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Décisions

CA Riom, ch. com., 4 septembre 2024, n° 23/00898

RIOM

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sef (SAS)

Défendeur :

Equivalor (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Theuil-Dif, Mme Berger

Avocats :

Me Roesch, Me Rahon, Me Sigler

T. com. Clermont-Ferrand, du 4 mai 2023,…

4 mai 2023

EXPOSE DU LITIGE :

La SARL Equivalor est une écurie implantée à [Localité 1] spécialisée dans la compétition, l'élevage, l'entraînement et le commerce des chevaux.

La SAS SEF est une société dont le siège social est situé à [Localité 4] (63) et dont l'objet est notamment la vente, l'achat, la garde et l'import-export de chevaux. Cette société est présidée par Mme [E] [M] et dirigée par Mmes [U], [C] et [O] [M].

Début 2019, la SAS SEF, par l'intermédiaire de Mme [M], a émis le souhait d'acheter la jument Charlène de Louan, propriété de la SARL Equivalor.

Un examen vétérinaire a été réalisé préalablement à la vente par le docteur [V] [Y] de la la clinique vétérinaire Vethippo'Dôme qui a mis en évidence un kissing spine lésions des vertèbres thoraciques et une ostéoarthrose minimale des 4 boulets. Cet examen précisait que ces anomalies sont susceptibles de gêner l'utilisation envisagée mais qu'elles sont gérables avec le travail du cheval. L'appréciation du risque d'acheter ce cheval pour l'utilisation envisagée était jugée faible. Enfin, il était recommandé de mettre des fers roulants classiques à deux pinçons en acier sur les antérieurs.

La vente a été réalisée le 27 avril 2019 au prix de 24 000 euros.

Au cours du mois de mai 2019 la jument a été transférée dans une écurie en Italie. Suite à la constatation d'une boiterie de la jument, la SAS SEF l'a faite examiner par un vétérinaire le docteur [A] [D] à [Localité 6] (67) le 30 août 2019, lequel a constaté notamment un défaut d'aplomb, une pince trop longue et une ferrure trop courte, un dos raide, une arthropathie des boulets antérieurs, la présence de sévères kissin spine et a procédé à des infiltrations dos et mésothérapie. Le 17 septembre 2019, le vétérinaire a examiné à nouveau la jument et a constaté que la boiterie AD était aggravée.

Le 4 novembre 2019 la SAS SEF a fait examiner la jument par le docteur [J] [H], vétérinaire à [Localité 5] (06) qui a conclu à une boiterie du boulet antérieur droit.

La SARL Equivalor a proposé à la SAS SEF d'étudier la possibilité d'un échange contre un autre cheval mais aucune solution amiable n'a pu être trouvée.

Par acte d'huissier du 7 janvier 2020, la SAS SEF a assigné la SARL Equivalor devant le président du tribunal judiciaire de Clermont Ferrand statuant en référé aux fins de voir ordonner une expertise.

Par ordonnance du 1er septembre 2020 une expertise de la jument a été ordonnée et l'expert M. [I] [T] a déposé son rapport le 13 juillet 2021.

Par acte d'huissier du 28 octobre 2021, la SAS SEF a assigné la SARL Equivalor devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand aux fins de voir prononcer la résolution de la vente et la restitution de la jument, dire et juger que la SARL Equivalor devra lui rembourser le prix payé soit 24 000 euros, outre les frais et débours engagés depuis l'acquisition de la jument soit une somme de 18 678,24 euros.

Par jugement contradictoire du 4 mai 2023, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a':

- dit la SAS SEF irrecevable en son action ;

- débouté la SAS SEF de toutes ses demandes ;

- condamné la SAS SEF à payer à la SARL Equivalor la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS SEF aux dépens de l'instance, dont frais de greffe liquidés à 60,22 euros T.V.A. incluse.

Le tribunal a principalement jugé que la vente d'un animal domestique est soumise aux dispositions de l'article L. 213-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, qu'en l'espèce aucune convention écrite n'a écarté l'application de ce texte. Il a exposé qu'en application des dispositions de l'article R.213-5 du même code le délai imparti à l'acheteur d'un animal tant pour introduire l'une des actions ouvertes par l'existence d'un vice rédhibitoire tel que défini aux article L.213-1 à L. 213-9 que pour provoquer la nomination d'experts chargés de dresser un procès-verbal est de 10 jours de sorte que l'action de la SAS SEF est irrecevable car tardive.

La SAS SEF a interjeté appel du jugement par déclaration du 7 juin 2023

Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 31 août 2023, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 1112-1 alinéa 1er et 1132 du code civil de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce en date du 4 mai 2023 ;.

- dire que les parties ont bien entendu exclure l'application de la législation du code rural au profit de celle du code civil ;

- dire et juger que la jument Charlène de Louan était bien, au jour de la vente, affectée d'un vice caché la rendant impropre à l'usage auquel elle était destinée ;

- prononcer, en conséquence la résolution de la vente ;.

- condamner la SARL Equivalor à procéder au remboursement du prix payé à hauteur de 24 000 euros T.T.C., soit 20 000 euros H.T.

- condamner la SARL Equivalor à lui payer une somme de 18 178,24 euros correspondant aux frais et débours supportés depuis l'acquisition de la jument, et ce en pure perte ;

- condamner la SARL Equivalor à lui payer une somme de 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice immatériel et moral.

- condamner la SARL Equivalor à lui payer une somme de 4 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire.

Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 4 décembre 2023, la SARL Equivalor, intimée, demande à la cour, au visa des anciens articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation, l'ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021, l'article L. 213-5 du code rural, des articles 1641 à 1649 du code civil et de l'article 246 du code de procédure civile de :

- confirmer le jugement dont il est fait appel ;

- juger la SAS SEF irrecevable en son action ;

- débouter la SAS SEF de toutes ses demandes ;

- de condamner la SAS SEF à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la SAS SEF aux dépens dont distraction au profit de Maître Rahon.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le régime de garantie applicable et le moyen de prescription :

L'article L.213-1 du code rural et de la pêche maritime alinéa 1er dispose que l'action en garantie, dans les ventes ou échanges d'animaux domestiques est régie, à défaut de conventions contraires, par les dispositions de la présente section, sans préjudice ni de l'application des articles L. 211-1 à L. 211-6, L. 211-8 à L. 211-15, L. 211-17 et L. 211-18 du code de la consommation ni des dommages et intérêts qui peuvent être dus, s'il y a dol.

Si cet article s'applique à la vente d'un cheval, les règles particulières de la garantie des vices rédhibitoires dans la vente d'animaux domestiques peuvent être écartées par une convention contraire. Cette convention peut être implicite et résulter de la destination des animaux vendus et du but poursuivi par les parties.( Cass, 1ère civ, 19 nov.2009, n°08-17.797).

En l'espèce, l'achat de la jument Charlène de Louan a été réalisé auprès de la SARL Equivalor, écurie professionnelle après la réalisation d'une visite vétérinaire afin d'établir ses qualités et ses origines. Cette visite précise :

'utilisation envisagée

Discipline : CSO (concours sauts d'obstacle)

Niveau : 125-130 cm

Cheval présenté à la visite d'achat en période de travail léger

Estimation du niveau actuel ou envisagé : cheval en activité mais en deçà du niveau envisagé '

En outre, il ressort des pièces produites que la jument a participé à diverses manifestations sportives avant la vente sur des épreuves de saut d'obstacle réservées aux jeunes chevaux, se classant à de nombreuses reprises (pièce 4 de la SARL Equivalor).

L'ensemble de ces éléments, outre son prix élevé, établissent que l'animal était destiné aux sports équestres et non à un simple usage récréatif et que ce point était connu des deux parties, au regard de l'activité habituelle de l'animal en compétition.

Dès lors, il convient de retenir l'existence d'une convention tacite écartant les dispositions restrictives de l'article L. 213-1 du code rural et de la pêche maritime au profit de l'application des dispositions de garantie du droit commun prévues par les articles 1641 et suivants du code civil.

L'article 1648 du code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

En l'espèce, la SAS SEF a attrait la SARL Equivalor en référé par acte d'huissier du 7 janvier 2020, soit moins de deux après la vente survenue le 20 avril 2019. Son action sera donc déclarée recevable.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré la SAS SEF irrecevable en son action.

Sur la garantie des vices cachés et la résolution de la vente :

L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

L'article 1644 du même code précise que dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

En l'espèce, lors de l'examen réalisé par le vétérinaire [V] [Y] il était constaté 'un kissing spine lésion des vertèbres thoraciques, ostéoarthrose minimale des quatre boulets'. S'agissant de l'appréciation du bilan par rapport à l'utilisation envisagée, le vétérinaire concluait que ' les anomalies sont susceptibles de gêner l'utilisation envisagée mais elles sont gérables avec le travail du cheval. Si les conflits épineux au niveau du dos venaient à gêner, des infiltrations internes épineuses peuvent être réalisées'. L'appréciation du risque d'acheter ce cheval pour l'utilisation envisagée était jugée faible.

Au mois de mai 2019, la jument était ramenée dans une écurie en Italie. Mme [M] affirme que la jument présentait alors une légère boiterie en début de travail.

Le Docteur [A] [D], vétérinaire à [Localité 6] examinait la jument le 30 août 2019. Il notait alors, après examen radiographique, une arthropathie des boulets antérieurs et la présence de sévères kissing spine. Le 17 septembre 2019 il constatait que la boiterie AD s'était aggravée. Celui-ci, à la suite d'une anesthésie intra-articulaire nettement positive (90%), a considéré que l'arthrose du boulet antérieur droit était responsable de la boiterie constatée.

Le 4 novembre 2019 le docteur [J] [H] constatait également une boiterie de l'antérieur droit et réalisait une anesthésie intra-articulaire également positive (90%).

L'expert judiciaire constate que la jument Charlène de Louan présente le 2 mars 2021, jour de l'examen, 'un état d'entretien satisfaisant'. Il note que 'la jument présente une affection locomotrice très fortement handicapante' puisque'elle boîte des deux antérieurs et plus nettement du droit. Il conclut, au vu des différentes radiographies réalisées par les différents vétérinaires et le jour de l'expertise, à 'une arthropathie de faible expression radiologique'. Il souligne que cette arthropathie est antérieure à la vente du 27 avril 2019 car déjà visible sur les radiographies réalisées par le docteur [V] [Y] lors de son expertise d'achat en date du 17 avril 2019.

S'agissant de la cause de la boiterie constatée sur la jument, il déclare que c'est l'arthropathie des boulets antérieurs qui rend actuellement la jument Charlène de Louan inapte à toute exploitation sportive. Il note qu'il existe une aggravation lésionnelle entre les radiographies du boulet droit prises lors de la visite d'achat le 17 avril 2019 et celles réalisées 23 mois plus tard lors de la réunion d'expertise du 2 mars 2021.

Interrogé dans un dire par la SARL Equivalor sur une possible origine traumatique postérieure à la vente, l'expert souligne que 'l'arthropathie étant symétrique un traumatisme postérieur à la vente est extrêmement difficile à soutenir'. Il souligne que, scientifiquement, l'anesthésie intra-articulaire du boulet antérieur droit positive à 90% réalisée à deux reprises en septembre et novembre 2019 permet d'affirmer que la pathologie concerne uniquement l'articulation du boulet et est donc très certainement intra-articulaire. Selon l'expert, il est ainsi démontré la pathologie chronique du processus arthrosique et il affirme que 'le lien entre l'arthropathie et la boiterie est donc selon nous établi avec certitude'.

Il en conclut que 'la boiterie invalidante est bien due essentiellement à une arthropathie des deux boulets antérieurs dont l'expression radiologique était relativement discrète lors de la visite d'achat du 17 avril 2019 et qui s'exprima cliniquement au cours de l'été 2019, soit après l'achat. Nous ne retenons pas l'hypothèse accidentelle.'

Cette conclusion est partagée par le docteur vétérinaire [A] [D] qui notait le 17 septembre 2019 sur la jument 'une prédisposition à l'arthrose, les signes radiographiques sont encore très discrets mais les signes cliniques sont bien présents, envisager un avenir sportif pour la jument est compliqué, incertain et sera coûteux pour le propriétaire. Je déconseille donc de garder la jument, cette pathologie est chronique et non consécutive à un traumatisme récent et aigüe.'

Il doit dès lors être retenu que le cheval présentait déjà au moment de la vente une anomalie le prédisposant à une arthrose. La SAS SEF ne pouvait en avoir connaissance, même en sa qualité de professionnel du secteur équin, puisque la visite vétérinaire avant la vente, bien que constatant une ostéoarthrose minimale des 4 boulets, concluait à un risque jugé faible d'acheter ce cheval pour l'utilisation envisagée. Cependant, sans qu'aucune origine traumatique ne puisse l'expliquer, très rapidement après la vente une dégradation significative de l'arthropathie du boulet antérieur droit était constatée se traduisant par une boiterie des deux antérieurs.

L'expert note que la boiterie constatée handicape actuellement gravement voire définitivement cette jument : 'nous la tenons actuellement inapte à toute compétition sportive. Son utilisation sous la selle au titre du loisir reste utopique. Sa valorisation aux fins de revente est illusoire. Seule sa valeur de potentielle reproductrice lui reste acquise', soit à ce jour une valeur qu'il estime entre 4 000 et 7 000 euros TTC.

Dès lors, cette affection constatée est de nature à rendre le cheval impropre à l'usage auquel il était destiné dès lors que l'achat avait pour but un usage en compétition.

Il convient donc de prononcer la résolution de la vente intervenue impliquant par la SAS SEF la restitution du prix payé HT soit 20 000 euros,(compte tenu qu'il n'a pas été contesté que l'appelante est un professionnel de la commercialisation des chevaux qui récupère la TVA) et par la SARL Equivalor la restitution de la jument et de sa carte d'immatriculation.

Sur la demande en remboursement des frais supportés depuis l'acquisition de la jument et en dommages-intérêts :

L'article 1646 du même code précise que si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente;

En application de l'article 1645 du code civil le vendeur qui connaissait les vices de la chose, auquel il convient d'assimiler celui qui par sa profession ne pouvait les ignorer, est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. (Cass. 1re civ., 19 janv. 1965 n°61-10-952).

En l'espèce, la SARL Equivalor, en sa qualité de professionnel de la filière équine, est donc tenue de réparer l'intégralité du préjudice subi par l'acquéreur.

La SAS SEF justifie par la production des factures et du récapitulatif des frais et débours supportés depuis l'acquisition de la jument (frais vétérinaires et frais de pension de l'animal), soit une somme de 18 178,24 euros (pièce 12).

Enfin, s'agissant de la demande en dommages-intérêts pour préjudice immatériel et moral, force est de constater que la SAS SEF ne justifie par aucune pièce de l'existence des ces préjudices. Elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La SARL Equivalor, qui succombe, sera condamnée aux dépens et sera condamnée à payer à la SAS SEF la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 4 mai 2023 ;

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l'action engagée par la SAS SEF ;

Prononce la résolution de la vente intervenue le 27 avril 2019 ;

Condamne la SARL Equivalor à payer à la SAS SEF la somme de 20 000 euros correspondant au prix de vente HT de la jument Charlène de Louan ;

Condamne la SAS SEF à restituer à la SARL Equivalor la jument Charlène de Louan et l'ensemble des papiers afférents à l'animal ;

Condamne la SARL Equivalor à payer à la SAS SEF la somme de 18 178,24 euros au titre des frais et débours supportés depuis l'acquisition de la jument Charlène de Louan;

Déboute la SAS SEF de sa demande de dommages-intérêts ;

Condamne la SARL Equivalor à payer à la SAS SEF la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Equivalor aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.