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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 3, 4 septembre 2024, n° 23/00680

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/00680

4 septembre 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 04 Septembre 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 23/00680 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHAL6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 mars 2016 rendu par le conseil des prud'hommes de PARIS, infirmé partiellement par l'arrêt du 21 juin 2018 rendu par le pôle 6-7 de la cour d'appel de Paris, annulé par arrêt du 14 décembre 2022 de la chambre sociale de la Cour de Cassation.

APPELANTE

Société ACANTHE DEVELOPPEMENT, prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 735 620 205

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065 avocat postulant et par Me Anne-Judith LEVY avocat au barreau de PARIS, toque: C 1580, avocat plaidant, présente à l'audience ayant déposée des conclusions visées par le greffier et jointe au dossier

INTIMES

Madame [E] [P]

Née le 20 Janvier 1972 à [Localité 5] (93)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Non comparante, représentée par Me Frédérique ROUSSEL-THAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1414, ayant déposée des conclusions visées par le greffier et jointe au dossier

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 751010022023019847 du 24/08/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Véronique MARMORAT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Véronique MARMORAT, présidente

Fabienne Rouge, présidente

Anne MENARD, présidente

qui en ont délibéré, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, non représenté lors des débats, qui a fait connaître son avis.

Greffier : Madame Laetitia PRADIGNAC, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- signé par Véronique MARMORAT, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [E] [P], née le 20 janvier 1972, a été embauchée le 17 mai 2010, par la société Acanthe Développement en qualité de directrice de l'immobilier ayant une rémunération annuelle brute égale à la somme de 110 500 euros, répartie sur 13 mois.

Le 25 janvier 2011, la salariée est convoquée par son employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 4 février 2011, assorti d'une mise à pied conservatoire. Madame [P] l'informe par courrier du même jour de son état de grossesse.

Par courrier du 4 février 2011, la société Acanthe Développement a indiqué à madame [P] qu'elle renonçait à la procédure de licenciement mais a prononcé la nullité de son contrat de travail pour dol, au motif que la salariée ne se serait jamais appelée [E] [V] [B], n'aurait jamais été polytechnicienne et n'aurait jamais travaillé au sein de PSA ce qui aurait vicié son consentement.

Le 14 février 2011, madame [P] a saisi en contestation de cette nullité le Conseil des prud'hommes de Paris.

Le 30 avril 2014, le parquet de Paris a classé sans suite les deux plaintes déposées les 5 décembre 2011 et 19 juillet 2012 respectivement par la société Acanthe Développement et madame [P]. La société Acanthe Développement a déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris à l'encontre de madame [P] pour escroquerie, faux et usage de faux le 6 août 2014.

Le 17 octobre 2014, madame [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par jugement du 17 mars 2016, rendu en formation de départage, le Conseil des prud'hommes de Paris a :

Rejeté la demande de sursis de statuer

Condamné la société Acanthe Développement à verser à madame [P] les sommes suivantes :

Titre

Montant en euros

Licenciement nul

102 000

Manquement à l'obligation de sécurité de résultat

20 000

Indemnité compensatrice de préavis

Congés payés

25 500

2 550

Rappel de salaire au titre du 13ème mois proratisé pour l'année 2011

2 833,33

Rappel de salaire jusqu'à la fin de la période de protection

Congés payés

10 200

1 020

Rappel de salaire pour les congés payés

5 795,45

Article 700 du code de procédure civile

3'000

La société Acanthe Développement a interjeté appel de cette décision le 6 avril 2016.

Par jugement du 31 octobre 2017, le tribunal correctionnel de Paris a :

Déclaré madame [P] coupable des faits d'escroquerie

Condamné madame [P] à une amende de 10'000 euros

Condamné madame [P] à verser à la société Acanthe Développement les sommes suivantes':

- 30'000 euros en réparation de son préjudice financier

- 3'000 euros en réparation de son préjudice moral

- 4'000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Dans son arrêt du 21 juin 2018, la cour d'appel de Paris, autrement composée, a confirmé le jugement entrepris, sauf sur le montant des dommages et intérêts pour nullité du licenciement et en ce qu'il a fait droit à la demande de dommages et intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité et a condamné la société Acanthe Développement aux dépens et à verser à madame [P] la somme de 51'000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ainsi que la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 5 janvier 2020, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement correctionnel en ce qu'il a reconnu madame [P] coupable des faits d'escroquerie, et statuant de nouveau l'a condamné à :

- Une peine de 9 mois d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant 2 ans

- Verser à la société Acanthe Développement une somme de 36'738,17 euros en réparation du préjudice financier, en confirmant la somme retenue pour le préjudice moral, outre celle de 2'000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Sur pourvoi formé par la société Acanthe Développement, la Cour de cassation dans son arrêt du 14 décembre 2022 a annulé l'arrêt rendu le 28 juin 2018, en réalité le 21 juin 2018, par la chambre sociale de la cour d'appel de Paris, dès lors qu'il se prononce sur le caractère non déterminant de l'usage de la qualité de polytechnicienne par la salariée dans la décision de l'employeur de conclure le contrat de travail, alors que le caractère déterminant de cet usage pour la fixation du salaire perçu à compter de son embauche a été reconnu par une décision pénale définitive.

La présente cour a été saisie par acte formé par la société Acanthe Développement le 17 janvier 2023.

Dans ses conclusions signifiées par voie électronique le 27 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Acanthe Développement demande à la cour après annulation de l'arrêt du 21 juin 2018 d'infirmer en sa totalité le jugement entrepris rendu le 17 mars 2016, statuant à nouveau, de :

A titre principal

Prononcer la nullité du contrat de travail de madame [P] pour dol

Débouter madame [P] de l'intégralité de ses prétentions et de ses demandes sur quelque fondement que ce soit

A titre subsidiaire

Dire et juger que la lettre recommandée avec accusé de réception du 4 février 2011 constitue à tout le moins une lettre de rupture du contrat de travail

Dire et juger que la rupture a pour cause légitime la faute grave de la salariée

Dire que la procédure a été respectée et qu'aucune indemnité n'est due

En tout état de cause

Débouter madame [P] de l'intégralité de ses prétentions et lui ordonner la restitution de toutes les sommes versées par son ex employeur, y compris les charges y afférentes, assorties des intérêts au taux légal, et l'y condamner

Condamner madame [E] [P] aux dépens et à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions signifiées par voie électronique le 10 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la Madame [P] demande à la cour de :

Confirmer le jugement du conseil de Prud'hommes de Paris du 17 mars 2016 en ce qu'il a rejeté le dol et la nullité du contrat de travail et en ce qu'il a prononcé la nullité du licenciement,

Constater que Madame [E] [P] était enceinte et que la période de protection de ce statut s'applique et qu'en conséquence la rupture du contrat de travail est nulle,

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Acanthe Développement à lui payer diverses sommes en modifiant les quantums suivants': 5 666 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 566 euros au titre des congés payés sur préavis, 1 416,50 euros au titre des congés payés acquis, 124 652 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

A titre subsidiaire :

Dire et juger que la rupture du contrat en date du 4 février 2011 constitue une rupture abusive de son contrat de travail,

Condamner la société Acanthe Développement à lui la somme de 124 652 euros titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail,

En tout état de cause :

Condamner la société Acanthe Développement à lui remettre l'ensemble de ses bulletins de paye, certificat de travail rectifié et attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 50 euros, par jour de retard et par document,

Dire et juger que les salaires seront assortis des intérêts légaux à compter de leur date d'exigibilité, que les dommages et intérêts seront assortis des intérêts légaux compter du prononcé de la décision à intervenir,

Dire et juger que les intérêts seront capitalisés par application des dispositions de l'article 1154 du code civil,

Condamner la société Acanthe Développement à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses observations écrites communiquées aux parties le ministère public a conclu au prononcé de la nullité du contrat de travail liant madame [P] à la société Acanthe Développement.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Motifs

Principe de droit applicable

Selon l'ancien article 1116 du code civil, Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

Lorsque que les faits et circonstances jugés au pénal et au civil sont les mêmes ce qui a été jugé par le tribunal répressif comme établi et prouvé ne peut être contredit par le juge civil.

Application en l'espèce

Dans un arrêt en date du mercredi 15 janvier 2020, non contesté et ayant l'autorité de la chose jugée, la chambre des appels correctionnels de la présente cour a jugé que ''même si le mensonge concernant l'École [6] n'a peut-être pas déterminé l'embauche d'[E] [P] par la société Acanthe Développement, il a assurément déterminé le montant du salaire qu'elle a réellement perçu à compter de son embauche.'' Que ''ces circonstances sont suffisantes pour retenir que madame [P] par des man'uvres frauduleuses (...) a obtenu indûment de la société Acanthe Développement des fonds, sous forme de salaire, qui ne lui auraient pas été versés sans l'utilisation de ces man'uvres. '.

La société Acanthe Développement soutient que le contrat de travail est nul en raison du dol commis par la salariée, madame [P] ayant trompé l'employeur pour obtenir un emploi et une rémunération élevée en fonction de son diplôme usurpé et a abusé l'ensemble des salariés de l'entreprise en évoquant son passé au sein de l'école [6]. Elle fait valoir le principe selon lequel ' la fraude corrompt tout '.

L'employeur expose que la salariée a usé de man'uvres dolosives notamment en faisant croire à l'époque qu'elle était salariée, alors qu'elle effectuait une mission de réduction des coûts pour le compte de la seule société Marianne Expert , et en communicant un faux CV indiquant qu'elle était polytechnicienne et qu'elle avait travaillé pour le Groupe PSA.

Enfin et surtout la société Acanthe Développement explique n'avoir envisagé de recruter qu'un(e) ancien(ne) élève de l'Ecole [6] puisqu'à l'époque il s'agissait de permettre à un ancien élève de cette école (monsieur [X] [S]) de prendre enfin sa retraite et que cet élément était pour elle déterminant lors de l'échange des consentements à la conclusion du contrat liant la société Acanthe Développement et madame [P] à la fois pour l'embauche et le montant de la rémunération.

Madame [P] soutient que ses man'uvres n'auraient pas été déterminantes pour la fixation de son salaire compte tenu de son carnet d'adresse et de sa filiation, son père étant très connu dans le milieu des affaires immobilières. Elle fait également valoir que sa période d'essai n'a pas été renouvelée ce qui augure la bonne qualité de ses prestations et que l'employeur a commis une légèreté en ne vérifiant pas à l'embauche les données figurant dans son curriculum vitae.

Lorsque que les faits et circonstances jugés au pénal et au civil sont les mêmes ce qui a été jugé par le tribunal répressif comme établi et prouvé ne peut être contredit par le juge civil.

Il n'est pas contesté que les faits et circonstances jugés par le tribunal correctionnel de Paris, et par la chambre des appels correctionnels de la présente cour sont identiques à ceux jugés par le juge départiteur du Conseil des prud'hommes de Paris ainsi que par l'arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 21 juin 2018 et qu'ainsi les man'uvres frauduleuses de madame [P] sont constituées et ont conduit son employeur à commettre une erreur déterminante lors de la conclusion du contrat.

Dès lors, il est certain que, sans les man'uvres de madame [P], la société Acanthe Développement n'aurait pas contracté pour un tel montant de salaire. Le salaire constituant un élément substantiel et essentiel du contrat de travail, l'escroquerie reconnue au pénal démontre l'existence de man'uvres pratiquées par madame [P] sans lesquelles la société Acanthe Développement n'aurait pas contracté. Le dol est, en conséquence, constitué au sens de l'article 1116 ancien du code civil applicable à l'espèce et justifie de prononcer la nullité du contrat de travail à durée indéterminée entre madame [P] et la société Acanthe Développement le 7 mai 2010.

En réparation de son préjudice consécutif à cette procédure abusive, la société Acanthe Développement demande la somme de 100'000 euros en soulignant que les dommages intérêts obtenus devant la chambre correctionnelle de la présente cour n'ont jamais été réglés par madame [P].

Il résulte de la contrariété des décisions rendues par la cour d'appel de Paris en matière correctionnel et pénale a nécessité l'engagement de la présente procédure. En conséquence, il ne peut être reprochée à madame [P] l'abus de son droit d'ester. Cette demande est rejetée.

Par ces motifs

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

Statuant dans les limites de sa saisine sur renvoi de la cour de cassation ;

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau,

Annule le contrat de travail à durée indéterminée conclu entre madame [P] et la société Acanthe Développement le 7 mai 2010 ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne madame [P] à verser à la société Acanthe Développement la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne madame [P] aux dépens.

Le greffier La présidente