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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 2 avril 2024, n° 21/00847

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

The Blueberry Juicery (SAS)

Défendeur :

Riou (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Seaumaire, EURL P.O. Simond Avocats

T. com. Thonon Les Bains, du 10 mars 202…

10 mars 2021

Faits et procédure

Suivant contrat en date du 7 mai 2019, la société The Blueberry Juicery (Sasu), exploitant un fond de commerce de barretaurant à l'enseigne 'le Sésame' à Chamonix-Mont-Blanc, a commandé auprès de la société Riou (SA) des prestations consistant en la fourniture, la fabrication et la pose d'une mezzanine en acier brut et d'une ossature d'escalier en tôle, menant à cette mezanine, moyennant un prix total de 14 256 euros TTC.

Réclamant, après la réalisation des travaux, et après une vaine mise en demeure du 13 novembre 2019, le paiement de sa facture définitive du 27 septembre 2019, la société Riou a déposé le 26 août 2020 une requête en injonction de payer devant le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains.

Par ordonnance du 28 août 2020, signifiée le 21 septembre 2020, le juge de l'injonction de payer du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a fait droit à cette demande et a enjoint la société The Blueberry Juicery de payer la somme de 14 256 euros.

La société The Blueberry Juicery a formé opposition à cette injonction le 2 octobre 2020.

Par jugement réputé contradictoire du 10 mars 2021, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a :

- dit que le présent jugement se substitue à l'ordonnance portant injonction de payer en date du 28 août 2020 n°2020IP00264,

- condamné la société The Blueberry Juicery à payer à la société Riou la somme de 14 256 euros,

- condamné la société The Blueberry Juicery aux entiers dépens.

Au visa principalement des motifs suivants :

la société The Blueberry Juicery n'a apporté aucun élément au soutien de sa demande d'opposition et qu'elle ne s'est pas présentée aux audiences à laquelle elle a été convoquée ;

l'obligation née du contrat n'est pas sérieusement contestée par le débiteur.

Par déclaration au greffe du 19 avril 2021, la société The Blueberry Juicery a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières écritures du 19 juillet 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société The Blueberry Juicery sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la société Riou n'a pas satisfait à son obligation de résultat et de conseil;

En conséquence,

- condamner la somme de 9 823,20 euros au titre de la réparation des conséquences des inexécutions imputables à la société Riou ;

- ordonner la compensation entre les factures établies par la société Riou d'un montant total de 14 256 euros TTC, et le montant des réparations des conséquences qui lui sont imputables, soit la somme de 9 823,20 euros ;

- condamner la société Riou à lui payer la somme 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;

En tout état de cause,

- débouter la société Riou de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Riou à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile avec recouvrement direct au profit de M. Seaumaire, avocat au barreau d'Annecy.

Au soutien de ses prétentions, la société The Blueberry Juicery fait valoir notamment que :

la société Riou a failli à son obligation de résultat, étant donné que l'escalier métallique n'a pas pu être installé, en raison des désordres qui l'affectaient, caractérisant donc une violation de son obligation de délivrance conforme ;

sa contractante n'a pas satisfait à son obligation de conseil en s'abstenant de conseiller la meilleure solution à mettre en oeuvre pour parvenir au résultat, à savoir l'installation et la pose des escaliers;

les désordres imputables à la société Riou sont à l'origine d'un retard dans l'exécution des travaux et ont engendré une plus-value de 2 640 euros qu'elle a dû supporter;

elle a été contrainte de commander un nouvel escalier auprès de la société In-Tech, pour un prix de 11 863, 20 euros, aboutissant à un surcoût de 7 183, 20 euros;

elle a subi en outre une perte d'exploitation, n'ayant pu exploiter son commerce jusqu'à la fin de l'année 2019, alors que l'escalier devait normalement être installé en juin 2019.

Aux termes de ses dernières écritures du 15 octobre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Riou demande quant à elle à la cour de :

- dire et juger qu'elle apporte la preuve de la réalité des travaux exécutés par elle conformément au devis en date du 3 avril 2019, signé et accepté le 7 mai 2019 par la société The Blueberry Juicery pour un montant de 14 256 euros TTC ;

- dire et juger que la société The Blueberry Juicery n'établit pas l'inexécution ou la mauvaise exécution de ses obligations contractuelles ;

En conséquence,

- condamner la société The Blueberry Juicery à lui verser la somme de 14 256 euros TTC, outre intérêts légaux à compter de la première mise en demeure en date du 13 novembre 2019, avec capitalisation des intérêts ;

Y ajoutant,

- débouter la société The Blueberry Juicery de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros, démontrée ni dans son principe, ni dans son montant ;

- condamner la société The Blueberry Juicery à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;

- la condamner en outre à une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Riou fait notamment valoir que :

aucun retard dans l'exécution des travaux ne peut lui être imputé, dès lors que le contrat ne prévoyait aucun planning d'exécution;

la fabrication des pièces est intervenue conformément aux plans d'exécution approuvés par le maître d'ouvrage ;

sa contractante ne peut se retrancher derrière de simples constats d'huissier non contradictoires pour se soustraire à son obligation de paiement;

la société The Blueberry Juicery n'apporte pas la preuve de l'inexécution des prestations à sa charge.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 3 avril 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 8 janvier 2024.

Exposé du litige

Motivation

MOTIFS ET DECISION

I - Sur le paiement du solde de la facture

Aux termes de l'article 1103 du code civil,'les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

En l'espèce, le contrat conclu entre les parties le 7 mai 2019 constitue un contrat d'entreprise et non un contrat de vente, dès lors qu'il porte sur la fourniture et la pose d'une mezzanine et d'un escalier fabriqués sur mesure par la société Riou, caractérisant ainsi l'existence d'un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers. L'argumentation fondée sur le manquement de l'intimée à une obligation de délivrance conforme ne peut ainsi être accueillie.

Il se déduit en l'espèce des pièces versées aux débats, et notamment des courriers échangés entre les parties, que la société Riou a exécuté les prestations convenues au contrat, et que l'appelante n'a procédé à aucun règlement depuis l'origine.

Pour faire obstacle à l'action en paiement formée à son encontre, le maître d'ouvrage se prévaut d'un retard d'exécution, de désordres affectant les biens livrés, ainsi que d'un manquement de l'intimée à son obligation de conseil.

Il appartient à celui qui invoque une exception d'inexécution et entend rechercher la responsabilité contractuelle de la partie adverse, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, de rapporter la preuve d'un manquement de son contractant à ses obligations, qui lui aurait causé un préjudice.

C'est bien en inversant cette charge probatoire que la société The Blueberry Juicery prétend qu'il appartiendrait à sa contractante de démontrer qu'elle aurait exécuté les travaux conformément aux règles de l'art.

Il convient d'observer à titre liminaire qu'aucun retard d'exécution ne peut être valablement imputé à la société Riou, dès lors que le contrat conclu entre les parties le 7 mai 2019 ne prévoyait aucun planning précis de réalisation des travaux, et que l'appelante ne fait état d'aucun élément susceptible de démontrer que les délais d'exécution par l'intimée des prestations convenues auraient présenté un caractère déraisonnable. Aucun manquement contractuel ne se trouve ainsi caractérisé de ce chef.

Pour caractériser les autres griefs qu'elle formule à l'encontre de la société Riou, l'appelante verse aux débats, outre des courriers qui ne contiennent que ses propres déclarations unialtérales et qui sont dépourvus à ce titre de la moindre valeur probante, les pièces suivantes:

- un procès-verbal de constat dressé le 8 octobre 2019, illustré par de nombreuses photographies, mettant notamment en exergue les désordres suivants : 'les deux limons métalliques, situés de part et d'autre de l'escalier, sont branlants. Ils bougent fortement, présentant un manque de rigidité', 'le limon présente un faux aplomb d'un centimètre pour vingt centimètres', 'il n'y a pas de point d'ancrage sur le mur', 'certaines marches présentent des écarts de niveau important', 'l'angle du limon mural présente une encoche, une découpe avec un angle très saillant en haut de l'escalier', 'la pièce métallique, située en haut de l'escalier, est en désafleur par rapport au parquet';

- une mise en demeure adressée le 10 octobre 2019 par la société The Blueberry Juicery à sa contractante d'avoir à mettre en conformité l'escalier ;

- un second constat d'huissier dressé le 10 décembre 2019, constatant que l'escalier desservant la salle de restaurant située sur la mezzanine n'a toujours pas pu être installé ;

- une facture d'un montant de 11 863, 20 euros établie par la société In-Tech le 16 décembre 2019, afférente à la fabrication et à la pose d'un nouvel escalier ;

- un courrier de la société Woodworks, qui était notamment chargée de mettre en place les marches de l'escalier (cette prestation n'étant pas comprise dans la convention conclue avec la société Riou), et qui explique avoir dû retarder son intervention à deux reprises en raison de l'absence d'installation de l'escalier, qui présentait de nombreuses malfaçons, notamment des problèmes d'équerrage de la structure, des défauts d'aplomb des limons, des problèmes de niveau et des limons côté jour et côté mur non parallèles.

Il se déduit clairement de l'examen de ces pièces, précises et concordantes, l'existence de désordres affectant l'escalier livré par la société Riou, de nature à caractériser un manquement à son obligation de réaliser les travaux selon les règles de l'art, et ce sans qu'il soit besoin qu'elles soient corroborées par une mesure d'expertise contradictoire.

En effet, il est manifeste, au vu de la chronologie des faits qui découle des éléments ci-dessus exposés, que ce sont les malfaçons affectant l'escalier fabriqué et livré par la société Riou qui ont fait obstacle à son installation, et ont conduit le maître d'ouvrage à avoir recours à un autre intervenant pour réaliser cette prestation à sa place.

Force est de constater que l'intimée ne fait état d'aucun élément susceptible de l'exonérer de sa responsabilité contractuelle. A cet égard, la circonstance, au demeurant nullement établie, qu'elle se serait contentée de respecter des plans d'exécution qui auraient été approuvés par le maître d'ouvrage, est inopérante, dès lors que d'une part, des malfaçons se trouvent caractérisées, et non de simples défauts de conformité, et que, d'autre part, elle était tenue en tout état de cause d'un devoir de conseil, renforcé en l'absence de maître d'oeuvre, en vertu duquel elle ne pouvait fabriquer et fournir un escalier ne pouvant être installé, sans mettre en garde son contractant.

C'est du reste la société Riou qui a procédé au relevé des mesures et cotes sur place, et elle ne peut se réfugier derrière l'acceptation ultérieure, par le maître d'ouvrage, des plans d'exécution dressés sur ces bases pour échapper à sa responsabilité.

La responsabilité contractuelle de l'intimée est ainsi engagée.

La société The Blueberry Juicery excipe tout d'abord d'un préjudice d'un montant de 7 183, 20 euros, correspondant à la différence entre le coût du nouvel escalier qu'elle a dû commander, à hauteur de 11 863, 20 euros, et celui de l'escalier facturé par la société Riou, à hauteur de 4 680 euros.

Cependant, le tribunal ne dispose pas d'éléments suffisants lui permetttant de déterminer de manière certaine qu'il s'agirait de la même prestation, la facture de la société In-Tech comportant de nombreux postes non inclus dans la facture de la société Riou et aboutissant à un prix largement supérieur. Il apparaît, par contre, que dès lors que l'escalier fabriqué par l'intimée était affecté de nombreuses malfaçons et qu'il n'a pu être installé, le maître d'ouvrage est fondé à se prévaloir d'un préjudice d'un montant de 4 680 euros, correspondant au coût qui lui a été facturé au titre de ce poste.

L'appelante sollicite ensuite le paiement de la somme de 2 640 euros, qui correspondrait selon elle au montant des suppléments de prestations qui lui auraient été appliqués par la société Woodworks afin de couvrir les frais logistiques liés à ses multiples interventions.

Or, il convient d'observer, tout d'abord, que les factures de cette société qui sont versées aux débats ne permettent nullement de distinguer de manière certaine le montant des prestations qui étaient initialement convenues de celles qui se seraient ajoutées en raison des malfaçons imputables à la société Riou. Ensuite, il se déduit du courrier de la société Woodworks que lors du premier de ses deux déplacements inutiles, lors de la semaine du 29 juillet au 3 août 2019, l'escalier n'avait pas encore été livré. Pour autant, comme il a été précédemment exposé, dès lors qu'aucun planning précis d'exécution n'était prévu au contrat, aucun manquement ne peut être imputé à la société Riou de ce chef. Cette demande en paiement ne peut ainsi être accueillie.

La société The Blueberry Juicery sera donc condamnée à payer à la société Riou la somme de 14 256 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 13 novembre 2019.

De son côté, la société Riou sera condamnée à payer à la société The Blueberry Juicery la somme de 4 680 euros à titre de dommages et intérêts.

Il convient d'ordonner la compensation entre ces deux créances, à due concurrence de leurs montants respectifs.

Conformément aux dispositions de l'article 1348-1 alinéa 2 du code civil, cette compensation sera réputée s'être produite au jour de l'exigibilité de la première de ces deux créances.

La capitalisation des intérêts, qui est de droit lorsque le créancier en forme la demande, sera par ailleurs ordonnée, conformément à l'article 1343-2 du code civil.

II - Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société The Blueberry Juicery

L'appelante sollicite une somme complémentaire de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte d'exploitation qu'elle indique avoir subie en raison de l'impossibilité d'exploiter sa salle de restaurant, en l'absence d'escalier menant à la mezzanine, jusqu'en décembre 2019.

Cependant, elle ne démontre nullement que la société Riou se serait engagée à réaliser ses prestations en juin 2019, comme elle le prétend, aucun délai d'exécution n'étant stipulé au contrat. Par ailleurs, elle ne verse aux débats aucun élément chiffré ou simulation réalisée par rapport à ses documents comptables qui serait susceptible de caractériser le préjudice matériel dont elle fait état. Rien ne prouve enfin que son activité aurait pu démarrer, comme elle le prétend, dès le mois de juin 2019, indépendamment des travaux portant sur l'escalier et le mezzanine.

Elle ne pourra donc qu'être déboutée de ce chef de demande.

III - Sur les demandes accessoires

En tant que partie perdante, la société The Blueberry Juicery sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en appel.

Compte tenu du succès partiel de son exception d'inexécution, il ne sera pas fait application, par contre, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de l'effet dévolutif de l'appel,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société The Blueberry Juicery à payer à la société Riou la somme de 14 256 euros,

Statuant de nouveau de chef,

Condamne la société The Blueberry Juicery à payer à la société Riou la somme de 14 256 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 13 novembre 2019,

Condamne la société Riou à payer à la société The Blueberry Juicery la somme de 4 680 euros à titre de dommages et intérêts,

Dispositif

Ordonne la compensation entre ces deux créances, à due concurrence de leurs montants respectifs,

Dit que cette compensation sera réputée s'être produite au jour de l'exigibilité de la première de ces deux créances,

Rejette le surplus de la demande en paiement formée par la société Riou,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an, conformément à l'article 1343-2 du code civil,

Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Rejette le surplus des demandes de dommages et intérêts formées par la société The Blueberry Juicery,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société The Blueberry Juicery aux dépens exposés en cause d'appel.