant les fonctions exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE à celles exercées par Apple Inc. plutôt qu’à celles exercées par les sièges de ces deux sociétés en Irlande.

164 La Commission invoque également une irrégularité de procédure du Tribunal en ce que celui-ci se serait fondé sur des éléments de preuve irrecevables.

i) Sur la recevabilité

165 La recevabilité du présent grief a été contestée à double titre.

166 Premièrement, l’Irlande, ASI et AOI ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg soutiennent que ce grief est irrecevable en ce qu’il tend à contester l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par le Tribunal.

167 Cette argumentation ne saurait prospérer.

168 En cas de pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise au contrôle de la Cour (arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 30 et jurisprudence citée).

169 Le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend donc, notamment, à l’inexactitude matérielle de ces constatations résultant des pièces du dossier, à la dénaturation des éléments de preuve, à la qualification juridique de ceux-ci, et à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 31 et jurisprudence citée).

170 En l’occurrence, la Commission fait valoir que, en prenant en considération les fonctions d’Apple Inc., le Tribunal a commis une erreur qui entache l’analyse factuelle qu’il a menée aux points 251 à 311 de l’arrêt attaqué ainsi que les résultats auxquels cette analyse a abouti et qui donne lieu à une application erronée du droit national ainsi qu’à une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Or, par son second grief au soutien de la deuxième branche du premier moyen, la Commission vise en substance à remettre en cause le critère sur la base duquel le Tribunal a effectué cette analyse, lequel méconnaîtrait le cadre de référence pertinent, et critique la qualification des faits opérée par le Tribunal à ce titre. L’argumentation de la Commission ne saurait ainsi être écartée comme étant irrecevable.

171 Deuxièmement, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI font également valoir que le grief examiné est irrecevable en ce qu’il tend à contester les appréciations effectuées par le Tribunal concernant le droit irlandais, sans invoquer une dénaturation de ce droit. L’Irlande soutient notamment que la Commission se fonde sur une interprétation erronée de la jurisprudence issue de l’arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C203/16 P, EU:C:2018:505), lorsqu’elle affirme, en substance, que toute erreur dans l’interprétation et l’application du droit national constitue une erreur d’interprétation et d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

172 Cette argumentation ne saurait davantage être accueillie.

173 À cet égard, il importe de rappeler que la compétence de la Cour statuant sur un pourvoi formé contre une décision rendue par le Tribunal est définie par l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE. Celui-ci indique que le pourvoi doit être limité aux questions de droit et qu’il doit s’inscrire « dans les conditions et limites prévues par le statut ». Dans une liste énumérative des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre, l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne précise que le pourvoi peut être fondé sur la violation du droit de l’Union par le Tribunal (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

174 Certes, en principe, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de fait, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit. La Cour ne saurait cependant être privée de la possibilité de contrôler si de telles appréciations ne constituent pas elles-mêmes une violation du droit de l’Union (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

175 Or, la question de savoir si le Tribunal a délimité de manière appropriée le cadre de référence pertinent et, par extension, a interprété de manière correcte les dispositions le composant, est une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi. En effet, les arguments tendant à remettre en cause le choix du cadre de référence ou sa signification dans la première étape de l’analyse de l’existence d’un avantage sélectif sont recevables, puisque cette analyse procède d’une qualification juridique du droit national sur la base d’une disposition du droit de l’Union (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 78 ainsi que jurisprudence citée).

176 Admettre que la Cour ne soit pas en mesure de déterminer si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a fait siennes la délimitation du cadre de référence pertinent, son interprétation et son application en tant que paramètre décisif aux fins de l’examen de l’existence d’un avantage sélectif reviendrait à accepter la possibilité que le Tribunal ait, le cas échéant, commis une violation d’une disposition du droit primaire de l’Union, à savoir de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans que cette violation puisse être sanctionnée dans le cadre du pourvoi, ce qui contreviendrait à l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 79 ainsi que jurisprudence citée).

177 En l’occurrence, la Commission soutient que, si le Tribunal a correctement identifié, au point 248 de l’arrêt attaqué, le critère juridique applicable en vertu du droit irlandais dans le cadre du raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il a toutefois appliqué un critère différent, qui aurait pour conséquence de remettre en cause le choix du système de référence à l’aune duquel doit être analysée, dans le cadre de la première étape identifiée au point 79 du présent arrêt, l’existence d’un avantage sélectif. Par son argumentation, la Commission entend plus particulièrement contester l’appréciation effectuée par le Tribunal de l’article 25 du TCA 97. Ce point est d’une importance cruciale aux fins de l’analyse à mener sur le fondement de l’article 107, paragraphe 1, TFUE puisqu’il a une incidence sur la définition de l’imposition dite « normale » en vertu du droit irlandais, sur la base de laquelle il convient d’apprécier l’existence d’un avantage au sens de cette disposition.

178 Il y a donc lieu de considérer que, en invitant la Cour à contrôler si le Tribunal a correctement déterminé la portée du droit national applicable à l’imposition des sociétés non-résidentes et l’application qui en a été faite en l’espèce, la Commission tend à contester le système de référence que le Tribunal a considéré comme étant correct pour définir une imposition normale, aux fins de l’analyse tenant à l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

179 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les motifs d’irrecevabilité soulevés respectivement par l’Irlande, par ASI et AOI ainsi que par le Grand-Duché de Luxembourg doivent être écartés.

ii) Sur le fond

–  Sur la prise en compte d’éléments de preuve irrecevables

180 La Commission soutient que le Tribunal s’est référé à tort aux éléments de preuve mentionnés au point 301 de l’arrêt attaqué pour juger que les contrats avec les producteurs tiers (les Original Equipment Manufacturers, ci-après les « OEMs »), responsables de la fabrication d’une grande partie des produits vendus par ASI, et les contrats avec des clients tels que les opérateurs de télécommunications avaient été négociés par des directeurs du groupe Apple et avaient été signés par Apple Inc. et par ASI, par l’intermédiaire de leurs directeurs respectifs, directement ou par procuration.

181 Selon la Commission, le Tribunal ne pouvait pas tenir compte de ces éléments de preuve, qui consistent, d’une part, en divers échanges de courriels entre des directeurs d’Apple Inc. concernant les contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications et, d’autre part, en quatre procurations octroyées par ASI aux directeurs d’Apple Inc. relatives à la signature des contrats avec les OEMs et ces opérateurs, dans la mesure où ils n’avaient pas été produits au cours de la procédure administrative et, s’agissant des procurations, également en raison de ce qu’elles n’ont été présentées que dans le cadre de la réplique devant le Tribunal ou n’ont jamais été produites.

182 ASI et AOI ne contestent pas que lesdits éléments de preuve n’ont pas été produits au cours de la procédure administrative. Elles affirment toutefois que la Commission était informée des activités des directeurs d’ASI et d’AOE établis aux États-Unis ainsi que de l’existence et de l’importance des procurations en cause et que, si elle avait mené une enquête appropriée, elle aurait pu obtenir tous les éléments de preuve pertinents. ASI et AOI soutiennent en outre que le grief de la Commission est inopérant, car les procurations concernées ne seraient pas de nature à remettre en cause l’appréciation du Tribunal relative à l’évaluation par cette institution des activités d’ASI et d’AOE en Irlande.

183 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer à la date à laquelle elle a adopté cette décision et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (arrêt du 10 novembre 2022, Commission/Valencia Club de Fútbol, C‑211/20 P, EU:C:2022:862, point 85 et jurisprudence citée).

184 Il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’éventuels éléments de fait ou de droit qui auraient pu lui être présentés pendant la procédure administrative, mais qui ne l’ont pas été, la Commission n’étant pas dans l’obligation d’examiner d’office et par supputation les éléments qui auraient pu lui être soumis (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 60).

185 En l’occurrence, s’agissant, en premier lieu, des échanges de courriels entre des directeurs d’Apple Inc. relatifs aux contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications, il ressort du dossier de l’affaire devant le Tribunal que ces échanges se limitaient, pour l’essentiel, à rendre compte d’activités exercées par les salariés d’Apple Inc. dans le cadre de l’accord de partage des coûts et qu’ils ne contenaient aucune référence implicite ou explicite à ASI. Il s’agit donc de documents étrangers à l’objet de la procédure administrative dans la mesure où ils concernaient les activités d’une entité distincte d’ASI et des relations intragroupe étrangères à l’objet des rulings fiscaux contestés.

186 Dès lors, il ne saurait être soutenu que, à supposer qu’elle ait pu en soupçonner l’existence, la Commission était tenue de demander la production de ces éléments au cours de la procédure administrative. Il appartenait, au contraire, à ASI et à AOE de présenter lesdits éléments à la Commission au cours de la procédure administrative si elles estimaient qu’ils étaient de nature à établir la réalité et la pertinence du caractère centralisé de décisions stratégiques au sein du groupe Apple, prises par des directeurs de celui-ci à Cupertino.

187 En ce qui concerne, en second lieu, les procurations relatives à la signature des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications, il est constant qu’il s’agit d’éléments de preuve sur lesquels le Tribunal s’est fondé au point 301 de l’arrêt attaqué. Il est également constant que la liste complète des procurations accordées par les directeurs d’ASI et d’AOE n’a été fournie qu’en annexe du recours en première instance présenté par ces sociétés, que trois de ces procurations, relatives aux contrats avec les OEMs, n’ont été produites qu’au stade de la réplique et que la quatrième, relative aux contrats avec les opérateurs de télécommunications, n’a jamais été produite. Il n’est pas non plus contesté que les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration d’ASI et d’AOE présentés au cours de la procédure administrative (ci-après les « procès-verbaux examinés par la Commission ») mentionnaient non pas les procurations relatives à la signature des contrats avec les OEMs, mais seulement celle relative à la signature des contrats avec les opérateurs de télécommunications qui, comme il a été indiqué, n’a jamais été produite.

188 Quant aux éléments portés à la connaissance de la Commission au cours de la procédure administrative, il y a lieu de relever que, dans ses observations du 7 septembre 2015, produites en annexe du recours d’ASI et d’AOE devant le Tribunal, le groupe Apple mentionne l’existence d’un système de procurations données par les conseils d’administration d’ASI et d’AOE en vue, notamment, des négociations et de la signature des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications. Ces observations n’y font toutefois, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, qu’une référence vague et imprécise.

189 Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir obtenu les procurations en question au cours de la procédure administrative. Il convient, en particulier, de tenir compte du fait qu’elle avait demandé et examiné tous les procès-verbaux des conseils d’administration d’ASI et d’AOE de la période pertinente, lesquels ne font mention que de façon lapidaire de ces procurations.

190 Enfin, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’ASI et AOE soutiennent, le présent grief de la Commission n’est pas inopérant.

191 En effet, c’est en se fondant sur les éléments de preuve visés au point 301 de l’arrêt attaqué, et en particulier sur certaines procurations, que le Tribunal a considéré, au point suivant, que la Commission avait erronément conclu que la gestion de la PI du groupe Apple, dont les licences étaient détenues par ASI et par AOE, a été nécessairement assumée par les succursales irlandaises de ces sociétés.

192 C’est au vu, notamment, de cette appréciation qu’il a jugé, au point 310 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas démontré que ces succursales auraient dû se voir attribuer les bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI du groupe Apple aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande et qu’il a, en définitive, au point 312 dudit arrêt, accueilli les moyens dirigés contre le raisonnement à titre principal de la Commission et tirés de ce que les autorités fiscales irlandaises n’avaient pas octroyé un avantage à ASI et à AOE.

193 Partant, l’argument selon lequel le Tribunal, en prenant en considération des éléments de preuve irrecevables à l’appui de son appréciation contenue au point 301 de l’arrêt attaqué, a commis une irrégularité de procédure doit être accueilli.

–  Sur le critère juridique applicable en vertu du droit irlandais en vue de la détermination des bénéfices d’une société non-résidente

194 Si les parties s’accordent pour exclure, dans le cadre de l’analyse fonctionnelle requise aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, la pertinence des fonctions exercées par une entité distincte, en l’occurrence par Apple Inc., de la société non-résidente dont il faut évaluer le bénéfice imposable en Irlande, elles défendent, en revanche, des positions divergentes sur la portée et la teneur de l’analyse exigée en vertu du droit irlandais.

195 En effet, la Commission considère que le Tribunal a correctement identifié, au point 248 de l’arrêt attaqué, le critère juridique applicable en vertu du droit irlandais afin de déterminer les bénéfices d’une société non-résidente qui sont imposables en Irlande et que ce critère doit prendre en compte la « répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ».

196 L’Irlande considère, pour sa part, que l’analyse pertinente aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97 doit porter, comme l’a affirmé le Tribunal au point 227 de l’arrêt attaqué et comme il l’a confirmé dans plusieurs autres points de cet arrêt, sur les « activités réelles [des succursales irlandaises d’une société non-résidente] et sur la valeur de marché » de ces activités. De leur côté, ASI et AOI font valoir que, aux points 182 à 186 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé que, sur le fondement du droit irlandais, les bénéfices découlant de la PI ne peuvent être attribués à la succursale irlandaise d’une société non-résidente que si la PI qui les génère est contrôlée par la succursale.

197 Tant l’Irlande qu’ASI et AOI, qui considèrent que les activités exercées par les sièges sont dépourvues de toute pertinence aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, estiment, en substance, que le point 248 de l’arrêt attaqué, sur lequel se fonde la Commission, concerne l’application de l’approche autorisée de l’OCDE et non celle de l’article 25 du TCA 97 et que, en tout état de cause, il ressort en particulier du point 242 de cet arrêt que cette approche n’avalise pas l’analyse comparative sur laquelle se fonde la Commission, analyse qui serait contraire au droit irlandais.

198 À cet égard, il est constant que le Tribunal a estimé, notamment au point 242 de l’arrêt attaqué, que tant l’article 25 du TCA 97 que le principe de pleine concurrence et l’approche autorisée de l’OCDE requièrent, afin de déterminer les bénéfices imposables en Irlande d’une société non-résidente, de recourir à une analyse « fonctionnelle » en vue d’identifier les activités exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par la succursale de cette société en Irlande.

199 À cet égard, le Tribunal a, d’une part, admis, au point 240 de l’arrêt attaqué, que, afin d’identifier les fonctions effectivement assumées par la succursale irlandaise d’une société non-résidente aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, il fallait prendre en compte « la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ». D’autre part, il a affirmé, au point 242 de cet arrêt, que l’analyse visant à identifier les actifs, les fonctions et les risques qui doivent être attribués à l’établissement stable d’une société, en vertu des activités réellement exercées par celle-ci, ne pouvait « se faire de manière abstraite, en ignorant les activités et les fonctions exercées au sein de la société dans son ensemble ».

200 Or, une telle interprétation est conforme au libellé même de l’article 25 du TCA 97, qui exige, afin de déterminer le bénéfice imposable d’une société non-résidente en Irlande, d’identifier les « revenus commerciaux réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire de la succursale [...] et l’ensemble des revenus découlant d’actifs ou de droits utilisés par, ou détenus par ou pour, la succursale [...] ». Il ressort notamment de la considération figurant au point 248 de l’arrêt attaqué qu’une telle identification requiert, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, indiqué, au point 57 de ses conclusions, une comparaison des activités effectuées en lien avec ces actifs par les différentes parties de cette société, étant précisé qu’une telle comparaison permet de vérifier si la répartition des actifs au sein de la société non-résidente qui a été acceptée par les autorités fiscales comme base de détermination des bénéfices imposables en Irlande est conforme à la répartition réelle des fonctions, des actifs et des risques entre les différentes parties de cette société.

201 L’interprétation préconisée par l’Irlande ainsi que par ASI et AOI, selon laquelle il conviendrait, aux fins de l’attribution des bénéfices générés par la gestion des droits de PI au titre de l’article 25 du TCA 97, de tenir compte seulement de l’entité qui est effectivement titulaire de ces droits, implique, en définitive, s’agissant des sociétés non-résidentes, d’attribuer systématiquement les bénéfices générés par l’exploitation desdits droits aux sièges de ces sociétés. Or, dans la mesure où ces derniers sont, par définition, situés en dehors de l’Irlande, de tels revenus échapperaient par principe à toute imposition dans cet État membre.

202 À cet égard, le Tribunal a estimé qu’il devait prendre en compte, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre les succursales irlandaises et les autres parties d’ASI et d’AOE, et n’a pas considéré qu’il était tenu, en vertu du droit irlandais, d’analyser le rôle éventuellement joué par Apple Inc.

203 Il ressort de l’ensemble de ces considérations que le critère de détermination des bénéfices d’une société non-résidente, que le Tribunal a considéré être applicable en vertu de l’article 25 du TCA 97, commande de prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société, sans exiger de tenir compte du rôle joué par des entités distinctes.

204 Il y a lieu, dès lors, d’examiner la question de savoir si, ainsi que le soutient la Commission, le Tribunal s’est effectivement fondé sur les fonctions exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple ou si, comme le font valoir l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI, l’argument de la Commission dénature les motifs de l’arrêt attaqué sur ce point.

–  Sur la prise en compte par le Tribunal des fonctions d’Apple Inc.

205 En premier lieu, la Commission fait valoir que le Tribunal s’est référé aux fonctions exercées par Apple Inc. aux points 259 à 267 et 288 de l’arrêt attaqué lorsqu’il a examiné les considérants 289 à 295 de la décision litigieuse, qui attribuaient aux succursales irlandaises les fonctions de contrôle de qualité, de gestion des infrastructures, de R & D et de gestion des risques d’entreprise.

206 À cet égard, il découle des points 260 à 264, 266 et 267 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a effectivement tenu compte, dans son appréciation des faits, des fonctions et des risques assumés par Apple Inc., étant relevé que l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE s’accordaient sur le fait que ces fonctions et ces risques, afférents à l’ensemble de la PI du groupe Apple, à son développement et à sa gestion, étaient pour leur plus grande part assumés par Apple Inc. en sa qualité de société mère du groupe ou dans le cadre de l’accord de partage des coûts, et centralisés par celle-ci à Cupertino.

207 En deuxième lieu, la Commission soutient que le Tribunal aurait invoqué à tort les fonctions d’Apple Inc. lorsqu’il a examiné les fonctions qu’elle avait considérées comme étant celles de la succursale d’ASI.

208 Le Tribunal, aux points 268 à 284 de l’arrêt attaqué, a examiné les activités et les fonctions mentionnées aux considérants 296 à 300 de la décision litigieuse comme ayant été effectivement exercées par cette succursale. Il a considéré que ces activités et ces fonctions, qu’elles soient envisagées séparément ou dans leur ensemble, ne justifiaient pas l’attribution des bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI du groupe Apple à ladite succursale. Les activités examinées par le Tribunal incluaient le contrôle de qualité, diverses activités de R & D et la gestion des coûts de marketing local.

209 À cet égard, en ce qui concerne le contrôle de qualité, il y a lieu de relever, comme le fait valoir la Commission, que cette dernière a considéré dans la décision litigieuse que cette fonction faisait partie des fonctions énumérées dans l’accord de partage des coûts et associées, dans cet accord, tant à Apple Inc. qu’à ASI et AOE. Dans ces conditions, lorsque, au point 269 de l’arrêt attaqué, le Tribunal évoque l’affirmation d’ASI et d’AOE selon laquelle « des milliers de personnes étaient occupées, dans le monde entier, dans la fonction du contrôle de qualité alors qu’une seule personne était employée dans cette fonction en Irlande », il fait nécessairement référence à des activités exercées par des entités distinctes de ces deux dernières sociétés et, notamment, aux activités d’Apple Inc.

210 En ce qui concerne les points 273 et 275 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il affirme que les fonctions de R & D et les activités de collecte et d’analyse des données régionales exercées par les salariés de la succursale d’ASI sont de nature « auxiliaire », le Tribunal compare une nouvelle fois ces fonctions et ces activités à celles exercées au niveau global par des entités extérieures à ASI. Enfin, des références explicites aux politiques et aux stratégies de groupe conçues par Apple Inc. sont opérées au point 277 de cet arrêt, le Tribunal ayant qualifié dans ce point le service après-vente et de réparation AppleCare, dont cette succursale était responsable dans la région EMEIA, de service « d’“exécution”, suivant les orientations et la direction stratégique définies aux États-Unis ». Il en va de même aux points 281 et 283 dudit arrêt, qui contiennent une appréciation globale du Tribunal concernant la nature « auxiliaire » et « d’exécution » des activités de ladite succursale.

211 En troisième lieu, la Commission considère que le Tribunal aurait fait référence aux activités d’Apple Inc. lorsqu’il a examiné les fonctions exercées par la succursale irlandaise d’AOE identifiées au considérant 301 de la décision litigieuse.

212 Sur ce point, il convient de relever que, au point 290 de l’arrêt attaqué, le Tribunal affirme, en ce qui concerne les procédures propres et l’expertise qui ont été développées par cette succursale dans le cadre de ses activités de fabrication, que, quand bien même ces compétences bénéficieraient de la protection de certains droits de PI, « il s’agit d’un domaine restreint et propre aux activités de cette succursale » qui ne justifie pas l’attribution à cette dernière de l’ensemble des licences de PI du groupe Apple. Une telle référence à l’ensemble des licences de PI de ce groupe signifie, implicitement mais de manière certaine, que, comme l’affirme à juste titre la Commission, le Tribunal a comparé à ce point les compétences développées par la succursale irlandaise d’AOE à l’ensemble des fonctions de R & D relatives à la PI du groupe Apple.

213 En quatrième et dernier lieu, la Commission fait valoir que, aux points 298 à 302 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tenu compte des fonctions exercées par Apple Inc. lorsqu’il a examiné les activités effectuées en dehors des succursales d’ASI et d’AOE.

214 À cet égard, il ressort de plusieurs passages de l’arrêt attaqué, et notamment des points 299 et 300 de celui-ci, que le Tribunal a rappelé les fonctions d’Apple Inc. et son rôle de société mère du groupe, d’une part, lorsqu’il a constaté, de manière générale, le « caractère centralisé des décisions stratégiques au sein du groupe Apple, prises par des directeurs, à Cupertino » et, d’autre part, plus spécifiquement, en ce qui concerne les décisions dans le domaine R & D, qui est à l’origine de la PI du groupe Apple, lorsqu’il a évoqué le fait que « les décisions relatives aux produits à développer [...] et à la stratégie de R & D [...] avaient été prises et mises en œuvre par des dirigeants du groupe établis à Cupertino ». De même, le Tribunal a constaté que « les stratégies de lancement des nouveaux produits, et, notamment, l’organisation de la distribution sur les marchés européens [...] [avaient] été établies au niveau du groupe Apple, notamment par les cadres dirigeants du groupe (Executive Team) sous la direction du directeur général du groupe, à Cupertino ».

215 Comme l’a indiqué M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, il ressort de ces constatations que, dans tous les points de l’arrêt attaqué contestés par la Commission, le Tribunal s’est fondé, explicitement ou implicitement, sur les fonctions exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple dans le cadre de l’accord de partage des coûts ou du contrat de services marketing ou encore en sa qualité de société mère du groupe, en comparant ces fonctions à celles exercées par les succursales irlandaises en rapport avec les licences de PI. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI, l’argument de la Commission tiré de la prise en compte, par le Tribunal, des fonctions exercées par Apple Inc. ne repose ni sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué ni sur sa dénaturation.

–  Sur l’incidence de la prise en compte des activités et fonctions exercées par Apple Inc. sur la qualification juridique des faits

216 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOI font valoir, en substance, que l’argument de la Commission tiré de la prise en compte erronée des activités d’Apple Inc. est en tout état de cause inopérant puisque, même à supposer que le Tribunal ait tenu compte de ces activités, les appréciations auxquelles il est parvenu au terme de son examen des faits sont fondées sur une analyse de l’activité des succursales irlandaises et des sièges et sur la constatation de la nature « routinière » des fonctions exercées par ces succursales, laquelle ne suffisait pas, selon le Tribunal, à justifier que les licences de PI et les bénéfices y afférents leur soient attribués.

217 À cet égard, il ressort du point 310 de l’arrêt attaqué que l’appréciation du Tribunal selon laquelle la Commission n’était pas parvenue à démontrer que les bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI auraient dû être attribués aux succursales irlandaises aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande est fondée, d’une part, sur l’examen des activités réellement exercées par ces succursales et, d’autre part, sur les « décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales ».

218 Or, aux points 298 à 309 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, d’une part, l’existence d’un système décisionnel centralisé au sein du groupe Apple, avec Apple Inc. à sa tête, y compris en ce qui concerne la gestion et le développement de la PI du groupe et, d’autre part, la capacité des sièges d’ASI et d’AOE de prendre, par l’intermédiaire de leurs conseils d’administration respectifs ou au moyen d’un système de délégation des pouvoirs en faveur d’administrateurs individuels, « les décisions clés pour la société [...], telles que l’approbation des comptes annuels ». Il n’a toutefois pas constaté la participation de ces sièges à l’adoption des décisions stratégiques prises par Apple Inc. ni leur implication effective dans l’exécution de ces décisions ou dans la gestion active des licences de PI. La seule constatation à cet égard, qui figure au point 307 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ASI et AOE avaient fourni des informations montrant que les différentes versions de l’accord de partage des coûts avaient été signées par des membres de leurs conseils d’administration respectifs à Cupertino, est contestée par la Commission dans le cadre de la troisième branche de son premier moyen de pourvoi, qui sera examinée par la suite.

219 Ainsi, eu égard à l’importance, dans l’économie de l’arrêt attaqué, de l’examen des activités et fonctions d’Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple, ainsi qu’au lien étroit entre cet examen et celui des activités des succursales d’ASI et d’AOE en Irlande, il ne saurait être soutenu que l’argument tiré de la prise en compte, par le Tribunal, de ces activités et fonctions serait inopérant.

220 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, c’est à juste titre que la Commission fait valoir que, pour juger que les preuves permettant d’attribuer les bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI aux succursales d’ASI et d’AOE n’étaient pas suffisantes, le Tribunal a comparé erronément les fonctions exercées par ces succursales en rapport avec ces licences à celles exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple plutôt qu’à celles effectivement exercées par les sièges en lien avec lesdites licences. Cela ressort tout particulièrement des appréciations intermédiaires du Tribunal aux différentes étapes de son analyse des faits et, notamment, aux points 266 et 302 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a affirmé, d’une part, que la Commission n’avait pas cherché à établir que les organes de gestion des succursales irlandaises avaient effectivement exercé la gestion quotidienne active « de l’ensemble des fonctions et des risques afférents à la PI du groupe Apple qui sont énumérés dans [...] l’accord de partage des coûts » et, d’autre part, que, puisque les décisions stratégiques concernant le développement des produits à l’origine de la PI du groupe Apple avaient été prises pour l’ensemble du groupe à Cupertino, la Commission avait erronément considéré que la gestion de cette PI avait été nécessairement assumée par ces succursales.

221 Il ressort ainsi de l’arrêt attaqué que l’appréciation du Tribunal selon laquelle la Commission aurait commis une erreur en considérant que les succursales d’ASI et d’AOE exerçaient des « fonctions humaines significatives » en rapport avec la PI du groupe Apple repose en grande partie sur un examen des fonctions exercées au niveau d’Apple Inc., qu’il a lui-même considérées comme n’étant pas pertinentes en l’espèce, selon son interprétation du droit irlandais.

222 L’argument de la Commission tiré d’une prise en compte erronée des fonctions exercées par Apple Inc. est donc fondé. Il en résulte que le second grief de la deuxième branche du premier moyen de pourvoi doit également être accueilli.

2) Sur le premier grief, tiré d’une motivation insuffisante et contradictoire de l’arrêt attaqué et d’une irrégularité de procédure

223 Eu égard à l’accueil du second grief de la deuxième branche du premier moyen, il n’y a pas lieu d’examiner le premier grief de cette branche, dirigé contre la même appréciation du Tribunal.

3. Sur la troisième branche du premier moyen

a) Argumentation des parties

224 Par la troisième branche de son premier moyen de pourvoi, la Commission soutient, en substance, que, aux points 301 et 303 à 309 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a violé l’approche de l’entité distincte, le principe de pleine concurrence et, par conséquent, l’article 107, paragraphe 1, TFUE et a dénaturé le droit national, en jugeant que les actes formels exécutés par les directeurs d’ASI et d’AOE constituaient des fonctions exercées par leurs sièges en rapport avec les licences de PI du groupe Apple détenues par ces sociétés. Le fait que le Tribunal n’ait pas tenu compte des explications fournies par la Commission dans la décision litigieuse et dans ses observations écrites, indiquant les raisons pour lesquelles ces actes ne constituaient pas des fonctions exercées par les sièges d’ASI et d’AOE aux fins de l’application de l’approche de l’entité distincte et du principe de pleine concurrence, constituerait une irrégularité de procédure et un défaut de motivation. En outre, le fait que le Tribunal se fonde sur des éléments de preuve irrecevables pour étayer son appréciation démontrerait également une telle irrégularité.

225 En premier lieu, s’agissant de l’irrégularité de procédure et du défaut de motivation entachant l’arrêt attaqué, la Commission rappelle la teneur des explications qu’elle a fournies tant aux considérants 280 à 294 de la décision litigieuse qu’en réponse aux arguments que l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE avaient respectivement avancés dans leurs requêtes en première instance. Il en ressortirait notamment que les sièges d’ASI et d’AOE ne pouvaient pas être considérés comme ayant effectivement exercé des fonctions en rapport avec les licences de PI détenues par ces deux sociétés. Les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration d’ASI et d’AOE, qui constituaient la seule preuve des décisions prises par leurs sièges, ne démontreraient pas que ceux-ci exerçaient de telles fonctions. Le Tribunal, en se fondant pourtant sur ces procès-verbaux et en obligeant la Commission à prouver que les décisions clés d’ASI et d’AOE n’auraient pas été adoptées au cours de ces réunions, ferait peser sur celle-ci une exigence de preuve impossible à satisfaire. Enfin, en acceptant l’argument d’ASI et d’AOE selon lequel l’octroi à des dirigeants d’Apple Inc. de procurations pour signer des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications « pour le compte » d’ASI et d’AOE relevait des fonctions exercées par les sièges de ces sociétés, alors que les éléments de preuve à l’appui de cet argument ont été produits pour la première fois en cours d’instance et étaient donc irrecevables, le Tribunal aurait commis une irrégularité de procédure.

226 En second lieu, la Commission avance que, en considérant que les actes formels exécutés par les administrateurs d’ASI et d’AOE constituent des fonctions exercées par les sièges de ces sociétés en rapport avec les licences de PI du groupe Apple, le Tribunal a violé l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence, ce qui constitue une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et une dénaturation du droit national.

227 La Commission fait valoir, premièrement, que l’attribution des bénéfices à une succursale requiert une analyse fonctionnelle, c’est-à-dire un examen des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par cette succursale par rapport à ceux de la société à laquelle elle appartient. Il s’agirait, conformément à l’approche autorisée de l’OCDE, d’identifier les « fonctions humaines significatives » de ladite succursale et des autres parties de cette société, et ce par référence « à la prise active de décision et à la gestion et non à la simple faculté d’approuver ou de rejeter une proposition ». En l’occurrence, ce serait à tort que le Tribunal a assimilé, aux points 301 et 303 à 309 de l’arrêt attaqué, les actes formels exécutés par les administrateurs d’ASI et d’AOE à des fonctions exercées par les sièges de ces sociétés. En effet, si l’octroi d’une procuration ou la signature d’accords pouvaient suffire à caractériser l’exercice de fonctions, la notion de « fonctions humaines significatives » aux fins de l’analyse fonctionnelle serait vidée de sens.

228 Deuxièmement, en assimilant, aux points 301, 306 et 307 de l’arrêt attaqué, l’octroi de procurations, la signature d’accords avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications en vertu de ces procurations ainsi que la signature de l’accord de partage des coûts à des fonctions exercées par les sièges d’ASI et d’AOE, le Tribunal aurait méconnu l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence, ce qui constituerait une application erronée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et une dénaturation du droit national. La Commission estime, également, que, en accueillant, au point 308 de l’arrêt attaqué, l’argument de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE selon lequel la simple présence physique d’un administrateur constitue une fonction exercée par les sièges, sans examiner ni réfuter ses propres arguments à cet égard, le Tribunal a entaché l’arrêt attaqué d’une irrégularité de procédure et d’un défaut de motivation.

229 L’Irlande soutient, en premier lieu, que la troisième branche du premier moyen de pourvoi doit être écartée comme étant inopérante. L’argumentation de la Commission ne serait, en effet, pas à même de remettre en cause la principale constatation des faits du Tribunal selon laquelle les activités des succursales irlandaises ne justifient pas de leur attribuer les licences de PI du groupe Apple et les bénéfices qui en découlent. La décision litigieuse, en ce qu’elle affirme à tort que les bénéfices découlant de l’exploitation de ces licences doivent être attribués à ces succursales, devrait donc, en toute hypothèse, être annulée.

230 En second lieu, l’Irlande fait valoir que les arguments avancés par la Commission sont, en tout état de cause, non fondés.

231 S’agissant, premièrement, des procès-verbaux des réunions des conseils d’administration, l’Irlande soutient que, sous le couvert d’une prétendue irrégularité de procédure et d’un défaut de motivation, la Commission entend en réalité critiquer les constatations factuelles relatives à ces réunions et l’importance accordée par le Tribunal aux preuves qui lui ont été présentées.

232 Il en irait de même en ce qui concerne, deuxièmement, les fonctions exercées par les sièges d’ASI et d’AOE. La Commission reprocherait au Tribunal d’avoir considéré que ces sièges aient pu exercer des fonctions en rapport avec les licences de PI, en remettant essentiellement en cause les constatations factuelles et le poids accordé aux preuves par le Tribunal. La Commission omettrait cependant d’identifier une quelconque erreur de droit commise à cet égard par le Tribunal.

233 ASI et AOI font valoir que la troisième branche du premier moyen, par laquelle la Commission chercherait à débattre à nouveau des faits, est irrecevable et, en tout état de cause, non fondée et inopérante.

234 En premier lieu, s’agissant des procès-verbaux des conseils d’administration, ASI et AOI soutiennent, tout d’abord, que la Commission dénature les éléments de preuve en affirmant que ces procès-verbaux constituaient les seules preuves fournies au cours de la procédure administrative relatives aux décisions prises par ASI et AOE en dehors de l’Irlande, alors que le Tribunal s’est notamment fondé sur d’autres éléments de preuve montrant que les accords de partage des coûts ont, en fait, été signés par les directeurs de ces sociétés basés aux États-Unis et que ceux-ci ainsi que les personnes agissant au nom desdites sociétés ont négocié et conclu des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications. ASI et AOI soutiennent, ensuite, que le raisonnement figurant au point 304 de l’arrêt attaqué est, en tout état de cause, suffisant pour permettre à la Commission de comprendre le fondement de la décision du Tribunal et à la Cour d’exercer son contrôle. ASI et AOI relèvent, enfin, que le Tribunal n’a pas imposé à la Commission un niveau de preuve impossible à satisfaire, mais a jugé que celle-ci ne pouvait pas se limiter à examiner les procès-verbaux des conseils d’administration d’ASI et d’AOE, alors que ces sociétés l’avaient informée que ces procès-verbaux ne constituaient pas un compte-rendu exhaustif des activités des directeurs basés aux États‑Unis et qu’elles lui avaient fourni de nombreuses preuves de ces activités au cours de la procédure administrative.

235 En deuxième lieu, ASI et AOI font valoir que la négociation et la signature des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications, par les directeurs basés aux États-Unis ou, au moyen de procurations, par des salariés du groupe Apple, constituaient des « fonctions humaines significatives », exercées par ASI et AOE en dehors de l’Irlande. En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, le Tribunal se serait appuyé sur la signature des accords de partage des coûts ou l’octroi de procurations non pas pour démontrer que les sièges d’ASI et d’AOE exerçaient des « fonctions humaines significatives », mais pour juger, aux points 303 à 309 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait erronément considéré que les organes de direction d’ASI et d’AOE, notamment leurs conseils d’administration, « n’avaient pas les capacités d’exercer les fonctions essentielles » de ces sociétés. L’arrêt attaqué ne serait donc entaché ni d’une contradiction, ni d’une violation de la notion d’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ni d’une dénaturation du droit national.

236 En troisième lieu, le grief de la Commission tiré de ce que le Tribunal a méconnu l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence, et a donc violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE et dénaturé le droit national, procéderait du postulat erroné selon lequel la négociation et la signature des contrats en question étaient des fonctions exercées non pas par des personnes agissant au nom et pour le compte d’ASI, mais par Apple Inc.

237 Le Grand-Duché de Luxembourg soutient l’argumentation de l’Irlande, d’ASI et d’AOI.

238 L’Autorité de surveillance AELE, enfin, souscrit aux arguments formulés par la Commission. Les actes formels, tels que l’établissement d’une procuration ou la signature d’un accord, ne constitueraient pas des fonctions réellement exercées par les sièges d’ASI et d’AOE en rapport avec les licences de PI du groupe Apple. Ces actes ne seraient que la formalisation, par les directeurs d’ASI et d’AOE, de fonctions réellement exercées par Apple Inc., comme la négociation et la signature de contrats commerciaux avec des clients tels que des opérateurs de télécommunications ou des OEMs. Par conséquent, si le Tribunal a dégagé, au point 242 de l’arrêt attaqué, le critère pertinent afin de constater l’existence d’un avantage, il aurait en revanche appliqué un critère erroné pour rejeter le raisonnement à titre principal de la Commission, exposé aux points 303 à 309 de l’arrêt attaqué.

b) Appréciation de la Cour

239 Par la troisième branche de son premier moyen de pourvoi, dirigée contre les points 301 et 303 à 309 de l’arrêt attaqué, la Commission conteste plus particulièrement les appréciations du Tribunal relatives aux activités des sièges d’ASI et d’AOE.

240 En premier lieu, la Commission soutient que le Tribunal n’a pas répondu à l’argument soulevé devant lui selon lequel les procès-verbaux qu’elle avait examinés étaient l’unique élément de preuve produit par l’Irlande et par Apple Inc. au cours de la procédure administrative afin de démontrer l’existence de fonctions exercées par les sièges.

241 En l’espèce, au point 305 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, dans l’exercice de sa compétence en matière d’appréciation des preuves, que, malgré leur caractère sommaire, les extraits des procès-verbaux examinés par la Commission étaient suffisants pour « comprendre comment les décisions clés pour la société [avaient] été adoptées et actées [à ces] procès-verbaux ».

242 Une telle appréciation, qui permet à la Commission de comprendre les raisons de l’importance accordée par le Tribunal auxdits procès-verbaux, quand bien même ces derniers seraient l’unique élément de preuve fourni au cours de la procédure administrative en ce qui concerne les fonctions des sièges, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour, sauf en cas de dénaturation, laquelle n’a pas été invoquée par la Commission.

243 En deuxième lieu, la Commission considère que, au point 304 de l’arrêt attaqué, le Tribunal fait reposer sur elle une charge de la preuve impossible à satisfaire.

244 À ce point 304, le Tribunal a jugé que « le fait que les procès-verbaux [examinés par la Commission] ne montrent pas de détails sur les décisions concernant la gestion des licences de PI du groupe Apple, sur l’accord de partage des coûts et sur les décisions commerciales importantes ne saurait exclure l’existence de ces décisions elles-mêmes ».

245 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 85 de ses conclusions, le raisonnement exposé au point 304 de l’arrêt attaqué, s’il devait être confirmé, exclurait que la Commission puisse tirer argument de la circonstance que les procès-verbaux des conseils d’administration d’une société ne font pas mention de certaines catégories de décisions en vue d’étayer son analyse concluant à l’inexistence de ces décisions. Or, un tel raisonnement fait effectivement peser sur la Commission une charge de la preuve excessive.

246 En troisième lieu, la Commission conteste le point 306 de l’arrêt attaqué, en particulier en ce que le Tribunal y affirme qu’« il ressort [des procès-verbaux examinés] que des pouvoirs très larges de gestion ont été délégués en faveur d’administrateurs individuels ». Elle fait valoir que, s’il est vrai que ces procès-verbaux consignaient de manière occasionnelle l’octroi de procurations par les conseils d’administration, une seule de ces procurations concernait la conclusion de contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications.

247 À cet égard, dans la mesure où, en invoquant cet argument, la Commission entend remettre en question l’appréciation de la valeur probatoire de l’inscription dans le procès-verbal de la procuration mentionnée au point précédent, cette appréciation appartient en principe au seul Tribunal (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, EU:C:2000:321, point 50, ainsi que du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer, C‑198/03 P, EU:C:2005:445, point 50), étant précisé que, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 87 de ses conclusions, aucune règle ni aucun principe du droit de l’Union n’interdisent au Tribunal de se fonder sur un seul élément de preuve pour constater les faits pertinents.

248 En quatrième lieu, la Commission conteste l’appréciation du Tribunal figurant plus spécifiquement aux points 301, 306 et 307 de l’arrêt attaqué, selon laquelle des actes, tels que l’octroi de procurations afin, en l’espèce, de négocier, de signer ou de modifier des accords, constituent des fonctions effectivement exercées par les sièges d’ASI et d’AOE en rapport avec les licences de PI. La Commission reconnaît notamment que les négociations en vue de la conclusion de contrats commerciaux tels que les contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications sont susceptibles de constituer des « fonctions humaines significatives » aux fins de l’analyse fonctionnelle et factuelle à effectuer sur le fondement de l’article 25 du TCA 97. Toutefois, en l’espèce, ces fonctions auraient été exercées non pas par les sièges d’ASI et d’AOE, mais par des salariés d’Apple Inc., pour le compte de l’ensemble du groupe Apple ou au bénéfice de ces deux sociétés. Les points 301, 306 et 307 de l’arrêt attaqué seraient également entachés d’un défaut de motivation ainsi que d’une motivation contradictoire.

249 Cette argumentation de la Commission procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

250 En effet, lorsqu’il a constaté que des directeurs d’ASI et d’AOE avaient participé, directement ou par procuration, à des négociations avec les OEMs et avec les opérateurs de télécommunications ou encore à la conclusion de contrats commerciaux ou d’accords intragroupe, le Tribunal n’a pas entendu affirmer que les sièges de ces deux sociétés avaient exercé des « fonctions humaines significatives » en rapport avec les licences de PI, mais s’est borné à juger, notamment aux points 302 et 309 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse avait erronément conclu que la gestion de la PI du groupe Apple avait nécessairement été assumée par les succursales desdites sociétés puisque leurs sièges n’avaient pas la capacité de prendre des décisions relatives à la gestion de ces licences.

251 Dans ces conditions, si, ainsi qu’il a été relevé aux points 193 et 222 du présent arrêt, ce raisonnement du Tribunal est fondé sur des éléments de preuve irrecevables et sur une prise en compte erronée des fonctions exercées par Apple Inc., l’argumentation de la Commission, résumée au point 248 du présent arrêt, ne peut être accueillie.

252 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que la troisième branche du premier moyen est, pour le motif exposé au point 245 du présent arrêt, en partie fondée.

4. Conclusions sur le premier moyen de pourvoi

253 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le premier moyen de pourvoi doit être accueilli.

254 Il ressort de l’examen de ce moyen, premièrement, que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant, en particulier aux points 183 à 187, 228, 242 et 243 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait adopté une approche « par exclusion » dans son examen des activités exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97 et, partant, de la détermination des revenus imposables en Irlande de ces sociétés non-résidentes. Dès lors, c’est à tort qu’il a jugé, au point 249 de l’arrêt attaqué, que le raisonnement à titre principal de la Commission était fondé sur des appréciations erronées sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce.

255 Le Tribunal a également commis une irrégularité de procédure en prenant en considération des éléments de preuve irrecevables à l’appui de son appréciation contenue au point 301 de l’arrêt attaqué (voir point 193 du présent arrêt).

256 Deuxièmement, en s’attachant, dans son examen des appréciations de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple, aux fonctions et aux risques assumés par Apple Inc. en rapport avec la PI, au lieu de se concentrer uniquement sur les activités exercées respectivement par les succursales irlandaises et par les sièges d’ASI et d’AOE en rapport avec la gestion et l’exploitation des licences de PI, le Tribunal a procédé à une qualification des faits examinés en appliquant un critère juridique différent de celui qu’il avait lui-même considéré comme étant applicable en vertu de l’article 25 du TCA 97. Ce cadre de référence commande de tenir compte de la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de la société non-résidente et, en application des principes fiscaux applicables en vertu du droit irlandais, exclut la prise en considération du rôle d’entités distinctes, telles qu’une société mère de la société non-résidente (voir point 222 du présent arrêt).

257 Troisièmement, le Tribunal a fait peser sur la Commission une charge de la preuve excessive en retenant, au point 304 de l’arrêt attaqué, que le fait que les procès-verbaux examinés par la Commission ne montrent pas de détails sur les décisions concernant la gestion des licences de PI du groupe Apple, sur l’accord de partage des coûts et sur les décisions commerciales importantes ne saurait exclure l’existence de ces décisions elles-mêmes (voir point 245 du présent arrêt).

258 Dans ces circonstances, c’est à tort que le Tribunal, d’une part, a jugé que le raisonnement à titre principal de la Commission était fondé sur des appréciations erronées sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce et, d’autre part, a accueilli les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission sur les activités des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et sur les activités en dehors de ces succursales.

259 Compte tenu des erreurs constatées dans le cadre de l’examen du premier moyen, l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il accueille les griefs à l’encontre du raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage sélectif, invoqués par l’Irlande dans le cadre des premier à troisième moyens dans l’affaire T‑778/16 et par ASI et AOE dans le cadre des premier à cinquième moyens dans l’affaire T‑892/16, qu’il annule la décision litigieuse et qu’il statue sur les dépens.

VI. Sur les recours devant le Tribunal

260 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

261 Il ressort des requêtes en première instance que les moyens invoqués respectivement par l’Irlande et par ASI et AOE tendaient, en premier lieu, à contester le raisonnement à titre principal de la Commission, en dénonçant des erreurs concernant l’appréciation relative à l’existence d’un avantage sélectif (premier à troisième moyens dans l’affaire T‑778/16 et premier à sixième moyens dans l’affaire T‑892/16) et l’appréciation relative à la notion d’intervention de l’État (troisième branche du deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16).

262 En deuxième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont fait valoir que l’examen de la Commission dans le cadre de la procédure administrative a été mené en violation des formes substantielles, et notamment du droit d’être entendu (sixième moyen dans l’affaire T‑778/16 et septième et douzième moyens dans l’affaire T‑892/16).

263 En troisième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont contesté la récupération ordonnée par la décision litigieuse, en violation notamment des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (septième moyen dans l’affaire T‑778/16 et onzième moyen dans l’affaire T‑892/16).

264 En quatrième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont reproché à la Commission son ingérence dans les compétences des États membres, en invoquant, notamment, le principe d’autonomie fiscale (huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16).

265 En cinquième et dernier lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont soutenu que la décision litigieuse était insuffisamment motivée (neuvième moyen dans l’affaire T‑778/16 et treizième moyen dans l’affaire T‑892/16).

266 En l’occurrence, la Cour dispose des éléments nécessaires pour se prononcer sur l’ensemble de ces moyens. Ces derniers ont, en effet, fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier, compte tenu des questions qu’il y a lieu de trancher pour mettre un terme au litige.

267 La Cour estime donc que les recours sont en état d’être jugés et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux-ci dans la limite du litige dont elle reste saisie (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 108 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 mars 2024, Kočner/Europol, C‑755/21 P, EU:C:2024:202, point 112).

A. Sur les moyens visant l’appréciation relative à l’existence d’un avantage sélectif

268 Dans le cadre de la contestation du raisonnement à titre principal de la Commission, premièrement, l’Irlande faisait grief à celle-ci d’avoir effectué un examen conjoint des notions d’avantage et de sélectivité (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16).

269 Deuxièmement, tant l’Irlande qu’ASI et AOE ont reproché à la Commission d’avoir erronément identifié le cadre de référence, notamment sur le fondement d’appréciations erronées de l’imposition normale en vertu du droit irlandais (partiellement premier et deuxième moyens dans l’affaire T‑778/16 et premier moyen dans l’affaire T‑892/16), de l’application erronée du principe de pleine concurrence (partiellement premier moyen et troisième moyen dans l’affaire T‑778/16 et partiellement premier moyen et deuxième moyen dans l’affaire T‑892/16), et de l’application inappropriée de l’approche autorisée de l’OCDE (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et cinquième moyen dans l’affaire T‑892/16).

270 Troisièmement, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont contesté les appréciations factuelles de la Commission relatives aux activités au sein du groupe Apple (premier moyen dans l’affaire T‑778/16 ainsi que troisième et quatrième moyens dans l’affaire T‑892/16).

271 Quatrièmement, elles ont critiqué les appréciations relatives au caractère sélectif des rulings fiscaux contestés (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et sixième moyen dans l’affaire T‑892/16).

1. Sur l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité

272 L’Irlande fait valoir, en substance, que la Commission a ignoré des principes bien établis dans la jurisprudence en confondant les critères de l’avantage et de la sélectivité et lui reproche de ne pas avoir examiné ces deux critères séparément.

273 Le Tribunal ayant écarté, pour les motifs exposés aux points 134 à 138 de l’arrêt attaqué, le grief de l’Irlande visant à critiquer l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité, sans que l’Irlande conteste, dans le cadre d’un pourvoi incident, le bien-fondé de cette partie de cet arrêt, l’annulation dudit arrêt, prononcée par la Cour, ne remet pas en cause ce dernier en tant que le Tribunal a rejeté ce grief (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 109, et du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 81).

274 En effet, l’article 178, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour dispose que les conclusions du pourvoi incident tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, sans limiter la portée de ces conclusions à la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de cette décision, à la différence de l’article 169, paragraphe 1, de ce règlement, relatif aux conclusions du pourvoi. Il s’ensuit que, en l’espèce, l’Irlande aurait pu introduire un pourvoi incident remettant en cause le rejet, par le Tribunal, de l’argumentation avancée en première instance. En l’absence d’un tel pourvoi incident, l’arrêt attaqué est revêtu de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où le Tribunal a rejeté cette argumentation (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 110, et du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 82).

275 Cela étant, le grief invoqué par l’Irlande visant à critiquer l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité se recoupe partiellement avec les griefs dirigés plus spécifiquement contre les appréciations relatives au caractère sélectif des rulings fiscaux contestés, examinés aux points 294 à 311 du présent arrêt. Ces différents griefs seront, dès lors, traités ensemble.

2. Sur l’identification du cadre de référence et les appréciations de la Commission relatives à l’imposition normale des bénéfices en vertu du droit fiscal irlandais

276 En premier lieu, s’agissant de l’identification du cadre de référence, il y a lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 273 et 274 du présent arrêt, de considérer que l’arrêt attaqué, en ce qu’il a rejeté, pour les motifs exposés à ses points 144 à 162, les griefs invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE relatifs au cadre de référence tel que défini dans la décision litigieuse, est, en l’absence de pourvoi incident, revêtu de l’autorité de la chose jugée. Il s’ensuit que la Cour n’a pas à statuer sur ces griefs.

277 En second lieu, s’agissant des appréciations relatives à l’imposition normale des bénéfices en vertu du droit fiscal irlandais, il ressort, tout d’abord, des considérations formulées aux points 120 à 130 du présent arrêt qu’il n’est pas établi que la Commission ait procédé à une attribution des bénéfices « par exclusion » uniquement, qui ne serait pas conforme à l’article 25 du TCA 97, en estimant que les licences de PI du groupe Apple auraient dû être attribuées aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE dans la mesure où les sièges de ces sociétés n’avaient pas de salariés ni de présence physique nécessaires pour assurer la gestion de ces licences. Il ne saurait donc être valablement soutenu que la Commission n’a pas cherché à démontrer que les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient effectivement exercé les activités en lien avec les licences de PI du groupe Apple justifiant que les autorités fiscales irlandaises auraient dû attribuer à ces succursales les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et par AOE et que, en conséquence, au titre de l’article 25 du TCA 97, l’ensemble des revenus commerciaux d’ASI et d’AOE auraient dû être considérés comme découlant de l’activité desdites succursales.

278 Ensuite, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont soutenu, dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et des premier et deuxième moyens dans l’affaire T‑892/16, que la Commission, compte tenu de l’application par les autorités fiscales irlandaises de l’article 25 du TCA 97, ne pouvait contrôler, au moyen du principe de pleine concurrence, si le niveau des bénéfices attribués aux succursales pour leurs activités commerciales en Irlande, tel qu’accepté dans les rulings fiscaux contestés, correspondait au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 273 et 274 du présent arrêt, l’arrêt attaqué, en ce qu’il a rejeté, pour les motifs exposés à ses points 192 à 225, ces arguments, est, en l’absence de pourvoi incident, revêtu de l’autorité de la chose jugée. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ceux-ci.

279 En outre, le Tribunal, pour les motifs figurant aux points 233 à 239 de l’arrêt attaqué, a écarté le grief tiré de ce que la Commission s’était fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE lorsqu’elle a considéré que, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, l’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non-résidente devait prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société. En l’absence de pourvoi incident, cet arrêt est, dans cette mesure, revêtu de l’autorité de la chose jugée. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ce grief.

280 Enfin, ainsi qu’il résulte de l’examen du premier moyen de pourvoi, il n’est pas établi que la Commission ait fait une application erronée du principe de pleine concurrence dans le cadre de son raisonnement à titre principal, en ce qu’elle n’aurait pas pris en compte la réalité économique, la structure et les particularités du groupe Apple, en particulier les fonctions relatives à la gestion de la PI de ce groupe exercées à Cupertino. Il convient donc d’écarter les arguments invoqués par l’Irlande dans le cadre du troisième moyen dans l’affaire T‑778/16, en ce qu’ils visent les conclusions auxquelles, sur le fondement du principe de pleine concurrence, la Commission est parvenue dans le cadre de son raisonnement à titre principal.

281 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, l’ensemble des moyens dirigés contre les appréciations de la Commission relatives à son raisonnement à titre principal et ayant trait, d’une part, à l’identification du cadre de référence et, d’autre part, à l’imposition normale en vertu du droit irlandais applicable en l’espèce doivent être écartés.

3. Sur les appréciations de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple 

282 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE faisaient valoir, en substance, que les activités et les fonctions menées par les succursales irlandaises de ces deux sociétés, identifiées par la Commission, ne représentaient qu’une infime partie de l’activité économique et des bénéfices desdites sociétés et que, en tout état de cause, ces activités et ces fonctions n’ont inclus ni la gestion ni la prise de décisions stratégiques concernant le développement et la commercialisation de la PI.

283 Selon l’Irlande ainsi que selon ASI et AOE, toutes les décisions stratégiques, particulièrement en ce qui concerne la conception et le développement des produits, auraient été prises suivant une stratégie commerciale globale déterminée à Cupertino et mises en œuvre par les organes de direction des deux sociétés en question, en dehors des succursales irlandaises. Partant, l’attribution aux succursales irlandaises des licences de PI du groupe Apple ne serait pas justifiée.

284 Il résulte de l’examen du premier moyen de pourvoi que le Tribunal a, d’une part, admis, à tort, la pertinence des fonctions exercées par Apple Inc. aux fins de la répartition des bénéfices d’ASI et d’AOE entre leurs sièges et leurs succursales respectifs (deuxième branche) et, d’autre part, commis une erreur de droit en constatant que les organes de direction d’ASI et d’AOE avaient, directement ou par procuration, exercé des fonctions essentielles quant aux licences de PI (troisième branche).

285 En outre, ainsi que le relève la Commission, l’attribution sur le plan fiscal des licences de PI du groupe Apple aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE ainsi que l’attribution subséquente des bénéfices générés par l’utilisation de ces licences découlent directement d’une application correcte des principes fiscaux pertinents à la structure du groupe Apple telle qu’elle a été mise en place par Apple Inc. elle-même au moyen de l’accord de partage des coûts décrit aux points 6 et 7 du présent arrêt.

286  Ainsi, la nécessité de prendre en compte, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre les succursales irlandaises et les autres parties d’ASI et d’AOE, et ce sans égard au rôle éventuellement joué par Apple Inc., découle du seul choix effectué par le groupe Apple de déplacer, au moyen de l’accord de partage des coûts, les coûts et les risques liés à la PI de ce groupe.

287 Contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 310 de l’arrêt attaqué, la Commission est donc bien parvenue à démontrer que, eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, à l’absence d’éléments concordants de nature à établir l’existence de décisions stratégiques prises et mises en œuvre par les sièges de ces sociétés situés en dehors de l’Irlande, ces succursales auraient dû se voir attribuer les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI du groupe Apple, aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande.

288 Dans ces circonstances, il y a également lieu de rejeter les griefs invoqués par l’Irlande dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et par ASI et AOE dans le cadre des troisième et quatrième moyens dans l’affaire T‑892/16 à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission sur les activités des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et les activités en dehors de ces succursales.

4. Sur le caractère sélectif des rulings fiscaux contestés 

a) Argumentation des parties

289 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, soutenues par le Grand-Duché de Luxembourg, font valoir, tout d’abord, que la Commission a commis une erreur en qualifiant les rulings fiscaux contestés de mesures d’aides individuelles en raison du seul fait qu’ils ne s’appliquaient qu’à ASI et à AOE et, partant, en présumant à tort de leur sélectivité. La jurisprudence invoquée par la Commission ne viendrait pas à l’appui de sa conclusion en l’espèce, compte tenu notamment de ce que, premièrement, les rulings fiscaux préalables sont disponibles pour tous les contribuables qui en font la demande, deuxièmement, les rulings fiscaux contestés ne font qu’appliquer l’article 25 du TCA 97 aux faits relatés dans les demandes auprès des autorités fiscales irlandaises et, troisièmement et en conséquence, des rulings fiscaux équivalents auraient pu être adoptés à l’égard de toute société, se trouvant dans une situation comparable à celle d’ASI et d’AOE, qui les aurait demandés.

290 Ensuite, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE soutiennent, en substance, que, dans le cadre de l’analyse en trois étapes de la sélectivité, la Commission a suivi une approche biaisée de la sélectivité, en invoquant un système de référence fictif et en faisant valoir qu’il existait une dérogation à des règles qui ne s’appliquaient en réalité à aucun contribuable se trouvant dans une situation comparable à celle d’ASI et d’AOE.

291 Selon ces requérantes, afin de démontrer la sélectivité des rulings fiscaux contestés, la Commission aurait dû établir que ceux-ci avaient induit un traitement différencié des sociétés qui, au regard de l’objectif de la mesure, se trouvent dans une situation comparable. Compte tenu de l’objectif des rulings fiscaux contestés, les sociétés résidentes et non-résidentes ne se trouveraient pas dans une situation juridique et factuelle comparable en ce qui concerne la détermination de leurs bénéfices imposables en Irlande.

292 Enfin, l’Irlande fait valoir que, pour autant que la Commission ait démontré le caractère sélectif des rulings fiscaux contestés, quod non, la différence de traitement dont font l’objet les sociétés non-résidentes était justifiée par la nature et l’économie du système fiscal irlandais, et notamment par l’étendue territoriale du pouvoir d’imposition de l’Irlande.

293 La Commission, soutenue par la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE, conteste les arguments invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.

b) Appréciation de la Cour

294 En substance, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE critiquent les conclusions de la Commission quant au caractère sélectif des rulings fiscaux contestés, dans la mesure où, d’une part, une telle sélectivité ne peut être présumée en l’espèce et où, d’autre part, il n’y aurait pas eu un traitement dérogatoire ou sélectif à l’égard d’ASI et d’AOE, par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation comparable. L’Irlande fait valoir que, en tout état de cause, à le supposer établi, un tel traitement était justifié par la nature et par l’économie du régime fiscal irlandais.

295 Il ressort de la jurisprudence que, si l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être clairement distinguée de la détection concomitante d’un avantage économique en ce que, lorsque la Commission a décelé la présence d’un avantage, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée, elle est tenue d’établir, en outre, que cet avantage profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises (arrêt du 21 septembre 2023, Fachverband Spielhallen et LM/Commission, C‑831/21 P, EU:C:2023:686, point 35 ainsi que jurisprudence citée), il ne saurait être exclu que ces critères puissent être examinés conjointement, dès lors qu’il ressort de l’examen opéré par la Commission, d’une part, que la mesure en cause confère un avantage économique à son bénéficiaire et, d’autre part, que cet avantage ne bénéficie pas à des entreprises placées dans une situation juridique et factuelle comparable.

296 S’agissant plus spécifiquement de mesures fiscales, l’examen de l’avantage et celui de la sélectivité se recoupent, dès lors que ces deux critères impliquent de démontrer que la mesure fiscale contestée conduit à une réduction du montant de l’impôt qui aurait normalement été dû par le bénéficiaire de la mesure si celui-ci avait été soumis au régime fiscal « normal », applicable aux autres contribuables se trouvant dans la même situation.

297 Ainsi que la Cour l’a précisé, l’examen auquel la Commission doit procéder pour constater la sélectivité d’un régime d’aides de nature fiscale coïncide, en ce qui concerne l’identification du système de référence ou du régime fiscal « normal », avec celui devant être effectué pour vérifier si la mesure litigieuse a pour effet de conférer un avantage à ses bénéficiaires (arrêt du 21 septembre 2023, Fachverband Spielhallen et LM/Commission, C‑831/21 P, EU:C:2023:686, point 41).

298 En l’occurrence, il importe de rappeler que, dans le cadre de son examen conjoint de l’avantage et de la sélectivité, la Commission a suivi l’analyse de sélectivité en trois étapes d’une mesure fiscale nationale, à savoir, tout d’abord, l’identification du système de référence approprié, ensuite, l’appréciation du point de savoir si les mesures litigieuses constituaient une dérogation à ce système et, enfin, l’appréciation du point de savoir si une telle dérogation est justifiée par la nature et l’économie dudit système.

299 Or, s’agissant, en premier lieu, de l’argumentation des requérantes selon laquelle la Commission se serait fondée à tort sur la présomption de sélectivité qui s’attache aux mesures de nature individuelle telle qu’elle été dégagée dans la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 4 juin 2015, Commission/MOL, C‑15/14 P, EU:C:2015:362, et du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489), celle-ci doit être déclarée inopérante.

300 En effet, même à supposer que les rulings fiscaux contestés mettent en œuvre l’article 25 du TCA 97, qui est une disposition bénéficiant de manière générale et abstraite à toutes les sociétés non-résidentes, et ne puissent donc être qualifiés d’« aides individuelles », force est de constater que ces rulings fiscaux ont été examinés à l’aune de la méthode d’analyse en trois étapes applicable aux régimes d’aides fiscaux telle qu’elle a été consacrée dans la jurisprudence rappelée au point 76 du présent arrêt.

301 En somme, à supposer même que la Commission n’était pas en droit d’invoquer une présomption de sélectivité dans le cas d’espèce, cette erreur ne pourrait avoir une influence sur le constat de sélectivité posé par la Commission que si cette dernière avait omis de démontrer, au terme de cette analyse en trois étapes, que les rulings fiscaux contestés avaient conduit à une réduction du montant de l’impôt normalement dû par le bénéficiaire de la mesure s’il avait été soumis au régime fiscal « normal », applicable aux autres contribuables se trouvant dans la même situation.

302 En deuxième lieu, il n’a pas été établi que la Commission ait adopté une approche biaisée dans son analyse de la sélectivité en trois étapes.

303 S’agissant, premièrement, de l’identification du système de référence, pour les motifs exposés au point 276 du présent arrêt, l’arrêt attaqué, en ce qu’il a rejeté les griefs invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE relatifs au cadre de référence tel que défini dans la décision litigieuse, est, en l’absence de pourvoi incident, revêtu de l’autorité de la chose jugée.

304 Deuxièmement, le grief selon lequel la Commission n’a pas démontré que les rulings fiscaux contestés constituent une dérogation au cadre de référence qu’elle a identifié ne saurait prospérer.

305 En effet, la Commission a démontré à suffisance que ces rulings fiscaux aboutissent à ce qu’ASI et AOE bénéficient d’un traitement fiscal favorable par rapport aux sociétés résidentes imposées en Irlande qui ne sont pas susceptibles de bénéficier de telles décisions anticipatives de l’administration fiscale, à savoir en particulier les sociétés non intégrées autonomes, les sociétés intégrées d’un groupe qui réalisent des transactions avec des tiers ou les sociétés intégrées d’un groupe qui réalisent des transactions avec des sociétés du groupe auxquelles elles sont liées en fixant le prix de ces transactions dans des conditions de pleine concurrence, alors même que ces sociétés se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable en ce qui concerne l’objectif poursuivi par le système de référence qui est d’imposer les bénéfices générés en Irlande.

306 Ainsi, les rulings fiscaux contestés, en ce qu’ils réduisent le montant annuel d’impôt qu’ASI et AOE sont tenues d’acquitter en Irlande par rapport, notamment, aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable reflète les prix déterminés sur le marché et négociés dans des conditions de pleine concurrence induisent un traitement différencié pouvant être en substance qualifié de dérogatoire et de discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54).

307 En troisième lieu, s’agissant du point de savoir si la discrimination causée par les rulings fiscaux contestés est justifiée par la nature et la logique du système d’imposition en Irlande, il est bien établi qu’une mesure portant exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée si cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de ce système fiscal. À cet égard, une distinction doit être établie entre, d’une part, les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de tels objectifs. Par conséquent, des avantages fiscaux qui résulteraient d’un objectif étranger au système d’imposition dans lequel ils s’inscrivent ne sauraient échapper aux exigences découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, points 65 à 70, ainsi que du 19 décembre 2018, ABrauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 48).

308 En l’occurrence, il convient de relever que, au terme du raisonnement exposé aux considérants 404 à 411 de la décision litigieuse, la Commission a estimé qu’aucun des arguments avancés lors de la procédure administrative, pris, en substance, de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont jouit l’Irish Revenue (Administration fiscale, Irlande), de la pratique suivie par cette administration fiscale et de l’ « efficacité du système fiscal » à laquelle les rulings fiscaux contestés sont censés contribuer, ne justifiait le traitement dont ont bénéficié ASI et AOE, ayant consisté à accorder à ces sociétés un avantage sélectif.

309 L’Irlande n’est pas parvenue à expliquer pour quels motifs les appréciations de la Commission figurant dans cette partie de la décision litigieuse seraient erronées. En particulier, l’Irlande n’indique pas en quoi le principe de territorialité, dont elle se prévaut, requiert nécessairement un traitement favorable pour les sociétés non-résidentes. Or, il incombe à l’État membre qui a introduit une différenciation entre entreprises en matière de charges fiscales de démontrer qu’elle est effectivement justifiée par la nature et l’économie du système en cause (arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 62 et jurisprudence citée).

310 En conséquence, la Commission a considéré à juste titre, dans la décision litigieuse, que la différenciation en matière de traitement fiscal des bénéfices d’ASI et d’AOE induite par les rulings fiscaux contestés n’était pas justifiée par la nature ou par l’économie du système fiscal irlandais.

311 Dans de telles conditions, il convient d’écarter les griefs avancés par les parties requérantes quant à l’examen de la sélectivité de ces rulings fiscaux dans la décision litigieuse.

B. Sur l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État

1. Argumentation des parties

312 L’Irlande fait valoir que la Commission a conclu à tort à l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Premièrement, il n’y aurait pas eu « intervention » dans la mesure où, en l’occurrence, les avis émis par l’administration fiscale irlandaise ne modifieraient pas les droits et les obligations du contribuable, mais se limiteraient à appliquer le droit fiscal national à la situation particulière de celui-ci. Deuxièmement, l’Irlande soutient que, contrairement à ce qui a été retenu par la Commission au considérant 221 de la décision litigieuse, elle n’a pas renoncé à des recettes fiscales en s’abstenant d’imposer l’ensemble des bénéfices d’ASI et d’AOE, dans la mesure où ce sont uniquement les bénéfices des succursales de ces deux sociétés qui sont soumis à l’impôt en Irlande, en vertu de l’article 25 du TCA 97.

313 La Commission, d’une part, soutient que les rulings fiscaux contestés sont imputables à l’Irlande puisqu’ils ont été adoptés par son administration fiscale, à savoir l’Irish Revenue, qui est un organe de l’État. Or, ces rulings fiscaux et l’acceptation par l’Irlande des déclarations fiscales d’ASI et d’AOE sur la base desdits rulings fiscaux ne sauraient être dissociés. D’autre part, selon la Commission, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés ont réduit les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE aux fins de l’article 25 du TCA 97, l’Irlande a renoncé à des recettes fiscales et, partant, à des ressources de l’État.

2. Appréciation de la Cour

314 Selon une jurisprudence constante, une mesure peut être qualifiée d’intervention de l’État ou d’aide accordée « au moyen de ressources d’État » si, d’une part, la mesure est accordée directement ou indirectement au moyen de ces ressources et, d’autre part, la mesure est imputable à un État membre (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

315 En premier lieu, la condition tenant à l’imputabilité de la mesure à un État membre exige d’apprécier si les autorités publiques ont été, d’une manière ou d’une autre, impliquées dans l’adoption de cette mesure (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 49).

316 En l’occurrence, la Commission a estimé, au considérant 221 de la décision litigieuse, que les rulings fiscaux contestés étaient imputables à l’Irlande puisqu’ils ont été adoptés par son administration fiscale, à savoir l’Irish Revenue, qui un organe de l’État. Elle a plus précisément relevé que ces rulings fiscaux avaient été utilisés par ASI et par AOE pour calculer le montant qu’elles devaient payer chaque année au titre de l’impôt sur les sociétés en Irlande, que l’administration fiscale irlandaise a accepté ces calculs et, sur cette base, a accepté que l’impôt payé par ces sociétés en Irlande pendant la période pertinente corresponde au montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles étaient tenues d’acquitter.

317 Par ces appréciations, la Commission a établi que les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption des rulings fiscaux contestés. Partant, l’allégation de l’Irlande selon laquelle les mesures litigieuses ne sont pas qualifiables d’interventions imputables à l’État doit être écartée.

318 En second lieu, en ce qui concerne la condition tenant à ce que l’avantage soit accordé « au moyen de ressources d’État », il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure étatique accordant à certaines entreprises un non-assujettissement à une taxe constitue une aide d’État, même si elle ne comporte pas un transfert de ressources publiques, dès lors qu’elle consiste en la renonciation des autorités concernées aux recettes fiscales qu’elles auraient pu normalement percevoir (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri, C‑169/08, EU:C:2009:709, point 57 et jurisprudence citée).

319 En effet, il n’est pas nécessaire d’établir, dans tous les cas, un transfert de ressources d’État pour que l’avantage accordé à une ou à plusieurs entreprises puisse être considéré comme une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, sont notamment considérées comme des aides les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du terme, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt du 19 mars 2013, Bouygues e.a./Commission e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, points 100 et 101).

320 En l’occurrence, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a retenu, au considérant 221 de la décision litigieuse, que l’Irlande avait renoncé à des recettes fiscales de la part d’ASI et d’AOE dans la mesure où les rulings fiscaux contestés approuvent des méthodes d’attribution des bénéfices qui aboutissent à un résultat que n’auraient pas accepté des entreprises distinctes et autonomes agissant dans des conditions de marché. Ces rulings fiscaux réduisent, en effet, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97 et, ainsi, le montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles sont tenues d’acquitter en Irlande par rapport aux autres sociétés imposées dans cet État membre dont les bénéfices imposables reflètent les prix déterminés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. De telles mesures allègent donc les charges qui grèvent, en principe, le budget d’une entreprise, au sens de la jurisprudence citée au point 319 du présent arrêt.

321 Il s’ensuit que la troisième branche du deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 doit également être écartée.

C. Sur les moyens tirés de la violation des formes substantielles, et notamment du droit d’être entendu

1. Argumentation des parties

322 L’Irlande fait valoir que la Commission a enfreint plusieurs formes substantielles, et en particulier le droit d’être entendu, dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse. La Commission n’aurait ainsi pas réellement donné l’occasion à l’Irlande de participer à un débat contradictoire.

323 Elle fait valoir, premièrement, que la portée de l’appréciation de la légalité des rulings fiscaux contestés par la Commission a changé entre l’adoption de la décision d’ouverture et l’adoption de la décision litigieuse. Tout d’abord, la Commission n’aurait pas été cohérente quant au fondement juridique de l’exigence selon laquelle l’Irish Revenue aurait dû appliquer le principe de pleine concurrence dans les rulings fiscaux contestés. Ensuite, ces deux décisions seraient incompatibles dans leur approche du système de référence. Enfin, les autorités irlandaises n’auraient pas été en mesure de faire connaître leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits ainsi que sur les éléments invoqués par la Commission à l’appui de ses conclusions.

324 Deuxièmement, l’Irlande soutient que la décision litigieuse contient des constatations factuelles qu’elle n’a jamais eu l’opportunité de commenter. Cette décision énoncerait ainsi, pour la première fois, des remarques sur les rapports d’experts présentés par les requérantes lors de la procédure administrative et des considérations relatives à des avis des autorités fiscales irlandaises sur d’autres contribuables, sur lesquelles elle n’a, en conséquence, pas pu se prononcer.

325 Troisièmement, l’Irlande affirme que des fonctionnaires de la Commission ont fait des déclarations publiques qui préjugeaient du résultat de la procédure formelle d’examen, notamment au cours de l’année 2015, soit bien avant que la décision litigieuse n’ait été adoptée.

326 Quatrièmement, la Commission n’aurait pas respecté les devoirs de diligence et d’impartialité qui pèsent sur elle, en vertu du principe de bonne administration, en ce qui concerne son analyse du droit fiscal irlandais et la prise en compte de l’ensemble des éléments pertinents. L’Irlande considère que la décision litigieuse semble avoir été influencée par des considérations non pertinentes au regard, notamment, du régime fiscal irlandais et des activités du groupe Apple. En particulier, le fait, relevé par la Commission, que la majeure partie des revenus d’ASI et d’AOE n’était imposée dans aucun État aurait trait, en réalité, aux disparités et aux inadéquations qui existent entre les régimes fiscaux irlandais et américain.

327 ASI et AOE soutiennent également, premièrement à l’appui de leur septième moyen, que la Commission a enfreint plusieurs formalités substantielles. Rappelant que le bénéficiaire allégué d’une aide d’État doit avoir été en mesure de participer de manière efficace à la procédure formelle d’examen, ces requérantes soutiennent, d’une part, que l’argumentation principale retenue en définitive par la Commission, selon laquelle les droits de PI du groupe Apple qu’elles détiennent devaient être attribués aux succursales irlandaises, n’était pas énoncée dans la décision d’ouverture et, d’autre part, que les communications informelles de la Commission n’ont pas donné à Apple Inc. l’opportunité suffisante de répondre efficacement à cette argumentation principale.

328 Deuxièmement, dans le cadre de leur douzième moyen, ASI et AOE font valoir que la Commission a violé l’obligation d’examen diligent et impartial qui lui incombe dans le domaine des aides d’État. Elles indiquent que la décision litigieuse repose sur l’appréciation erronée selon laquelle les fonctions et activités des conseils d’administration de ces sociétés étaient intégralement décrites dans les procès-verbaux de réunion, en dépit de la déclaration contraire d’Apple Inc. La Commission aurait donc dû donner l’occasion à Apple Inc. de fournir des informations complémentaires à cet égard.

329 La Commission, soutenue par la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE, conteste l’ensemble de ces allégations.

2. Appréciation de la Cour

330 Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), la Commission doit ouvrir une procédure formelle d’examen d’une aide d’État, prévoyant l’information des parties intéressées, dès lors que, au terme d’un examen préliminaire, elle éprouve des doutes sur la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur. Il en résulte que la Commission n’est pas tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de la mesure en cause dans sa décision d’ouvrir cette procédure. En revanche, il est nécessaire que la Commission définisse suffisamment le cadre de son examen afin de ne pas vider de son sens le droit des parties intéressées de présenter leurs observations.

331 En l’espèce, dans la décision d’ouverture, qui fait suite à plusieurs échanges de courriers entre les autorités irlandaises et les services de la Commission et qui invite les parties intéressées à présenter leurs observations, la Commission a exposé les raisons qui l’ont amenée à conclure, à titre préliminaire, que les rulings fiscaux contestés constituaient un octroi d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, par l’Irlande en faveur d’Apple Inc., d’ASI et d’AOE et que ces aides étaient incompatibles avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE. La Commission a, notamment, exprimé des doutes quant au fait que les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées par ces rulings fiscaux afin de déterminer le bénéfice imposable d’ASI et d’AOE en Irlande reflétaient une rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE qu’aurait acceptée un opérateur indépendant et prudent opérant dans les conditions normales d’une économie de marché.

332 Premièrement, s’agissant du grief selon lequel la Commission aurait modifié son approche entre la décision d’ouverture et la décision litigieuse, il importe de rappeler que la Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen si, après une première évaluation, la mesure examinée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

333 Conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen, cette décision peut se limiter à récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, à inclure une évaluation provisoire de la mesure en cause visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide et à exposer les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur.

334 Il s’ensuit que, dans une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la qualification de la mesure d’aide d’État ne revêt pas un caractère définitif. L’ouverture de cette procédure vise précisément à permettre à la Commission de s’entourer de tous les avis nécessaires pour qu’elle soit à même de prendre une décision définitive sur ce point.

335 Il résulte ainsi de l’article 9 du règlement 2015/1589 que, à l’issue de la procédure formelle d’examen, l’analyse de la Commission peut avoir évolué, puisqu’elle peut décider finalement que la mesure ne constitue pas une aide ou que les doutes sur sa compatibilité ont été levés (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2023, EDP España/Naturgy Energy Group et Commission, C‑693/21 P et C‑698/21 P, EU:C:2023:989, point 63). Il en découle que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen et la décision de clore cette procédure peuvent présenter certaines divergences, sans que celles-ci vicient pour autant cette dernière décision.

336 Aussi, quand bien même l’appréciation de la Commission pourrait avoir changé entre la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen et la décision de clore cette procédure, ce changement n’affecte pas nécessairement la légalité de cette dernière décision. Seule une modification de position affectant la nature des mesures en cause ou de leur qualification juridique, entraînant ainsi un changement de l’objet de la procédure formelle d’examen, est susceptible de requérir de la Commission qu’elle informe, une nouvelle fois, les parties intéressées afin que celles-ci soient mises en mesure de présenter leurs observations à ce sujet (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 71).

337 En l’occurrence, la décision d’ouverture a suffisamment défini le cadre de la procédure formelle d’examen de la Commission et a été suffisamment claire pour permettre aux requérantes de comprendre les doutes de la Commission sur la compatibilité des rulings fiscaux contestés avec le marché intérieur et pour leur donner l’opportunité de faire valoir leur position.

338 Par ailleurs, la décision d’ouverture définit de manière suffisamment claire le cadre de l’analyse de la Commission, y compris en ce qui concerne le principe de pleine concurrence. À cet égard, la Commission n’était pas tenue d’informer les parties intéressées de la manière dont son analyse a évolué au cours de la procédure formelle d’examen ni de répondre à chaque rapport qui lui était soumis, pour autant que cela ne revenait pas à modifier l’objet même de cette procédure.

339 Deuxièmement, les déclarations du personnel de la Commission évoquées par ASI et AOE, qui ne reflètent pas une position de la Commission ou de l’un de ses membres, sont dénuées de pertinence. En effet, les propos des fonctionnaires et agents de la Commission, à supposer qu’ils expriment clairement une opinion quant au résultat de la procédure formelle d’examen visant les rulings fiscaux contestés, ne sont pas de nature à démontrer que la Commission a préjugé sa décision.

340 Troisièmement, il n’a pas été établi que, ainsi que l’Irlande le soutient dans le cadre de son sixième moyen et qu’ASI et AOE le font valoir dans le cadre de leur douzième moyen, la Commission aurait enfreint le principe de bonne administration et omis de procéder à un examen diligent et impartial du dossier en ne demandant pas la communication d’éléments d’information dont il apparaît qu’ils sont de nature à confirmer, ou à infirmer, d’autres éléments d’information pertinents pour l’examen de la mesure en cause, mais dont la fiabilité ne peut être considérée comme suffisamment établie.

341 Si les requérantes avaient estimé que des éléments d’information ayant trait au régime fiscal irlandais et aux activités au sein d’ASI et d’AOE hors d’Irlande s’avéraient pertinents, elles auraient dû, conformément à la jurisprudence rappelée au point 184 du présent arrêt, les communiquer au cours de la procédure administrative. Le fait qu’elles ne les aient pas communiqués ne peut pas être imputé à un manquement de la Commission à son obligation de procéder à un examen diligent et impartial.

342 En définitive, les requérantes ont été suffisamment informées de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen concernant les rulings fiscaux contestés et du fait que cette procédure portait sur la question de savoir si les méthodes d’attribution de bénéfices approuvées par ces rulings fiscaux étaient appropriées ou si elles conféraient un avantage sélectif à ASI et à AOE. Les requérantes ont eu la possibilité de présenter toutes les observations qu’elles jugeaient pertinentes en tant que parties intéressées et ont effectivement fait usage de cette possibilité.

343 Il s’ensuit que l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ne sont pas fondées à soutenir que leurs droits procéduraux ont été méconnus et que la Commission a violé le principe de bonne administration, dès lors que celle-ci s’est correctement acquittée, dans les limites de ses moyens, de sa tâche consistant à mettre les parties intéressées en mesure de présenter utilement leurs observations lors de la procédure formelle d’examen de l’aide.

344 Doivent ainsi être rejetés le sixième moyen dans l’affaire T‑778/16 ainsi que les septième et douzième moyens dans l’affaire T‑892/16.

D. Sur les moyens tirés d’une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

1. Argumentation des parties

345 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE soutiennent, en substance, que la Commission a violé les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité en ordonnant à l’Irlande, sur la base d’une interprétation inédite de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de récupérer les aides d’État qu’elle aurait octroyées. L’Irlande soutient également, pour le même motif, que la Commission a méconnu le principe de protection de la confiance légitime.

346 Selon ASI et AOE, l’interprétation de la Commission n’aurait pas été prévisible au moment de l’adoption des rulings fiscaux contestés au cours des années 1991 et 2007, dans la mesure où la Commission ne l’avait pas énoncée dans ses communications sur les aides d’État. En outre, l’approche autorisée de l’OCDE et les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, adoptées pendant l’année 2010, sur lesquelles s’appuie la Commission dans la décision litigieuse, n’existaient pas lors de l’adoption des rulings fiscaux contestés. Dans ces conditions, la Commission n’aurait pas dû ordonner la récupération des aides sur le fondement de l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589.

347 En outre, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés constituent une application de règles d’imposition des sociétés non-résidentes, figurant désormais à l’article 25 du TCA 97, qui n’ont pas été modifiées au moins depuis l’année 1967, soit avant l’adhésion de l’Irlande à l’Union, les mesures d’aides alléguées devraient être considérées comme des aides existantes qui ne peuvent, partant, donner lieu à récupération.

348 Selon l’Irlande, la Commission a violé les principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime en lui ordonnant de récupérer, sur la base d’une interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qui n’était pas prévisible au moment de l’adoption des rulings fiscaux contestés, les aides d’État qu’elle aurait octroyées. En particulier, le recours de la Commission au principe de pleine concurrence témoignerait d’une nouvelle approche en matière d’aides d’État. En outre, la décision litigieuse violerait de manière flagrante le droit d’Apple Inc. de connaître l’étendue de ses obligations juridiques et de ne pas pâtir d’une application du droit qui n’était pas prévisible à l’époque des faits pertinents. Pour ce motif également, la Commission n’aurait donc pas dû ordonner la récupération des aides.

349 Le Grand-Duché de Luxembourg soutient, en substance, cette argumentation.

350 La Commission, soutenue par la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE, conteste le bien-fondé de ladite argumentation.

2. Appréciation de la Cour

351 Aux termes de l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire, sauf si, ce faisant, elle va à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.

352 En l’espèce, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en imposant à l’Irlande, aux termes de l’article 2 de la décision litigieuse, la récupération des aides litigieuses. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, soutenues par le Grand-Duché de Luxembourg, une telle obligation ne contrevient en effet ni au principe de sécurité juridique ni au principe de protection de la confiance légitime.

353 En premier lieu, le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100).

354 En d’autres termes, les intéressés doivent être en mesure de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’une réglementation de l’Union leur impose, de connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et de prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 49).

355 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’exigence fondamentale de sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs (arrêts du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, point 140, ainsi que du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, EU:C:2008:236, point 100).

356 Il y a lieu, toutefois, de préciser que ce principe ne peut être invoqué que lorsque la Commission a fait preuve d’une violation évidente de son obligation de diligence et d’une carence manifeste dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle. En particulier, lorsqu’une mesure d’aide a été accordée sans avoir été notifiée, le simple fait que la Commission ait tardé à ordonner la récupération de l’aide ne suffit pas, en soi, à entacher cette décision de récupération d’illégalité au titre du principe de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, EU:C:2008:236, point 106).

357 Au considérant 440 de la décision litigieuse, la Commission a expliqué que, même si les rulings fiscaux contestés ont été accordés au cours des années 1991 et 2007, ceux-ci ne lui ont jamais été notifiés. De plus, ni leur existence ni leur contenu n’étaient connus de la Commission avant le mois de mai 2013 et la publication du rapport des auditions du Permanent Subcommittee on Investigations of the United States Senate (sous-comité permanent du Sénat des États-Unis en charge des enquêtes) sur la situation fiscale mondiale du groupe Apple. La Commission a envoyé sa première demande d’information à l’Irlande le 12 juin 2013, soit un mois plus tard.

358 Or, en l’espèce, si le raisonnement suivi par la Commission s’appliquait, certes, à des rulings fiscaux, il apparaît non seulement qu’il n’était pas inédit dans la pratique décisionnelle, comme l’illustrent les décisions citées par cette institution dans ses écritures en première instance, mais que, de surcroît, il ne pouvait apparaître comme étant imprévisible au regard des principes dégagés par la jurisprudence antérieure relative aux aides d’État de nature fiscale.

359 Partant, la Commission n’a pas violé le principe de sécurité juridique en ordonnant la récupération des aides d’État.

360 En deuxième lieu, un même constat s’impose pour ce qui est du principe de protection de la confiance légitime, principe fondamental du droit de l’Union, qui permet à tout opérateur économique à l’égard duquel une institution a fait naître des espérances fondées de s’en prévaloir (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2011, ISD Polska e.a./Commission, C‑369/09 P, EU:C:2011:175, point 123 ainsi que jurisprudence citée).

361 Compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C‑445/19, EU:C:2020:952, point 42 et jurisprudence citée).

362 Par ailleurs, il n’apparaît pas que la Commission a, par son comportement, fait naître des espérances fondées quant à la régularité des rulings fiscaux contestés au regard du droit des aides d’État.

363 Dès lors, la Commission n’a pas violé le principe de protection de la confiance légitime en ordonnant la récupération des aides d’État.

364 En troisième lieu, doit être écarté l’argument des requérantes pris, en substance, de ce que la Commission aurait violé le principe de non-rétroactivité en fondant la décision litigieuse sur une approche autorisée de l’OCDE postérieure aux rulings fiscaux contestés. Ainsi que l’a indiqué la Commission au considérant 441 de la décision litigieuse, son approche se fonde sur une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui fait partie de l’ordre juridique de l’Irlande depuis son adhésion au cours de l’année 1973, et non sur une méconnaissance du cadre défini au niveau de l’OCDE. La Commission ne s’est référée à ce cadre qu’en tant qu’il offre des orientations utiles afin de déterminer si une méthode de fixation du bénéfice imposable d’une succursale produit une approximation fiable d’un résultat basé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence.

365 En quatrième et dernier lieu, ne saurait davantage prospérer l’argument selon lequel les mesures litigieuses devraient être qualifiées d’aides « existantes » au sens de l’article 1er, sous b), iv), du règlement 2015/1589 dans la mesure où l’article 25 du TCA 97 reprend des règles qui existaient avant l’adhésion de l’Irlande à l’Union. En effet, les mesures pertinentes en l’espèce consistent dans les rulings fiscaux contestés et non dans les règles d’imposition des sociétés non-résidentes applicables en vertu du droit irlandais.

366 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de rejeter le septième moyen dans l’affaire T‑778/16 et le onzième moyen dans l’affaire T‑892/16.

E. Sur les moyens tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de celle-ci dans les compétences des États membres, notamment en violation du principe d’autonomie fiscale

1. Argumentation des parties

367 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, soutenues par le Grand-Duché de Luxembourg, font valoir, en substance, que la décision litigieuse est constitutive d’une violation des principes constitutionnels fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union qui régissent la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, tels que prévus notamment aux articles 4 et 5 TUE, et du principe d’autonomie fiscale des États membres qui en découle. En effet, en l’état actuel du droit de l’Union, le domaine de l’imposition directe relèverait de la compétence des États membres.

368 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE reprochent, plus précisément, à la Commission d’avoir outrepassé ses compétences en ce qu’elle se serait fondée sur une interprétation unilatérale et erronée du droit fiscal irlandais, notamment de l’article 25 du TCA 97. En outre, elle aurait imposé des règles procédurales d’évaluation de la fiscalité nationale qui n’existent pas en droit irlandais. Par ailleurs, la Commission aurait outrepassé ses compétences en justifiant l’adoption de la décision litigieuse par la constatation selon laquelle ASI et AOE seraient des « apatrides fiscales ».

369 La Commission, soutenue par la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE, conteste ces arguments. En substance, elle rappelle que, bien que les États membres jouissent d’une souveraineté fiscale, toute mesure fiscale adoptée par un État membre doit respecter les règles du droit de l’Union relatives aux aides d’État.

2. Appréciation de la Cour

370 Conformément à la jurisprudence de la Cour, les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation dans le droit de l’Union ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État. Ainsi, les États membres doivent exercer leur compétence en matière de fiscalité directe, telle celle qu’ils détiennent en matière d’adoption des décisions fiscales anticipatives, dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des règles instituées par le traité FUE en matière d’aides d’État. Ils doivent, par conséquent, s’abstenir, dans l’exercice de cette compétence, d’adopter des mesures susceptibles de constituer des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur, au sens de l’article 107 TFUE (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 120 et 121 ainsi que jurisprudence citée).

371 Dès lors, des mesures de fiscalité directe, telles que des décisions fiscales anticipatives accordées par les États membres, peuvent être qualifiées d’aides d’État pour autant que soient réunies toutes les conditions d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE rappelées au point 74 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 119).

372 S’agissant plus spécifiquement de la condition selon laquelle la mesure en cause doit octroyer un avantage économique, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56).

373 Afin de déterminer s’il existe un avantage fiscal, il convient de comparer la situation du bénéficiaire résultant de l’application de la mesure en cause avec la situation qui serait la sienne si, en l’absence de cette mesure, les règles normales d’imposition lui avaient été appliquées (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 92).

374 En l’occurrence, il convient de relever, premièrement, que, en vertu de l’article 25 du TCA 97, les sociétés non-résidentes exerçant leur activité commerciale en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale sont imposées, en ce qui concerne leurs revenus commerciaux, uniquement sur les bénéfices tirés d’activités commerciales directement ou indirectement imputables à cette succursale irlandaise. Il convient également de relever que cette disposition ne définit aucune méthode spécifique afin de déterminer le montant des bénéfices imputables aux succursales irlandaises des sociétés non-résidentes.

375 Or, il ressort des écritures de l’Irlande ainsi que des plaidoiries des parties lors de l’audience que, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, il doit être tenu compte du cadre factuel et de la situation de la succursale en Irlande, notamment des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par cette succursale.

376 Dans ces circonstances et ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 373 du présent arrêt, afin de déterminer s’il existait un avantage en l’espèce, la Commission devait pouvoir comparer le traitement fiscal d’ASI et d’AOE résultant de l’application des rulings fiscaux contestés avec le traitement fiscal qui aurait été réservé à ces deux sociétés si, en l’absence de ces rulings fiscaux, les règles normales d’imposition en Irlande leur avaient été appliquées.

377 Partant, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir procédé à une application unilatérale des règles fiscales de fond et à une harmonisation fiscale de facto lorsqu’elle a examiné si les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande, calculés selon les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées par les rulings fiscaux contestés, correspondaient aux bénéfices qui, en l’absence de ces rulings fiscaux, auraient été imputés aux succursales irlandaises de ces deux sociétés en application de l’article 25 du TCA 97, compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par ces succursales.

378 Deuxièmement, à l’appui de son argument selon lequel la Commission aurait imposé des règles procédurales d’évaluation de la fiscalité nationale étrangères au droit irlandais, l’Irlande fait valoir que, aux considérants 262, 274, 363 et 368 de la décision litigieuse, la Commission avait soutenu que les rulings fiscaux contestés n’étaient pas fondés sur des rapports d’attribution de bénéfices, qu’ils n’avaient pas été régulièrement révisés et que, avant de procéder à l’adoption de ces rulings fiscaux, les autorités fiscales irlandaises n’avaient pas enquêté sur d’autres sociétés au sein du groupe Apple, indépendamment de leur lieu d’activité.

379 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission a conclu à l’existence d’un avantage sélectif, à titre principal, aux considérants 265 à 321 de la décision litigieuse, du fait de la non-attribution des licences de PI du groupe Apple aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, à titre subsidiaire, aux considérants 325 à 360 de cette décision, du fait du choix inadéquat des méthodes d’attribution des bénéfices à ces succursales irlandaises et, à titre alternatif, aux considérants 369 à 403 de ladite décision, du fait que les rulings fiscaux contestés auraient dérogé à l’article 25 du TCA 97, et ce de façon discrétionnaire.

380 Partant, il ne saurait être considéré que la Commission s’est appuyée sur la méconnaissance de règles de nature procédurale afin de conclure à l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce. Dans ces circonstances, les griefs de l’Irlande rappelés au point 368 du présent arrêt doivent être écartés comme étant inopérants.

381 Troisièmement, s’agissant de la qualification d’ASI et d’AOE d’« apatrides fiscales », il y a lieu de relever que, certes, notamment aux considérants 52, 276, 277 et 281 de la décision litigieuse, la Commission a effectivement retenu une telle qualification dans le cadre de son raisonnement concluant à l’absence de toute présence physique de ces deux sociétés en dehors de l’Irlande.

382 Toutefois, le fait que la Commission ait retenu cette qualification ne signifie pas qu’elle s’est fondée sur celle-ci pour conclure à l’existence d’un avantage sélectif. Au contraire, les considérants de la décision litigieuse visés au point 379 du présent arrêt démontrent que tel n’est pas le cas.

383 Dans ces circonstances, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 380 du présent arrêt, il convient d’écarter comme étant inopérants les griefs invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE tirés de ce que la Commission aurait excédé ses compétences en qualifiant ces deux sociétés d’« apatrides fiscales ».

384 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et le quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16, tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de celle-ci dans les compétences des États membres.

F. Sur les moyens tirés du défaut de motivation de la décision litigieuse

1. Argumentation des parties

385 Les requérantes soutiennent que la décision litigieuse, qui pâtît à plusieurs égards de nombreuses insuffisances de motivation, ne satisfait pas aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

386 Selon les requérantes, le raisonnement de la Commission dans la décision litigieuse n’apparaît pas de façon claire et non équivoque et ne permet donc pas au juge de l’Union d’exercer son contrôle.

387 Tout d’abord, cette décision manquerait de cohérence quant à l’identification de la règle que l’Irlande aurait enfreinte, particulièrement en ce qui concerne les sources et la portée du principe de pleine concurrence, exposées aux considérants 255 à 257 de ladite décision. Ensuite, le considérant 451 de la décision litigieuse, qui prévoit que le montant des aides à récupérer pourrait être réduit si les ventes réalisées par ASI dans la région EMEIA étaient rétroactivement comptabilisées dans d’autres pays que l’Irlande, serait contradictoire avec la conclusion de la Commission, figurant aux considérants 412 et 413 de cette décision, selon laquelle l’Irlande a adopté des rulings fiscaux qui ont réduit les bénéfices imposables d’ASI par rapport à ceux qui auraient été imposés si cette société avait été soumise aux règles de droit commun. En outre, la Commission n’aurait pas suffisamment motivé son examen visant à déterminer si les prétendues aides étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres. Enfin, la Commission se serait contredite lorsqu’elle a reconnu, aux considérants 50 et 416 de la décision litigieuse, qu’ASI et AOE étaient gérées et contrôlées depuis les États-Unis tout en ayant affirmé, au considérant 286 de cette décision, que ces sociétés étaient effectivement contrôlées depuis l’Irlande.

388 La Commission, soutenue par la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE, conteste ces allégations.

2. Appréciation de la Cour

389 Il ressort d’une jurisprudence bien établie que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 146 ainsi que jurisprudence citée).

390 En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci affectent la légalité au fond de la décision, mais non sa motivation, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés. Il s’ensuit que les griefs et les arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation (arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37 et jurisprudence citée).

391 En outre, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, EU:C:2004:438, point 73 et jurisprudence citée).

392 Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de cet article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, ainsi que du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 198 ainsi que jurisprudence citée).

393 Or, en l’espèce, outre le fait que l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont été étroitement associées à la procédure formelle d’examen, tout d’abord, force est de constater que ces dernières ont été, à la lumière de leurs écritures devant le Tribunal, en mesure de contester utilement le bien-fondé de la décision litigieuse.

394 Ensuite, la décision litigieuse ne présente pas de lacunes qui auraient fait obstacle à ce que la Cour exerce pleinement son contrôle de légalité.

395 Pour le surplus, enfin, il y a lieu de relever que les requérantes ne tendent à critiquer non pas l’absence de motivation des affirmations contenues dans la décision litigieuse, mais le bien-fondé de ces affirmations.

396 Partant, le neuvième moyen dans l’affaire T‑778/16 et le treizième moyen dans l’affaire T‑892/16 et, dès lors, l’ensemble des moyens dirigés contre le raisonnement à titre principal de la Commission doivent être écartés comme étant non fondés.

397 Par conséquent, il y a lieu de constater que le caractère sélectif de l’avantage accordé à ASI et à AOE par les rulings fiscaux contestés est établi à suffisance de droit, sur le fondement du raisonnement à titre principal de la Commission dans la décision litigieuse, si bien qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les moyens et arguments invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE en vue de contester les appréciations portées par la Commission dans le cadre de ses raisonnements à titre subsidiaire et à titre alternatif. Les recours doivent, dès lors, être rejetés.

VII. Sur les dépens

398 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

399 Selon l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

400 En l’espèce, le pourvoi de la Commission étant accueilli et les recours de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE dirigés contre la décision litigieuse étant rejetés, il y a lieu, conformément aux conclusions de la Commission, de condamner l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission à l’occasion du présent pourvoi et en première instance.

401 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

402 Le Grand-Duché de Luxembourg et la République de Pologne devront donc supporter leurs propres dépens.

403 En vertu de l’article 140, paragraphe 2, du règlement de procédure, également rendu applicable à la procédure de pourvoi par l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, l’Autorité de surveillance AELE supporte ses propres dépens lorsqu’elle est intervenue au litige.

404 Par conséquent, l’Autorité de surveillance AELE supporte ses propres dépens tant de première instance que du pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 juillet 2020, Irlande e.a./Commission (T‑778/16 et T‑892/16, EU:T:2020:338), est annulé, en tant qu’il accueille les griefs invoqués par l’Irlande dans le cadre des premier à troisième moyens dans l’affaire T‑778/16 et par Apple Sales International Ltd et Apple Operations Europe Ltd dans le cadre des premier à cinquième moyens dans l’affaire T‑892/16, qu’il annule la décision (UE) 2017/1283 de la Commission, du 30 août 2016, concernant l’aide d’État SA.38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple, et qu’il statue sur les dépens.

2) Les recours de l’Irlande ainsi que d’Apple Sales International Ltd et d’Apple Operations International Ltd sont rejetés.

3) L’Irlande ainsi qu’Apple Sales International Ltd et Apple Operations International Ltd sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne à l’occasion du présent pourvoi et en première instance.

4) Le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE supportent leurs propres dépens.