Décisions
CA Paris, Pôle 6 - ch. 2, 5 septembre 2024, n° 24/01894
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/01894 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJGFV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 novembre 2023 -Conseil de Prud'hommes de PARIS 10 - RG n° F 22/08901
APPELANT :
Monsieur [D] [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Audrey HINOUX, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : C2477 et par Me Pieter-Jan PEETERS, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : G0390
INTIMÉE :
S.A. ARTEFACT, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J044
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 917 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Eric LEGRIS, président
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [D] [H] a été engagé par la société la société Artefact (ci-après la 'Société') à compter 25 mars 2021, en qualité de 'Partner Conseil', par contrat écrit à durée indéterminée.
La société exerce une activité régie par les dispositions de la convention collective nationale Syntec.
Le 29 juillet 2022, M. [H] a été licencié au motif d'insuffisance professionnelle et de fautes graves.
M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 2 décembre 2022 aux fins : que soit ordonnée à titre principal sa réintégration le versement d'une indemnité correspondant au préjudice subi, à titre subsidiaire de dire et juger que son licenciement ayant pour origine la dénonciation de faits de harcèlement moral et la privation de sa liberté d'expression est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de faire droit à l'ensemble de ses demandes relevant tant de la rupture que de l'exécution de son contrat de travail.
Devant le premier juge, la société a sollicité le débouté de l'ensemble des demandes et la condamnation de son ancien salarié au versement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et procédure abusive.
Par jugement rendu le 16 novembre 2023, le conseil de prud'hommes de Paris a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale et réservé les dépens.
M. [H] a assigné la Société devant le premier président de la cour d'appel de Paris par acte du 13 décembre 2023 aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel immédiatement du jugement de sursis à statuer.
Par ordonnance du 7 avril 2024, il a été fait droit à sa demande.
M. [H] a assigné à jour fixe la Société par acte du 11 avril 2024, transmis au greffe par voie électronique le 15 avril 2024.
M. [H] a interjeté appel le 13 mars 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 17 juin 2024, M. [H] demande à la cour de :
« DECLARER Monsieur [D] [H] recevable et bien fondé en son appel.
Y faisant droit,
INFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 16 novembre 2023 en ce qu'il :
- Ordonne le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale,
- Dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de demander la réinscription au rôle une fois la décision connue.
Statuant de nouveau,
JUGER qu'il n'y a lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale.
EVOQUER le fond du dossier en application des articles 380 et 568 du code de procédure civile.
Et, statuant sur le fond,
A TITRE PRINCIPAL :
ORDONNER la réintégration de Monsieur [D] [H] au sein de la Société ARTEFACT dans son emploi de « Partner Conseil au sein du pôle conseil statut cadre autonome position 3.3 coefficient 270 de la convention collective Syntec », sous astreinte de 1.000 € par jours de retard à compter d'un délai d'un mois à partir de la notification de la décision,
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé : 823.793 € congés payés afférents inclus
A TITRE SUBSIDIAIRE :
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] les sommes suivantes:
- indemnité compensatrice de préavis : 44.000 € congés payés afférents inclus ;
- indemnité conventionnelle de licenciement : 12 889 €
- dommages et intérêts pour licenciement nul en application des articles L.1152-1 et suivants du code du travail et de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 195 366 € et, subsidiairement abusif sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail : 65 122 €
- dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié aux circonstances vexatoires et brutales de la rupture : 32 561 €
FAIRE INJONCTION à la Société ARTEFACT d'adresser à Monsieur [D] [H] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie conformes.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
ORDONNER, sur le fondement de l'article 1304-3 du Code civil, la cession à M [H] des 60.000 actions gratuites Artefact et des 78 000 actions gratuites TopSky pour qu'il en devienne entièrement propriétaire sous astreinte de 4.000 € par jours à compter de la notification du jugement,
et, subsidiairement,
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] la somme de 500.000 € sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil en réparation du préjudice résultant de la non-attribution des dites actions gratuites.
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] les sommes suivantes:
- rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire : 25.911 € congés payés afférents inclus
- dommages et intérêts au titre du harcèlement moral : 65.122 €
- dommages et intérêts en raison du manquement de l'employeur à l'obligation de bonne foi dans la conduite de l'enquête interne sur le fondement de l'article L 1222-1 du code du travail : 32.561 €
- rappel de salaire au titre du bonus 2022 : 189.607 €
- rappel de salaire au titre du bulletin de paie de juillet 2022 : 13.047,56 €
- rappel de salaire au titre des sommes injustement retenues sur le bulletin de paie : 6.870,71 €
- rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sur le fondement des dispositions de l'article L 3121-22 du code du travail : 449.889 €
- congés payés y afférents : 44.988 €
- dommages et intérêts au titre du repos compensateur, sur le fondement des dispositions de l'article L 3121-26 du code du travail : 218.755 €
- indemnité prévue par l'article L 8223-1 du CT (6 mois) en raison de la dissimulation des heures supplémentaires : 195.366 €
- intérêts légaux sur ces sommes, à compter de l'acte introductif d'instance, sur le fondement des dispositions de l'article 1153 du code civil, et capitalisation des intérêts, sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil,
- fixer la moyenne de ses 12 derniers mois de salaire à la somme de : 32.561 € (comprenant le rappel de bonus)
DEBOUTER la Société ARTEFACT de toutes ses demandes, fins et prétentions.
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser la somme de 4.000 euros à Monsieur [H] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la Société ARTEFACT aux entiers dépens de l'instance ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 17 juin 2024, la Société demande à la cour de :
« A titre principal :
- CONFIRMER la décision de sursis à statuer du Conseil de prud'hommes ;
- DEBOUTER Monsieur [H] de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- DEBOUTER Monsieur [H] de sa demande d'évocation la décision de sursis à statuer du Conseil de prud'hommes ;
A titre infiniment subsidiaire :
- PRONONCER le renvoi de l'affaire sur le fond à une prochaine audience afin de permettre à la société de pouvoir répliquer au nouveaux éléments de Monsieur [H] ;
- DEBOUTER Monsieur [H] de l'ensemble de ses demandes sur le fond ;
En tout état de cause et à titre reconventionnel :
- CONDAMNER Monsieur [H] à payer à la société ARTEFACT la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- CONDAMNER Monsieur [H] à payer à la société ARTEFACT la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- CONDAMNER Monsieur [H] à payer à la société ARTEFACT le somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- CONDAMNER Monsieur [H] aux entiers dépens ».
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le sursis à statuer :
M. [H] soutient que :
- il a été licencié pour avoir téléchargé les fichiers dont il avait besoin pour étayer ses accusations de harcèlement moral pendant le déroulement de l'enquête interne qui a suivi son courrier de dénonciation, et estimant que son licenciement est entaché de nullité il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour solliciter sa réintégration et le paiement de diverses sommes ; son licenciement est nul pour trouver son origine dans sa dénonciation de harcèlement moral et subsidiairement abusif pour avoir été signifié plus d'un mois après son entretien préalable ;
- le conseil de prud'hommes a d'office ordonné le sursis à statuer, sans inviter les parties à présenter au préalable leurs observations et sans les mettre à même d'en débattre contradictoirement, de sorte que la violation du principe du contradictoire est manifeste ;
- le conseil de prud'hommes a sursis à statuer sur la base d'une plainte qui n'avait pas été déposée en se fiant aux affirmations mensongères de la Société et de sa plainte antidatée ;
- rien ne justifie le sursis à statuer si ce n'est le choix stratégique de la Société de chercher à gagner du temps par tout moyen en déposant une plainte alors qu'il ne conteste pas la matérialité des faits (le téléchargement de documents du Cloud de l'entreprise vers l'ordinateur de l'entreprise qui lui avait été confié) ; il a pu effectuer ces téléchargements sur son ordinateur professionnel ce qui correspond à l'exercice normal de ses fonctions de salarié puisque tous les documents de travail dont il a quotidiennement besoin se trouvent sur le Google drive de l'entreprise ; il dispose de l'exercice normal du droit de se défendre, à l'occasion d'une enquête interne pour harcèlement moral et dans le cadre de la procédure prud'homale qu'il envisageait d'engager pour faire valoir ses droits ;
- une plainte est sans incidence sur l'issue du procès prud'homal, pour les raisons de pur droit : à supposer que le licenciement ne soit pas déclaré nul, son licenciement est présumé injustifié, faute d'avoir était notifié dans le mois suivant son entretien préalable, sans que son employeur puisse combattre cette présomption par la preuve contraire, la présomption étant irréfragable, et ce d'autant plus que le recours en révision est toujours ouvert.
La Société fait valoir que :
- elle fondait beaucoup d'espoir en M. [H] et ses compétences, et l'a notamment nommé co-dirigeant monde des fonds d'investissements et lui a alloué en mai 2022 78.000 actions gratuites et n'avait aucunement l'intention de le harceler et de le pousser vers la sortie ;
- M. [H] n'a pas réussi à atteindre les résultats et développement qu'elle était en droit d'attendre d'un cadre de ce niveau, et, en juin 2022, elle lui a fait part de son insatisfaction et lui a proposé en parfaite bonne foi une rupture conventionnelle du contrat de travail avec des conditions très avantageuses et en réponse, M. [H] a été placé en arrêt maladie et n'est pas revenu ensuite ;
- dès le lendemain de son arrêt maladie, par courriel du 24 juin 2022, M. [H] a adressé un courrier indiquant être victime de harcèlement moral de la part de M. [F] et se placer en qualité de lanceur d'alerte ; le 8 juillet il a été destinataire des résultats de l'enquête qui concluait à une absence de harcèlement ;
- le 5, 13 et 15 juillet elle a été alertée par le service informatique de téléchargements massifs de fichiers qui se trouvaient sur son serveur ; M. [H] est coutumier du fait pour avoir téléchargé au sein de son ancien employeur un grand nombre de fichiers confidentiels qu'il a apportés au sein du réseau informatique d'Artefact ; dans ces conditions, elle a déposé une plainte pénale à son encontre pour vol et abus de confiance ;
- M. [H] a retrouvé un emploi au sein de la société PwC France et détient encore des milliers de fichiers et de données appartenant à la société Artefact ;
- la procédure étant orale devant le conseil de prud'hommes, la possibilité de surseoir à statuer a bien été évoquée par son conseil lors de sa plaidoirie ;
- une plainte a été déposée devant le procureur de la République et réitérée entre les mains du doyen du juge d'instruction qui a rendu une ordonnance de constatation de dépôt de plainte avec constitution de partie civile, preuve que l'action publique a été mise en mouvement ;
- en mai 2023 M. [H] a retrouvé un emploi et perçoit des ressources de sorte que l'attente de l'issue de sa saisine du conseil de prud'hommes ne lui cause pas un préjudice déraisonnable ;
- M. [H] détient encore à ce jour des milliers de fichiers et de données lui appartenant ce qui lui cause un préjudice important et il a largement outrepassé les droits qui lui sont octroyés pour l'organisation de sa défense ; il n'a pas téléchargé des échanges mais bien des documents confidentiels concernant notamment ses clients de sorte que la plainte pénale n'est pas abusive ;
- le 5 septembre 2022 par courriel, elle a adressé à M. [H] une copie de la lettre de licenciement, la notification du licenciement ayant été faite au 29 juillet 2022 date d'envoi de la lettre de sorte que le licenciement a été valablement notifié et il n'est donc en aucun cas présumé injustifié.
Sur ce,
L'article 380 du code de procédure civile prévoit :
« La décision de sursis peut être frappée d'appel sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime.
La partie qui veut faire appel saisit le premier président, qui statue selon la procédure accélérée au fond. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.
S'il accueille la demande, le premier président fixe, par une décision insusceptible de pourvoi, le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l'article 948, selon le cas ».
L'article 4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable depuis le 12 août 2011 dispose :
« L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».
Il ressort de la lecture du jugement de sursis à statuer, qu'il n'est aucunement démontré que la Société avait sollicité le sursis à statuer, ni davantage que les parties avaient été invitées à en débattre. En effet, la seule mention présentée dans « motivation du conseil »: « le conseil après avoir entendu l'exposé des parties, analysé les éléments recueillis contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi a prononcé le 16 novembre 2023 le jugement suivant :» est insuffisant à établir.
Il est justifié aussi du dépôt de plainte devant le procureur de la République de Paris daté du 10 août 2023 reçu le 29 septembre 2023, soit postérieurement à la date d'audience, et de sa réitération entre les mains du doyen du juge d'instruction le 23 janvier 2024, date postérieure au prononcé du jugement du conseil de prud'hommes.
Aussi, si le conseil de prud'hommes a relevé que la Société justifie le licenciement pour faute grave de son salarié à la suite principalement de trois alertes du service informatique et des téléchargement par M. [H] d'un nombre important de documents et d'informations confidentielles appartenant à l'entreprise, force est de constater que ces téléchargements massifs ne sont pas contestés par le salarié. Dès lors, l'issue de la plainte pénale s'agissant de faits de vol et d'abus de confiance actuellement en cours d'instruction ne serait pas de nature à influer sur le litige prud'homal.
Surtout, le délai d'expiration du sursis à statuer n'est pas connu, mais sera long, ce qui risque de retarder dans des proportions excédant les limites du raisonnable la résolution du litige prud'homal, alors que M. [H] sollicite sa réintégration pour licenciement nul faisant valoir qu'il a été licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, et qu'à tout le moins son licenciement est irrégulier faute de lui avoir été signifié dans le mois de son entretien préalable, éléments ne pouvant être impactés par la solution du litige au pénal, et ce alors même qu'il présente de nombreuses demandes à caractère alimentaire en exécution du contrat de travail et des conditions de sa rupture.
Il s'évince des considérations qui précèdent qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale de sorte que le jugement sera infirmé.
Sur la demande d'évocation :
M. [H] sollicite de la cour d'évoquer et de statuer au fond faisant valoir que ses demandes, ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et que la Société ne recule devant rien pour retarder l'issue du procès de sorte qu'il serait de bonne justice d'évoquer le fond du dossier.
La Société oppose qu'en cas d'évocation la cour serait donc amenée à statuer sur l'intégralité de l'affaire, ce qui fait perdre un degré de juridiction à l'ensemble des parties.
Sur ce,
L'article 88 du code de procédure civile dispose que « lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction ».
Ainsi, la cour d'appel a la faculté d'évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution immédiate.
Aucun motif grave et légitime ne justifie d'évoquer au niveau de la cour d'appel les points non jugés au stade de la première instance ce qui serait de nature à priver les parties d'un double degré de juridiction.
En effet, les demandes portent sur la nullité du licenciement pour avoir dénoncé des faits de harcèlements, sur le fait que les motifs du licenciement (téléchargements de documents) ne sont pas sérieux et que le licenciement lui a été notifié plus d'un mois après l'entretien préalable, autant de demandes qui bien qu'accompagnées de demandes à caractère alimentaire et indemnitaire, exigent un débat au fond sans priver les parties du droit au double degré de juridiction.
Dès lors, il n'y a donc pas lieu d'évoquer l'affaire au fond.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La Société, qui succombe doit être condamnée aux dépens et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
À l'opposé, aucune raison d'équité ne commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'appelant.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à sursis à statuer ;
DIT n'y avoir lieu à évocation ;
CONDAMNE la société Artefact aux dépens d'appel ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris.
La Greffière La Présidente
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/01894 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJGFV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 novembre 2023 -Conseil de Prud'hommes de PARIS 10 - RG n° F 22/08901
APPELANT :
Monsieur [D] [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Audrey HINOUX, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : C2477 et par Me Pieter-Jan PEETERS, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : G0390
INTIMÉE :
S.A. ARTEFACT, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J044
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 917 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Eric LEGRIS, président
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [D] [H] a été engagé par la société la société Artefact (ci-après la 'Société') à compter 25 mars 2021, en qualité de 'Partner Conseil', par contrat écrit à durée indéterminée.
La société exerce une activité régie par les dispositions de la convention collective nationale Syntec.
Le 29 juillet 2022, M. [H] a été licencié au motif d'insuffisance professionnelle et de fautes graves.
M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 2 décembre 2022 aux fins : que soit ordonnée à titre principal sa réintégration le versement d'une indemnité correspondant au préjudice subi, à titre subsidiaire de dire et juger que son licenciement ayant pour origine la dénonciation de faits de harcèlement moral et la privation de sa liberté d'expression est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de faire droit à l'ensemble de ses demandes relevant tant de la rupture que de l'exécution de son contrat de travail.
Devant le premier juge, la société a sollicité le débouté de l'ensemble des demandes et la condamnation de son ancien salarié au versement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et procédure abusive.
Par jugement rendu le 16 novembre 2023, le conseil de prud'hommes de Paris a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale et réservé les dépens.
M. [H] a assigné la Société devant le premier président de la cour d'appel de Paris par acte du 13 décembre 2023 aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel immédiatement du jugement de sursis à statuer.
Par ordonnance du 7 avril 2024, il a été fait droit à sa demande.
M. [H] a assigné à jour fixe la Société par acte du 11 avril 2024, transmis au greffe par voie électronique le 15 avril 2024.
M. [H] a interjeté appel le 13 mars 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 17 juin 2024, M. [H] demande à la cour de :
« DECLARER Monsieur [D] [H] recevable et bien fondé en son appel.
Y faisant droit,
INFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 16 novembre 2023 en ce qu'il :
- Ordonne le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale,
- Dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de demander la réinscription au rôle une fois la décision connue.
Statuant de nouveau,
JUGER qu'il n'y a lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale.
EVOQUER le fond du dossier en application des articles 380 et 568 du code de procédure civile.
Et, statuant sur le fond,
A TITRE PRINCIPAL :
ORDONNER la réintégration de Monsieur [D] [H] au sein de la Société ARTEFACT dans son emploi de « Partner Conseil au sein du pôle conseil statut cadre autonome position 3.3 coefficient 270 de la convention collective Syntec », sous astreinte de 1.000 € par jours de retard à compter d'un délai d'un mois à partir de la notification de la décision,
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé : 823.793 € congés payés afférents inclus
A TITRE SUBSIDIAIRE :
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] les sommes suivantes:
- indemnité compensatrice de préavis : 44.000 € congés payés afférents inclus ;
- indemnité conventionnelle de licenciement : 12 889 €
- dommages et intérêts pour licenciement nul en application des articles L.1152-1 et suivants du code du travail et de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 195 366 € et, subsidiairement abusif sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail : 65 122 €
- dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié aux circonstances vexatoires et brutales de la rupture : 32 561 €
FAIRE INJONCTION à la Société ARTEFACT d'adresser à Monsieur [D] [H] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie conformes.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
ORDONNER, sur le fondement de l'article 1304-3 du Code civil, la cession à M [H] des 60.000 actions gratuites Artefact et des 78 000 actions gratuites TopSky pour qu'il en devienne entièrement propriétaire sous astreinte de 4.000 € par jours à compter de la notification du jugement,
et, subsidiairement,
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] la somme de 500.000 € sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil en réparation du préjudice résultant de la non-attribution des dites actions gratuites.
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser à Monsieur [D] [H] les sommes suivantes:
- rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire : 25.911 € congés payés afférents inclus
- dommages et intérêts au titre du harcèlement moral : 65.122 €
- dommages et intérêts en raison du manquement de l'employeur à l'obligation de bonne foi dans la conduite de l'enquête interne sur le fondement de l'article L 1222-1 du code du travail : 32.561 €
- rappel de salaire au titre du bonus 2022 : 189.607 €
- rappel de salaire au titre du bulletin de paie de juillet 2022 : 13.047,56 €
- rappel de salaire au titre des sommes injustement retenues sur le bulletin de paie : 6.870,71 €
- rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sur le fondement des dispositions de l'article L 3121-22 du code du travail : 449.889 €
- congés payés y afférents : 44.988 €
- dommages et intérêts au titre du repos compensateur, sur le fondement des dispositions de l'article L 3121-26 du code du travail : 218.755 €
- indemnité prévue par l'article L 8223-1 du CT (6 mois) en raison de la dissimulation des heures supplémentaires : 195.366 €
- intérêts légaux sur ces sommes, à compter de l'acte introductif d'instance, sur le fondement des dispositions de l'article 1153 du code civil, et capitalisation des intérêts, sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil,
- fixer la moyenne de ses 12 derniers mois de salaire à la somme de : 32.561 € (comprenant le rappel de bonus)
DEBOUTER la Société ARTEFACT de toutes ses demandes, fins et prétentions.
CONDAMNER la Société ARTEFACT à verser la somme de 4.000 euros à Monsieur [H] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la Société ARTEFACT aux entiers dépens de l'instance ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 17 juin 2024, la Société demande à la cour de :
« A titre principal :
- CONFIRMER la décision de sursis à statuer du Conseil de prud'hommes ;
- DEBOUTER Monsieur [H] de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- DEBOUTER Monsieur [H] de sa demande d'évocation la décision de sursis à statuer du Conseil de prud'hommes ;
A titre infiniment subsidiaire :
- PRONONCER le renvoi de l'affaire sur le fond à une prochaine audience afin de permettre à la société de pouvoir répliquer au nouveaux éléments de Monsieur [H] ;
- DEBOUTER Monsieur [H] de l'ensemble de ses demandes sur le fond ;
En tout état de cause et à titre reconventionnel :
- CONDAMNER Monsieur [H] à payer à la société ARTEFACT la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- CONDAMNER Monsieur [H] à payer à la société ARTEFACT la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- CONDAMNER Monsieur [H] à payer à la société ARTEFACT le somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- CONDAMNER Monsieur [H] aux entiers dépens ».
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le sursis à statuer :
M. [H] soutient que :
- il a été licencié pour avoir téléchargé les fichiers dont il avait besoin pour étayer ses accusations de harcèlement moral pendant le déroulement de l'enquête interne qui a suivi son courrier de dénonciation, et estimant que son licenciement est entaché de nullité il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour solliciter sa réintégration et le paiement de diverses sommes ; son licenciement est nul pour trouver son origine dans sa dénonciation de harcèlement moral et subsidiairement abusif pour avoir été signifié plus d'un mois après son entretien préalable ;
- le conseil de prud'hommes a d'office ordonné le sursis à statuer, sans inviter les parties à présenter au préalable leurs observations et sans les mettre à même d'en débattre contradictoirement, de sorte que la violation du principe du contradictoire est manifeste ;
- le conseil de prud'hommes a sursis à statuer sur la base d'une plainte qui n'avait pas été déposée en se fiant aux affirmations mensongères de la Société et de sa plainte antidatée ;
- rien ne justifie le sursis à statuer si ce n'est le choix stratégique de la Société de chercher à gagner du temps par tout moyen en déposant une plainte alors qu'il ne conteste pas la matérialité des faits (le téléchargement de documents du Cloud de l'entreprise vers l'ordinateur de l'entreprise qui lui avait été confié) ; il a pu effectuer ces téléchargements sur son ordinateur professionnel ce qui correspond à l'exercice normal de ses fonctions de salarié puisque tous les documents de travail dont il a quotidiennement besoin se trouvent sur le Google drive de l'entreprise ; il dispose de l'exercice normal du droit de se défendre, à l'occasion d'une enquête interne pour harcèlement moral et dans le cadre de la procédure prud'homale qu'il envisageait d'engager pour faire valoir ses droits ;
- une plainte est sans incidence sur l'issue du procès prud'homal, pour les raisons de pur droit : à supposer que le licenciement ne soit pas déclaré nul, son licenciement est présumé injustifié, faute d'avoir était notifié dans le mois suivant son entretien préalable, sans que son employeur puisse combattre cette présomption par la preuve contraire, la présomption étant irréfragable, et ce d'autant plus que le recours en révision est toujours ouvert.
La Société fait valoir que :
- elle fondait beaucoup d'espoir en M. [H] et ses compétences, et l'a notamment nommé co-dirigeant monde des fonds d'investissements et lui a alloué en mai 2022 78.000 actions gratuites et n'avait aucunement l'intention de le harceler et de le pousser vers la sortie ;
- M. [H] n'a pas réussi à atteindre les résultats et développement qu'elle était en droit d'attendre d'un cadre de ce niveau, et, en juin 2022, elle lui a fait part de son insatisfaction et lui a proposé en parfaite bonne foi une rupture conventionnelle du contrat de travail avec des conditions très avantageuses et en réponse, M. [H] a été placé en arrêt maladie et n'est pas revenu ensuite ;
- dès le lendemain de son arrêt maladie, par courriel du 24 juin 2022, M. [H] a adressé un courrier indiquant être victime de harcèlement moral de la part de M. [F] et se placer en qualité de lanceur d'alerte ; le 8 juillet il a été destinataire des résultats de l'enquête qui concluait à une absence de harcèlement ;
- le 5, 13 et 15 juillet elle a été alertée par le service informatique de téléchargements massifs de fichiers qui se trouvaient sur son serveur ; M. [H] est coutumier du fait pour avoir téléchargé au sein de son ancien employeur un grand nombre de fichiers confidentiels qu'il a apportés au sein du réseau informatique d'Artefact ; dans ces conditions, elle a déposé une plainte pénale à son encontre pour vol et abus de confiance ;
- M. [H] a retrouvé un emploi au sein de la société PwC France et détient encore des milliers de fichiers et de données appartenant à la société Artefact ;
- la procédure étant orale devant le conseil de prud'hommes, la possibilité de surseoir à statuer a bien été évoquée par son conseil lors de sa plaidoirie ;
- une plainte a été déposée devant le procureur de la République et réitérée entre les mains du doyen du juge d'instruction qui a rendu une ordonnance de constatation de dépôt de plainte avec constitution de partie civile, preuve que l'action publique a été mise en mouvement ;
- en mai 2023 M. [H] a retrouvé un emploi et perçoit des ressources de sorte que l'attente de l'issue de sa saisine du conseil de prud'hommes ne lui cause pas un préjudice déraisonnable ;
- M. [H] détient encore à ce jour des milliers de fichiers et de données lui appartenant ce qui lui cause un préjudice important et il a largement outrepassé les droits qui lui sont octroyés pour l'organisation de sa défense ; il n'a pas téléchargé des échanges mais bien des documents confidentiels concernant notamment ses clients de sorte que la plainte pénale n'est pas abusive ;
- le 5 septembre 2022 par courriel, elle a adressé à M. [H] une copie de la lettre de licenciement, la notification du licenciement ayant été faite au 29 juillet 2022 date d'envoi de la lettre de sorte que le licenciement a été valablement notifié et il n'est donc en aucun cas présumé injustifié.
Sur ce,
L'article 380 du code de procédure civile prévoit :
« La décision de sursis peut être frappée d'appel sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime.
La partie qui veut faire appel saisit le premier président, qui statue selon la procédure accélérée au fond. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.
S'il accueille la demande, le premier président fixe, par une décision insusceptible de pourvoi, le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l'article 948, selon le cas ».
L'article 4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable depuis le 12 août 2011 dispose :
« L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».
Il ressort de la lecture du jugement de sursis à statuer, qu'il n'est aucunement démontré que la Société avait sollicité le sursis à statuer, ni davantage que les parties avaient été invitées à en débattre. En effet, la seule mention présentée dans « motivation du conseil »: « le conseil après avoir entendu l'exposé des parties, analysé les éléments recueillis contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi a prononcé le 16 novembre 2023 le jugement suivant :» est insuffisant à établir.
Il est justifié aussi du dépôt de plainte devant le procureur de la République de Paris daté du 10 août 2023 reçu le 29 septembre 2023, soit postérieurement à la date d'audience, et de sa réitération entre les mains du doyen du juge d'instruction le 23 janvier 2024, date postérieure au prononcé du jugement du conseil de prud'hommes.
Aussi, si le conseil de prud'hommes a relevé que la Société justifie le licenciement pour faute grave de son salarié à la suite principalement de trois alertes du service informatique et des téléchargement par M. [H] d'un nombre important de documents et d'informations confidentielles appartenant à l'entreprise, force est de constater que ces téléchargements massifs ne sont pas contestés par le salarié. Dès lors, l'issue de la plainte pénale s'agissant de faits de vol et d'abus de confiance actuellement en cours d'instruction ne serait pas de nature à influer sur le litige prud'homal.
Surtout, le délai d'expiration du sursis à statuer n'est pas connu, mais sera long, ce qui risque de retarder dans des proportions excédant les limites du raisonnable la résolution du litige prud'homal, alors que M. [H] sollicite sa réintégration pour licenciement nul faisant valoir qu'il a été licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, et qu'à tout le moins son licenciement est irrégulier faute de lui avoir été signifié dans le mois de son entretien préalable, éléments ne pouvant être impactés par la solution du litige au pénal, et ce alors même qu'il présente de nombreuses demandes à caractère alimentaire en exécution du contrat de travail et des conditions de sa rupture.
Il s'évince des considérations qui précèdent qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale de sorte que le jugement sera infirmé.
Sur la demande d'évocation :
M. [H] sollicite de la cour d'évoquer et de statuer au fond faisant valoir que ses demandes, ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et que la Société ne recule devant rien pour retarder l'issue du procès de sorte qu'il serait de bonne justice d'évoquer le fond du dossier.
La Société oppose qu'en cas d'évocation la cour serait donc amenée à statuer sur l'intégralité de l'affaire, ce qui fait perdre un degré de juridiction à l'ensemble des parties.
Sur ce,
L'article 88 du code de procédure civile dispose que « lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction ».
Ainsi, la cour d'appel a la faculté d'évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution immédiate.
Aucun motif grave et légitime ne justifie d'évoquer au niveau de la cour d'appel les points non jugés au stade de la première instance ce qui serait de nature à priver les parties d'un double degré de juridiction.
En effet, les demandes portent sur la nullité du licenciement pour avoir dénoncé des faits de harcèlements, sur le fait que les motifs du licenciement (téléchargements de documents) ne sont pas sérieux et que le licenciement lui a été notifié plus d'un mois après l'entretien préalable, autant de demandes qui bien qu'accompagnées de demandes à caractère alimentaire et indemnitaire, exigent un débat au fond sans priver les parties du droit au double degré de juridiction.
Dès lors, il n'y a donc pas lieu d'évoquer l'affaire au fond.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La Société, qui succombe doit être condamnée aux dépens et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
À l'opposé, aucune raison d'équité ne commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'appelant.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à sursis à statuer ;
DIT n'y avoir lieu à évocation ;
CONDAMNE la société Artefact aux dépens d'appel ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris.
La Greffière La Présidente