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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 4 septembre 2024, n° 23/11013

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Étude Lodel (SAS)

Défendeur :

Époux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brue

Conseillers :

Mme Ouvrel, Mme Allard

Avocats :

Me Desombre, Me Sauvage-Fakir, Me Paquis, Me Campolo

TJ Draguignan, du 3 août 2023, n° 21/082…

3 août 2023

Exposé des faits et de la procédure

En novembre 2018, Mme [Y] [B] épouse [K] et M. [G] [K] (les époux [K]) ont confié à la société par action simplifiée (SAS) Etude Lodel, agence immobilière spécialisée dans les ventes en viager, un mandat de vente de leur bien immobilier à [Localité 4] (83), en viager occupé.

Plusieurs contrats se sont succédé, modifiant les conditions de l'offre et, par contrat conclu le 7 décembre 2020, modifié par un avenant du 1er septembre 2021, le prix de vente a été fixé à 105 000 € pour le bouquet, payable comptant, et 15 600 € par an pour la rente viagère, à régler mensuellement.

Le contrat de mandat fixait la rémunération de la SAS Etude Lodel, en cas de vente, à la somme de 20 000 € à la charge de l'acquéreur.

Une clause pénale était, par ailleurs, stipulée à hauteur de 20 000 €.

Le 5 octobre 2021, Mme et M. [F], résidant aux Pays bas, ont offert d'acquérir le bien au prix demandé.

Les époux [K] ont cependant refusé de signer le compromis de vente proposé par la SAS Etude Lodel.

Après les avoir vainement mis en demeure de lui régler le montant de la clause pénale, la SARL Etude Lodel les a assignés, par acte du 8 décembre 2021, devant le tribunal judiciaire de Draguignan afin d'obtenir leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 20 000 €, sous astreinte de 200 € par jour de retard en cas de non-paiement à l'expiration d'un délai de quinzaine à compter de la signification du jugement.

Par jugement rendu le 3 août 2023, le tribunal a débouté la SAS Etude Lodel de l'ensemble de ses demandes, débouté les époux [K] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamné la SAS Etude Lodel à payer aux époux [K] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a, en substance, considéré que le refus de signature du compromis de vente ne permet pas à l'agent immobilier de percevoir sa rémunération et que les vendeurs n'ont commis aucune faute en conditionnant la vente à la stipulation d'une garantie financière supplémentaire à leur profit, de sorte que la clause pénale ne saurait bénéficier à l'agent immobilier.

Par acte du 21 août 2023, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SAS Etude Lodel a relevé appel de cette décision en ce qu'elle l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée à régler la somme de 1 500 € aux époux [K] ainsi qu'aux dépens.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 10 mai 2024.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 4 janvier 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SAS Etude Lodel demande à la cour de :

' infirmer le jugement ;

' condamner les époux [K], in solidum, à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2021, date de la première mise en demeure ;

' assortir ces condamnations d'une astreinte de 200 € par jour de retard en cas de non-paiement à l'expiration d'un délai de quinzaine à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

' condamner les époux [K], in solidum, à lui payer une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que :

- la responsabilité contractuelle des époux [K] est engagée en application des articles 1231-5 et 1217 du code civil, puisqu'ils ont refusé sans motif légitime de signer le compromis de vente, lui faisant perdre une chance sérieuse de finaliser la vente et de percevoir ses honoraires ;

- quand bien même elle n'a pas droit, formellement, à ses honoraires dès lors que la vente n'a pas lieu, elle conserve un droit à indemnisation si le mandant a commis une faute, ce qui est le cas en l'espèce puisque les époux [K] ont conditionné leur accord à l'obtention d'une garantie qui n'avait pas initialement été stipulée, alors que la vente était parfaite entre les parties dès l'accord sur la chose et le prix en application de l'article 1583 du code civil ;

- la garantie était irréalisable dès lors qu'elle portait sur le montant total des rentes restant à verser, en contradiction avec la nature d'une vente en viager occupé et une telle exigence était également abusive car le privilège de vendeur de premier rang avec réserve de l'action résolutoire est une sûreté très efficace à laquelle la nationalité néerlandaise des acquéreurs ne pouvait faire échec.

Dans leurs dernières conclusions d'intimés et d'appel incident, régulièrement notifiées le 14 février 2024, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, les époux [K] demandent à la cour de :

' confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS Etude Lodel de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à leur payer la somme de 1 500 € et aux dépens ;

' l'infirmer en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Statuant à nouveau,

' condamner la SAS Etude Lodel à leur payer 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

' débouter la SAS Etude Lodel de l'ensemble de ses demandes ;

' condamner la SAS Etude Lodel au paiement de la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Ils font valoir que :

- la SAS Etude Lodel n'est pas fondée à réclamer paiement de sa rémunération puisque la vente n'a pas été conclue en l'absence d'accord de leur part ;

- un mandat ne constitue pas une offre de vente au sens de l'article 1114 du code civil et ils conservaient la possibilité de refuser la proposition de l'agence immobilière ;

- l'agent immobilier ne peut se prévaloir de la clause pénale en l'absence d'écrit contenant l'engagement des parties et doit prouver une faute du mandant le privant indûment de sa rémunération ;

- ils se tenaient prêts à régulariser le compromis de vente et c'est l'inertie des acquéreurs et leur refus de garantir leurs intérêts, qui a empêché la réalisation de la vente, étant observé que la garantie financière a été sollicitée sur les conseils de leur notaire, qui considérait que le privilège de vendeur avec action résolutoire n'était pas suffisant, au regard de la nationalité des candidats acquéreurs, russe et ukrainienne, dans un contexte de conflit armé et de gel des avoirs russes.

Ils considèrent que l'action de la SAS Etude Lodel, qui a pour unique vocation de les impressionner, est abusive car empreinte d'une légèreté blâmable.

Motifs de la décision

Sur la clause pénale

Par contrat conclu le 7 décembre 2020, modifié par avenant du 1er septembre 2021, les époux [K] ont confié à la SAS Etudes Lodel, mandat de vendre leur bien immobilier en viager occupé, au prix de 105 000 € pour le bouquet et 15 600 € par an pour la rente viagère, outre une rémunération au profit de l'agent immobilier d'un montant de 20 000 € à la charge des acquéreurs.

Ce contrat stipule au profit de l'agent immobilier une indemnité forfaitaire équivalente au moment de ses honoraires, dans l'hypothèse où les mandants refuseraient de 'ratifier la vente avec l'acquéreur présenté par le mandataire aux prix, charges et conditions du présent mandat'.

En l'espèce, la SAS Etude Lodel a transmis aux époux [K], le 6 octobre 2021, une offre d'achat au prix demandé ainsi qu'un compromis de vente par acte sous seing privé à signer.

La vente n'a jamais été formalisée par suite d'un refus des époux [K] de signer le compromis rédigé par la SAS Etude Lodel.

Dès lors que la vente ne s'est pas réalisée, la SAS Etudes Lodel n'a pas droit, au regard des dispositions de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, à sa rémunération, ce qu'elle ne conteste pas, au demeurant.

En revanche, si la rémunération de l'agent immobilier est subordonnée à la condition que la transaction soit réalisée, ce dernier est fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice s'il démontre qu'une faute du mandant est à l'origine de l'absence de réalisation de la vente.

En conséquence, quand bien même il n'est pas débiteur de la commission, le mandant, dont le comportement fautif a fait perdre sa rémunération à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a mis son bien en vente, doit réparation à celui-ci de son préjudice.

Cependant, l'agent immobilier ne peut se contenter de revendiquer le caractère parfait de la vente au regard des dispositions de l'article 1583 du code civil, selon lequel la vente est parfaite entre les parties dès qu'on est convenu de la chose et du prix, puisqu'en l'espèce, aucun échange de consentements conforme n'a pu avoir lieu entre les époux [K] et les époux [F].

Il lui appartient, pour revendiquer le bénéfice de la clause pénale stipulée au contrat de mandat, de démontrer que les époux [K] ont refusé, sans motif légitime, de ratifier la vente avec les acquéreurs qu'elle leur a présentés.

Or, les époux [K] produisent aux débats des échanges de couriel entre leur notaire et la SAS Etude Lodel, qui font ressortir, d'une part qu'ils ont souhaité une formalisation du compromis par acte notarié, d'autre part que Me [N], notaire, s'est inquiétée des conséquences de la nationalité des futurs acquéreurs, nés, pour l'un en Ukraine, pour l'autre en Russie, ainsi que de leur lieu de résidence, aux Pays Bas, leur conseillant de prévoir, en exécution de l'engagement de paiement des rentes viagères, une garantie plus efficace que le seul privilège de vendeur avec action résolutoire.

Le refus de signer un compromis rédigé par la SAS Etude Lodel ne peut être analysé comme une faute des époux [K] qui étaient légitimes à privilégier un acte notarié, davantage protecteur de leurs intérêts. Par ailleurs, le notaire a très justement rappelé à la SAS Etude Lodel, dans un courriel du 6 septembre 2021, que, s'agissant d'acquéreurs de nationalité étrangère, l'intervention d'un interprète lui semblait nécessaire. En effet, garantir l'intégrité du consentement des acquéreurs était de nature à assurer l'efficacité de l'acte et à protéger les vendeurs contre toute action susceptible de conduire à l'annulation de la vente.

S'agissant de l'exigence d'une garantie supplémentaire, c'est M. [M], employé de la SAS Etude Lodel qui, dans un courriel adressé à Me [N], le 3 septembre 2021, a indiqué que les acquéreurs étaient de nationalité russe.

Certes, il a rectifié cette information dans un courriel du 13 septembre suivant, indiquant qu'ils étaient en réalité de nationalité néerlandaise.

Cependant, la SAS Etude Lodel ne le démontre par aucune pièce probante et, en tout état de cause, rien ne démontre que M. [F], né à [Localité 3], s'il a acquis la nationalité néerlandaise, n'a pas, à la faveur d'une double citoyenneté, conservé sa nationalité russe.

Or, depuis 2014, l'Union européenne a adopté des sanctions sectorielles et des gels d'avoirs qui justifient, a minima, la vigilance et la prudence avec lesquelles le notaire a appréhendé la situation des époux [K].

Par ailleurs, en l'état de la nationalité étrangère des acquéreurs, le notaire, garant de l'efficacité de son acte, était légitime à exiger que des dispositions particulières soient prévues afin de garantir le paiement du prix, puisqu'il ne s'agissait pas d'un prix payable en totalité au comptant, mais en partie sous forme de rente viagère payable mensuellement.

En effet, si le privilège de vendeur avec action résolutoire constitue une garantie, son efficacité reste subordonnée au succès d'une action judiciaire, dont l'issue est incertaine.

Le notaire a donc pu légitimement considérer cette seule garantie comme inappropriée au regard de l'âge des vendeurs qui, à ce jour, sont déjà âgés de 93 ans pour Mme [K] et 86 ans pour M. [K].

Il importe peu que ces garanties, dont rien ne démontre qu'elles étaient vouées à l'échec, n'aient pas été stipulées au titre des conditions de vente définies dans le contrat de mandat.

En effet, de telles conditions ne sont pas afférentes au bien vendu mais à la personne des acheteurs, de sorte qu'elles n'avaient pas vocation à être stipulées d'emblée alors que la nationalité des acheteurs n'était pas encore connue.

Au regard de ces éléments, l'exigence du notaire, qui, en sa qualité d'officier public et ministériel, a pour mission de veiller à l'efficacité des actes qu'il reçoit et d'éclairer les parties sur le contenu et les effets de leurs engagements afin qu'elles puissent y consentir en toute connaissance de cause, était légitime et l'était d'autant plus au regard du grand âge des époux [K].

Ceux-ci n'ont donc commis aucune faute en se conformant aux conseils d'un professionnel du droit, notaire avisé, juriste compétent et méfiant.

Par conséquent, c'est à juste titre que le premier juge a débouté la SAS Etude Lodel de sa demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

L'exercice du droit d'ester en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.

Le seul rejet des prétentions d'un plaideur, y compris par confirmation en appel d'une décision de première instance, ne caractérise pas automatiquement un abus du droit d'ester en justice.

Par ailleurs, l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas constitutive d'une faute, sauf s'il est démontré que le demandeur ne peut, à l'évidence, croire au succès de ses prétentions.

En l'espèce, si la SAS Etude Lodel est déboutée de ses demandes, les époux [K] ne caractérisent aucune circonstance constitutive d'un abus commis par celle-ci dans l'exercice de son droit de soumettre le litige à un tribunal.

Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sont confirmées.

La SAS Etude Lodel, qui succombe, supportera la charge des entiers dépens d'appel et n'est pas fondée à solliciter une indemnité au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant la cour.

L'équité justifie d'allouer aux époux [K] une indemnité de 3 000 € au titre des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'engager devant la cour.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 août 2023 par le tribunal judiciaire de Draguignan ;

Y ajoutant,

Déboute la SAS Etude Lodel de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant la cour ;

Condamne la SAS Etude Lodel à payer à Mme [Y] [B] épouse [K] et M. [G] [K], ensemble, une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés devant la cour ;

Condamne la SAS Etude Lodel aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats, qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.