CA Bordeaux, 2e ch. civ., 5 septembre 2024, n° 24/00342
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Allianz IARD (SA), Gan Assurances (SA), Aquitaine Bâtiments Expertises (SARL), Négoce Investissement (SARL), Esprit Reno (SARL), Philae (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
M. Figerou, Mme Defoy
Avocats :
Me Fonrouge, Me Lhuissier, Me Riviere, Me Gay, Me Menard, Me Vienot, Me De Boussac Di Pace, Me Thomas, Me Firino Martell, Me Chollet
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique en date du 16 septembre 2011, la société à responsabilité limitée Négoce Investissement a vendu à la société à responsabilité limitée Esprit Réno les lots n° 1 et 6 d'un ensemble immobilier en copropriété, situé [Adresse 8] à [Localité 11] (33), lesdits lots consistant en un appartement de type 2, situé au rez-de-chaussée, et en une cave, située au sous-sol, outre divers millièmes des parties communes.
L'immeuble avait fait l'objet d'un règlement de copropriété le 29 juillet 2010, déposé en l'étude de Maître [D] [B], notaire à [Localité 11], accompagné d'un diagnostic technique établi à la même date par la société à responsabilité limitée Aquitaine Bâtiments Expertises (la société ABE), assurée auprès de la société anonyme Gan Assurances. Ce diagnostic mentionnait l'existence d'un raccordement de l'immeuble au tout-à-l'égout.
Par acte authentique en date du 31 octobre 2012, la société Esprit Réno a revendu les biens et droits immobiliers précités aux époux [A] [R] [P] - [J] [U]. Cet acte mentionnait l'existence d'un raccordement de l'immeuble au réseau public d'assainissement.
Se plaignant de l'absence d'un tel raccordement, M. et Mme [R] [P] ont obtenu, par ordonnance de référé du 5 août 2013, la désignation de M. [E] [O] [T] en qualité d'expert.
Dans son rapport, daté du 11 décembre 2014, le technicien a confirmé l'absence du raccordement de l'immeuble au réseau public et a constaté l'existence, sous le sol de la cave, d'une fosse septique, toujours en activité mais jamais vidangée, qui entraînait des dégagements nauséabonds.
Par actes d'huissier des 26 et 27 novembre 2015, M. et Mme [R] [P] ont saisi au fond le tribunal de grande instance de Bordeaux de différentes demandes indemnitaires dirigées contre la société Esprit Réno et la société ABE sur le fondement, respectivement, de la garantie des vices cachés et de la responsabilité délictuelle.
Par conclusions signifiées le 21 janvier 2016, M. [H] [G] est intervenu volontairement aux débats en qualité de liquidateur amiable de la société Esprit Réno.
Le 2 février 2016, la société ABE a fait assigner en intervention forcée son assureur, la société Gan Assurances, afin d'être garantie et relevée indemne. Par actes en date des 10 et 15 février 2016, [H] [G], es-qualités, a fait assigner en intervention forcée et en garantie la société Négoce Investissement, ainsi que l'assureur de la société Esprit Réno, la société anonyme Allianz IARD. Ces procédures ont été jointes à l'instance principale.
Par jugement en date du 7 juin 2017, le tribunal a indiqué, dans ses motifs, que l'absence de raccordement au tout-à-l'égout constituait un vice caché rendant l'immeuble impropre à son usage, mais que la société Esprit Réno, qui avait fait établir par une société spécialisée un diagnostic qu'elle n'avait aucune raison de mettre en doute, combattait la présomption de la connaissance des vices cachés pesant sur elle. En revanche, il a estimé que la société ABE avait engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard des acquéreurs en établissant un rapport erroné et qu'elle leur avait causé un préjudice ayant consisté en une perte de chance d'acquérir à un prix moindre ou de ne pas acquérir.
En conséquence, dans le dispositif de sa décision, il a :
- déclaré engagée la responsabilité quasi-délictuelle de la société ABE,
- condamné in solidum cette société et la société Gan Assurances à payer à M. et Mme [R] [P] la somme de 15 000 euros au titre de leur perte de chance,
- dit que la société Gan Assurances garantirait et relèverait indemne son assuré, la société ABE,
- autorisé la société Gan Assurances à faire application de ses plafonds et franchises contractuelles,
- débouté M. et Mme [R] [P] de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la société Esprit Réno, prise en la personne de son liquidateur amiable, et de son assurance, la compagnie Allianz IARD,
- dit n'y avoir lieu à examiner les appels en garantie,
- condamné in solidum la société ABE et la société Gan Assurances à payer à M. et Mme [R] [P] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et dit que la société Gan Assurances garantirait et relèverait indemne la société ABE de cette condamnation,
- condamné in solidum la société ABE et la société Gan Assurances aux dépens et dit que la société Gan Assurances garantirait et relèverait indemne la société ABE de cette condamnation,
- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration électronique en date du 4 août 2017, M. et Mme [R] [P] ont relevé appel du jugement sans mentionner d'intimés (RG 17/04800).
Le 8 août 2017, ils ont formé une nouvelle déclaration électronique d'appel en intimant d'une part la société Négoce Investissement et la société Allianz IARD, d'autre part la société ABE et la société Gan Assurances, enfin la société Esprit Réno et [H] [G], pris en sa qualité de liquidateur amiable de cette société (RG 17/04855). Ces procédures ont été jointes le 11 septembre 2017 sous le numéro RG 17/04800.
Par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 19 février 2020, la société ABE a été placée en liquidation judiciaire. Le 30 juin 2021, M. et Mme [R] [P] ont fait signifier leurs dernières conclusions à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Philae, prise en qualité de liquidateur judiciaire de cette société.
Par arrêt avant dire droit du 19 mai 2022, la cour d'appel de Bordeaux a :
- ordonné la réouverture des débats, afin que les parties puissent présenter leurs observations sur le fondement juridique de leurs prétentions, au vu des observations formulées par la cour dans le présent arrêt ;
- invité les époux [R] [P] à mettre en cause le syndic du syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé à [Adresse 8] ;
- sursis à statuer jusqu'à cette mise en cause et à la transmission des nouvelles conclusions des parties ;
- invité les époux [R] [P] à produire leur pièce n° 22 (déclaration de créance) et l'assignation délivrée au mandataire liquidateur en reprise d'instance, ou le cas échéant à préciser les raisons s'opposant à leur production.
- réservé les dépens.
Par ordonnance du 15 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation de l'affaire en raison du fait que les appelants n'avaient pas satisfait à l'injonction qui leur avait été donnée.
L'affaire a fait l'objet d'une réinscription après radiation après saisine du 23 janvier 2024.
Dans leurs dernières conclusions du 22 juin 2021, Monsieur [A] [R] [P] et Madame [J] [R] [P] demandaient à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bordeaux le 7 juin 2017 (RG n° 15/12528) ;
- homologuer le rapport d'expertise ;
- dire et juger que l'absence de raccordement du réseau au tout-à-l'égout est un vice caché ;
- condamner in solidum la SARL Esprit Réno, vendeur professionnel, son liquidateur amiable Monsieur [G] et son assureur la Compagnie Allianz Euro Courtage à les garantir du paiement des sommes suivantes :
- 15 441,73 € TTC au titre des travaux de réfection ;
- 2 944 € au titre de frais directs liés aux travaux de réfection ;
- 21 000 € au titre des locations (somme à parfaire jusqu'à la réalisation des travaux) ;
- 19 380,19 € TTC au titre des frais induits par les déménagements ;
- 10 481,48 € TTC au titre des dépenses prévisibles ;
- 10 000 € au titre du préjudice de jouissance ;
- condamner in solidum la SARL Esprit Réno, son liquidateur amiable Monsieur [G] et son assureur la Compagnie Allianz Euro Courtage au paiement d'une indemnité de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1645 ;
- dire et juger que l'entreprise AB Expertise a commis une faute dans l'établissement de son diagnostic ;
- condamner la société Gan Assurances prise en sa qualité d'assureur de la société AB Expertises au paiement de la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;
- condamner in solidum la SARL Esprit Réno, son liquidateur amiable Monsieur [G] et son assureur la Compagnie Allianz Euro Courtage et la société Gan Assurances au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- fixer au passif de la SARL Aquitaine Bâtiments Expertises leur créance aux sommes suivantes :
- dommages et intérêts responsabilité délictuelle : 25 000 euros ;
- article 700 du Code de procédure civile : 7 000 euros ;
- frais expertise judiciaire : 5 000 euros ;
- total : 39 000,00 euros TTC.
Dans ses dernières conclusions du 22 octobre 2021, la SARL Négoce Investissement demandait à la cour de :
À titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société AB Expertise et Gan Assurances sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle à payer aux époux [R] [P] la somme de 15 000 € au titre de la perte de chance ;
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'article 700 du CPC à hauteur de 6 000 € ;
- condamner in solidum la SARL Philae en qualité de liquidateur judiciaire de la société AB Expertise et Gan à lui payer la somme de 6 000 € ;
- en appel, condamner in solidum la SARL Philae en qualité de liquidateur de la société AB Expertise et Gan à lui payer la somme de 3 000 €.
À titre subsidiaire, si la cour estime nécessaire d'examiner les recours en garantie de la société Esprit Réno,
- dire et juger qu'elle peut se prévaloir de la clause d'exonération de garantie des vices cachés prévue dans l'acte de vente entre elle et la société Esprit Réno ;
- dire et juger qu'elle fait la démonstration du fait d'un tiers, la société AB Expertise, imprévisible et irrésistible, l'exonérant de toute responsabilité à l'égard de la société Esprit Réno.
- débouter Maître [G], liquidateur de la SARL Esprit Réno, de toute action en garantie à son encontre ;
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'article 700 du CPC à hauteur de 6 000 € ;
- condamner in solidum Philae en qualité de liquidateur judiciaire de la société AB Expertise et Gan et Maître [G], liquidateur de la SARL Esprit Réno, à lui payer la somme de 6 000 € ;
- en appel, condamner in solidum Philae en qualité de liquidateur judiciaire de la société AB Expertise et Gan et Maître [G], liquidateur de la SARL Esprit Réno, à lui payer la somme de 3 000 €.
À titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la cour la condamnait,
- dire et juger que le préjudice de jouissance des époux [R] [P] ne peut s'étendre à une période supérieure à 159 jours et réduire en conséquence leur préjudice de jouissance à de plus justes prétentions et les débouter des demandes indemnitaires autre que la prise en charge des travaux à hauteur de 14 591,63 € TTC ;
- condamner in solidum la société AB Expertise et son assureur, la société Gan Assurances, à la relever indemne des condamnations prononcées à son encontre ;
- condamner in solidum la société AB Expertise et son assureur, la société Gan Assurances, à lui payer la somme de 6 000 € TTC en application de l'article 700 ;
- ordonner la fixation des condamnations au passif de la liquidation judiciaire de la société ;
- dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Maître Christophe Le Bruchec pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Dans ses dernières conclusions du 3 juin 2019, la société Aquitaine Bâtiments Expertises avait formulé un certain nombre de demandes mais la société Philae qui a désormais seule qualité pour la représenter en sa qualité de liquidateur, n'a pas constitué avocat.
Dans ses dernières conclusions en date du 17 mai 2024, la société Gan Assurances demande à la cour de :
À titre principal,
- Dire et juger recevables mais mal fondés Monsieur [A] [R] [P] et Madame [J] [R] [P] dans leurs demandes dirigées à son encontre et à l'encontre de son assuré, la SARL AB Expertises,
- Débouter Monsieur [A] [R] [P] et Madame [J] [R] [P] de leurs demandes dirigées à l'encontre de la SARL AB Expertises et d'elle-même.
À titre incident,
- Réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bordeaux le 7 juin 2017 en ce qu'il a condamné in solidum la SARL AB Expertises et elle-même à payer à Monsieur [A] [R] [P] et Madame [J] [R] [P] la somme de 15.000 € au titre de la perte de chance.
Statuant à nouveau,
- Dire et juger que la SARL AB Expertises n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l'encontre des époux [R] [P],
- Dire et juger qu'elle n'a donc pas à mobiliser sa garantie.
À titre subsidiaire,
Si la responsabilité délictuelle de la SARL AB Expertises devait être retenue,
- Fixer à la somme de 1.128,41 € correspondant à une partie du coût des travaux de réfection,
- Dire et juger qu'elle ne peut être tenue à garantie que dans les limites contractuelles dont la franchise contractuelle de 3.500 €,
- Dire et juger la franchise contractuelle de 3.500 € opposable à la SARL AB Expertises,
- Condamner Monsieur [A] [R] [P] et Madame [J] [R] [P] à lui payer la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bénédicte de Boussac-Di Pace.
Dans ses conclusions du 28 décembre 2017, Monsieur [H] [G], ès qualité de liquidateur amiable de la Sarl Esprit Réno demandait à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la garantie légale des vices cachés de la Sarl Esprit Réno.
À titre subsidiaire, si la Cour retient la garantie des vices cachés de la Sarl Esprit Réno,
- Dire et juger que la Sarl Esprit Réno est bien fondée et recevable à exercer, en sa qualité de sous-acquéreur, un recours en garantie contre le vendeur originaire, la société Négoce Investissement,
- Condamner en conséquence la société Négoce Investissement à relever indemne la société Esprit Réno de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
- Condamner la société Allianz Eurocourtage à garantir l'intégralité des condamnations susceptibles d'être mises à la charge de la société Esprit Réno au titre de la garantie légale des vices cachés.
En tout état de cause,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité exclusive de la société AB Expertises.
- Condamner la société AB Expertises à relever indemne la Sarl Esprit Réno de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
- Condamner toute(s) partie(s) succombant à payer à Monsieur [G], ès qualités de liquidateur amiable de la Sarl Esprit Réno, une indemnité de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner toute(s) partie(s) succombant à payer à Monsieur [G], ès qualités de liquidateur amiable de la Sarl Esprit Réno, aux entiers dépens, en ce compris ceux de référé, de première instance, ainsi que les frais d'expertise judiciaire.
Dans ses dernières conclusions en date du 5 octobre 2021, la compagnie Allianz Iard, venant aux droits de la Compagnie Gan Eurocourtage demandait à la cour de :
À titre principal,
- Confirmer le jugement en date du 7 juin 2017 en ce qu'il a jugé de l'absence de responsabilité de la société Esprit Réno et l'a mise en conséquence hors de cause.
À titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour retient la responsabilité de la société Esprit Réno,
- Dire et juger que l'absence de raccordement au tout à l'égout constitue un défaut de conformité au sens de l'article 1604 du Code civil,
- Dire et juger que ses garanties ne sont pas mobilisables,
- Débouter toute partie, de l'ensemble de ses demandes présentées à son encontre.
À titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estime la garantie de la compagnie Allianz mobilisable,
- Dire et juger que la société Négoce Investissement a engagé sa responsabilité au titre de la garantie de délivrance conforme,
- À défaut dire et juger que la clause exclusive de garantie des vices cachés n'est pas applicable,
- Dire et juger que la société AB Expertises a engagé sa responsabilité en établissant un diagnostic erroné et non conforme à la norme applicable,
- Par conséquent, condamner in solidum la société Négoce Investissement, la SELARL Philae ès qualité de liquidateur judiciaire de la société AB Expertises et son assureur Gan Assurances à la relever indemne de toute éventuelle condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
- Fixer la condamnation au passif de la SELARL Philae ès qualité de liquidateur judiciaire de la société AB Expertises.
En tout état de cause,
- Limiter les préjudices indemnisables au montant des travaux réparatoires validés par l'expert judiciaire et au prorata des millièmes détenus par les demandeurs au sein de la copropriété,
- Débouter les consorts [R] [N] pour le surplus de leurs demandes, fins et conclusions,
- Condamner la ou les parties succombantes à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Racine en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Assigné en intervention forcée le 15 novembre 2022, le syndicat des copropriétaires du de l'immeuble du [Adresse 8] à [Localité 11] n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I- Sur les demandes dirigées par les époux [P] contre la société Esprit Réno
La société Allianz, assureur de la société Esprit Réno, a dénié sa garantie au motif que le contrat d'assurance qui la lie à cette société ne couvre que les conséquences pécuniaires qu'elle peut encourir en sa qualité de professionnel de l'immobilier, en raison, notamment, de la découverte de vices cachés et non en cas de défaut de conformité.
Elle précise qu'en effet, le litige porte sur un défaut de conformité et non sur un vice caché.
Dans son arrêt avant dire droit, la cour a invité les parties à s'expliquer sur ce point.
À la suite de cet arrêt, seule la société d'assurance Gan Assurances a conclu de nouveau.
Comme le soutient à juste titre la société Allianz, la garantie des vices cachés a vocation à s'appliquer en cas de défaut ou de dysfonctionnement dans l'usage normal ou attendu de la chose vendue.
Il s'agit d'un défaut de conformité à la destination de la chose telle qu'elle a été envisagée par les parties.
À l'inverse, il y a défaut de conformité lorsque la chose vendue ne répond pas aux qualités et aux caractéristiques convenues entre les parties.
Le régime juridique de ces deux hypothèses est alors différent.
En l'espèce, il est clairement établi que l'existence d'un raccordement au système public d'assainissement était expressément prévue dans l'acte liant les parties puisqu'en page 12 de l'acte authentique figurait une clause intitulée 'Assainissement-Eaux usées' et précisant :
'Concernant l'évacuation des eaux usées, le vendeur déclare que l'immeuble est raccordé au réseau public d'assainissement, mais ne garantit aucunement la conformité de l'installation avec les normes actuellement en vigueur.
Le vendeur déclare qu'il n'a pas connaissance de disfonctionnement et que l'installation n'a pas fait l'objet d'un contrôle communal'.
De manière générale, comme l'a déjà rappelé la cour, lorsqu'un immeuble est vendu à tort comme étant raccordé au système public d'assainissement, le vendeur doit être considéré comme ayant manqué à son obligation de délivrance conforme au sens de l'article 1604 du code civil (Civ 3, 28 janv 2015, n°13-19945).
Il y a donc lieu de dire qu'en l'espèce, ce n'est que sur ce fondement que les époux [P] pouvaient agir.
Or, alors que la société Allianz avait déjà invoqué ce fondement avant la clôture des débats à la suite desquels a été rendu l'arrêt avant dire droit du 19 mai 2022, les époux [P] persistaient à invoquer l'existence d'un vice caché sans invoquer un défaut de conformité à titre subsidiaire, ils se sont abstenus de toute observation après été expressément invités à s'expliquer sur ce point par l'arrêt avant dire droit.
Non seulement, le juge n'a pas l'obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique des demandes formées par les parties (Civ 3,16 déc 2009, n°08-21.803) mais en outre, en l'espèce, il ne saurait retenir d'office un fondement juridique proposé aux parties qui ne le retiennent pourtant pas.
La demande, qui ne s'appuie que sur la garantie des vices cachés, sera donc rejetée
II-Sur les demandes formées par les époux [P] contre la société Aquitaine Bâtiment Expertises
La société AB Expertises est en liquidation judiciaire.
Les époux [P] sollicitent donc la fixation au passif de cette société de la créance dont il s'estiment titulaires.
Comme l'a rappelé la cour dans son arrêt avant dire droit, du fait de la procédure collective ouverte à l'égard de la société AB Expertises, l'instance est interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait déclaré sa créance et appelé le liquidateur en intervention forcée.
Constatant que si les époux [P] avaient produit un bordereau de communication de pièces mentionnant en pièce n° 22 une déclaration de créance du 8 avril 2020, cette pièce ne figurait pas dans leur dossier ni d'ailleurs, les pièces 20 et 21, la cour les avait invité à réparer cette omission.
Or, rien de tel n'a été réalisé, le dossier remis à la cour ne comportant toujours pas les pièces n° 20 à 22!
Ainsi ne justifient-ils toujours pas de leur déclaration de créance.
De même n'ont-ils pas répondu à l'invitation qui leur était faite de produire l'assignation en reprise d'instance délivrée au liquidateur.
Dans ces conditions, la demande ne peut qu'être rejetée.
III- Sur les demandes formées contre la société Gan Assurances
Les époux [P] sollicitent la condamnation de la société Gan Assurances en sa qualité d'assureur de la société AB Expertises à leur payer la somme de 25 000 € correspondant au préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de la faute commise par cette société lorsqu'elle a certifié à tort que l'immeuble dans lequel se trouvait l'appartement qu'ils avaient acquis était relié au réseau public d'assainissement collectif.
Si la société Gan Assurances ne conteste pas garantir la responsabilité civile professionnelle de la société AB Expertises, elle considère qu'aucune faute ne saurait être reprochée à cette dernière puisqu'il était bien précisé que le diagnostic technique réalisé ne s'appuyait que sur les constatations portant sur des éléments apparents et sans qu'elle soit tenue à des démontages et à des démolitions.
Elle reproche par ailleurs au jugement d'avoir retenu une perte de chance évaluée sans aucune justification à 15 000 €.
Mais il résulte des pièces versées aux débats que la société AB Expertises a établi, le 29 juillet 2010, un rapport de diagnostic technique destiné à la mise en copropriété de l'immeuble situé [Adresse 8] à [Localité 11] et portant spécifiquement sur:
'-l'état apparent de solidité du clos et du couvert,
- l'état des conduites et canalisations collectives,
- l'état des équipements communs de sécurité'.
Si ce rapport apparaît comme particulièrement succinct en ce qu'il ne décrit en rien les investigations auxquelles s'est livré le contrôleur ni ne détaille les différents éléments et dispositifs contrôlés, il note, sans plus de précision, s'agissant des canalisations 'tout à l'égout- raccordé au réseau'.
Il ne résulte de ce rapport, tel qu'il est produit aux débats par les époux [P], aucune réserve sur cette affirmation autre que les réserves d'ordre général figurant en préambule selon lesquelles le diagnostic était réalisé à partir d'observations et de constatations sur les lieux d'éléments apparents et selon lesquelles la responsabilité de la société de diagnostic ne saurait être engagée sur des éléments qui ne pourraient être constatés sans procéder à un démontage ou à une démolition.
Il n'est pas contesté que pourtant, l'immeuble n'était pas relié au réseau public d'assainissement, l'expert judiciaire ayant pu le constater sans avoir besoin d'un démontage quelconque.
Il remarquait qu'en effet, il suffisait de suivre les canalisations d'évacuation des eaux usées qui se déversaient dans le sol de la cave pour en déduire l'existence d'une fosse septique puis de constater qu'il n'existait aucun dispositif permettant l'évacuation des eaux et effluents stockés en contrebas vers le réseau public situé plus haut.
La faute commise par la société AB Expertise est donc incontestable et l'assureur doit garantir sa responsabilité.
S'agissant du dommage subi, les époux [P] sollicitent une somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts.
Ils font en effet valoir à juste titre que s'ils avaient eu connaissance de cette situation, ils auraient probablement renoncé à cette acquisition ou en tout cas n'en n'auraient proposé qu'un prix moindre.
Le prix d'achat s'est élevé à 120 000 €.
Il portait sur un appartement comportant au rez-de-chaussée une pièce de séjour avec cuisine et une seule chambre, le tout pour 31,24 m2 seulement, salle-de bain comprise, la cave étant destinée à être aménagée rapidement de manière à permettre le logement de l'ensemble de la famille qui comportait un tout jeune enfant.
Les époux [P] démontrent que face à cette situation imprévue, ils ont dû retarder leur installation et loger chez des tiers moyennant le versement de loyers.
Qu'il en est résulté divers coûts supplémentaires, notamment de déménagement ou de trajets sans compter les travaux propres à mettre l'installation en conformité.
Il y a donc lieu de leur accorder la somme réclamée de 25 000 € et d'infirmer le jugement sur ce point.
IV- Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles.
La société Gan Assurances supportera les dépens d'appel et versera aux époux [P] la somme de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de faire application de ce texte au profit des autres parties à l'instance.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 7 juin 2017 en ce qu'il a condamné in solidum la société AB Expertises et la société Gan Assurances à payer aux époux [P] la somme de 15 000 € au titre d'une perte de chance.
Statuant à nouveau,
Condamne la société Gan Assurances à payer aux époux [P] la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts
Déboute les époux [P] de leurs demandes dirigées contre la société AB Expertises
Confirme le jugement susvisé pour le surplus
Y ajoutant,
Condamne la société Gan Assurances à payer aux époux [P] la somme de 3 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel
Rejette les autres demandes formées sur ce fondement
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.