Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 septembre 2024, n° 22/14346

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

ADA (SA), EDA (SA), ADA Services (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Dallery

Avocats :

Me Ortolland, Me Ingold, Me Istria

T. com. Paris, 19e ch., du 22 juin 2022,…

22 juin 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société ADA a pour activité la location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme.

La société EDA, filiale de la société ADA, a pour activité la location de courte durée de véhicules automobiles. Elle propose également aux franchisés du réseau ADA, la sous-location des véhicules.

La société ADA Services met à disposition du franchisé les logiciels de gestion, d'exploitation et de comptabilité.

Le 14 mai 2019, les sociétés ADA et [Localité 8] Mobilités, dont le président est M. [M], ont signé un contrat de franchise d'une durée de cinq ans, renouvelable en vue de l'exploitation de trois fonds de commerce, sous l'enseigne ADA, respectivement sur les communes de [Localité 9], [Localité 6] et [Localité 3], moyennant un droit d'entrée de 48 000 euros et une redevance mensuelle de 5% du chiffres d'affaires.

Trois contrats de location-gérance d'une durée de cinq ans, portant sur ces fonds ont également été conclus, prévoyant une redevance payable mensuellement par le locataire-gérant, de 4,4% du chiffre d'affaires.

Le même jour, EDA et [Localité 8] Mobilités ont signé un contrat-cadre fixant les conditions de mise à disposition des véhicules de location, d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction.

Enfin, à cette même date, ADA Services et [Localité 8] Mobilités ont signé un contrat « pack exploitation » d'une durée de 84 mois, prévoyant la mise à disposition du franchisé de divers logiciels de gestion, d'exploitation et de comptabilité contre paiement d'une redevance de 1 000 euros HT par mois sur 60 mois.

Le 8 juillet 2019, ADA a remis deux courriers, par voie d'huissier, à la société [Localité 8] Mobilités portant résiliation : 

- du contrat de franchise du 14 mai 2019, pour communication d'informations erronées et mensongères sur le fondement de l'article 11-1 de ces contrats, faisant état du placement en garde à vue de M [M] pour défaut de permis de conduire et conduite en état d'ivresse, non présentation d'un permis français en cours de validité et confirmation par l'intéressé dans sa réponse du 4 juillet 2017 de l'absence de détention d'un tel permis de conduire depuis novembre 2017,

- des trois contrats de location-gérance en application de leur article 10 prévoyant que la résiliation du contrat de franchise emportera de plein droit, sans préavis et sans autre formalité, la rupture anticipée des contrats de location-gérance, sans indemnité de part et d'autre.

Le même jour, 8 juillet 2019, EDA a remis un courrier, par voie d'huissier, à la société [Localité 8] Mobilités portant résiliation du contrat-cadre de location en vertu de l'article 13.1 du contrat prévoyant la résiliation de plein droit du contrat à l'initiative de EDA en cas de rupture pour quelque motif que ce soit, du contrat de franchise du réseau ADA dont est titulaire le client.

Par ordonnance du 19 novembre 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, retenant l'existence d'une contestation sérieuse, a rejeté les demandes de la société ADA en paiement, à titre prévisionnel, de la somme de 199 998,18 euros, au titre des sommes restant dues par la société [Localité 8] Mobilités.

Par acte du 30 juin 2020, les sociétés ADA, EDA et ADA Services ont assigné la société [Localité 8] Mobilités devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir le paiement de diverses sommes au titre de redevances de franchise impayées, loyers impayés, contrats de location-gérance et frais de location de véhicules. M. [M] est intervenu volontairement à l'instance.

Par jugement du 22 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit recevable et bien fondée l'intervention volontaire de Monsieur [B] [M],

- Jugé la résiliation effectuée par les sociétés ADA, EDA et ADA Services aux torts de ces dernières,

- Condamné les sociétés ADA, EDA et ADA Services in solidum, à verser la somme de 30 000 euros à Monsieur [B] [M] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- Condamné les sociétés ADA, EDA et ADA Services in solidum à verser la somme de 5 000 euros aux défendeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- Condamné les sociétés ADA, EDA et ADA Services in solidum aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 131,09 euros dont 21,64 euros de TVA.

La société [Localité 8] Mobilités a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 27 juillet 2022.

Elle demande à la Cour, par ses dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 18 avril 2024, de :

- Déclarer liminairement les sociétés ADA, EDA et ADA Services irrecevables en leur demande additionnelle en paiement de la somme de 155.826 €.

- Déclarer les sociétés ADA, EDA et ADA Services mal fondées en leur appel incident et en leurs conclusions

- Les en débouter,

- Déclarer au contraire la société [Localité 8] Mobilités et Monsieur [M] fondés en leur appel principal.

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le groupe de contrats qui liait les parties résilié aux torts et griefs des sociétés du groupe ADA.

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés du groupe ADA et condamné ces dernières à payer la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts à M. [M] ainsi que celle de 5.000 € au titre de l'article 700 du CPC.

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société [Localité 8] Mobilités et débouter Monsieur [M] du surplus de sa demande.

Et statuant à nouveau,

- Condamner in solidum les sociétés ADA, EDA et ADA Services à payer :

1) à la société [Localité 8] Mobilités la somme de 121.073,40 € en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de la rupture anticipée du contrat de franchise et des contrats annexes,

2) à Monsieur [M] la somme additionnelle de 101 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

- Condamner in solidum les sociétés ADA, EDA et ADA Services à payer la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens.

Les sociétés ADA, EDA et ADA Services, par leurs dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 22 avril 2024, demandent à la Cour de :

Vu l'article 1103 du code de procédure civile,

- Déclarer les sociétés ADA, EDA et ADA Services, recevables et bien fondées en leurs demandes, fins et conclusions,

Ce faisant,

- Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date 22 juin 2022 en ce qu'il a jugé que les conventions conclues entre la société [Localité 8] Mobilités et les sociétés du Groupe ADA avaient été résiliées aux torts de ces dernières,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes en paiement des sociétés du Groupe ADA,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société [Localité 8] Mobilités tendant à obtenir le paiement de dommages et intérêts,

- L'infirmer pour le surplus et notamment en ce qu'il a qu'il a condamné les sociétés du Groupe ADA, in solidum, à verser la somme de 30.000 € à Monsieur [B] [M] à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Statuant à nouveau,

- Juger que la résiliation par les sociétés du Groupe ADA des conventions conclues avec la société [Localité 8] Mobilités n'est pas fautive,

- Juger que la demande de condamnation de la société [Localité 8] Mobilités au paiement de la somme de 155.826 € ne constitue pas une prétention nouvelle exposée pour la première fois en cause d'appel, et débouter les appelants de leur demandant tendant à la voir déclarer irrecevable,

En conséquence,

- Débouter la société [Localité 8] Mobilités et Monsieur [B] [M] de leur appel du jugement en date du 22 juin 2022 et de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- Juger que la société [Localité 8] Mobilités est débitrice des sociétés ADA, EDA et ADA Services,

- Condamner la société [Localité 8] Mobilités à payer à la société ADA la somme de 66.642,26 € TTC au titre des redevances de franchise impayées ainsi qu'au titre des accessoires des contrats de location-gérance du 14 mai 2019, arrêtée à la date du 5 août 2019,

- Condamner la société [Localité 8] Mobilités à payer à la société ADA la somme de 155.826. € au titre de son manque à gagner du fait de la résiliation du contrat de franchise,

- Condamner la société [Localité 8] Mobilités à payer à la société EDA la somme de 37.355,93 € TTC au titre des loyers impayés et frais divers de location de véhicules, arrêtée à la date du 5 août 2019,

- Condamner la société [Localité 8] Mobilités à payer à la société ADA Services la somme de 96.000 € TTC au titre des redevances impayées, arrêtée à la date du 5 août 2019,

- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,

A titre subsidiaire :

- Si la Cour jugeait la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société ADA et retenait l'existence d'un préjudice moral de Monsieur [B] [M], limiter l'indemnisation de ce dernier à la somme de 1 € symbolique,

En tout état de cause :

- Condamner la société [Localité 8] Mobilités et Monsieur [B] [M] à payer, in solidum, à chacune des sociétés ADA, EDA et ADA Services une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du CPC,

- Les condamner aux entiers dépens.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

MOTIVATION

Sur la résiliation des contrats aux torts des sociétés du groupe ADA (ADA, EDA, ADA Services)

[Localité 8] Mobilités sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré l'ensemble des contrats comme résilié aux torts des sociétés ADA, EDA et ADA Services.

Elle fait valoir que :

- ADA invoquait comme motifs de résiliation des contrats de franchise la garde à vue de M. [M] et la communication d'informations mensongères lors de son entrée dans le réseau.

* Or, M. [M] n'a pas été placé en garde à vue mais simplement verbalisé. Il a été blanchi du chef de conduite sans permis par décision du 4 février 2021 et avait été contrôlé qu'avec un taux d'alcool peu au-dessus du seuil posé par la loi.

* M. [M] était bien titulaire d'un permis belge en cours de validité, qu'il a fourni à ADA le 9 février 2019 et il avait bien entamé les démarches en vue de la délivrance d'un permis français. M. [M] n'a donc jamais menti ou fourni de fausses informations.

- ADA n'a jamais fait de la possession d'un permis français une condition du contrat.

- Un permis belge a la même valeur qu'un permis français sur le territoire et ADA n'a jamais expliqué la raison pour laquelle elle exigeait un permis français, d'autant que cela n'empêchait pas M. [M] de mener à bien l'exploitation des fonds de commerce.

Les sociétés du groupe ADA rétorquent que le contrat de franchise contient une clause de résolution de plein droit, qui prévoit que le franchiseur peut mettre fin au contrat dans l'hypothèse où le franchisé a communiqué, au moment de sa candidature ou pendant l'exécution du contrat, des informations erronées ou mensongères, que le contrat prévoit également qu'il est conclu intuitu personae et que s'il est conclu avec une personne morale, la personnalité du dirigeant, en l'espèce M. [M], est déterminante.

Elles font valoir que :

- Un permis est demandé au regard de la nature de l'activité.

- Un permis français est exigé des dirigeants étrangers en raison des différences qu'il peut y avoir selon les permis (permis temporaire, absence de système de points, ').

- Le permis belge est incompatible avec l'activité en ce qu'il a une durée limitée de 10 ans, qu'il ne peut faire l'objet de duplicata en cas de perte ou de vol et qu'il doit être impérativement échangé contre un permis français en cas de retrait de points en France.

- Un dirigeant sans permis se trouverait dans l'impossibilité d'exercer son activité dès lors qu'il ne pourrait réaliser certaines missions telles que le transfert des véhicules entre les agences, la restitution des véhicules au fournisseur en fin de période de location, le déplacement des véhicules vers les garages pour réparation et le rapatriement de certains véhicules.

- Lorsque M. [M] a été placé en garde à vue, ADA lui a demandé de fournir une copie de son permis français, que M. [M] n'a jamais communiqué.

- Au mois de novembre 2017, M. [M] a été frappé d'une interdiction provisoire de conduire en France et son permis belge lui a été retiré. M. [M] n'a jamais révélé cette information, à ADA avant la conclusion du contrat, alors que si cette dernière l'avait su, elle ne lui aurait pas confié l'exploitation de trois de ses fonds de commerce.

- M. [M] ne justifie pas qu'il avait effectivement entamé les démarches pour l'obtention de son permis français au moment de sa candidature.

- La cour n'est compétente que pour statuer sur l'existence d'un manquement contractuel, indifféremment de sa gravité, en raison de la clause résolutoire conventionnelle applicable de plein droit.

Réponse de la Cour

L'article 11-1 des trois contrats de franchise faisant la loi des parties, invoqué par ADA au titre de la résiliation de plein droit des contrats, dispose :

« La résiliation du contrat interviendra de plein droit, dès la première présentation postale d'une lettre recommandée avec accusé de réception émanant du Franchiseur, reproduisant la présente clause et ce, dans l'un des cas suivants :

(')

- communication au Franchiseur, lors de sa candidature à la franchise, ou pendant la durée du contrat de Franchise, d'informations erronées ou mensongères au sens de l'article 4.8, telles que notamment remise de fausses déclarations de chiffre d'affaires, de faux bilans, omissions, ' »

L'article 4.8 susvisé « Règles de bonne conduite et retour des informations » dispose quant à lui :

4.8.1« Le Franchisé doit respecter vis-à-vis de son Franchiseur une obligation de loyale collaboration.

En conséquence, il devra à tout moment avant et pendant l'exécution du présent contrat, communiquer à son Franchiseur des informations exactes et sincères, et ne communiquer à quiconque aucune information, par voie orale ou écrite, qui soit trompeuse, fausse ou de nature tendancieuse.

(') »

En l'espèce, ADA a résilié le contrat de franchise conclus avec la société [Localité 8] Mobilités par une lettre recommandée remise par huissier le 8 juillet 2019 en application de l'article 11-1 de chacun des contrats, motifs pris du placement en garde à vue de M [M] pour défaut de permis de conduire et conduite en état d'ivresse, non présentation d'un permis français en cours de validité demandée par lettre du 2 juillet 2019, et confirmation par l'intéressé dans sa réponse du 4 juillet 2017 de l'absence de détention d'un tel permis de conduire depuis novembre 2017.

Or, il ne résulte d'aucun élément que la détention d'un permis de conduire français par le président de la société constituerait une condition nécessaire au consentement du franchiseur, ni davantage que M [M] ait prétendu en détenir un, ayant seulement indique qu'il en avait fait la demande.

En outre, si M [M] a été condamné pour conduite en état d'ivresse pour des faits survenus au cours de l'exécution du contrat, il a été relaxé du chef de conduire sans permis et il est établi qu'il est titulaire d'un permis de conduire belge (attestation pièce 13).

Il justifie par ailleurs de démarches entreprises pour récupérer l'original de son permis belge, indiquant pertinemment qu'il s'agissait là de la première étape pour la conversion de son permis en permis français.

De même, il justifie d'une demande de permis de conduire par échange à la date du 1er octobre 2018 (pièce 17-2)

Son courriel du 8 février 2019 en ces termes : « Je vous joins une copie de mon permis belge' je devrai[s] recevoir le français d'ici peu il est déjà en retard de plusieurs semaines' » ne permet pas d'établir que M [M] ait manqué à son obligation contractuelle de communiquer des informations exactes et sincères à son franchiseur.

De même, ainsi que le tribunal l'a exactement dit, il ne peut être retenu que l'obligation de loyauté pesant sur la société [Localité 8] Mobilités commandait à son président d'informer ADA de la suspension de son permis de conduire survenue deux ans auparavant pour excès de vitesse.

En conséquence, la société ADA ne peut se prévaloir de la résiliation de plein droit du contrat de franchise conclu avec la société [Localité 8] Mobilités.

Il s'ensuit que la société ADA ne peut davantage se prévaloir de la résiliation de plein droit des contrats de location-gérance et que la société EDA ne peut se prévaloir de la résiliation de plein droit du contrat-cadre de location.

La rupture contractuelle est donc intervenue aux torts des sociétés ADA, EDA et ADA Services ainsi que le tribunal l'a retenu.

Sur le préjudice subi par la société [Localité 8] Mobilités et son président

Sur le préjudice de la société [Localité 8] Mobilités

[Localité 8] Mobilités reproche au tribunal d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation en retenant une compensation de créances respectives sans la démontrer, ce d'autant qu'il a été reconnu que les contrats ont été résiliés aux torts d'ADA, qui n'a pas de créance à revendiquer à son encontre.

Elle soutient que :

- M. [M] a dû quitter les lieux immédiatement, sans pouvoir récupérer tous les documents comptables et n'a depuis plus accès à ses comptes ;

- Une période d'exploitation aussi courte ne saurait remettre en cause l'indemnisation à laquelle elle a droit ;

- ADA ne peut contester les comptes prévisionnels sur lesquels elle s'appuie [Localité 8] alors que son message d'envoi du 8 janvier 2019 démontre que c'est elle qui les a fournis.

Elle sollicite la somme de 128 000 euros au titre du manque à gagner, correspondant au bénéfice attendu sur 5 ans et après paiement des différentes sommes dues à ADA prévues contractuellement.

Sur la perte subie, elle affirme ne pas pouvoir procéder au calcul, dès lors que :

- Seules sont payées aux franchisés les locations effectuées en agence, les locations faites en ligne reviennent à ADA directement ;

- Les opérations sont comptabilisées sur des comptes tenus et contrôlés par ADA, auxquels les franchisés ne peuvent accéder que par intranet ;

- A partir du 9 juillet 2019, elle n'a plus eu accès à ses comptes, et n'a donc pu établir un compte d'exploitation sur la très courte période d'exécution.

Elle indique avoir pu effectuer un tirage de son compte recette via l'intranet le 26 juin2019, quelques jours avant la rupture, tirage qu'elle fournit dans ses écritures, qui ne concerne que le chiffre d'affaires jusqu'au 26 juin 2019, à partir duquel elle chiffre son préjudice à 121 073,40 euros.

Les sociétés du groupe ADA rétorquent que les demandes indemnitaires doivent être rejetées comme infondées, ou à défaut, minorées.

Sur le manque à gagner, elles font valoir que :

- [Localité 8] a modifié à 3 reprises le quantum du préjudice, montrant que ces demandes sont purement artificielles ;

- [Localité 8] a bénéficié de conditions préférentielles au moment de son entrée dans le réseau, avec un échelonnement du paiement du droit d'accès au réseau ;

- [Localité 8] ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice (manque à gagner, frais d'exploitation exposé en pure perte) ;

- [Localité 8] ne fournit aucun élément comptable alors qu'elle aurait pu tenir une comptabilité régulière si, en bon gestionnaire, elle avait extrait des copies des données du logiciel comptable ;

- La pondération de 80% au titre de la perte de chance n'est pas justifiée par [Localité 8], d'autant qu'elle est généralement fixée à 50% du gain attendu pour les entreprises au lancement de leur activité ;

- Les dommages correspondant aux gains manqués futurs ne peuvent être réparés que sous réserve d'être certains, alors que [Localité 8] se base sur des états prévisionnels ;

- Le calcul proposé par l'appelant peut être d'autant moins suivi que la crise sanitaire liée au covid-19 a commencé quelques mois après.

Sur la perte subie, elles estiment que :

- la demande de [Localité 8] semble artificielle puisque revue à la baisse dans ses dernières conclusions, pour 30 fois moins que le montant demandé initialement ;

- [Localité 8] doit être déboutée en raison de sa carence dans l'administration de la preuve et des lacunes dans l'évaluation de son préjudice.

Sur le préjudice de M. [M]

M [M] soutient que les sommes allouées, soit 15 000 euros au titre du manque à gagner et 15 000 euros au titre du préjudice moral, sont insuffisantes et ne répondent pas au principe de réparation intégrale du préjudice.

Il fait valoir que :

- Il a utilisé toutes ses économies dans l'opération, soit 80 000 euros et s'est retrouvé du jour au lendemain sans moyen ;

- Il a souffert d'une dépression consécutive aux événements ;

- Il a souffert d'un manque à gagner, puisque selon le prévisionnel d'ADA, il devait percevoir la somme de 2 500 euros par mois ;

- Il est de jurisprudence constante que le tiers à un contrat peut invoquer un manquement contractuel qui lui a causé un dommage, sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Il sollicite 44 353 euros au titre de la perte financière, ce qui correspond au capital social de [Localité 8], au prix et frais de formation et aux frais d'immatriculation. En outre, il demande, au titre du manque à gagner, 61 000 euros correspondant à la rémunération escomptée sur la période du 1er juillet 2019 au 30 septembre 2020, ayant retrouvé un emploi depuis.

Il demande la somme de 101 000 euros au titre du préjudice moral, en raison des circonstances dans lesquelles il a été évincé des trois fonds de commerce, s'étant retrouvé du jour au lendemain à la rue, sans moyen et avec un enfant à charge.

Les sociétés intimées rétorquent que les demandes indemnitaires doivent être rejetées comme infondées, ou à défaut, minorées.

Elles relèvent que :

- Les demandes indemnitaires semblent purement artificielles puisqu'elles varient également, d'un jeu de conclusions à un autre ;

- M. [M] ne démontre pas l'ensemble des conditions lui permettant d'engager la responsabilité d'ADA et échoue à démontrer un préjudice financier ;

- Il ne peut demander réparation à hauteur du capital social et des frais d'immatriculation, dès lors que la société n'a pas été créée exclusivement dans le but d'exploiter les fonds ADA et que, au regard de son objet social, la société peut exploiter d'autres projets ;

- Quant aux frais de formation, ceux-ci sont, en vertu du contrat, à la charge du franchisé et la formation n'est pas propre à l'intégration du réseau, elle est dispensée par un organisme de formation agréé et est qualifiante puisqu'un diplôme est remis à son issue

- Sur le manque à gagner, au titre du « salaire » qu'il aurait dû percevoir, M. [M] retient la somme de 2 500 euros par mois, laquelle se base sur un prévisionnel que [Localité 8] a établi ;

- Il n'est pas tenu compte de la période de covid-19 qui a eu lieu dans le calcul de la réparation alors que la possible réalisation de l'évènement favorable doit être réelle et sérieuse et non hypothétique, comme c'est le cas de la perception d'une rémunération par l'intéressé pendant cette période ;

- Il aurait également pu exercer une autre activité après la résiliation du contrat de franchise afin de percevoir un salaire ;

- S'agissant du préjudice moral, l'unique ordonnance d'un médecin généraliste ne démontre pas que M. [M] a souffert d'une dépression et les facteurs pourraient, en toute hypothèse, être extérieurs au litige ;

- Il a fait le choix de rejoindre le réseau et la résiliation sans brutalité est due à son manque de bonne foi et de transparence, conformément aux dispositions contractuelles.

Réponse de la Cour

La société [Localité 8] Mobilités sollicite réparation de son manque à gagner qu'elle chiffre à la somme de 128 000 euros correspondant au bénéfice attendu sur 5 ans après paiement des différentes sommes dues aux sociétés du groupe ADA prévues contractuellement.

Il ne saurait lui être reproché de fonder sa demande sur le compte d'exploitation prévisionnel que lui a fourni la société ADA ainsi qu'elle en justifie (ses pièces 18 à 20), n'ayant plus accès à ses comptes.

Ainsi, pour la période mai à décembre 2019, le compte d'exploitation prévisionnel retient un résultat négatif de 3 903 €, toutes charges d'exploitation déduites et pour l'année 2020, un résultat positif de 33 920 €.

Au vu de ces éléments, il convient de prendre en compte la crise sanitaire du Covid 19 et l'aléa inhérent à toute activité commerciale.

Un coefficient de pondération de 50% sera retenu.

Ainsi sur la période contractuelle de 5 ans, il sera retenu la somme de :

33.000 € x 5 = 165 000 x 50% = 82 500 € - 3 903 = 78 597 € arrondie à 78 000 € au titre du manque à gagner.

S'agissant de la perte subie, [Localité 8] Mobilités sollicite la somme de 1 073,40 €au vu de son compte recettes arrêté au 26 juin 2019.

Les pièces 20-1 à 20-8 produites, font apparaître pour la période du 14 mai au 26 juin 2019, pour les 3 fonds de commerce de [Localité 6], [Localité 9] et [Localité 3] un encaissement de 27 994,43 € (y compris les sommes encaissées par ADA pour son compte).

Il est justifié au cours de la même période notamment de charges de personnel (pièce 21) de 20 748,74 €, de frais notamment d'essence, de déplacement et de bureau (pièces 22,23 et 24) de 5 181,64 €, de frais d'essence ADA de 3 500 € environ (pièce 25), de frais bancaires (pièces 29 à 32) de 1 056 € et de frais de comptabilité (pièces 33 à 35) de 1 108,80 €.

La somme de 1 073,40 € au titre de la perte subie est ainsi justifiée.

Ainsi, les sociétés ADA, EDA et ADA Services seront condamnées in solidum à verser à la société [Localité 8] Mobilités sur le fondement des articles 1231-1 et 1231-2 du code civil, la somme 78 000 € au titre du manque à gagner et la somme de 1 073,40 € au titre de la perte subie.

S'agissant de M [M], celui-ci est en droit d'obtenir sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du préjudice qu'il subit de par la rupture fautive du contrat, en sa qualité de tiers à celui-ci.

La société [Localité 8] Mobilités pouvant continuer à être exploitée au regard de son objet social « création, acquisition, exploitation d'une agence de location de tous types de véhicules automobiles et deux roues, », la somme de 10 000 € sur les 20.000 € versée lui sera allouée au titre de la perte subie. Il sera ajouté la somme de 10 000 € sur celle de 16 800 € versée à ADA au titre des frais de formation pour intégrer le réseau, s'agissant d'une formation dont il a bénéficié, les frais indirects de formation restant à sa charge. La somme de 120 € sur les 260 € dépensés au titre des frais d'immatriculation de la société (pièce 43) sera également retenue, soit la somme totale de 20 120 €.

Au titre du manque à gagner, M [M] devait percevoir, non un salaire, mais des revenus mensuels de 2 500 € par mois selon le compte d'exploitation prévisionnel produit que lui a adressé ADA.

Ayant retrouvé un emploi depuis le 1er octobre 2022, il limite sa demande à la somme de 61 000 € au titre de la période du 1er juillet 2019 au 30 septembre 2022.

Au vu de l'aléa de toute exploitation commerciale et de la pandémie survenue au cours de cette période, les revenus mensuels escomptés peuvent être évalués à 1 500 €.
La somme de 58 500 € (1 500 X 39) sous déduction de la somme de 36 561,47 € au titre des revenus de substitution qu'il a perçus, soit la somme arrondie à 22.000 € est donc allouée à M [M] au titre du manque à gagner.

Enfin, s'agissant du préjudice moral, le tribunal a justement évalué ce chef de préjudice à la somme de 1 500 € au vu l'éviction qu'il a subie.

Les sociétés ADA, EDA et ADA Services sont ainsi condamnées in solidum à payer ces sommes à M [M].

Sur les demandes des sociétés ADA, EDA et ADA Services

[Localité 8] Mobilités soutient que la demande additionnelle à hauteur de 155 826 euros présentée par les intimées au titre d'un manque à gagner du fait de la résiliation du contrat est irrecevable, s'agissant d'une prétention nouvelle alors qu'aucun fait nouveau n'est survenu, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile et contraire au principe de concentration des prétentions de l'article 910-4 du code précité.

Les sociétés intimées rétorquent que, contrairement à ce que soutient [Localité 8], cette demande n'est pas nouvelle, au sens de l'article 565 du code de procédure civile.

Elles disent que :

- cette demande est faite sur la base de l'article 11-1 du contrat de franchise, qui stipule que « Toutes les résiliations prononcées par le Franchiseur pour les motifs ci-avant énoncés donneront lieu au paiement par le Franchisé d'une indemnité calculée sur le manque à gagner en redevances du Franchiseur, par rapport aux années restant à courir jusqu'à l'arrivée du terme du contrat, sans préjudice de toute autre somme que le Franchisé resterait devoir au titre du présent contrat. Cette somme sera calculée à partir des objectifs de Chiffres d'affaires minimum prévus à l'article 20 ».

- le manque à gagner d'ADA du fait de la résiliation du contrat doit donc être calculé à partir des redevances d'exploitation et de communication qui devaient être payées par la société [Localité 8] Mobilités en fonction de son chiffre d'affaires. Ces deux redevances sont respectivement fixées à 5% et 3% du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par le franchisé à l'occasion du contrat en application des articles 6.3 et 6.6.

Les sociétés intimées soutiennent encore que la société [Localité 8] Mobilités doit payer les sommes qu'elle doit encore au titre des différentes conventions, soit la somme de 66 642 euros au titre des redevances de franchise impayées, des accessoires des contrats de location-gérance et de la résiliation du protocole d'accord de paiement suite à la résiliation du contrat de franchise, conformément à l'article 6 al. 2 du protocole d'accord de paiement, lequel stipule que « En cas de résiliation, pour quelque motif que ce soit, du contrat de Franchise ADA consenti par ADA SA au Franchisé, la facilité de paiement accordée au titre des présentes sera immédiatement annulée et le montant des sommes restant dues par le Franchisé à ADA deviendra de plein droit exigible ».

Elles sollicitent le paiement de 37 355 euros au titre des loyers et frais divers de location de véhicules en vertu du contrat conclu entre EDA et [Localité 8] ainsi que la somme de 96 000 euros est demandé au titre de l'exécution des contrats « pack Services ».

Réponse de la Cour

Sur la recevabilité de la demande des sociétés intimées au titre d'un manque à gagner

Cette demande est recevable sur le fondement de l'article 565 du code de procédure civile en ce qu'elle tend « aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement est différent », s'agissant de réparer le préjudice subi par les sociétés ADA.

Sur le fond

Les demandes formées par les sociétés intimées au titre du manque à gagner, des redevances de franchise impayées, des accessoires des contrats de location-gérance et de la résiliation du protocole d'accord de paiement suite à la résiliation du contrat de franchise, de même que le paiement des loyers et frais divers de location de véhicules en vertu du contrat conclu entre EDA et [Localité 8] Mobilités, et la somme de 96 000 euros au titre de l'exécution des contrats « pack Services » ne peuvent prospérer dès lors qu'elles ne peuvent se prévaloir de la résiliation de plein droit des contrats conclus avec la société [Localité 8] Mobilités.

Les intimées sont donc déboutées de leurs demandes.

Sur les autres demandes

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés ADA, EDA et ADA Services in solidum aux dépens et mis à leur charge une indemnité de procédure.

Les sociétés ADA, EDA et ADA Services qui succombent, sont condamnées in solidum aux dépens d'appel, déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnées in solidum à verser la somme globale de 10 000 € à la société [Localité 8] Mobilités et à M. [M] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a limité la condamnation in solidum des sociétés ADA, EDA et ADA Services à payer la somme de 30 000 € à M. [B] [M] en réparation du préjudice subi et rejeté les demandes de réparation du préjudice de la société [Localité 8] Mobilités ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés ADA, EDA et ADA Services à payer à la société [Localité 8] Mobilités en réparation de son préjudice la somme de 78 000 € au titre du manque à gagner et la somme de 1 073,40 € au titre de la perte subie ;

Condamne in solidum les sociétés ADA, EDA et ADA Services à payer à M. [B] [M] en réparation de son préjudice la somme de 22 000 € au titre du manque à gagner, la somme de 20.120 € au titre de la perte subie et la somme de 1 500 € au titre de son préjudice moral ;

Déclare recevable mais non fondée la demande en paiement au titre du manque à gagner des sociétés ADA, EDA et ADA Services ;

La rejette ;

Condamne in solidum les sociétés ADA, EDA et ADA Services aux dépens d'appel et à payer la somme globale de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société [Localité 8] Mobilités et M. [M] ;

Rejette toute autre demande.