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Décisions

CA Angers, ch. civ. A, 3 septembre 2024, n° 23/00653

ANGERS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Muller

Vice-président :

Mme Elyahyioui

Conseiller :

Mme Gandais

Avocats :

Me Boudet, Me Mariel, Me Boisnard

TJ Saumur, du 16 mars 2023, n° 21/01079

16 mars 2023

Exposé du litige

De l'union entre M. [U] [W] et son épouse Mme [B] sont issus cinq enfants : M. [N] [W] décédé en 1989 en laissant pour lui succéder deux enfants mineurs, M. [Z] [W], M. [T] [W], M. [R] [W] et Mme [M] [W].

Suite au décès de Mme [B] survenu le 5 février 1992, les opérations de compte liquidation-partage de la communauté ayant existé entre les époux et de la succession de la défunte ont été confiées à Me [X], notaire associé à [Localité 20], et soumises au contrôle du tribunal de grande instance de Saumur saisi en juillet 1994 par le mandataire à la liquidation judiciaire de M. [Z] [W].

Le 30 septembre 1994, a été conclu un acte sous seing privé relatif à des biens immobiliers dépendant de la communauté cadastrés section G n°[Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] lieudit [Adresse 16] à [Localité 19], rédigé comme suit :

'ENTRE LES SOUSSIGNES :

I - Monsieur [U] [H] [P] [W] [...]

II - Monsieur [R] [S] [W] [...]

Il est convenu ce qui suit conformément au plan annexé en jaune.

Monsieur [U] [W] consent d'ores et déjà de le vendre à [R] moyennant un prix principal de SOIXANTE MILLE FRANCS, sauf frais.

Ce qui figure en rose :

Monsieur [U] [W] consent une option d'achat et un droit de préférence à [R] avec autorisation immédiate et concomitante de l'échanger avec le propriétaire de la parcelle [Cadastre 3], à la valeur vénale au jour de la date de la réalisation de l'achat.

Fait à Vernoil, le 30 septembre 1994.'

Dans une attestation délivrée le 3 mai 1996, Me [X] a rappelé les termes de cette convention sous réserve de l'homologation de l'état liquidatif.

L'état liquidatif de partage de la communauté et de la succession dressé par Me [X] et signé par toutes les parties le 12 février 1997, qui attribue ces parcelles à M. [U] [W], a été homologué par jugement en date du 6 juin 1997.

Après avoir établi le 1er octobre 1998 un procès-verbal de difficulté relatif à l'acte du 30 septembre 1994 que M. [U] [W] considérait alors comme caduc, nul et non avenu, Me [X] est parvenu à rapprocher les parties et a reçu le 6 mai 1999 l'acte authentique de vente par M. [U] [W] à M. [R] [W] d'un immeuble d'une superficie globale de 61a 82ca correspondant aux parcelles G [Cadastre 7], [Cadastre 10] et [Cadastre 11] issues de la division respective des parcelles G [Cadastre 6], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] selon document d'arpentage du 5 janvier 1999, le surplus G [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 12] restant appartenir au vendeur.

Estimant que la promesse de vente consentie par son père le 30 septembre 1994 n'avait reçu qu'un début d'exécution, M. [R] [W] a fait assigner M. [U] [W] le 5 octobre 2021 devant le tribunal judiciaire de Saumur en exécution forcée sous astreinte de la vente du reste des parcelles G [Cadastre 5] et [Cadastre 6], devenu les parcelles G [Cadastre 13] et [Cadastre 14].

M. [U] [W] a conclu à la nullité et la caducité de la promesse unilatérale de vente, subsidiairement à l'absence de rencontre des volontés et en tout état de cause au rejet des demandes.

Par jugement en date du 16 mars 2023, le tribunal a, au visa des articles 1134 ancien, 1124 et 1589-2 du code civil :

- débouté M. [W] (sic) de ses demandes de nullité et de caducité de la promesse unilatérale de vente,

- constaté que M. [U] [W] a manqué à son engagement contractuel,

- condamné M. [U] [W] à exécuter les ventes consenties à son fils [R] [W] correspondant aux parcelles [Cadastre 13] et [Cadastre 14] ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement,

- débouté les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] [W] au paiement des entiers dépens,

- écarté le principe de l'exécution provisoire de plein droit.

Pour statuer ainsi, il a considéré que :

- l'acte sous seing privé du 30 septembre 1994, que les parties s'accordent à qualifier de promesse unilatérale de vente, n'a pas été enregistré dans les dix jours à compter de l'acceptation du bénéficiaire comme l'exige, à peine de nullité de l'acte, l'article 1589-2 du code civil qui a remplacé depuis l'ordonnance du 7 décembre 2005 l'ancien article 1840 A du code général des impôts, mais ses termes ayant été réitérés dans l'attestation notariée du 3 mai 1996 qui, dans la mesure où elle émane d'un officier public et ministériel, participe des actes authentiques et n'avait donc pas à répondre au formalisme légal de l'enregistrement, il n'y a pas lieu de juger nulle cette promesse,

- aucun délai d'option n'ayant été prévu par les parties dans l'acte sous seing privé de 1994 et l'attestation notariée de 1996 subordonnant implicitement la levée de l'option à l'homologation par le juge de l'état liquidatif de partage de la communauté [W]-[B] et de la succession de Mme [B], laquelle est intervenue suivant jugement du 6 juin 1997, la caducité qui est susceptible de frapper la promesse de vente sans que le bénéficiaire n'ait levé l'option avant l'expiration de ce délai ne peut recevoir application en l'expèce, faute de stipulation de délai à cette fin,

- l'accord évoqué par le notaire dans l'acte notarié du 6 mai 1999, dont la teneur n'est au demeurant pas expressément fournie, traduit moins une prétendue renonciation qu'un argument employé afin de justifier du droit au paiement d'un émolument par l'officer public ; en outre, il résulte de l'attestation notariée de 1996 que le promettant s'est immédiatement engagé envers le bénéficiaire à lui céder un immeuble déterminé ; le bénéficiaire, pour sa part, a accepté cette promesse et exprimé, à plusieurs reprises, sa volonté de lever l'option mais le contrat définitif n'a pu être conclu du fait de l'inertie du promettant qui, n'ayant pas explicitement mis le bénéficiaire en demeure d'opter dans un délai déterminé et raisonnable et ne pouvant établir l'intention de ce dernier de renoncer au bénéfice de la promesse avant la levée de l'option, ne peut être dégagé de son obligation d'exécuter la promesse, c'est-à-dire de vendre le bien considéré ; dans ces conditions, il apparaît que la rencontre des volontés réciproques est intervenue, que M. [U] [W] a manqué à l'engagement contractuel irrévocable qu'il avait pris et que son fils est en droit d'obtenir la réalisation forcée de la vente.

Suivant déclaration en date du 21 avril 2023, M. [U] [W] a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions, listées dans l'acte d'appel, intimant M. [R] [W].

Il a déposé ses premières conclusions d'appelant au greffe le 27 juillet 2023 en les notifiant simultanément au conseil déjà constitué pour l'intimé qui avait conclu le même jour.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2024 conformément à l'avis de clôture et de fixation adressé par le greffe aux parties le 24 octobre 2023 en application de l'article 905 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives en date du 25 janvier 2024, M. [U] [W] demande à la cour, au visa de l'article 1840 A ancien du code général des impôts, rejetant toutes conclusions contraires, de :

- à titre principal, infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saumur du 16 mars 2023 et, statuant de nouveau, dire et juger que l'acte sous seing privé conclu le 30 septembre 1994 entre M. [R] [W] et lui est nul et qu'il est caduc,

- à titre subsidiaire, dire et juger qu'aucune rencontre des volontés n'a eu lieu entre les parties,

- en tout état de cause, débouter M. [R] [W] de l'intégralité de ses demandes et dire que chacune des parties conservera ses propres frais et dépens.

Dans ses dernières conclusions n°2 en date du 26 janvier 2024, M. [R] [W] demande à la cour, au visa des articles 1589, 1147 et 1134 ancien du code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saumur du 16 mars 2023 en l'ensemble de ses dispositions,

- y ajoutant, condamner M. [U] [W] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.

Sur ce,

Sur la nullité de la promesse unilatérale de vente

L'article 1840 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en la cause avant son abrogation à effet du 1er janvier 2006 par l'ordonnance n°2005-1512 du 7 décembre 2005 qui l'a transféré sous le nouvel article 1589-2 du code civil, dispose que, sans préjudice, le cas échéant, de l'application des dispositions de l'article 1741, est nulle et de nul effet toute promesse unilatérale de vente afférente à un immeuble, à un droit immobilier, à un fonds de commerce, à un droit à un bail portant sur tout ou partie d'un immeuble ou aux titres des sociétés visées aux articles 728 et 1655 ter, si elle n'est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous seings privés enregistré dans le délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire et qu'il en est de même de toute cession portant sur lesdites promesses qui n'a pas fait l'objet d'un acte authentique ou d'un acte sous seings privés enregistré dans les dix jours de sa date.

Ce texte édicte une nullité absolue, d'ordre public, qui ne peut être couverte par la renonciation, même expresse, des parties.

Moyens des parties

L'appelant soutient que la promesse unilatérale de vente consentie dans l'acte sous seing privé du 30 septembre 1994 soumis au formalisme d'ordre public énoncé à l'article 1840 A du code général des impôts est nulle faute d'avoir été enregistrée dans les 10 jours de son acceptation par le bénéficiaire, que l'attestation notariée du 3 mai 1996 ne saurait constituer l'acte authentique visé à ce texte contrairement à ce qu'a retenu le premier juge car elle ne fait que reprendre les termes de la promesse, ne peut en rien être assimilée à un acte authentique et n'a fait l'objet d'aucun dépôt justifié au rang des minutes de Me [X], qu'elle ne constitue pas davantage une nouvelle promesse unilatérale de vente faute d'avoir été signée par les parties, que le procès-verbal de difficulté du 1er octobre 1998 que Me [X] a été requis de publier afin de rendre opposable aux tiers l'acte sous seing privé du 30 septembre 1994 rappelle que cette opposabilité est subordonnée à la publication dans les 3 ans d'un acte authentique ou d'une décision judiciaire constatant la réitération de la vente, publication qui n'a pas été réalisée dans le délai imparti, et qu'à suivre le raisonnement du premier juge sur l'absence de nécessité d'une publication, on comprend mal pourquoi le notaire a publié l'attestation de propriété immobilière du 8 août 1997.

L'intimé soutient que l'article 1840 A du code général des impôts aménage une exception à l'obligation d'enregistrement dans l'hypothèse où la promesse unilatérale de vente a été constatée par acte authentique, ce qui est le cas en l'espèce puisque l'acte sous seing privé du 30 septembre 1994 a été intégralement repris le 3 mai 1996 par Me [X] dans une attestation notariée qui lui confère valeur d'acte authentique, d'autant qu'elle a été délivrée 'pour servir et valoir ce que de droit'.

Réponse de la cour

Il est constant que l'acte sous seing privé du 30 septembre 1994 constate une promesse unilatérale de vente d'immeuble consentie par M. [U] [W], promettant, à M. [R] [W], bénéficiaire, et qu'il n'a pas été enregistré dans les dix jours de sa signature par ce dernier manifestant son acceptation de cette promesse.

L'attestation établie le 3 mai 1996 par Me [X] est ainsi rédigée :

'Je soussigné Maître [E] [X], Notaire associé, membre de la SCP [A] [Y] et [E] [X] Notaires associés, titulaire d'un office Notarial sis [Adresse 17] à [Localité 20],

ATTESTE QUE :

Il a été convenu entre :

Monsieur [U] [H] [P] [W] [...]

et

Monsieur [R] [S] [W] [...]

ce qui suit :

1°) VENTE par Monsieur [U] [W] à Monsieur [R] [W] pour 60.000,00 F (soixante mille francs) sauf frais

Commune de [Localité 19]

Un immeuble sis commune de [Localité 19] cadastré section G figurant en jaune sur le plan ci-joint

2°) OPTION D'ACHAT et droit de préférence par Monsieur [U] [W] au profit de Monsieur [R] [W] avec autorisation immédiate et concomitante de l'échanger avec le propriétaire de la parcelle cadastrée G numéro [Cadastre 3], à la valeur vénale au jour de la date de la réalisation de l'achat (figurant en rose sur le plan)

Le tout sous réserve de l'homologation par le juge de la liquidation partage des communauté et succession reçue par moi.

En foi de quoi j'ai délivré la présente attestation pour servir et valoir ce que de droit.'

Le seul fait que cette attestation émane d'un notaire ne suffit pas, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, à la qualifier d'acte authentique au sens de l'article 1317 ancien (devenu 1369) du code civil dès lors qu'elle se contente de rappeler en substance le contenu d'un acte sous seing privé qui n'a pas été reçu par cet officier public ni déposé entre ses mains pour être versé au rang de ses minutes et qu'elle n'est pas signée par les parties.

Si, à l'inverse de cette attestation, le procès-verbal de difficulté dressé le 1er octobre 1998 par le même notaire reproduit littéralement l'acte sous seing privé du 30 septembre 1994 et a été publié au bureau des hypothèques de [Localité 18] en application de l'article 37 alinéa 2, 2°, du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, ce procès-verbal notarié constatant le refus du promettant de procéder à la réalisation de la vente en exécution de la promesse unilatérale qu'il tenait pour caduque, nulle et non avenue ne saurait être assimilé, ce qui n'est d'ailleurs pas soutenu, à un acte authentique constatant la promesse unilatérale de vente, qui aurait pu être publié en application de l'article 37 alinéa 1er, 1°, du décret susvisé.

Dès lors, la promesse unilatérale de vente du 30 septembre 1994 ne peut qu'être jugée nulle et de nul effet en vertu de l'article 1840 A du code général des impôts et son bénéficiaire débouté de sa demande de réalisation forcée sous astreinte de la vente, le jugement étant infirmé à cet égard.

Sur les demandes annexes

Partie perdante, l'intimé ne saurait bénéficier de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a pu exposer et, bien que concluant à l'infirmation de l'entier jugement, l'appelant ne présente lui-même aucune demande au même titre, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes formées en application de ce texte.

Comme demandé par l'appelant, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris excepté en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Juge nulle et de nul effet la promesse unilatérale de vente consentie par M. [U] [W] à M. [R] [W] par acte sous seing privé en date du 30 septembre 1994 ;

Déboute M. [R] [W] de sa demande de réalisation forcée sous astreinte de la vente des parcelles cadastrées section G n°[Cadastre 13] et [Cadastre 14] lieudit [Adresse 16] à [Localité 19] ;

Le déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Laisse à la charge de chaque partie ses propres dépens de première instance et d'appel.