CA Rennes, 3e ch. com., 3 septembre 2024, n° 23/06929
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
M2 (Sté)
Défendeur :
Le Trou du Chat (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Vice-président :
Mme Clément
Conseiller :
Mme Jeorger Le Gac
Avocats :
Me Debroise, Me Nadreau, Me Leboucher, Me Fore
La SARL LE TROU AU CHAT, exploitant un fonds de commerce de restauration-crêperie, était titulaire d'un bail commercial à expiration du 20 avril 2020 sur des locaux sis [Adresse 8] et [Adresse 1] à [Localité 9] (COTES-D'ARMOR) appartenant à Monsieur et Madame [F], aux termes d'un bail commercial authentique instrumenté par Maître [M] [W], Notaire à la Résidence de [Localité 5] et d'un acte de cession de fonds de commerce reçu le 17 juin 2019 par Maître [X] [H], Notaire à la Résidence de [Localité 9].
Ledit bail était consenti moyennant le versement d'un loyer annuel de 8.400€ hors taxes et hors charges, payable par échéances mensuelles de 700 euros le 1er de chaque mois.
Par acte extrajudiciaire en date du 2 septembre 2020, la SARL LE TROU AU CHAT a fait signifier aux bailleurs une demande de renouvellement du bail commercial aux clauses et conditions du bail initial.
Par acte signifié à la SARL LE TROU AU CHAT dans les mêmes formes, les bailleurs ont accepté le principe du renouvellement du bail moyennant la revalorisation du loyer annuel à hauteur de 9.693,10euros HT après indexation au 21 avril 2020.
Monsieur et Madame [F], ont vendu, selon acte au rapport de Maître [Z] [R] en date du 8 juillet 2021, leur immeuble au profit de la SAS M3, laquelle l'a revendu à la société M2 par acte du 24 décembre 2021.
Par jugement du 5 septembre 2023, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la SARL LE TROU AU CHAT par le Tribunal de commerce de SAINT-MALO, la date de cessation des paiements étant provisoirement fixée au 30 septembre 2022 et la SELARL [I] GOÏC ET ASSOCIES, prise en la personne de Maître [C] [I], étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Le 23 octobre 2023, le bailleur a déclaré sa créance pour la somme de 16.562,93euros TTC.
Le liquidateur judiciaire de la société LE TROU DU CHAT a recherché un acquéreur pour le fonds de commerce et la société RAJA a présenté une offre.
Par ordonnance du 27 novembre 2023, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société LE TROU DU CHAT a :
- autorisé la cession de gré à gré du fonds de restaurant connu sous l'enseigne LE TROU AU CHAT anciennement exploité dans un immeuble situé à [Adresse 3], à la SARL RAJA, moyennant le prix principal, net vendeur et hors taxe, de 17.000 euros,
- dit que ce prix sera réparti de la manière suivante:
- éléments incorporels: 13.000 euros,
- éléments corporels: 4.000 euros HT,
- dit que le prix sera payable au comptant et au plus tard le jour de la prise en jouissance du fonds, qui devra intervenir le 1er décembre 2023.
La société M2 a fait appel de cette ordonnance, soutenant que le fonds de commerce ne contient plus d'autre élément que le droit au bail et que dès lors, la cession autorisée était prohibée.
Par conclusions du 20 mars 2023, la société M2 a demandé à la Cour de :
- RECEVOIR la société M2 en son appel et l'y DIRE bien-fondé ;
- REFORMER 1'ordonnance du 27 novembre 2023 rendue par Madame le Juge Commissaire entoutes ses dispositions ;
Statuant a nouveau :
- REJETER la demande présentée par 1e Liquidateur Judiciaire visant a autoriser la cession du fonds de commerce de la SARL LE TROU AU CHAT au profit de la Société RAJA,
- DÉBOUTER la SARL LE TROU AU CHAT, la SELARL [I] GOÏC &ASSOCIES, représentée par Me [C] [I], pris en qualité de Liquidateur Judiciaire de la SARL LE TROU AU CHAT, ainsi que la Société RAJA de toutes leurs demandes, fins et prétentions contraires,
- CONDAMNER la SARL LE TROU AU CHAT et la SELARL [I] GOÏC &ASSOCIES, représentée par Me [C] [I], pris en qualité de Liquidateur Judiciaire de la SARL LE TROU AU CHAT, à payer la société M2, la somme de 1.500, 00 € au titre des frais irrépétibles,
- CONDAMNER les mêmes aux entiers dépens.
Par conclusions du 20 mars 2024, la SELARL [I] GOÏC & ASSOCIES, prise en la personne de Me [C] [I] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société LE TROU AU CHAT, a demandé à la Cour de :
o Recevoir la SELARL [I] GOÏC & ASSOCIES prise en la personne de Maître [C] [I] ès qualités en l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusions et l'y disant bien fondée,
o Rejeter comme non fondés l'appel principal de la société M2 et l'appel incident de la société RAJA,
o Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
o Débouter respectivement la société M2 et la société RAJA de l'ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions,
o Condamner la société M2 à payer à la SELARL [I] GOÏC & ASSOCIES prise en la personne de Maître [C] [I] ès qualités la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
o Condamner la société M2 aux entiers dépens.
Par conclusions du 19 février 2024, la SARL RAJA a demandé à la Cour de :
- confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a autorisé la cession du fonds de commerce litigieux,
- réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a fixé l'entrée en jouissance au 1er décembre et dire que cette entrée en jouissance interviendra dans le mois suivant le prononcé de l'arrêt,
- débouter l'appelant de ses demandes,
- débouter l'appelant et les intimés de toute demande contraire,
- condamner la société M2 au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions du 14 février 2024, le Crédit Mutuel de [Localité 9] a demandé à la Cour de rejeter les prétentions des appelants et de confirmer l'ordonnance déférée.
Par conclusions du 27 février 2023, le Ministère Public a conclu à la confirmation de l'ordonnance.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
Dans sa requête au juge commissaire déposée le 16 novembre 2023, Me [I] ès-qualités a exposé que le fonds de commerce de restaurant appartenant à la société 'Le Trou au chat' n'était plus exploité depuis la fin de mois d'août 2022, soit depuis 15 mois.
La société M2 soutient que dès lors, le fonds de commerce a disparu, la
clientèle ayant disparu, et que la cession envisagée a pour seul objet la cession du droit au bail, ce qui est prohibé par le bail.
Me [I] es-qualités et la société RAJA opposent que la clientèle ne disparaît pas du seul fait de l'inexploitation et qu'il résulte de l'inventaire réalisé par Me [S] le 19 septembre 2023 que le fonds est garni du matériel nécessaire à l'exploitation d'un restaurant.
Il doit toutefois être relevé que contrairement à ce que concluent Me [I] ès-qualités et le Ministère Public, la licence d'exploitation n'a pas pu être incluse dans la vente, étant, selon l'acte de cession antérieur par lequel la société LE TROU AU CHAT avait elle-même acquis son fonds, une licence 'personnelle', qui 'n'est pas un accessoire de la chose cédée' et est accordée par M. [B] de [Localité 9] au nom de la ville 'de façon discrétionnaire'.
Un fonds de commerce est constitué d'éléments matériels et immatériels et à ce titre, la requête prévoyait que les éléments incorporels étaient valorisés 13.000 euros et les éléments corporels 4.000 euros.
Il n'existe pas de fonds de commerce si la clientèle n'existe pas.
Le défaut d'exploitation d'un fonds de commerce durant plusieurs mois n'entraîne pas ipso facto la disparition de la clientèle si certaines circonstances de fait permettent, notamment, qu'elle se reconstitue dès la réouverture.
En l'espèce, la société M2 a fait réaliser un constat d'huissier le 1er août 2023 à 10 H 20 dont il résulte que, malgré la pleine saison touristique, le restaurant est situé dans une rue déserte, aucun des commerces avoisinants n'apparaissant ouverts.
Me [I] es-qualités ne fournit aucun élément qui permettraient à la Cour d'apprécier dans quelle mesure, dans les mois ayant précédé la cessation de l'exploitation, la société LE TROU AU CHAT faisait un chiffre d'affaires suffisant pour qu'il puisse être envisagé que le restaurant bénéficie d'une certaine notoriété, ou d'un emplacement très favorable au regard du caractère touristique de la ville de [Localité 9], et qu'ainsi, la clientèle n'aurait pas disparu avec l'exploitation et pourrait se reconstituer immédiatement à l'ouverture.
Il n'explique pas non plus pourquoi, la société RAJA, qui avait offert 54.000 euros selon compromis signé en juillet 2022 alors que le fonds était exploité (sous condition suspensive d'un prêt non obtenu), n'a plus offert, de façon satisfactoire, que 17.000 euros en novembre 2023 après quinze mois de cessation d'activité, si ce n'est que la clientèle avait disparu entre-temps.
Dès lors, il doit être constaté qu'il n'est pas démontré que la clientèle ait subsisté malgré l'inexploitation du fonds de commerce et la Cour ne peut que constater que le fonds a disparu.
Or, en vertu des dispositions de l'article 13 du bail consenti par la société M2, le bail ne peut être cédé qu'à l'acquéreur du fonds de commerce et selon l'article L641-12 du code de commerce, le liquidateur judiciaire ne peut céder le bail que dans les conditions prévues au contrat.
L'ordonnance déférée est infirmée.
Les dépens d'appel seront dits frais de procédure collective tandis que les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme l'ordonnance déférée.
Statuant à nouveau :
Rejette la requête de la SELARL [I] GOÏC& ASSOCIES prise en la personne de Me [I] pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société LE TROU AU CHAT visant à se voir autorisé à vendre à la société RAJA le fonds de commerce de restauration dépendant de l'actif de la première et situé [Adresse 10] à [Localité 9] pour un prix net vendeur de 17.000 euros HT.
Dit les dépens frais de procédure collective.
Rejette les demandes de frais irrépétibles.