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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 septembre 2024, n° 21/19676

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eggers & Franke GmbH (Sté)

Défendeur :

Cordier by Invivo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseiller :

M. Richaud

Avocats :

Me Lechler, Me Boccon Gibod, Me Michel

T. com. Marseille, du 29 sept. 2021, n° …

29 septembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

Le 16 septembre 2005, la société de droit allemand Eggers & Franke, qui a pour activité la distribution de vins et de spiritueux en Allemagne, et la société Vignerons de la Méditerrané qui produisait et commercialisait des vins, en particulier la « Cuvée Mythique », ont conclu un contrat de distribution pour une durée de trois ans, renouvelable tacitement chaque année par la suite., confiant à la première la distribution exclusive en Allemagne des produits de la société Vignerons de la Méditerranée sous la marque « Cuvée Mythique ».

Ce contrat a fait l'objet d'un avenant le 20 mars 2009.

Par courriel du 9 mars 2018, M. [Z], directeur général de la société Eggers & Franke, a fait savoir à la société Vignerons de la Méditerranée que « [J] [Y] a pris la décision de vendre 100% des parts du capital de la société Eggers & Franke Holding à la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien GmbH (RMSK).

Par une lettre datée du 3 septembre 2018, la société Vignerons de la Méditerranée a informé la société Eggers & Franke de sa volonté de résilier le contrat conclu entre elles avec un préavis de trois mois, en application de l'article 11.2 alinéa 2 point 3 dudit contrat, avec effet au 3 décembre 2018.

Par lettre du 5 novembre 2018, réitérée le 20 novembre, la société Eggers & Franke a mis en demeure la société Vignerons de la Méditerranée de la dédommager du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales et du préavis insuffisant pour rechercher un fournisseur équivalent.

Par lettre du 10 décembre 2018 de son conseil, la société Vignerons de la Méditerranée a répondu que la cession des parts sociales de la société mère d'Eggers & Franke justifiait la décision de rupture du contrat de distribution et le délai de préavis de 3 mois.

Par lettre du 22 janvier 2019, le conseil de la société Eggers & Franke a maintenu que la rupture était brutale et que le changement d'actionnariat n'était qu'un prétexte pour prononcer la résiliation du contrat, la rupture étant intervenue plusieurs semaines après le changement d'actionnariat et ce changement n'affectant en rien leur coopération.

C'est dans ces conditions que, par acte du 24 juin 2019, la société Eggers & Franke a assigné la société Vignerons de la Méditerranée devant le tribunal de commerce de Marseille à l'effet d'obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 29 septembre 2021, ce tribunal a :

- Débouté la société Eggers & Franke de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Débouté la société Vignerons de la Méditerranée SAS de sa demande reconventionnelle ;

- Condamné la société Eggers & Franke à payer à la société Vignerons de la Méditerranée SAS la somme de 1000 € (mille euros) au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure ;

- Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, laissé à la charge de la société Eggers & Franke les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction seront liquidés à la somme de 74,18 euros (soixante-quatorze euros et dix-huit centimes TTC) ;

- Conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

La société Eggers & Franke a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 12 novembre 2021.

Par des dernières conclusions déposées et notifiées le 18 mars 2024, la société Eggers & Franke prie la Cour de :

Vu l'article L.442-6 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le rapport d'expertise financier de MM. [L] (prorevise),

Déclarer recevable et bien fondé son appel dirigé contre le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 29 septembre 2021 ;

Constater que la société Cordier By InVivo vient aux droits de la société Vignerons de la Méditerranée ;

Constater que la société Vignerons de la Méditerranée a rompu brutalement la relation commerciale établie avec elle, au sens de l'article L.442-6 I, 5° du code de commerce ;

Constater que le préavis nécessaire qui aurait dû être respecté par la société Vignerons de la Méditerranée était au moins de 27 mois ;

Constater que le changement d'actionnaire au sein de la société holding d'Eggers & Franke n'a entraîné aucune modification dans la distribution de la « Cuvée Mythique » ;

Réformer partiellement le jugement dont appel ;

Et en conséquence,

Condamner la société Cordier By InVivo venant aux droits de la société Vignerons de la Méditerranée à lui verser la somme de 576 100 euros à titre de dommages et intérêts compensant sa perte de marge brute sur la durée du préavis nécessaire qui aurait dû lui être accordé ;

Constater que la société Cordier by InVivo ne prouve pas l'impossibilité de la commercialisation des bouteilles de la « Cuvée Mythique » initialement destinées à la société Eggers & Franke ;

Débouter la société Cordier by InVivo de son appel incident ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à la société Cordier by InVivo la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

Et, en tout état de cause,

Condamner la société Cordier by InVivo à lui verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Lechler.

Par des dernières conclusions déposées et notifiées le 19 septembre 2022, la société Cordier By InVivo venant aux droits de la société Vignerons de la Méditerranée, demande à la Cour de :

Vu les articles 1134 ancien et 1147 ancien code civil,

Vu l'article L.442-6, I 5° ancien du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les textes et jurisprudences citées,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 29 septembre 2021

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* Débouté la société Eggers & Franke de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

* Laissé à la charge de la société Eggers & Franke les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction liquidés à la somme de 74,18 euros (soixante-quatorze euros et dix-huit centimes) ;

* Ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* Condamné la société Eggers & Franke à payer à la société Vignerons de la Méditerranée SAS la somme de 1000 euros (mille euros) au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure ;

* Débouté la société Vignerons de la Méditerranée SAS de sa demande reconventionnelle ;

* Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement mais seulement en ce qu'il n'a pas été fait droit aux demandes de la société Vignerons de la Méditerranée SAS ;

Statuant à nouveau et y ajoutant

Condamner la société Eggers & Franke à payer à la société Cordier By InVivo, venant aux droits de la société Vignerons de la Méditerranée, la somme de 73 330,80 € au titre de l'annulation des commandes passées pendant le préavis faisant suite à la résiliation, le 3 septembre 2018, du contrat de distribution exclusive du 16 septembre 2005 ;

Condamner la société Eggers & Franke à payer la société Cordier By InVivo, venant aux droits de la société Vignerons de la Méditerranée, la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'exécution, concernant la première instance et l'instance d'appel ;

Au surplus, dans l'hypothèse où la cour devrait infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Eggers & Franke de ses demandes, et y faire droit en tout ou partie ;

Désigner tel expert qui lui plaira inscrit dans le ressort de la cour d'appel de Pairs spécialisé dans le domaine de la comptabilité d'entreprise, avec pour mission de :

* Convoquer et entendre les parties, assistées le cas échéant de leurs conseils ;

* Se faire communiquer, notamment par les parties, tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, entendre tout sachant à charge de reproduire leurs dires et leur identité, s'entourer de tous renseignements à charge d'en indiquer la source, établir et communiquer aux parties ainsi qu'au juge chargé du suivi de l'expertise une note après chaque réunion ;

* Se rendre dans les locaux de la société Eggers & Franke, situés à [Localité 3] (Allemagne) ;

* Prendre connaissance de l'ensemble des documents administratifs et comptables afférents à la relation commerciale entre la société Eggers & Franke et la société Vignerons de la Méditerranée du 16 septembre 2005 au 3 décembre 2018 (en ce compris, sans que cette liste soit exhaustive, comptes annuels détaillés, grands livres des comptes clients détaillés et grands livres des comptes fournisseurs détaillés, bons de commandes, accusés de réception de commandes, bons de livraisons, accusés de réception de livraisons, factures, etc.) ;

* Procéder à une analyse technique desdits éléments administratifs et comptables ;

* Déterminer si la société Eggers & Franke a subi un préjudice financier en raison de la résiliation du contrat de distribution exclusive régularisé avec la société Vignerons de la Méditerranée le 16 septembre 2005 ;

* Le cas échéant, chiffrer le montant du préjudice financier subi par la société Eggers & Franke en raison de la résiliation du contrat de distribution exclusive régularisé avec la société Vignerons de la Méditerranée le 16 septembre 2005 ;

* Plus généralement, donner tous les éléments permettant d'apprécier les imputabilités ou responsabilités ;

* Rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties ;

Dire que les frais d'expertise seront avancés par la société Eggers & Franke ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.

MOTIVATION

Sur la rupture brutale de relations commerciales établies

Eggers & Franke soutient que :

- la relation commerciale entre les parties remontait au moins à 1993, dès lors que Vignerons de la Méditerranée a livré ses vins à Eggers & Franke, au plus tard depuis l'année 1993, ainsi que l'atteste les bons de commande, de sorte que la durée de la relation commerciale entre les parties est d'au moins 25 ans ;

- le préavis contractuel de 3 mois est insuffisant au regard de la durée et de la spécificité de la relation commerciale liant les parties ;

- la rupture sans préavis suffisant des contrats comprenant une clause d'intuitu personae n'est valide qu'en raison de l'importance, dans certaines relations commerciales, de la personnalité des dirigeants ou actionnaires d'une personne morale ainsi que de leur objectifs et méthodes pour le partenaire commercial, alors qu'en l'espèce, le changement d'actionnariat dans la société mère de Eggers & Franke n'a entraîné aucune modification des conditions de distribution des produits ;

- la cession de sa société-mère n'a eu aucun impact sur la composition de l'équipe dirigeante de la société, ni sur son indépendance commerciale au sein du groupe, comme le démontre le chiffre d'affaires réalisé en 2018 sur la commercialisation de la « Cuvée Mythique » ;

- l'invocation de la clause de résiliation unilatérale fondée sur l'intuitu personae du contrat relève de l'abus de droit, faute par la société Vignerons de la Méditerranée de justifier de l'impact de la modification capitalistique de la société sur leurs relations commerciales puisque c'est l'actionnariat de sa société-mère qui a changé du fait du rachat de ses actions par Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien et non la société elle-même ;

- la société Vignerons de la Méditerranée a été informée spécialement et personnellement par M. [Z], directeur général d'Eggers & Franke, de la cession de 100% des parts sociales de la société mère d'Eggers & Franke à la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien, avant même la publication du communiqué de presse annonçant cette acquisition, et a attendu six mois après cette annonce pour résilier le contrat sans formuler le moindre reproche lié à ce transfert du capital de la société-mère d'Eggers & Franke ;

- la situation de concurrence directe entre la société Vignerons de la Méditerranée et la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien n'est corroborée par aucune pièce, ce d'autant plus que le nouveau distributeur Mack und Schühle commercialise de très nombreux vins du sud de la France, et plus précisément de la même région dont est issue la « Cuvée Mythique », ce qui n'a pas empêché la société Vignerons de la Méditerranée de s'engager dans un partenariat avec elle ;

- la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien a une activité principale dans le secteur des vins mousseux et le champagne ; la commercialisation de vins n'en fait pas pour autant un concurrent direct qui justifierait l'application de la clause du contrat de distribution limitant à trois mois la durée du préavis, et aucun des produits commercialisés par cette société ne concurrence la « Cuvée Mythique » ;

- M. [Z] n'a cessé ses fonctions au sein d'Eggers & Franke qu'en juin 2020, soit 21 mois après la résiliation du contrat de distribution par Vignerons de la Méditerranée en septembre 2018, de sorte que ce départ de M. [Z], totalement imprévisible pour la société Vignerons de la Méditerranée, ne pouvait donc pas constituer un motif.de rupture ;

- elle n'était tenue d'aucune obligation d'information à l'égard de la société Vignerons de la Méditerranée avant la finalisation du changement d'actionnaire au sein de sa société mère ;

- l'invocation de la clause d'intuitu personae étant abusive, le préavis de trois mois prévu est par conséquent insuffisant et la rupture de la relation par la société Vignerons de la Méditerranée est brutale ;

- en tout état de cause, le respect d'un préavis de trois mois ne prive pas la rupture de son caractère brutal, dès lors qu'une stipulation contractuelle ne dispense pas le juge de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances ;

- elle a investi d'importantes sommes au cours des 25 ans de relation, dans des campagnes de communication et trouver un autre fournisseur dans le domaine concerné est extrêmement difficile, voire impossible, en raison de la spécificité des produits commercialisés ;

- la Cuvée Mythique, objet du contrat de distribution signé en 2005 jouit en Allemagne d'une excellente renommée auprès des consommateurs locaux grâce au travail de longue haleine qu'elle a effectué, outre que cette cuvée est reconnue publiquement pour ses qualités intrinsèques par le Guide Parker en 1994 et qu'elle bénéficie d'un l'étiquetage très distinctif (chouette stylisée sur un fond de couleur chaude), très apprécié par les consommateurs allemands ;

- un préavis 27 mois au total aurait dû lui être accordé pour tenir compte de l'extrême difficulté de substituer un nouveau produit à celui qu'elle distribuait en Allemagne et de la durée des relations de plus de 25 ans.

La société Cordier By Vino (anciennement Vignerons de la Méditerranée) rétorque que :

- l'unique téléfax daté du 3 décembre 1993 qui s'apparente à un bon de commande de la société Eggers & Franke adressé à la société Vignerons de la Méditerranée mentionnant « quantité, prix et conditions habituels » concerne des bouteilles « Vins de Pays d'Oc » et non des bouteilles de vins de la « Cuvée Mythique » qui faisaient l'objet de la relation entre les parties, et ne démontre en tout état de cause qu'une relation ponctuelle et non suivie en 1993 ;

- la durée de la relation commerciale à prendre compte n'est ainsi pas de 25 ans mais de 13 ans, à compter de la signature du contrat en 2005 ;

- outre le cas de la faute grave de la partie évincée, la Cour de cassation admet que les stipulations convenues entre les parties puissent faire échec à l'obligation de respecter un préavis suffisant en cas de rupture d'une relation établie, notamment lorsque le contrat a été conclu intuitu personae (29 janvier 2013, n° 11-23.676).comme c'est le cas en l'espèce ;

- la relation commerciale unissant les parties était une relation intuitu personae reposant sur la confiance et la proximité existant entre les dirigeants et actionnaires des deux sociétés, comme le stipulait l'article 9 du contrat, lequel a été signé par elle en considération de la personne du distributeur, en particulier de sa renommée sur le marché des vins et spiritueux en Allemagne, de l'actionnaire unique de la société Eggers & Franke, via sa société-mère Eggers & Franke Holding, de M. [Y], du directeur général d'Eggers & Franke, de M. [Z] qui a exercé ses fonctions pendant près de 17 ans avec une grande compétence ;

- la société Eggers & Franke n'a jamais jugé utile de l'informer des discussions existant entre M. [Y] et la société MUMM ni, a fortiori, de solliciter son accord pour transférer le contrat de distribution comme l'imposait les termes de l'article 9 alinéa 2 du contrat, ayant appris le 9 mars 2018 que 100% du capital de la société Eggers & Franke Holding allait être cédé par M. [Y], actionnaire unique, à la société MUMM, son concurrent direct sur le marché allemand puisque ce groupe est un producteur de vins tranquilles, effervescents et spiritueux, et commercialise des vins français ;

- à l'inverse, Mack und Schuhle est distributeur de vins en Allemagne et non producteur, comme Eggers & Franke ;

- le communiqué de presse du 8 mai 2018 précisait en particulier, s'agissant de M. [Z], que « Les membres de l'équipe de direction d'Eggers & Franke, [I] [Z], [S] [C], [V] [R] et [D] [E] arrivent chez Eggers & Franke Holding en tant que dirigeants. »

- compte tenu de ces profondes modifications des relations entre les parties, elle a fait application des stipulations contractuelles en respectant un préavis de 3 mois, de sorte que la résiliation n'est pas brutale,

- l'article 11.2 du contrat prévoyait la résiliation de plein droit en cas de changement d'actionnariat de la société Eggers & Franke, ce qui a manifestement été le cas par la cession de 100% du capital de la société mère de Eggers & Franke ;

- le fait qu'elle ait prononcé la résiliation le 3 septembre 2018 alors qu'elle a été informée du changement d'actionnariat 6 mois avant, ne caractérise aucune mauvaise foi de sa part ;

- même si M. [Z] est resté directeur général de la société Eggers & Franke, son rôle opérationnel n'était en réalité plus du tout le même puisqu'il est également devenu dirigeant de la société Eggers & Franke Holding, de sorte que la composition de l'équipe dirigeante de la société Eggers & Franke a bien été modifiée à la suite de ce changement de l'actionnariat, ce qui a affecté la relation commerciale entre les parties ;

- elle était ainsi parfaitement fondée à prononcer la résiliation du contrat de distribution du 16 septembre 2005 avec un préavis de 3 mois et la rupture n'était pas brutale ;

- les vins de la « Cuvée Mythique » sont avant tout des vins français blanc, rouge ou rosé comme des milliers de producteurs en produisent chaque jour en France, producteurs auxquels Eggers & Franke pouvait faire appel pour la remplacer ;

- la société Eggers & Franke, qui n'était pas en état de dépendance économique vis-à-vis d'elle.

Réponse de la Cour

L'article 9 du contrat de distribution faisant la loi des parties, dispose :

« Le présent contrat est expressément conclu en considération de la personne du Distributeur et de la composition majoritaire de son actionnariat, quelle que soit la forme de l'entreprise.

Il ne pourra donc être cédé à aucun tiers, personne physique ou morale, sans l'accord écrit et préalable du Fournisseur. »

L'article 11.2 « Inexécution d'obligation » prévoit en son alinéa 2 :

« Par ailleurs, le Fournisseur pourra, de plein droit et sans mise en demeure préalable, résilier le présent contrat par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception prenant effet trois mois après réception, dans les cas suivants qui constituent la violation d'obligations essentielles : ['] : En cas de modification de la majorité de son actionnariat ; ['] »

En l'espèce, 100% des parts sociales de la holding du groupe Eggers et Franke ont été vendues à la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien qui est un concurrent direct de la société Vignerons de la Méditerranée en ce qu'il commercialise des vins français en Allemagne et non seulement un distributeur et comme l'était la société Eggers et Franke.

Alors que la modification de la composition majoritaire de l'actionnariat devait donner lieu à un accord écrit et préalable de la société Vignerons de la Méditerranée, la société Eggers et Franke s'est bornée à informer celle-ci du changement intervenu.

Par conséquent, c'est à bon droit que la société Vignerons de la Méditerranée a résilié de plein droit le contrat de distribution liant les parties en application de l'article 11.2. alinéa 2, peu important à cet égard qu'elle ait attendu six mois pour le faire.

S'agissant d'une clause de résiliation d'un contrat conclu intuitu personae, et la société Vignerons de la Méditerranée ayant respecté le préavis contractuel de 3 mois, la société Eggers et Franke est mal fondée à se prévaloir d'une rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L 442-6, I, 5° ancien du code de commerce.

Le jugement qui a débouté la société allemande de sa demande sur ce fondement, est confirmé.

Sur la demande reconventionnelle

Cordier By InVivo sollicite la réparation du préjudice subi à la suite de l'annulation par la société Eggers et Franke de ses 3 dernières commandes, soit la somme totale de 73 338,80 €

Elle soutient que son préjudice est très important puisque ces bouteilles avaient été, dès la commande, empaquetées et étiquetées avec le logo de la société Eggers & Franke de sorte qu'elles sont, depuis cette date, totalement inutilisables et invendables.

Eggers & Franke rétorque que la société Vignerons de la Méditerranée ne peut se prévaloir d'un préjudice du fait de la rupture dont elle est à l'initiative, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Elle ajoute que :

- la société Vignerons de la Méditerranée ne prouve pas que le logo d'Eggers & Franke ait figuré sur les bouteilles concernées par sa demande, et que, s'agissant des cartons il était parfaitement possible d'y apposer, sans le moindre coût une autre étiquette remplaçant ou recouvrant le logo Eggers & Franke ;

- il n'est pas justifié de la destruction des bouteilles pour prouver l'impossibilité de les vendre,

- lors de l'annulation de la commande, la société Vignerons de la Méditerranée n'a aélevé aucune contestation ni fait part de difficultés en découlant,

Réponse de la Cour

La société Vignerons de la Méditerranée ne justifie pas du préjudice que lui aurait causé l'annulation des trois commandes passées auprès d'elle par la société Eggers & Franke postérieurement à la résiliation du contrat.

En effet, si elle prétend que les bouteilles concernées ont été dès la commande empaquetées et étiquetées avec le logo Eggers & Franke, elle n'en justifie pas, la seule production à cet égard d'une photo d'un carton étiqueté avec le logo Eggers & Franke (sa pièce 12) est à cet égard insuffisant, une autre étiquette pouvant être apposée sans frais sur l'étiquette existante.

Ne démontrant pas que les bouteilles commandées sont invendables, elle n'établit pas l'existence d'un préjudice au soutien de sa demande reconventionnelle.

Il sera observé de surcroît que le contrat qui liait les parties prévoyait à la fin du contrat la faculté pour le fournisseur de reprendre le stock restant de produits au prix facturé lors de leur achat par le distributeur, ce qui démontre que la reprise était envisageable.

Le jugement qui a débouté la société Vignerons de la Méditerranée de sa demande est confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Eggers & Franke qui succombe en son appel est condamnée aux dépens et à verser à la société Cordier By InVivo la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée à ce titre par le premier juge.

Elle est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

Condamne la société Eggers & Franke GmbH aux dépens d'appel et à payer la somme de 3 000 € à la société Cordier By InVivo sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.