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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 5 septembre 2024, n° 21/03183

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/03183

5 septembre 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2024

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03183 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOU7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mars 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 13/17755

APPELANTE

SARL ACP ARCHITECTURE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

INTIMÉE

Madame [W] [S]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Marc ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : C580

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Mme Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Nathalie FRENOY, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Après avoir exécuté en son sein une convention quadripartite de formation à l'habilitation à la maîtrise d'oeuvre du 24 octobre 2011 au 20 avril 2012, Madame [W] [S] a été engagée par la société ACP Architecture par contrat à durée indéterminée du 25 avril 2012 en qualité de chef de projet - dessinateur projeteur, niveau III, position 1, coefficient 320 de la convention collective nationale des entreprises d'architecture.

Madame [S] a fait l'objet de deux avertissements les 7 et 29 janvier 2013.

Par courrier du 28 février 2013, après une convocation à un entretien préalable qui a eu lieu le 11 février 2013, la société ACP Architecture lui a notifié son licenciement pour faute simple.

Contestant son licenciement et réclamant le paiement de diverses sommes, Madame [S] a saisi le 9 décembre 2013 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 5 mars 2021, notifié aux parties le même jour, a :

- déclaré recevables ses différentes demandes,

- condamné la SARL ACP Architecture à lui payer les sommes suivantes :

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 6 902 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires,

- 690,20 euros au titre des congés payés y afférents,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la décision,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté Madame [W] [S] du surplus de ses demandes,

- déclaré irrecevable l'intervention volontaire du Syndicat National des Professions de l'Architecture et de l'Urbanisme CFDT,

- débouté la SARL ACP Architecture de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la SARL Architecture aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 26 mars 2021, la société ACP Architecture a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 27 septembre 2023, la société ACP Architecture demande à la cour :

à titre principal,

- de déclarer nul et non avenu le jugement du 5 mars 2021,

à titre subsidiaire,

- de réformer le jugement querellé en ce qu'il a :

* déclaré recevables les différentes demandes de Madame [S],

* condamné la SARL ACP Architecture à payer à Madame [W] [S] les sommes de:

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 6 902 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires,

- 690,20 euros au titre des congés payés y afférents,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la décision,

* ordonné l'exécution provisoire de la décision,

* débouté la SARL ACP Architecture de ses demandes reconventionnelles,

* condamné la SARL ACP Architecture aux entiers dépens de l'instance,

en conséquence,

- de déclarer irrecevable l'action de Madame [S],

à titre subsidiaire,

- de déclarer le licenciement de Madame [S] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- de débouter Madame [S] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,

- de condamner Madame [S] au paiement de la somme de 30 000 euros au titre du harcèlement envers son supérieur hiérarchique,

- de condamner Madame [S] au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de la tentative d'escroquerie au jugement,

- de condamner Madame [S] au paiement d'une amende d'un montant de 3 000 euros au titre de la procédure abusivement introduite,

en toutes hypothèses :

- de condamner Madame [S] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 octobre 2021, Madame [S] demande à la cour :

- de débouter le demandeur (sic) de ses demandes, fin de non-recevoir et demandes de nullité,

- de déclarer l'intimée recevable,

- de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

* déclaré recevables les différentes demandes de Madame [S],

* condamné la SARL ACP Architecture à payer à Madame [W] [S] les sommes de:

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 6 902 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires outre,

- 690,20 euros au titre des congés payés y afférents,

* rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la décision,

* ordonné l'exécution provisoire de la décision,

* débouté la SARL ACP Architecture de ses demandes reconventionnelles,

* condamné la SARL ACP Architecture aux entiers dépens de l'instance,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [S] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

et statuant à nouveau

- de condamner la société ACP Architecture à verser à Madame [S] la somme de 15 600 euros au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- de condamner l'appelante à verser à Madame [S] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 mars 2024 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 23 mai 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la nullité du jugement :

La société ACP Architecture soutient que Madame [S], ayant obtenu un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la commission paritaire des architectes qu'elle avait dit avoir saisie, aurait dû produire la décision de ladite commission pour que l'instance reprenne, ce qu'elle n'a pas fait, que le sursis n'était pas expiré et qu'aucune décision n' a révoqué ce sursis de sorte que le jugement du 15 mars 2018 est toujours en vigueur. L'appelante conclut que les premiers juges n'ont pas été régulièrement saisis et que le jugement du 5 mars 2021 encourt la nullité.

Subsidiairement, la société ACP Architecture estime que Madame [S] est irrecevable en sa demande de sursis à statuer. L'appelante soulève enfin l'irrecevabilité des demandes sur le fondement de l'estoppel et du principe de cohérence procédurale dans la mesure où la salariée se contredit, soutenant désormais qu'il n'y avait pas lieu de saisir la commission paritaire des architectes.

Madame [S] soutient que son action est recevable, qu'elle n'est pas architecte inscrite à l'Ordre de sorte que la saisine du Conseil régional de l'Ordre des architectes aux fins de conciliation n'était pas obligatoire à titre préalable et qu'à défaut de toute saisine de la commission paritaire de la branche, l'instance prud'homale pouvait régulièrement se poursuivre.

Selon l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

L'article 379 du même code dispose: 'le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. A l'expiration du sursis, l'instance est poursuivie à l'initiative des parties ou à la diligence du juge, sauf la faculté d'ordonner, s'il y a lieu, un nouveau sursis.

Le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai.'

En l'espèce, le syndicat national des professions de l'architecture et de l'urbanisme (SYNATPAU) a informé l'employeur le 19 mars 2013 de la saisine, le même jour, de la commission paritaire régionale d'Ile de France des entreprises d'architecture et la salariée a obtenu un sursis à statuer dans l'attente de la décision de cette commission, par jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 15 janvier 2018.

Cependant, le jugement de première instance a constaté que par courrier du 27 avril 2018, le secrétariat de la commission paritaire régionale d'Ile de France avait fait état de l'absence de saisine de cette commission et de l'absence de toute procédure pendante devant elle.

Aux termes de l'article 25 du décret n° 80-217 du 20 mars 1980 portant code des devoirs professionnels des architectes, il est énoncé que « tout litige entre architectes concernant l'exercice de la profession doit être soumis au conseil régional de l'Ordre aux fins de conciliation, avant la saisine de la juridiction compétente. »

Alors que le litige en cause ne porte pas sur l'exercice par les architectes de leur profession, mais sur les relations de travail d'une salariée avec son employeur, peu important leur qualité respectivement de chef de projet- dessinateur projeteur et de société d'architecture, qu'aucune clause de conciliation préalable n' a été stipulée au contrat de travail et qu' une procédure de conciliation est déclenchée lors de la saisine de la juridiction prud'homale, il convient de relever qu'aucune fin de non-recevoir ne saurait être valablement tirée de l'absence de saisine du Conseil régional de l'Ordre des architectes en l'espèce, étant précisé que cette saisine n'a pas été effective non plus de la part de l'employeur, ni même tentée à la suite du courrier du 27 avril 2018 adressé par les instances ordinales.

Par ailleurs, les dispositions de l'article 62 du Règlement intérieur de l'Ordre des architectes prévoyant qu''en cas de différend entre architectes ou entre architectes et maîtres d'ouvrage ou tiers, le Conseil régional peut être saisi. Il organise une conciliation ou émet un avis sur l'objet du différend ou organise une procédure de règlement amiable' ne sauraient valablement être invoquées par la société ACP Architecture dans la mesure où la saisine de cette instance n'est qu'optionnelle.

Au surplus, le jugement de première instance, visant spécifiquement les articles 378 et suivants du code de procédure civile et la possibilité pour le juge de révoquer le sursis à statuer suivant les circonstances, a relevé que la soumission du différend de l'espèce à une instance paritaire régionale n'était qu'une possibilité, sans préjudice du droit de saisir du conflit la juridiction de droit commun compétente, a déclaré recevables les demandes de Madame [S] et tranché le litige, mettant fin ainsi au sursis à statuer litigieux.

Enfin, il ne résulte pas des pièces produites un changement de position en droit, de nature à induire la société ACP Architecture en erreur sur les intentions de la salariée, celle-ci s'étant simplement méprise sur le caractère contraignant d'une procédure préalable à la saisine du conseil de prud'hommes et le jugement de première instance en ayant tiré toutes conséquences sur la poursuite de son action.

Les moyens d'irrecevabilité de l'action de Madame [S], exposés par la société ACP Architecture, ne sauraient donc prospérer.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement adressée le 28 février 2013 à Madame [S] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

[...] ' Vous sont reprochés les éléments suivants : le non-respect de votre hiérarchie (1), une attitude déplaisante envers les clients (2), et de multiples absences non autorisées (3).

1. Sur le non-respect de votre hiérarchie

[...] à plusieurs reprises, vous avez passé outre les directives de votre supérieur hiérarchique.

Ainsi, le 10 décembre 2012, vous avez transmis la coupe, le plan masse et le plan de parking à la société FINANCIERE RIVE GAUCHE, et ce, sans avoir eu d'instruction en ce sens. Vous avez ainsi communiqué à ce client de la société ACP des éléments erronés.

Outre le fait que cela ternit l'image de la Société aux yeux du client, cette initiative malheureuse a été prise en violation des principes hiérarchiques les plus élémentaires. Ceci est inacceptable.

Par ailleurs, à de multiples reprises, vous n'avez exécuté que partiellement les demandes de votre supérieur hiérarchique concernant la préparation de dossiers des réunions.

Ainsi, alors qu'il avait été demandé de constituer le dossier [K] dans l'optique des réunions hebdomadaires du jeudi, notamment en décembre 2012, il est apparu que le dossier était incomplet. Vous n'avez exécuté que partiellement les consignes de votre supérieur.

Enfin, il apparaît que votre comportement à l'égard de la direction est continuellement placé sous le sceau de l'irrévérence. La société ne saurait tolérer de tels agissements fautifs, d'autant plus que vous adoptez également cette attitude vis-à-vis des clients.

2. Sur votre attitude déplaisante envers les clients

Dans le cadre de vos attributions, vous êtes amenée à entrer en contact avec les clients présents ou potentiels de la Société. À ce titre, il est attendu des salariés une conduite respectueuse et courtoise.

Or, la Société a eu à déplorer de votre part un comportement désagréable et acrimonieux envers plusieurs clients, notamment au téléphone. Cela est inadmissible.

3. Sur vos multiples absences non autorisées

[...] à plusieurs reprises, vous vous êtes absentée de votre poste de travail pour des durées excédant celles habituellement acceptables dans le cadre d'une pause.

Ainsi, durant les semaines 4-5 de 2013, vous êtes sortie des locaux de la Société pendant une vingtaine de minutes. Lors de votre retour, vous avez refusé de justifier de votre absence, malgré les demandes de votre supérieur hiérarchique.

En outre, le 11 septembre 2012, vous ne vous êtes pas présentée à votre poste, en raison d'un rendez-vous médical. Vous n'avez pris soin de prévenir le Gérant que le matin même, le mettant devant le fait accompli (ce rendez-vous ayant été programmé à l'avance).

Ces absences répétées et non autorisées mettent en péril l'organisation de l'entreprise, et sont inadmissibles.

Il résulte de tous ces éléments que cette conduite fautive est incompatible avec vos fonctions et trouble la sérénité indispensable à la pérennité de notre activité.

Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible.

Nous vous informons que nous vous dispensons d'effectuer votre préavis de 1 mois, qui commence à la date de première réception des présentes. Il vous sera rémunéré, pour la somme de 2.600 € bruts.[...]'

La société ACP Architecture soutient que le licenciement de Mme [S] est fondé, plus précisément justifié par son irrespect de la hiérarchie, son attitude déplaisante envers les clients ainsi que par ses multiples absences non autorisées.

Madame [S] conteste toute faute et soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle estime que les griefs que lui reproche son employeur ne sont pas démontrés, les faits ayant trait à ses prétendues absences ayant au surplus déjà fait l'objet d'un avertissement.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Il résulte des pièces produites de part et d'autre - n'incluant pas les documents émanant des deux collègues de l'intimée, concernés par une procédure de même nature avec le même employeur - que Madame [S] envoyait régulièrement aux clients des états d'avancement des projets, sans que cela lui soit reproché et sans que cela contrevienne à une instruction particulière à ce sujet, dont l'existence n'est pas démontrée.

En ce qui concerne le grief qui lui est fait au sujet du dossier Financière Rive Gauche, le courriel du 10 décembre 2012 de l'employeur indiquant 'je ne t'ai pas dit de l'envoyer, ce ne sont pas les bons plans' plus d'une heure après le questionnement de l'intéressée à ce sujet, intervient a posteriori et ne saurait permettre de caractériser des consignes précises à ce titre, ni un manque de respect des consignes de la hiérarchie, d'autant que la salariée a adressé au client un courriel d'excuse.

Relativement au dossier [K], force est de constater qu'il a été évoqué à l'occasion de l'avertissement du 7 janvier 2013, l'employeur ayant donc épuisé son pouvoir disciplinaire à son sujet. Au surplus, le SMS du gérant de l'entreprise exprimant son mécontentement 'tu m'avais dit que tu laisserais le dossier [K] propre. Nous nous apercevons qu'il n'y a pas de fichiers sketch up avec les trois bâtiments réunis' et les messages d'erreur adressés par la salariée au client ne sauraient suffire à caractériser le grief qui lui est fait.

Par ailleurs, aucun exemple d'irrévérence à l'encontre de l'employeur n'est documenté.

En outre, le comportement désagréable et acrimonieux envers des clients n'est pas établi au vu des pièces produites et notamment à la lecture de l'attestation d'une gérante de société, très imprécise sur les circonstances lui ayant permis de constater personnellement ces errements.

Enfin, non seulement la pièce 26 du dossier de l'employeur permet de constater de la part de la salariée un oubli dans l'information qu'elle a donnée relativement à une absence prévisible pour motif médical, mais encore l'avertissement du 29 janvier 2013 lui reprochant entre autres des absences sans prévenir s'oppose à ce que ce fait du 11 septembre 2012 lui soit valablement reproché.

Il convient de relever qu'aucun élément objectif ne permet de démontrer une sortie des locaux pendant une vingtaine de minutes en 2013 (semaine 4-5, sans autre précision).

C'est par conséquent, à juste titre, que le jugement de première instance a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, retenant d'ailleurs le caractère contradictoire des manquements professionnels allégués alors que dans le même temps, les pièces produites montrent que la salariée se voyait confier la gestion de nombreux projets professionnels d'importance.

Eu égard à l'ancienneté de la salariée, à son âge ( 33 ans) au jour du licenciement et à sa situation professionnelle postérieure à la rupture, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance qui a fait une juste estimation de l'indemnisation lui revenant pour ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les heures supplémentaires :

Face à Madame [S] qui soutient avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires restées non rémunérées, comme ses heures de présence à des réunions et debriefings organisés par l'employeur, la société ACP Architecture conclut à l'infirmation du jugement entrepris.

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des

exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des

pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

À l'appui de sa demande de rappel de salaire pour des heures supplémentaires non rémunérées, la salariée verse aux débats plusieurs SMS faisant état de son travail à des horaires particulièrement tardifs, plusieurs attestations décrivant 'les nombreuses charrettes de [W] [S]' 'celle-ci restait seule à l'agence tous les mercredis soirs (veilles de réunion), souvent jusqu'à 3 ou 4 heures du matin pour pouvoir préparer les documents nécessaires au bon déroulement de la réunion chez le maître d'ouvrage. J'ai moi-même été amenée à rester certains soirs. Pendant les trois premiers mois, où je partais quasiment tous les soirs vers 19 h - 19h30 laissant [W] [S], [V] [H] et [A] [Z] à leur travail [...]' ainsi qu'une pièce 43 récapitulant jusqu'en février 2013, mois par mois, les heures supplémentaires effectuées (jours fériés et dimanches compris).

La salariée présente donc des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société ACP Architecture soutient qu'il existe au sein de l'agence un système de comptabilisation des heures supplémentaires directement renseigné par le personnel, estime que la salariée ne démontre pas l'existence d' heures supplémentaires restées non rémunérées, celles effectivement accomplies par Mme [S] ayant été constatées par huissier et payées. Elle critique le contenu du tableau produit par la salariée, indûment modifié par elle et contenant de nombreuses incohérences, notamment à l'occasion de sa présence non démontrée au bureau pour de prétendues réunions 'au café' ou de ses nombreux retards.

La société ACP Architecture verse aux débats la copie du procès-verbal du 7 mars 2013 d'un huissier de justice intervenu sur la page informatique ' feuille d'heures' d'un ordinateur de l'agence, comportant une date de modification de la veille, un tableau comparatif montrant les heures constatées par cet huissier le 7 mars 2013 et leur différence avec le tableau produit par la salariée, ainsi qu'une synthèse du différentiel mis à jour, outre plusieurs messages envoyés par la salariée faisant état de retards à sa prise de poste ou demandes de récupération.

Ces éléments permettent de mettre en exergue des anomalies dans certaines des réclamations de la salariée relativement à son temps de travail, en l'état de compensations qu'elle a prises au lendemain de plusieurs soirées de travail chargées, mais ils ne constituent pas la preuve des horaires effectivement accomplis par l'intéressée.

Il convient donc de retenir le principe d'heures supplémentaires restant non rémunérées, de confirmer le jugement de première instance de ce chef, mais de l'infirmer relativement au rappel de salaire fixé.

Au vu des éléments versés aux débats, une somme de 2 760,80 € reste due à ce titre, ainsi que les congés payés y afférents.

Sur le travail dissimulé :

Selon l'article L.8221-5 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'

L'article L.8223-1 du code du travail dispose qu' 'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.'

Le caractère intentionnel de la dissimulation ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'absence de toute démonstration du caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi alléguée, la demande doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur l'obligation de sécurité :

La société ACP Architecture fait valoir qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité, que la salariée ne parvient pas à caractériser un quelconque manquement de sa part et reproche au conseil de prud'hommes de s'être prononcé sur un harcèlement moral qui n'a jamais été invoqué par l'intéressée.

Madame [S] soutient avoir été victime pendant 28 mois d'une situation d'agression morale et physique de la part de son employeur, suscitant en elle une angoisse permanente, et sollicite la confirmation du jugement de première instance qui a fixé à 5 000 € la réparation de son préjudice à ce titre.

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1) des actions de prévention des risques professionnels,

2) des actions d'information et de formation,

3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L. 4121-2 du code du travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.

Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger ou risque sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

Madame [S] invoque des violences verbales de la part de son employeur, parfois des esquisses de violence physique, diverses altercations, humiliations et des comportements à forte connotation sexuelle à son encontre.

Elle produit en ce sens sa contestation du 4 février 2013 des deux avertissements qui lui ont été notifiés, dénonçant des agissements 'menaçants et déplacés' et un épuisement professionnel, l'attestation d'une architecte, ancienne stagiaire, affirmant avoir été 'malmenée et injuriée de manière lancinante et récurrente' par Monsieur [P], gérant de la société ACP Architecture, celle d'un graphiste présent lors de la collaboration précédemment décrite, ponctuée de hurlements notamment, le témoignage d' un architecte faisant état de l'irrespect, des colères tyranniques de l'employeur à son encontre ainsi que de ses injures et insultes pour l'humilier.

Si ces éléments apparaissent de nature unilatérale ou relatifs à d'autres collaborations ayant existé antérieurement à celle de l'espèce, en revanche l'attestation de Monsieur [E], prestataire, rapporte les cris de l'employeur 'ce dernier s'adressait à [W] [S] avec beaucoup de rage', celle de Madame [D], stagiaire à l'agence ACP Architecture en mars 2012, affirme avoir été témoin de 'l'état de rage' de Monsieur [P] 'tel qu'il a jeté et cassé le combiné de téléphone de l'agence. Il est parti en claquant la porte et est revenu une demi-heure plus tard avec une bouteille de champagne et des flûtes, nous a servi des verres dans le but de se faire pardonner sans toutefois s'expliquer concrètement sur ses actes' ou celles d'autres stagiaires témoignent des mêmes débordements et d'une incapacité 'à faire la part des choses entre la vie professionnelle et la vie privée'.

La salariée verse également aux débats plusieurs avis d'arrêt de travail et SMS dans lesquels elle évoque son mal-être et son épuisement.

Ainsi décrites et établies, ces conditions de travail marquées par une violence verbale manifeste sont constitutives de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, comme d'ailleurs l'absence de toute investigation sur la charge de travail de la salariée, alors qu'elle invoquait régulièrement son épuisement.

Au vu des éléments de préjudice produits, il convient de confirmer le jugement de première instance qui a fait une juste évaluation de la réparation de ces manquements à l'obligation de sécurité.

Sur le harcèlement moral:

La société ACP Architecture soutient que Mme [S] a harcelé son supérieur hiérarchique. Elle estime apporter les éléments permettant de démontrer les comportements inappropriés adoptés par la salariée qui a également manipulé ses collègues aux fins d'obtenir des paiements indus et d'obtenir sous la menace, des avantages. L'appelante ajoute que Mme [S] a réalisé un chantage se matérialisant par des dénonciations calomnieuses auprès de divers organes professionnels afin de lui soutirer de l'argent. Elle réclame 30'000 € au titre du harcèlement moral subi par son gérant.

Elle invoque des avances faites par la salariée au gérant par courriel ou SMS, l'orchestration par elle d'une fronde au sein de l'agence pour obtenir des paiements indus et des avantages, sous la menace.

Elle produit différentes pièces telles qu'un e-mail contenant des 'fragments d'un discours amoureux' et des SMS faisant état de différentes situations personnelles la concernant 'j'ai été réveillée par le bruit de la pluie. C'était romantique à souhait. Dommage j'étais seule' et en retard', '[O] je suis un peu ivre, je te remercie pour ton message, pour ta confiance et pour avoir changé ma vie [...] je me réjouis de ce qui nous attend encore ensemble', des attestations relatant des 'comportements impropres, voire équivoques de Madame [S] à l'égard de Monsieur [O] [P]' ou son 'comportement aguicheur', cette dernière ayant été entendue 'en fin de soirée' 'proposer à Monsieur [O] [P] de venir terminer la soirée chez lui', la déclaration de main courante du 4 mars 2013 de son gérant faisant état d'une lettre du syndicat CFDT SYNATPAU et de menaces de dépôt de plainte à son encontre, la déclaration de main courante du 18 mai 2013 au sujet d'un nouveau courrier du même syndicat le menaçant de poursuites en cas de non paiement des indemnités de licenciement dans laquelle son gérant indique ressentir 'un chantage'de la part du personnel.

Plusieurs autres attestations sont produites au sujet du malaise du gérant de l'entreprise face au comportement de ses employés, lesquels ont travaillé ensemble consécutivement à la rupture de la relation de travail de l'espèce.

Si certains des messages produits par la société ACP Architecture dépassent, de la part de la salariée, le cadre strictement professionnel des échanges normaux avec un employeur, ils ne sauraient constituer des éléments de fait laissant présumer un harcèlement moral à l'encontre de ce dernier, qui pouvait faire cesser la situation dans le cadre de son pouvoir de direction, lequel s'est manifesté de façon ferme à plusieurs reprises et en d'autres circonstances.

Par ailleurs, dans la défense de ses droits, la salariée ne peut se voir opposer une communication indue de documents syndicaux relatifs à ses droits.

Le jugement de première instance, qui a rejeté la demande d'indemnisation d'un harcèlement moral, doit donc être confirmé de ce chef.

Sur la tentative d'escroquerie au jugement :

La société ACP Architecture considère que la salariée a versé de faux documents aux débats, tentant ainsi de commettre une escroquerie au jugement et d'obtenir de la part de son ancien employeur des sommes indues. Elle réclame que la salariée soit condamnée à la somme de 30'000 €.

La pièce adverse 43 qui est arguée de faux par l'employeur consiste en la déclaration de la salariée au titre des heures supplémentaires qu'elle estime avoir accomplies sans en être rémunérée, soumise à la juridiction. Dans la mesure où le constat fait par l'huissier de justice ne permet pas de dire fautive la modification du tableau des heures de travail et de l'imputer à l'intéressée, ce document ne saurait donc être considéré comme ayant été le moyen d'une tentative d'escroquerie au jugement, la juridiction étant à même d'en apprécier la valeur, dûment informée par les dires des parties à son sujet.

La demande doit donc être rejetée et le jugement de première instance confirmé.

Sur la procédure abusive :

La société ACP Architecture réclame la condamnation de son adversaire à la somme de 3 000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Selon ce texte, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10'000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

La teneur du présent arrêt, accueillant en partie les demandes de la salariée, permet de retenir l'absence de toute intention abusive ou fautive de sa part dans l'action entamée et dans sa défense en cause d'appel.

La demande doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur les intérêts:

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi (rappels de salaire) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 2 500 € au profit de la salariée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au montant des heures supplémentaires et des congés payés y afférents,

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société ACP Architecture à payer à Madame [W] [S] les sommes de :

- 2 760, 80 € au titre des heures supplémentaires,

- 276,08 € au titre des congés payés y afférents,

- 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société ACP Architecture aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE