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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 4 septembre 2024, n° 23/01763

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Kenza Blanka (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Leger

Vice-président :

Mme Legrois

Conseiller :

Mme Piedagnel

Avocats :

Me Girard, Me Omarjee

TJ Saint-Pierre, du 6 déc. 2023, n° 23/0…

6 décembre 2023

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte sous seing privé en date du 17 août 2018, l'indivision [W] a donné à bail commercial à la SARL Kenza Blanka un local situé [Adresse 4] à [Localité 23] pour une durée de neuf ans moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 3 500 euros TTC.

Par acte d'huissier du 7 décembre 2022, les bailleurs ont fait délivrer à la locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire en raison d'un arriéré locatif et de la quote-part de la taxe foncière pour les années 2020 et 2021.

Par acte d'huissier du 29 août 2023, les consorts [W] ont assigné la SARL Kenza Blanka devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de La Réunion aux fins de voir constater la résolution du bail commercial, de voir ordonner l'expulsion de la société défenderesse et de tout occupant de son chef, au besoin avec l'aide de la force publique, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, de voir ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets garnissant les lieux, de la voir condamner à lui régler la somme de 114 950 euros à titre d'indemnité provisionnelle selon décompte arrêté au 8 août 2023 et de fixer à sa charge une indemnité d'occupation de 10 500 euros par mois jusqu'à parfaite libération des lieux, outre la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Par ordonnance du 6 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de La Réunion a :

- constaté la résolution de plein droit du bail commercial signé entre l'indivision [W] et la SARL Kenza Blanka pour le local situé [Adresse 4] à [Localité 23] avec effet au 8 décembre 2022 ;

- condamné à titre provisionnel la SARL Kenza Blanka à payer à l'indivision [W] une somme de 41 500 euros au titre des loyers échus impayés à la date de résiliation du bail ;

- fixé une indemnité provisionnelle d'occupation des lieux égale au montant du loyer et des charges à compter du 8 décembre 2022 jusqu'à parfaite libération des lieux ;

- condamné à titre provisionnel la SARL Kenza Blanka à payer à l'indivision [W] une somme de 8 000 euros au titre de la clause pénale ;

- condamné à titre provisionnel la SARL Kenza Blanka à payer à l'indivision [W] les sommes échues au titre de l'indemnité provisionnelle d'occupation à compter du 8 décembre 2022 jusqu'à libération effective des lieux et remise des clés ;

- ordonné la libération des lieux par la société défenderesse et la remise des clés dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- à défaut, ordonné l'expulsion des lieux de la société défenderesse et de tous les occupants de son chef avec besoin si nécessaire, de l'assistance de la force publique ainsi quele transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers dans un garde-meuble ou dans tout autre lieu aux frais, risques et périls de la défenderesse ;

- débouté l'indivision [W] du surplus de ses demandes ;

- débouté la SARL Kenza Blanka de sa demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire du bail ;

- condamné la SARL Kenza Blanka à payer à l'indivision [W] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SARL Kenza Blanka aux entiers dépens de la présente instance ;

- rappelé l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration du 18 décembre 2023, la SARL Kenza Blanka a interjeté appel de cette décision.

L'affaire a été fixé à bref délai par avis du 30 janvier 2024 et appelée à l'audience du 20 mars 2024.

L'appelante a fait signifier la déclaration d'appel aux intimés par actes d'huissier distincts du 1er février 2024 et ils se sont constitués le 9 février 2024.

L'appelante a notifié ses conclusions par voie électronique le 28 février 2024 et l'intimée le 15 mars 2024.

Par ordonnance du 20 mars 2024, la procédure a été clôturée et l'affaire fixée à l'audience du 15 mai 2024 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 4 septembre 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS

Dans ses uniques conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2024, l'appelante demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé dont appel et de débouter les intimés de toutes leurs demandes et statuer ce que de droit sur les dépens eu égard à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son encontre par jugement du 30 janvier 2024, rectifié le 6 février 2024, par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de La Réunion sur le fondement des dispositions de l'article L622-21 du code de commerce faisant obstacle à la mise en oeuvre de la clause résolutoire du bail puisque la décision querellée est provisoire et non passée en force de chose jugée.

Dans leurs uniques conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2024, les intimés demandent à la cour de prendre acte des conséquences de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL Kenza Blanka sur les condamnations provisionnelles prononcées à son encontre suivant l'ordonnance querellée, de condamner la SARL Kenza Blanka à payer à l'indivision [W] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens et de débouter la SARL Kenza Blanka de toutes demandes et prétentions contraire.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'incidence de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire :

L'article L145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si, le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Aux termes de l'article L622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L622-27 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

Il résulte de la combinaison de ces textes, que l'action introduite par le bailleur, avant l'ouverture de la procédure collective du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement.

C'est seulement si la décision de justice constatant l'acquisition de la clause résolutoire est passée en force de chose jugée avant l'ouverture de la procédure collective que le bailleur peut bénéficier des effets de la résiliation du bail.

En l'espèce, la demande de résiliation du bail commercial a été présentée en référé et l'ordonnance de référé a été frappée d'appel avant le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard du preneur intervenue par jugement du 30 janvier 2024.

L'ordonnance du 6 décembre 2023 n'étant pas passée en force de chose jugée avant l'ouverture de la procédure collective, l'instance en référé ne peut se poursuivre et les demandes des bailleurs ne peuvent qu'être déclarées irrecevables par voie d'infirmation de l'ordonnance déférée.

Sur les autres demandes :

Les consorts [W] succombent à l'instance en raison de l'irrecevabilité de leurs prétentions du fait de l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la SARL Kenza Blanka au cours de l'instance d'appel.

Ils seront ainsi condamnés à payer les entiers dépens de l'instance, de première instance et d'appel, en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et seront déboutés de leur prétention au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance déférée dans l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau,

Vu le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL Kenza Blanka en date du 30 janvier 2024, rectifié par jugement du 6 février 2024,

Dit n'y avoir lieu à référé ;

Déclare irrecevables les demandes des consorts [W] tendant à la constatation des effets de la clause résolutoire du bail commercial liant les parties et au paiement de l'arriéré locatif ;

Condamne les consorts [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Déboute les consorts [W] de leur prétention au titre de l'article 700 du code de procédure civile.