Livv
Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 30 août 2024, n° 22/00893

BASSE-TERRE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Marbre des Îles (SAS), Carreaux d'Art (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robail

Conseillers :

Mme Cledat, M. Groud

Avocats :

Me Boutry, Me Bessin

Jur. prox. Saint-Martin/Saint-Barthélemy…

2 juin 2022

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [C] [P] et Mme [U] [X] épouse [P] sont propriétaires d'une parcelle de terre située dans une zone naturelle dite 'ZN' et cadastrée sous le n° [Cadastre 1] de la section AR de [Localité 4] à [Localité 2], laquelle a été donnée en location ou mise à disposition pour partie à la S.A.R.L. MARBRE DES ILES et pour une autre partie à la S.A.S. CARREAUX D'ART [Localité 5], ces deux sociétés ayant pour dirigeant M. [Z] [R] ;

Prétendant que ces sociétés avaient manqué à leurs obligations contractuelles en exerçant sur ce terrain des activités commerciales ou artisanales et en y édifiant des bâtiments sans demande préalable aux propriétaires, M. et Mme [P] ont fait assigner ces deux sociétés devant le tribunal de proximité de SAINT-MARTIN et SAINT-BARTHELEMY à l'effet de voir au visa des articles L 145-5-1 du code de commerce, 1728, 1729, 1730, 1731 et 1732 du code civil, et L 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, ainsi que des 'contrats signés les 1er février 2004 et 23 novembre 2014", et avec exécution provisoire:

- prononcer la résiliation judiciaire de ces deux baux conclus avec, respectivement, les sociétés défenderesses,

- ordonner l'expulsion de ces sociétés des lieux occupés, ainsi que de tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique,

- ordonner que le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant dans les lieux sera réglé conformément aux articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 (nouveaux articles L 433-1 et L 433-2 du code des procédures civiles d'exécution),

- ordonner la remise en état des lieux conformément aux dispositions du code de l'urbanisme et au règlement d'urbanisme de [Localité 2] du 24 février 2017, sous astreinte d'un montant de 1 500 euros par jour de retard pendant 6 mois à compter de la signification de la décision à venir et jusqu'à complet déblaiement et remise en état des lieux,

- condamner solidairement les sociétés MARBRES DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] à leur payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens, y inclus le coût des commandements, de l'assignation et des frais à venir si le recours à l'exécution forcée était inévitable ;

Par leurs dernières conclusions devant le premier juge, les époux [P] réitéraient toutes ces demandes, y ajoutant leur souhait de voir en sus :

- rejeter l'ensemble des moyens, fins et conclusions des sociétés défenderesses, notamment leurs demandes en paiement des sommes de 10 000 euros pour procédure abusive et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter les mêmes sociétés de leur demande reconventionnelle de reconnaissance d'un bail commercial à compter du mois de février 2006 et du mois de novembre 2014;

Par leurs propres dernières conclusions de première instance, les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] concluaient quant à elles aux fins de voir, au visa des articles L 145-1 et suivants du code de commerce et 32-1 du code de procédure civile et avec exécution provisoire :

- écarter les pièces adverses n° 1 et 2 et, à défaut, 'constater que le critère de la cause objective des conventions d'occupation précaire n'est pas rempli et par conséquent' :

- dire que les époux [P] et elles-mêmes étaient liés par un contrat de bail commercial depuis le 1er février 2006, 'pour avoir laissé dans les lieux loués postérieurement plus de deux années à compter de la signature de leur contrat de bail (de 2014) en vue d'y exploiter leurs fonds artisanaux et, par conséquent' :

- dire que les installations réalisées en cours et après le bail par le preneur étaient fixes et solides et que les demandeurs leur avaient donné leur consentement exprès à ces réalisations,

- débouter les époux [P] de l'intégralité de leurs demandes, leur congé étant nul et sans effet,

- en tout état de cause, condamner solidairement les mêmes époux à leur régler la somme de 10 000 euros pour procédure abusive et celle de 3 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Par jugement du 2 juin 2022, le tribunal de proximité :

- a dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces n° 1 et n° 2 produites par les époux [P],

- a rejeté la demande de la société MARBRE DES ILES et de la société CARREAUX D'ART [Localité 5] tendant à voir qualifier les baux consentis de baux commerciaux,

- a prononcé la résiliation du bail consenti par les époux [P] à la société MARBRE DES ILES,

- a prononcé la résiliation du bail consenti par les époux [P] à la société CARREAUX D'ART [Localité 5],

- a ordonné à la société MARBRE DES ILES de remettre en état les lieux loués en détruisant les constructions édifiées, en déblayant et en nettoyant les lieux, et ce dans le délai de 2 mois à compter de la signification de ce jugement,

- a dit que passé ce délai et à défaut d'exécution, l'obligation de remise en état incombant à la société MARBRE DES ILES s'effectuerait sous astreinte de 300 euros par jour de retard pendant une période de 6 mois,

- a ordonné à la société CARREAUX D'ART [Localité 5] de remettre en état les lieux loués en détruisant les constructions édifiées, en déblayant et en nettoyant les lieux, et ce dans le délai de 2 mois à compter de la signification de ce jugement,

- a dit que passé ce délai et à défaut d'exécution, l'obligation de remise en état incombant à la société CARREAUX D'ART [Localité 5] s'effectuerait sous astreinte de 300 euros par jour de retard pendant une période de 6 mois,

- a ordonné l'expulsion de ces deux sociétés de la parcelle en cause, ainsi que de tous occupants de leur chef et, au besoin, avec le concours de la force publique et après signification d'un commandement de quitter les lieux,

- a dit que le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant dans les lieux serait réglé conformément aux dispositions des articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991,

- a débouté les sociétés défenderesses de leur demande de dommages et intérêts,

- a condamné in solidum les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] à payer à M. [P] et Mme [X] épouse [P] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens, à l'exclusion du coût du commandement non produit,

- et a rappelé que cette décision bénéficiait de l'exécution provisoire de plein droit ;

Par actes d'huissier de justice séparés du 27 juillet 2022, remis à personne, les époux [P] ont fait signifier ce jugement à chacune des sociétés défenderesses ;

Par déclaration remise au greffe par voie électronique (RPVA) le 24 août 2022, les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] ont relevé appel de ce jugement, y intimant M. [C] [P] et Mme [H] [P], et y fixant son objet à la critique des dispositions par lesquelles le tribunal :

- a dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces n° 1 et n° 2 produites par les époux [P],

- a rejeté la demande de la société MARBRES DES ILES et de la société CARREAUX D'ART [Localité 5] tendant à voir qualifier les baux consentis de baux commerciaux,

- a prononcé la résiliation du bail consenti par les époux [P] à la société MARBRE DES ILES,

- a prononcé la résiliation du bail consenti par les époux [P] à la société CARREAUX D'ART [Localité 5],

- a ordonné à la société MARBRE DES ILES de remettre en état les lieux loués en détruisant les constructions édifiées, en déblayant et en nettoyant les lieux, et ce dans le délai de 2 mois à compter de la signification de ce jugement,

- a dit que passé ce délai et à défaut d'exécution, l'obligation de remise en état incombant à la société MARBRE DES ILES s'effectuerait sous astreinte de 300 euros par jour de retard pendant une période de 6 mois,

- a ordonné à la société CARREAUX D'ART [Localité 5] de remettre en état les lieux loués en détruisant les constructions édifiées, en déblayant et en nettoyant les lieux, et ce dans le délai de 2 mois à compter de la signification de ce jugement,

- a dit que passé ce délai et à défaut d'exécution, l'obligation de remise en état incombant à la société CARREAUX D'ART [Localité 5] s'effectuerait sous astreinte de 300 euros par jour de retard pendant une période de 6 mois,

- a ordonné l'expulsion de ces deux sociétés de la parcelle en cause, ainsi que de tous occupants de leur chef et, au besoin, avec le concours de la force publique et après signification d'un commandement de quitter les lieux,

- a dit que le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant dans les lieux serait réglé conformément aux dispositions des articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991,

- a débouté les sociétés défenderesses de leur demande de dommages et intérêts,

- a condamné in solidum les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] à payer à M. [P] et Mme [X] épouse [P] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens, à l'exclusion du coût du commandement non produit,

- et a rappelé que cette décision bénéficiait de l'exécution provisoire de plein droit ;

Cet appel a été orienté à la mise en état et, par un seul acte remis au greffe et notifié au conseil des deux appelantes par voie électronique le 5 septembre 2022, chacun des intimés a constitué le même avocat ;

Par ordonnance du 14 décembre 2022, le magistrat délégué par le premier président a rejeté la demande des appelantes tendant à voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant de plein droit le jugement querellé ;

Les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5], appelantes, ont conclu au fond à trois reprises, par actes remis au greffe et notifiés à l'avocat adverse, par RPVA, respectivement les 22 décembre 2022 (premières conclusions), 2 et 3 septembre 2023 (conclusions récapitulatives n° 1) et 12 octobre 2023 (conclusions récapitulatives n° 2) ;

Les époux [P] ont conclu au fond à trois reprises également, par actes remis au greffe et notifié à l'avocat des appelantes, par RPVA, respectivement les 5 mars 2023, 29 septembre 2023 et 15 octobre 2023 (conclusions n° 3) ;

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 6 novembre 2023, et l'audience des plaidoiries du conseiller rapporteur, fixée au 25 mars 2024 ; à l'issue de cette audience, le délibéré a été fixé au 18 juillet 2024 ; les parties ont été ensuite avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de la surcharge des magistrats et de l'absence d'un greffier ;

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES REPRESENTEES

1°/ Par leurs dernières écritures, les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] concluent aux fins de voir, au visa des articles L 145-1 et suivants du code de commerce et 2224 du code civil :

- dire leur appel recevable,

- réformer le jugement dont appel,

- déclarer prescrite l'action en résiliation des époux [P],

- déclarer les baux souscrits entre les époux [P] et elles-mêmes 'comme soumis au statut protecteur des baux commerciaux',

- A titre subsidiaire, déclarer la société CARREAUX D'ART 'comme bénéficiaire du statut protecteur par application du principe d'accessorialité au local commercial situé à [Adresse 6]',

- déclarer la résiliation des baux comme mal fondée et par conséquent,

- A titre reconventionnel :

** condamner les époux [P] à leur régler la somme de 145 885 euros au titre de leur préjudice financier,

** condamner les époux [P], en cas de qualification commerciale desdits baux, au paiement d'une indemnité supplémentaire d'éviction pour chacune d'entre elles, à savoir :

*** pour CARREAUX D'ART : la somme de 1 666 543 euros

*** pour MARBRE DES ILES : la somme de 1 138 379 euros,

A défaut, ' fixer par état et déclaration au résultat d'une expertise qu'il plaira à la cour d'ordonner ',

** condamner les époux [P] à leur régler la somme de 10 000 euros pour préjudice moral,

- En tout état de cause, condamner les époux [P] à leur payer les sommes suivantes :

** 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

** 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit

4 000 euros chacune, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Pour l'exposé des moyens proposés par les appelantes au soutien de ces fins, il est expressément renvoyé à leurs dernières conclusions ;

2°/ Par leurs propres dernières écritures,les époux [P] souhaitent voir quant à eux, au visa des articles 1740, 1730, 1731, 1732, 1736 et 1738 du code civil, L 145-1 et L 145-5 du code de commerce et L 131-1 du code des procédures civiles d'exécution et du règlement d'urbanisme de [Localité 2] du 24 février 2017 :

- confirmer le jugement déféré,

- rejeter les demandes, fins et conclusions non fondées des sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5],

- débouter lesdites sociétés de leurs demandes reconventionnelles au titre du préjudice financier, préjudice moral, indemnité d'éviction et procédure abusive,

- condamner les mêmes sociétés à leur payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens ;

Pour l'exposé des explications des intimés, il est expressément référé à leurs dernières écritures ;

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la recevabilité de l'appel

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 538 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse, sous réserve des délais de distance de l'article 644 du même code ;

Attendu qu'il est constant que l'appel du jugement déféré relève de la voie ordinaire et que les appelantes, qui ont siège à SAINT-BARTHELEMY, bénéficient, en application d'un délai d'un mois supplémentaire pour saisir une cour d'appel dont le siège est la GUADELOUPE ;

Or, attendu que les sociétés MARBRE DESILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] ont relevé appel le 24 août 2022 d'un jugement rendu le 2 juin 2022 et qui leur avait été signifié, à personne, le 27 juillet 2022 ; qu'il y a donc lieu de les y déclarer recevables au plan du délai pour agir;

II- Sur le périmètre de la saisine de la cour

Attendu qu'il convient de constater que si, en leur déclaration d'appel, les sociétés appelantes ont déféré à la cour la disposition du jugement querellé par laquelle a été rejetée leur demande tendant à voir écarter des débats les pièces 1 et 2 produites par les époux [P], aucune demande de ce chef n'est formulée au dispositif de leurs dernières écritures d'appelantes, non plus qu'en leur partie 'discussion' d'ailleurs, si bien que la cour ne peut que confirmer ledit jugement de ce chef ;

III- Sur la prescription de l'action en résiliation des époux [P]

Attendu que la prescription d'une action se traduit, en droit processuel, en application de l'article 122 du code de procédure civile, en une fin de non-recevoir ;

Or, attendu qu'aux termes de l'article 123 du mêmes codes, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause ; qu'il en résulte que n'est pas nouvelle la demande des sociétés appelantes au titre de la prescription des demandes des époux [P] au titre de la résiliation des baux qui les lient ;

Mais attendu que force est de constater qu'en leurs dernières écritures, au chapitre II-A, pages 10 à 13, dédié à leur demande de prescription, les sociétés MARBRES DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] n'exposent ni le fondement textuel de la prescription invoquée, si son délai, ni son point de départ ; que cette fin de non-recevoir apparaît ainsi indéterminée en son fondement juridique et factuel ;

Attendu que, par ailleurs, dès lors que la demande de résiliation des époux [P], bailleurs, est fondée sur des faits prétendument constitutifs de violations des stipulations des baux en cause, faits dont il n'est pas contesté qu'ils sont toujours d'actualité, en l'espèce la réalisation de constructions sur les parties de terrain louées et l'exercice d'activités commerciales ou artisanales, aucune sorte de prescription n'est encourue ; qu'en effet, la circonstance, alléguée par les sociétés locataires, que ces constructions et activités remonteraient à de nombreuses années sans réaction de la part des bailleurs, n'est pas de nature à fixer le point de départ d'une quelconque prescription, mais seulement, le cas échéant, un élément qui pourrait caractériser une acceptation tacite desdites constructions et activités ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de rejeter comme infondée la fin de non-recevoir tirée de la prescription que soulèvent les sociétés appelantes à l'encontre des demandes de résiliation des époux [P] ;

IV- Sur la qualification des baux liant les parties

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L145-1-I du code de commerce, dans leurs versions en vigueur, respectivement, soit avant la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 pour ce qui est de la location de 2004 ici en cause, soit avant la loi n° 2021-1189 du 15 septembre 2021 pour ce qui est de la location de 2014 également en cause (ces deux versions étant cependant identiques en ce qui est du paragraphe I) le statut des baux commerciaux s'applique :

- aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce,

- aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal,

- aux baux des terrains nus sur lesquels ont été édifiées, soit avant, soit après le bail, des constructions à usage commercial, industriel ou artisanal, à condition que ces constructions aient été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire ;

Attendu qu'en application de l'article L 145-5 du même code, dans sa version en vigueur du 21 septembre 2000 au 6 août 2008, pour ce qui est du bail litigieux de 2004, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans, délai à l'expiration duquel, si le preneur est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail, cette fois commercial, de même qu'en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion d'un nouveau bail pour le même local entre les mêmes parties ;

Attendu qu'en sa version applicable à compter du 20 juin 2014, soit au bail litigieux conclu en novembre 2014, ce même texte est désormais ainsi rédigé : 'les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre (...).' ;

***

Attendu que si les parties s'accordent sur le fait qu'une partie du terrain en cause, sis à [Localité 4] à [Localité 2], propriété des époux [P], est occupée, moyennant paiement d'un loyer mensuel, par M. [R] depuis février 2004, puis par la société MARBRE DES ILES depuis sa création en avril 2004, et qu'une autre partie est occupée, également moyennant paiement d'un loyer mensuel, par la société CARREAUX D'ART [Localité 5] depuis fin 2014, elles divergent non seulement sur la nature des baux les liant, mais aussi sur les actes qu'elles auraient ou non signés à ce titre ;

Attendu qu'en effet, les sociétés appelantes excipent de baux commerciaux soumis au statut protecteur des baux de ce type et les époux [P], de baux de nature civile;

Attendu que, plus précisément, les époux [P] invoquent et produisent aux débats, en tout premier lieu, une simple 'autorisation temporaire de stockage de matériaux sur le terrain de M. [C] [P] à [Localité 4] ([Localité 5])' (leur pièce n° 1), laquelle n'était donnée qu'à M. [Z] [R], dont il est constant qu'il est le dirigeant des deux sociétés sus-visées ; que cette autorisation valait pour la période du 1er février 2004 au 31 juillet 2007 et n'est signée que de [C] [P], à l'exclusion de M. [R] ou d'une quelconque société ;

Attendu que les mêmes époux invoquent et produisent en second lieu un document intitulé 'Extension de location sur le site de [Localité 4] à [Localité 2]', datée du 23 novembre 2014 et emportant accord de leur part pour que la société CARREAUX D'ART [Localité 5], 'représentée par M. [Z] [R]', 'occupe la partie anciennement occupée par LATITUDES fermée par un portail en bois, moyennant une redevance de 800 euros (...) par mois à compter du 1er décembre 2014" (pièce n° 2), avec cette précision :

- que 'cette occupation se fera(it) dans les mêmes conditions que celle mitoyenne que la société CARREAUX D'ART occupe',

- que la redevance mensuelle serait donc de 1 600 euros à compter du 1er décembre 2014,

- et qu'à compter du 1er janvier 2016, cette redevance serait portée à

1 800 euros ;

Attendu que ce dernier document n'est également signé que des époux [P], à l'exclusion du dirigeant de la société CARREAUX D'ART [Localité 5], en la personne de M. [R] ;

Attendu que de leur côté, les sociétés appelantes, qui estiment que ces deux 'attestations de stockage' ne sont produites par les bailleurs que 'pour les besoins de la cause' et relèvent par ailleurs qu'elles ne sont rédigées que de la main de M. [P], invoquent un contrat de bail écrit qui serait daté et signé du 1er février 2004 et par lequel, selon elles, M. et Mme [P] 'ont donné à bail le 1er février 2004 à la société MARBRE DES ILES ('en cours d'immatriculation'), représentée par son président Monsieur [Z] [R], et dont l'activité consiste dans la transformation de produits de haute qualité en marbre, pierre, granit et autres matériaux, une fraction de la parcelle de terrain située à [Localité 4], sur l'île de Saint-Barthélémy, identifiée au cadastre n° AR [Cadastre 1], pour un loyer mensuel de 400 euros par mois', avec cette précision qu'il se terminerait le 31 janvier 2013, tout en prévoyant 'une durée de trois années à compter du 1er février 2004" ;

Attendu que lesdites sociétés ajoutent :

- qu'existait sur ce même terrain de [Localité 4], un local de 15 m2 'comme clairement indiqué sur le contrat en question et signé par les deux parties (...)',

- que, outre ce local, 'les époux [P] ont accordé, à cette même occasion, une première extension avec 'un local et un terrain de 500 m2", le tout situé également à [Localité 4], et ce à M. [R], en sa qualité de carreleur exerçant sous l'enseigne '[R] [Z]-CARREAUX D'ART et immatriculé comme tel depuis 1994",

- que 'ce n'est que bien plus tard, à l'occasion du bail commercial conclu entre les époux [P] et la société CARREAUX D'ART [Localité 5] en 2008 dans le secteur de [Adresse 6] (M. [P] ayant refusé de formaliser la situation contractuelle de CARREAUX D'ART à [Localité 4]), que M. [R] apportera la valeur de son fonds artisanal à la société CARREAUX D'ART [Localité 5] le 13 janvier 2009",

- que le bail de 2004 prévoyait une durée de 3 années et qu'il s'est poursuivi, puisque la société MARBRE DES ILES a été maintenue dans les lieux au delà de ce terme,

- que l'attestation de stockage produite par M. [P] le 23 novembre 2014 fait clairement état d'une location déjà existante à [Localité 4], et non à [Adresse 6], au profit de la société CARREAUX D'ART, ce qui, avec les mentions relatives au loyer mensuel perçu à compter du 1er décembre 2014, soit 400 euros + 400 euros + 800 euros (reprise du loyer de la S.A.R.L. LATITUDE à laquelle elle succédait), 'correspond (...) en tous points aux mentions portées au bail de 2004" (soit : loyer de 400 euros dès le 1er février 2004 à la charge de M. [R], et 400 euros complémentaires à compter du 1er janvier 2005 à la charge de la société MARBRE DES ILES en lieu et place de M. [R]),

- qu''il est admis qu'un bail verbal peut revêtir la qualification de commerciale ou d'artisanale emportant l'application du statut protecteur des baux commerciaux à conditions que les conditions légales et prétoriennes soient réunies',

- et que, dès lors, 'la cour sera convaincue que les rajouts manuscrits au contrat de bail du 1er février 2004 ne peuvent que concerner, outre la société MARBRE DES ILES, M. [R] lui-même en sa qualité de carreleur, dont le fonds artisanal sera apporté à la société CARREAUX D'ART le 13 janvier 2009" ;

Attendu que les époux [P] estiment que le bail écrit à effet du 1er février 2004 ne concerne pas les terrains litigieux et que les mentions manuscrites contraires qui y sont portées caractérisent un faux ;

Attendu qu'il résulte de la lecture de ce bail écrit produit en pièce 1 de leur dossier par les sociétés appelantes :

- d'une part, que s'il n'est pas daté, il est signé de M. [C] [P] et de M. [Z] [R] et mentionne pour date d'effet le 1er février 2004,

- d'autre part et surtout, qu'il contient pour l'essentiel des mentions dactylographiées, lesquelles n'ont trait, s'agissant de l'objet de ce bail, qu'à des 'biens immobiliers (...) sis à [Adresse 6] - [Localité 2]' et, s'agissant de leur 'DESIGNATION' plus précise, qu'à un 'bien loué (qui) se compose d'un local de 15 m2", à l'exclusion de tout bien sis à [Localité 4] ;

Attendu que cependant, deux mentions manuscrites figurant en sa page 1, ajoutent, au rang des biens prétendument loués, 'un terrain de 500 m2 avec local sis à [Localité 4] à [Localité 2]' ;

Or, attendu que, face aux contestations par les consorts [P] de l'exactitude de ces mentions manuscrites et de leur validation par M. [P], bailleur, la cour ne peut que constater, avec le premier juge, que ces mentions ne sont pas validées par les paraphes de chacun des cocontractants et n'ont par suite aucune valeur probante quant à la commune volonté de ces derniers de les inclure dans le périmètre contractuel à la date de signature du contrat ;

Attendu qu'il sera ajouté qu'en l'état de ses seules mentions dactylographiées reconnues comme valides par les consorts [P], le bail écrit à effet du 1er février 2004 a trait à un bien immobilier qui n'est pas situé à [Localité 4], mais à [Adresse 6] et que, par suite, il est étranger aux parcelles de terrain litigieuses ;

Attendu que, par ailleurs, le bail expressément qualifié de bail commercial produit par les appelantes en pièce 4 de leur dossier, comme conclu le 1er septembre 2009 entre la société CARREAUX D'ART, preneur, et M. [P] [C] (y improprement nommé '[E]'), bailleur, est également étranger aux débats puisque son objet y est défini par des locaux sis à [Adresse 6] et non point à [Localité 4] ;

Attendu que les 'autorisation temporaire' à effet du 1er février 2004 et 'extension de location' du 23 novembre 2014, qu'invoquent les époux [P] au soutien de leurs relations contractuelles avec les sociétés appelantes, ou M. [R] avant la création de celles-ci, au titre de l'occupation de deux parcelle mitoyennes du terrain de [Localité 4], ne peuvent être tenues pour des baux écrits, puisque seule la signature du bailleur y figure, à l'exclusion de celle de M. [R], ès noms ou ès qualités de représentant légal de ses sociétés;

Attendu qu'il résulte de ces constatations relatives à l'absence de bail écrit relativement à chacune des parcelles du terrain de [Localité 4], cadastré sous le n° [Cadastre 1] de la section AR, qu'occupent incontestablement, chacune pour ses parts et portions, les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5], que ces dernières ne bénéficient sur ces parcelles que de baux verbaux ;

Attendu que l''autorisation temporaire de stockage' à effet du 1er février 2004 bénéficiant à M. [R], mais dont il n'est pas contesté qu'elle ait ensuite été transférée à la société MARBRE DES ILES après sa création suivant immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS) du 29 avril 2004, de même que l'acte dénommé 'extension de location' en date du 23 novembre 2014 bénéficiant cette fois à la société CARREAUX D'ART [Localité 5] immatriculée au RCS le 15 juillet 2009 pour un début d'activité fixé au 1er octobre 2015, caractérise, à défaut de tout autre élément contraire probant, le fait que ces locations avaient pour seul objet le stockage, initialement temporaire (acte de 2004), puis indéfini en sa durée (acte du 23 novembre 2014), de divers matériaux, sachant que ces sociétés ont des activités de marbrier/carreleur ou vente des matériaux correspondants, activités pour lesquelles il n'est pas contesté que les baux écrits de 2004 et 2009 sus-visés aient été contractés avec le même [Z] [P] ;

Attendu que c'est à juste titre que le premier juge a constaté que les sociétés appelantes échouaient à démontrer :

- que les deux parcelles du même terrain ainsi louées aient été porteuses de constructions quelconques avant qu'elles, ou M. [R] avant elles, n'en prissent la location,

- que les constructions qui s'y trouvaient incontestablement avant l'exécution du jugement exécutoire dont appel, aient été expressément autorisées par M. [P] dans les termes du paragraphe 3 de l'autorisation temporaire de stockage à effet du 1er février 2004 ;

Attendu qu'il y a donc lieu de considérer que les deux locations verbales successives (2004 puis 2014) intervenues au profit d'abord de M. [R], puis des deux sociétés créées et dirigées par ce dernier, ne portaient que sur des terrains nus sur lesquels aucune autorisation d'édification de constructions à usage commercial, industriel ou artisanal n'a été donnée aux deux locataires, alors même qu'il n'est pas contesté et qu'il résulte des éléments du propre dossier des appelantes (PV de constat d'huissier et attestations de clients), que les deux parcelles en cause étaient porteuses, à la date des constats, de constructions, fussent-elles légères et aisément amovibles ;

Mais attendu que si ces constructions n'avaient pas été autorisées par le bailleur, force est de constater que le propre dossier des intimés démontre que M. [P] n'avait pu en ignorer l'existence, à tout le moins à dater du procès-verbal d'infraction dressé par la collectivité de [Localité 2] le 5 avril 2012, dont il n'est pas contesté qu'il ait eu connaissance aussitôt, puisque ce procès-verbal mentionne expressément la présence sur le terrain alors loué à la seule société MARBRE DES ILES, outre un stockage 'important de matériaux', 'de nombreuses constructions en bois', au nombre de 5 à tout le moins, les dimensions de 5 constructions y étant mentionnées ;

Or, attendu que ces infractions, non seulement aux règles d'urbanisme ainsi relevées audit procès-verbal, mais aussi aux stipulations de l'autorisation de stockage de février 2004 (en son (3)) en ce qui est de la nécessaire demande d'autorisation au bailleur pour y édifier des constructions, et leur parfaite connaissance par M. [P] dès 2012, ne l'ont pas empêché, le 23 novembre 2014, d'étendre la location de 2004 portant sur une partie du terrain, au profit de la société CARREAUX D'ART représentée par M. [R], à une autre parcelle du même terrain, et ce 'dans les mêmes conditions que celle mitoyenne (...)', conditions dont il n'ignorait pas en 2014 qu'elles avaient évolué depuis l'autorisation de stockage de 2004, puisque des constructions étaient entre-temps apparues sur ladite parcelle mitoyenne ; qu'il s'en déduit que M. [P], qui n'a émis, dans cet acte unilatéral de novembre 2014, aucune réserve quant aux constructions de la première partie du terrain déjà louée (en 2004), n'a pas estimé devoir en protester lorsqu'il a étendu la location à la nouvelle société en cours de formation de M. [R], CARREAUX D'ART [Localité 5] ;

Attendu que si le premier juge a considéré que la validation de ces constructions ne pouvait être inférée du nouveau bail verbal consenti à la société CARREAUX D'ART au motif que la parcelle mitoyenne était louée depuis 2004 à une entité à la personnalité juridique distincte, celle de la société MARBRE DES ILES :

- d'une part, c'est d'abord à M. [R] que cette parcelle avait été louée en février 2004, avant immatriculation de MARBRE DES ILES en avril de la même année, alors même que c'est encore M. [R] qui dirige la société CARREAUX DES ILES au profit de laquelle cette extension a été consentie, ce qui certes ne crée pas de confusion juridique entre les deux sociétés, mais une réelle proximité factuelle,

- de seconde part, en intitulant son acte d'acceptation de la location d'une seconde parcelle du même terrain, 'extension de location sur le site de [Localité 4]', et, surtout, en y commettant une confusion, au second paragraphe, entre les deux sociétés, MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART, lorsqu'il évoque la parcelle mitoyenne prétendument occupée par cette dernière alors qu'elle ne l'était que par la première, il est manifeste que, dans l'esprit de M. [P], ces deux parcelles se trouvaient louées dans une même configuration factuelle, celle de l'activité d'un même homme, M. [R], à travers deux sociétés certes distinctes, mais aux activités à tout le moins complémentaires : pour la société MARBRE DES ILES, l'import-export, la commercialisation et la transformation de produits de haute qualité en marbre, pierre, granit et autres, et, pour la société CARREAUX D'ART [Localité 5], 'tous travaux de revêtement des sols et murs, achat et vente de carrelage',

- et, de troisième et dernière part, ce n'est pas dès l'établissement du procès-verbal d'infraction urbanistique d'avril 2012 que M. [P] justifie avoir décidé de mettre en demeure et mis effectivement en demeure la société MARBRE DES ILES de 'cesser toute activité commerciale ou artisanale' sur la première parcelle louée et de la remettre en état par l'enlèvement des constructions y édifiées irrégulièrement, non plus qu'en 2014 au moment de 'l'extension de location' du 23 novembre 2014, mais seulement par courrier recommandé avec avis de réception du 16 février 2016, soit près de 4 ans après le procès-verbal d'infraction et près de 15 mois après l'extension de la première location au profit de CARREAUX DES ILES, de quoi il ressort que, bien qu'ayant eu parfaite connaissance des infractions au bail verbal de 2004 dès 2012, M. [P] n'a pas estimé devoir refuser d'étendre cette première location à la parcelle du même terrain exactement mitoyenne, au profit d'une autre entité appartenant à M. [R], ni mettre en demeure la société MARBRE DES ILES de se conformer à l'objet du bail, ni avant l'extension de location, ni après et pendant un temps assez long ;

Attendu qu'il s'en déduit qu'à l'encontre de l'opinion du premier juge, M. [P] avait bel et bien, en novembre 2014, validé rétroactivement les manquements de M. [R], à travers la société MARBRE DES ILES, à l'objet restrictif de l'autorisation de stockage de février 2014, accréditant ainsi la réalité, et la connaissance qu'il en avait, d'une activité réellement commerciale ou artisanale des deux sociétés locataires sur les deux parcelles du terrain de [Localité 4] ;

Attendu que, par ailleurs et surtout, aux termes des dispositions sus-rappelées de l'article L 145-1 I 1° du code de commerce, dans sa version applicable aux contrats litigieux telles que ci-avant relatée, les dispositions du statut des baux commerciaux est applicable également aux 'baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal' ;

Attendu qu'en application de cet article, pour que le bail des locaux ou immeubles accessoires soit qualifié de commercial, il faut donc que deux conditions cumulatives soient remplies :

- le local ou l'immeuble accessoire doit être indispensable à l'exploitation du fonds,

- ce local ou cet immeuble accessoire doit appartenir au même propriétaire que le local principal dans lequel le fonds est exploité ;

Or, attendu que la condition tenant à l'unicité du propriétaire des immeubles en cause est ici remplie, tous les contrats de location invoqués par les sociétés appelantes ayant été conclus avec un seul et même propriétaire, M. [P] ou lui et son épouse ; et que, hors les deux contrats verbaux litigieux, ont été conclus avec M. [R] ou ses sociétés, les deux baux écrits suivants ;

- un bail écrit de 2004, conclu avec 'M. [R], gérant de la S.A.R.L. MARBRE DES ILES', lequel porte sur un local de 15 m2 sis à [Adresse 6] à [Localité 2], dans lequel il n'est pas contesté que ladite société exerce son activité commerciale ou artisanale telle que définie ci-avant en son objet statutaire, si bien que la nature commerciale de ce bail n'est pas contestable,

- un autre bail conclu par écrit entre M. [P] et, cette fois, la société CARREAUX DES ILES [Localité 5] dirigée par le même [Z] [R], le 1er janvier 2009, portant sur un bureau de vente à [Adresse 6], lequel a donc lui aussi incontestablement la nature d'un bail commercial ;

Attendu qu'il en résulte qu'au moment même où M. [P] mettait à la disposition de M. [R], puis de la société MARBRE DES ILES, le terrain nu de [Localité 4], à effet du 1er février 2004, il concluait avec le même locataire un bail commercial portant sur un local de 15 m2 de [Adresse 6], non loin de [Localité 4], alors que ledit terrain devait servir à l'entreposage de matériels ou matériaux dont il n'est pas contesté qu'ils étaient destinés à l'activité principale du locataire au sein du local commercial de vente de [Adresse 6] ; et que, lorsque la société CARREAUX D'ART [Localité 5] prenait, en 2014, en location verbale à objet d'entreposage du même type, la parcelle de terrain mitoyenne de celle objet de l'autorisation de stockage de 2004 à [Localité 4], elle bénéficiait déjà depuis 2009, de la part du même bailleur, M. [P], d'un bail commercial portant sur un 'bureau' 'sis à [Adresse 6]' ;

Attendu que, compte tenu des activités des deux sociétés locataires, il est manifeste que la privation des terrains nus loués aux fins de stockage aux sociétés appelantes, respectivement en 2004 et en 2014, est de nature à compromettre l'exploitation du fonds de commerce ou du fonds artisanal de chacune d'elles, si bien que ces terrains peuvent être tenus pour indispensables à leurs activités principales respectives, à telle enseigne d'ailleurs que la location verbale consentie à effet du 1er février 2004 à M. [R], puis à la société MARBRE DES ILES après sa création, alors qu'elle ne devait durer, aux termes de l'autorisation unilatérale qu'en avait donnée M. [P], bailleur, que 3 ans, a perduré bien au delà de 2007 et pendant plus de 10 ans ;

Attendu que la circonstance que, classées en zone naturelle, les parcelles en cause ne pouvaient supporter légalement, au plan des règles d'urbanisme en vigueur dans la collectivité de [Localité 2], une activité commerciale ou artisanale ou industrielle, est étrangère à la question de la nature, à l'égard des preneurs, des baux consentis par leur propriétaire, seul celui-ci étant responsable à l'égard de l'Administration des conséquences des contrats qu'il conclut et ne pouvant de toute façon arguer de ses propres éventuelles inconséquences au plan des règles de l'urbanisme local pour dénier auxdits preneurs les droits que leur confère le code de commerce au plan du statut des baux commerciaux ;

Attendu qu'il résulte de ces constatations qu'en application de l'article

L 145-1 1° I du code de commerce, dans ses versions respectives applicables à la cause (bail verbal de 2004 et bail verbal de 2014), les deux parcelles du même terrain nu ainsi louées respectivement aux appelantes doivent être considérés comme des immeubles qui sont accessoires à l'exploitation du fonds commercial ou artisanal de chacune d'elles et, partant, sont l'objet de baux commerciaux ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré sur ce point et, statuant à nouveau, d'allouer à ces locations verbales de de 2004 et 2014 le statut protecteur des baux commerciaux ;

V- Sur la demande de résiliation judiciaire des baux liant les parties

Attendu que les époux [P] demandent la résiliation des baux de 2004 et 2014 qu'ils estimaient de nature civile et non commerciale, pour des motifs tenant au fait que les sociétés locataires y exerçaient des activités commerciales ou artisanales après y avoir édifié de petits bâtiments à ces fins sans leur autorisation et sans même l'avoir requise;

Or, attendu qu'il a été ci-avant jugé que ces deux baux avaient la nature de baux commerciaux et, encore un peu avant, que M. [P], bailleur, n'ignorait rien, depuis 2012 à tout le moins, des constructions et activités constatées sur le terrain loué à MARBRES DES ILES et au fondement desquelles il requérait la résiliation du bail, sans pour autant avoir refusé, en 2014, l'extension de son 'autorisation de stockage' à la parcelle mitoyenne au profit d'une autre société de M. [R], CARREAUX D'ART [Localité 5] ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et, partant, de la faculté qu'avaient les sociétés appelantes d'exercer, sur les parcelles en cause sises à [Localité 4], accessoirement aux baux commerciaux conclus, dans le cadre des mêmes activités avec le même bailleur relativement à d'autres biens immobiliers sis à [Adresse 6], aucune faute contractuelle ne peut leur être imputée, si bien qu'il y a lieu, en accord avec la demande expresse de ce chef des appelantes, de dire mal fondées les demandes des époux [P] en résiliation des deux baux en litige et, partant, de les en débouter ; que le jugement déféré sera donc infirmé en toutes ses dispositions contraires ;

VI- Sur les demandes reconventionnelles des sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] (préjudice financier, indemnité d'éviction, préjudice moral, procédure abusive)

VI-1- Sur les demandes en dommages et intérêts pour préjudice financier et au titre des indemnités d'éviction

Attendu qu'en application des articles 564 à 566 du code de procédure civile :

- à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait,

- les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent,

- les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ;

Attendu que les appelantes incluent dans leur demande, sans distinction d'entre elles, au titre de leur préjudice financier ainsi globalisé, les frais de déménagement et de transport que l'exécution provisoire du jugement querellé aurait générés (soit 101 000 euros), d'une part, et, d'autre part, 'les loyers versés à des tiers contractants' pour du stockage (44 785 euros) ; et qu'elles y ajoutent des demandes au titre d'une indemnité d'éviction, cette fois pour chacune d'elles, distinctement ;

Or, attendu qu'elles fondent ces demandes sur la résiliation des baux en cause et leurs conséquences financières pour chacune d'elles, tout en distinguant d'entre les frais de déménagement qu'elles auraient générés et les indemnités d'éviction proprement dites, alors même que :

- d'une part, l'indemnité d'éviction comprend divers éléments, en ce compris les frais de déménagement, y compris le stockage provisoire des éléments à déménager, si bien qu'outre qu'il n'est pas permis de globaliser ces frais pour deux sociétés distinctes bénéficiant de baux distincts sur deux parcelles distinctes, ces frais ne peuvent être appréciés et indemnisés que dans le cadre des demandes au titre des indemnités d'éviction,

- d'autre part et surtout, une telle indemnité d'éviction ne peut être que le résultat de la résiliation du bail commercial, aux torts ou sur décision légitime du bailleur, alors qu'au cas d'espèce, et en suite des demandes précises à cet égard figurant au dispositif des dernières conclusions des appelantes, la cour, après avoir jugé que les baux litigieux étaient de nature commerciale et qu'aucune faute dans l'exploitation des parcelles en cause n'était donc démontrée à l'encontre des preneurs, a dit non fondées les demandes de résiliation de ces baux et les a par suite rejetées, sur infirmation du jugement déféré de ces chefs ;

Attendu qu'il en résulte qu'en l'absence de résiliation des baux en cause, les demandes des appelantes au titre des indemnités d'éviction et pour préjudice financier sont nouvelles comme ne pouvant se rattacher à une telle résiliation, et, partant, irrecevables au sens des textes sus-visés ; qu'il y a donc lieu de les rejeter purement et simplement;

VI-2- Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

Attendu qu'au soutien de leur demande de ce chef, les sociétés appelantes se bornent à dire qu'elles 'justifient d'un préjudide moral important qu'il conviendra également d'indemniser', tout en incluant ce chef de demande au chapitre de leurs écritures dédié aux indemnités d'éviction réclamées et ci-avant rejetées ; qu'il en résulte qu'elles ne définissent aucunement les contours d'un tel préjudice, ni n'en démontrent la réalité; qu'il y a donc lieu de les en débouter en l'état ;

VI-3- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence de la cour éponyme, toutes choses à valeur supra-légale quoiqu'infra-constitutionnelle, le droit d'agir est quasi absolu et son exercice ne peut être sanctionné de dommages et intérêts qu'au cas où il est démontré qu'il n'a été exercé que pour nuire au défendeur et que celui-ci en a subi un préjudice ;

Or, attendu que rien de tel n'est démontré par les sociétés appelantes ; qu'à l'inverse, il est constant qu'il avait été fait droit en première instance à l'essentiel des demandes des époux [P], ce qui révèle à tout le moins que les questions que posaient leurs demandes originelles étaient sérieuses et ne participaient nullement d'une volonté de nuire aux sociétés locataires ; qu'il échet en conséquence de débouter les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et, partant, de confirmer le jugement déféré de ce chef ;

VII- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que, succombant en toutes leurs demandes, les époux [P] supporteront tous les dépens de première instance et d'appel et seront subséquemment déboutés de leurs demandes au titre des dépens et frais irrépétibles de ces deux instances ;

Attendu que le jugement déféré sera par suite infirmé des chefs des dépens et frais irrépétibles de première instance ;

Attendu que des considérations d'équité justifient en revanche de les condamner à indemniser chacune des mêmes appelantes de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel à hauteur de la somme de 4 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Déclare les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] recevables en leur appel à l'encontre du jugement du tribunal de proximité de SAINT-MARTIN SAINT-BARTHELEMY en date du 2 juin 2022,

- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] à l'encontre des demandes de résiliation des baux formées par les époux [P],

- Confirme le jugement querellé en ce que le tribunal y a :

** dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces n° 1 et n° 2 produites par les époux [P],

** débouté les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- L'infirme pour le surplus de ses dispositions déférées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Dit que les parties sont liées, sur chacune des parcelles issues d'un terrain cadastré sous le n° [Cadastre 1] de la section AR de [Localité 4] à [Localité 2], par des baux verbaux bénéficiant du statut des baux commerciaux,

- Déboute M. [C] [P] et Mme [H] [X] épouse [P] de leur demande tendant à la résiliation judiciaire du bail commercial conclu entre eux, bailleurs, et la société MARBRE DES ILES, preneur, sur une parcelle dudit terrain,

- Déboute M. [C] [P] et Mme [H] [X] épouse [P] de leur demande tendant à la résiliation judiciaire du bail commercial conclu entre eux, bailleurs, et la société CARREAUX D'ART [Localité 5], preneur, sur une autre parcelle du même terrain,

- Dit irrecevables les sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] en leurs demandes nouvelles aux titres de l'indemnité pour préjudice financier et des indemnités d'éviction, et les en déboute par suite purement et simplement,

- Déboute les mêmes sociétés de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- Déboute M. [C] [P] et Mme [H] [X] épouse [P] de leurs demandes au titre des dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- Condamne M. [C] [P] et Mme [H] [X] épouse [P] à payer à chacune des sociétés MARBRE DES ILES et CARREAUX D'ART [Localité 5] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de ces mêmes instances.

Et ont signé,