Livv
Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 5 septembre 2024, n° 24/00122

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

M. Bruey, Mme Franco

Avocats :

Me Senmartin, Me Vilanova, Me Pinet, Me Marini

TJ Narbonne, du 23 nov. 2023, n° 23/0123…

23 novembre 2023

FAITS ET PROCÉDURE

1) Le 18 novembre 2015, Mme [N] [E] a acquis auprès de la SARL Allibert immobilier le lot de copropriété n°4, sis [Adresse 7] à [Localité 1] (11) constitué d'un appartement de type 4 situé au rez-de-chaussée de l'immeuble.

2) A la suite d'une déclaration de dégâts des eaux intervenue dans le logement au préjudice du locataire en place, une expertise amiable s'est déroulée le 1er mars 2019, suivie d'une deuxième le 4 octobre 2019.

3) Le 22 octobre 2020, par une première ordonnance de référé, dans une instance opposant Mme [E] à la SARL Allibert immobilier, il a été ordonné une expertise désignant M. [X] [M] pour y procéder.

4) Par actes des 21 et 25 octobre 2021, Mme [E] a fait assigner le syndicat des copropriétaires ainsi que Mme [H] [B] (propriétaire d'un bien mitoyen sis au [Adresse 6] à [Localité 1]) et la société "Areas dommage" aux fins de prévoir une nouvelle mesure d'expertise judiciaire de l'appartement.

5) Le 16 novembre 2021, un compromis de vente portant sur l'appartement a été signé entre Mme [E] et Mme [A] [U] moyennant le prix de 163 000 €.

Mme [E] y a fait référence à une procédure judiciaire initiée par ses soins à l'encontre de la SARL Allibert immobilier; elle s'est par ailleurs, engagée à financer certains travaux (les reprises et réfection de la zinguerie en couverture) et à remettre en l'état le logement (remplacement du placo et remise en peinture). En ce sens, une clause d'exonération de garantie des vices cachés a été insérée.

Le 1er février 2022, l'acte authentique de vente a été régularisé.

6) A réception de la convocation à l'assemblée générale des copropriétaires, Mme [U] a appris l'existence d'une autre procédure portant sur des désordres affectant le bien vendu.

Par ordonnance de référé du 12 avril 2022, une expertise judiciaire a été ordonnée et confiée à M. [X] [M], dans le litige opposant Mme [E] à Mme [B] et au syndicat de copropriétaires.

Par exploit du 16 décembre 2022, Mme [U] a fait assigner Mme [E] aux fins de voir déclarer recevable son intervention volontaire aux opérations d'expertise. Par décision du 14 février 2023, les opérations ont été étendues à Mme [U], suite aux désordres qu'elle a indiqué subir.

7) C'est dans ce contexte que par acte du 20 juillet 2023, Mme [U] a fait assigner à jour fixe Mme [E] devant le tribunal judiciaire de Narbonne sur le fondement des articles 1137, 1231-1 et 1641 du code civil afin notamment de voir prononcer la nullité de la vente.

8) Le 8 septembre 2023, l'expert a déposé son rapport.

9) Par jugement contradictoire, rendu sous le bénéfice de l'exécution provisoire, du 23 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Narbonne a :

' Débouté Mme [U] de ses demandes tendant à déclarer nulle la clause d'exonération de garantie des vices cachés présentes dans un acte notarié du 1er février 2022 et tendant à obtenir la nullité de cette vente, ainsi que toutes ses demandes subséquentes;

' Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

' Condamné Mme [U] à devoir à Mme [E] la somme de 1 500€ au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamné Mme [U] aux dépens, hors coût du rapport d'expertise. Le coût du rapport déposé en l'état sera supporté par moitié par Mme [E] et pour l'autre moitié par Mme [U].

10) Le 8 janvier 2024, Mme [U] a relevé appel de ce jugement.

Sur ordonnance, elle a été autorisée à assigner à jour fixe et y a procédé par délivrance de l'assignation le 7 février 2024.

PRÉTENTIONS

11) Par dernières conclusions remises par voie électronique le 19 mars 2024, Mme [U] demande en substance à la cour de dire et juger recevable tant sur la forme que sur le fond l'appel interjeté, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

Juger non écrite la clause de non garantie contenue dans l'acte authentique d'acquisition en date du 1er février 2022 comme vidant de toute substance l'obligation essentielle du vendeur consistant à délivrer un bien exempt de tous vices, ou à tout le moins la juger inopposable tenant la connaissance évidente des vices cachés par Mme [E]. En conséquence, annuler la vente intervenue entre Mme [E] et Mme [U] selon acte authentique du 1er février 2022 ;

Ordonner la publication du jugement prononçant la nullité de la vente aux frais exclusif de Mme [E] ;

Condamner en tant que de besoin Mme [E] à rembourser à Mme [U] l'intégralité du prix versé par cette dernière au titre de cette vente, y compris les frais d'actes, pour un montant total de 176 100 € ;

Condamner Mme [E] à payer à Mme [U] la somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, du fait de la réticence dolosive ;

A titre subsidiaire,

Juger que Mme [E] n'a pas respecté ses obligations de délivrance conforme du bien objet de la vente. En conséquence, annuler la vente intervenue entre Mme [E] et Mme [U] selon acte authentique du 1er février 2022 ;

Ordonner la publication du jugement prononçant la nullité de la vente aux frais exclusif de Mme [E] ;

Condamner en tant que de besoin Mme [E] à rembourser à Mme [U] l'intégralité du prix versé par cette dernière au titre de cette vente, y compris les frais d'actes, pour un montant total de 176 100 € ;

A titre infiniment subsidiaire,

Dire que Mme [E] a commis un dol. En conséquence, annuler pour vice du consentement la vente intervenue entre Mme [E] et Mme [U] selon acte authentique du 1er février 2022 ;

Ordonner la publication du jugement prononçant la nullité de la vente aux frais exclusif de Mme [E] ;

Condamner en tant que de besoin Mme [E] à rembourser à Mme [U] l'intégralité du prix versé par cette dernière au titre de cette vente, y compris les frais d'actes, pour un montant total de 176 100 € ;

A titre très infiniment subsidiaire,

Dire que Mme [E], en ayant fait réaliser des travaux avant la vente, a la qualité de constructeur. En conséquence, dire que Mme [E] engage sa responsabilité de plein droit, et avant dire droit sur l'indemnisation de Mme [U] désigner M.[M] afin qu'il achève sa mission, aux frais avancés exclusifs de Mme [E], et notamment :

Déterminer les moyens propres à remédier aux désordres et permettant de rendre l'appartement acquis par Mme [U] conforme à sa destination de manière pérenne,

Déterminer et chiffrer l'intégralité des préjudices subis par Mme [U] ;

En toutes hypothèses, condamner Mme [E] à payer à Mme [U] la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire mis à la charge de Mme [U].

12) Par uniques conclusions remises par voie électronique le 6 mars 2024, Mme [E] demande en substance à la cour de déclarer mal fondé l'appel de Mme [U], partant de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

In limine litis, et avant toute défense au fond, débouter Mme [U] de l'intégralité de ses demandes tenant l'absence de prétentions conformes dans le cadre du dispositif de ses conclusions. Débouter Mme [U] de toutes demandes formées à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire tenant l'absence de prétentions visées dans le cadre de son action en première instance ;

Refuser d'homologuer le rapport d'expertise judiciaire du 8 septembre 2023 et diffusé le 13 septembre 2023 aux parties ;

Débouter Mme [U] de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

Prononcer la mise hors de cause de Mme [E] tenant la clause d'exclusion de garantie annexée dans l'acte notariée du 1er février 2022 au titre des vices cachés ;

Déclarer que l'achat du logement a été effectué en toute connaissance de cause privant Mme [U] de la garantie légale des vices cachés. Prononcer la mise hors de cause de Mme [E] tenant les conditions de la garantie des vices cachées et du dol ;

Débouter Mme [U] de toutes demandes formées à titre principal, subsidiaire et infiniment subsidiaire ;

Condamner Mme [U] au paiement d'une somme de 5000 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de Mme [U] en cause d'appel

13) Mme [E] soutient l'irrecevabilité des demandes formulées aux termes des conclusions de Mme [U], au motif que les "dire et juger" ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 954 du code de procédure civile.

Elle vise les chefs du dispositif des conclusions ainsi formulées :

' "DIRE ET JUGER recevable tant sur la forme que sur le fond l'appel interjeté par Madame [A] [U] à l'encontre du jugement rendu le 23 novembre 2023 par le Tribunal Judiciaire de NARBONNE,

' JUGER non écrite la clause de non garantie contenue dans l'acte authentique d'acquisition en date du 1er février 2022 comme vidant de toute substance l'obligation essentielle du vendeur consistant à délivrer un bien exempt de tous vices, ou à tout le moins LA JUGER inapplicable tenant la connaissance évidente des vices cachés par Madame [N] [E],

' JUGER en conséquence nulle la vente intervenue entre Madame [N] [E] et Madame [A] [U] selon acte authentique de Maître [G] en date du 1er février 2022 et portant sur le lot n°4 de l'ensemble immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 1] cadastré section AV n°[Cadastre 5],

A titre subsidiaire

' JUGER que Madame [E] n'a pas respecté ses obligations de délivrance conforme du bien objet de la vente,

' JUGER en conséquence nulle la vente intervenue entre Madame [N] [E] et Madame [A] [U] selon acte authentique de Maître [G] en date du 1er février 2022 et portant sur le lot n°4 de l'ensemble immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 1] cadastré section AV n°[Cadastre 5],

A titre infiniment subsidiaire

' DIRE que Madame [E], en ayant fait réaliser des travaux avant la vente, à la qualité de constructeur

' DIRE en conséquence que Madame [E] engage sa responsabilité de plein droit, et, AVANT DIRE DROIT sur l'indemnisation de Madame [U] désigner Monsieur [M] afin qu'il achève sa mission, aux frais avancés exclusifs de Madame [E], et notamment :

' - Déterminer les moyens propres à remédier aux désordres et permettant de rendre l'appartement acquis par Madame [U] conforme à sa destination de manière pérenne,

' - Déterminer et chiffrer l'intégralité des préjudices subis par Madame [U], En toutes hypothèses "

14) Si un tel dispositif de conclusions expose divers moyens, il n'en demeure pas moins qu'il saisit valablement la cour de prétentions sur lesquelles elle doit statuer en ce qu'elles tendent à prononcer la nullité de la vente ou à faire retenir la responsabilité de la venderesse.

Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles

15) S'agissant des demandes subsidiaires tendant à la nullité de la vente pour non conformité ou infiniment très subsidiaire tendant à une demande d'expertise avant dire droit sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, non présentées en première instance, Mme [E] demande d'en débouter Mme [U].

16) La cour interprète une telle demande non comme une demande de rejet mais comme une fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité des demandes nouvelles en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.

17) Or, Mme [E] précise qu'il s'agit de nouveaux fondements, notion bien distincte de celle de prétention visée à cet article. Invoquer de nouveaux fondements est expressément autorisé par l'article 565 du code de procédure civile.

Selon l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Tel est le cas de la prétention tendant à prononcer la nullité de la vente pour défaut de conformité. Tel n'est en revanche pas le cas de la prétention qui tend à obtenir la désignation de l'expert au titre de la responsabilité de plein droit du constructeur, laquelle au demeurant n'est pas, au sens de l'article 566 du code de procédure civile, l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes présentées en première instance.

Cette prétention sera déclarée irrecevable.

Sur la garantie des vices cachés

18) Selon l'article 1641 du code civil, "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus."

Selon l'article 1643 du même code,"Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie."

19) Mme [U] soutient sur le fondement de l'article 1170 du code civil que la clause élusive de responsabilité contenue à l'acte notarié doit être réputée non écrite en ce qu'elle vide de sa substance l'obligation essentielle de Mme [E] consistant à donner toutes les informations sur l'immeuble et à délivrer à l'acquéreur un bien conforme à sa destination et dépourvu de vices.

Cette clause est ainsi libellée :

"L'ACQUÉREUR prend le BIEN dans l'état ou il se trouve au jour de l'entrée en jouissance, sans recours contre le VENDEUR pour quelque cause que ce soit notamment en raison :

' des vices apparents,

' des vices cachés.

S'agissant des vices cachés, il est précisé que cette exonération de garantie ne s'applique pas :

' si le VENDEUR a la qualité de professionnel de I' immobilier ou de la construction, sauf

' si l'ACQUÉREUR a également cette qualité, ou s'il est prouvé par l'ACQUÉREUR, dans les délais légaux, que les vices cachés étaient en réalité connus du VENDEUR."

20) Une telle clause élusive de responsabilité n'est qu'une application des dispositions de l'article 1643 du code civil. Usuelle, elle ne vide pas de sa substance l'obligation de la venderesse qui reste tenue des vices cachés dont il est établi qu'elle avait connaissance antérieurement à la vente. Elle ne saurait être réputée non écrite.

21) Il importe ensuite de déterminer si Mme [E] peut effectivement s'en prévaloir après avoir déterminé en préalable l'existence de vices cachés au sens de l'article 1641 précité.

22) S'il n'y a pas lieu à homologuer un rapport d'expertise, le juge n'étant pas lié par les constatations ou les conclusions de l'expert, la cour constate que l'expert [M] a procédé à des constatations dépourvues d'équivoque, quand bien même Mme [E] lui reproche d'avoir déposé son rapport en l'état alors qu'elle l'empêchait d'aller plus avant dans ses investigations en ne procédant pas à la consignation complémentaire qu'il sollicitait pour des travaux certes destructifs et à concurrence de la somme élevée de 15489,80€.

23) Des travaux clairs, précis et circonstanciés de l'expert judiciaire et des pièces des dossiers respectifs des parties, il résulte que :

- la société Allibert Immobilier, propriétaire de l'immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 1], anciennement à usage commercial (un fonds de commerce de boulangerie y était exploité) a mis en copropriété cet immeuble selon état descriptif de division et règlement de copropriété du 18 novembre 2015.

- Mme [E] a acquis de la société Allibert Immobilier, selon acte notarié du 18 novembre 2015 le lot n°4 correspondant à un appartement de type 4 situé au rez de chaussée.

- Mme [E] a mis cet appartement en location auprès de M.[C] [W] puis de MM. [T] et [D], lesquels ont respectivement quitté les lieux en septembre 2019 suite au premier dégât des eaux puis le 30 juin 2021.

- Mme [E] a cédé l'appartement à Mme [U] selon compromis de vente du 16 novembre 2021 et acte authentique du 1er février 2022.

- Le compromis de vente du 16 novembre 2021 évoque un litige existant entre Mme [E] et son vendeur, la société Allibert Immobilier selon une assignation indiquée comme annexée à l'acte, produite aux débats en pièce 11, en date du 24 septembre 2020, dans laquelle Mme [E] invoquait des infiltrations par étanchéité périphérique des fenêtres du toit.

Il est fait état au compromis de travaux à réaliser selon devis des entreprises Bouzat et Tony Peinture pour reprise et réfection zinguerie et couverture et remise en état de l'appartement. Mme [E] s'engage à prendre en charge le coût de ces travaux.

- Lors d'une assemblée générale ordinaire de copropriété du 12 avril 2022, Mme [U] apprend l'existence de l'instance engagée par assignation délivrée le 25 octobre 2021 par Mme [E] contre Mme [B], propriétaire d'un immeuble voisin sis au [Adresse 6] suite à d'importants dégâts des eaux subis de première part les 10 et 15 octobre 2018 par des infiltrations à l'origine de dommages à M. [W], donnant lieu à un rapport d'expertise amiable du 1er mars 2019 et de deuxième part à un autre dégâts des eaux survenu en septembre 2019 donnant lieu à un deuxième rapport d'expertise du 4 octobre 2019.

- L'expert commis dans cette procédure opposant Mme [E] à Mme [B], M. [X] [M] désigné par ordonnance de référé du 12 avril 2022, demande à Mme [U] d'accéder à son appartement pour procéder à des visites techniques dans le cadre de sa mission puis indique à son conseil la nécessité de la faire intervenir à la procédure afin de lui communiquer les éléments de l'expertise en cours.

- Sur acte introductif d'instance du 16 décembre 2022, Mme [U] assigne Mme [E] devant le juge des référés qui, par ordonnance du 14 février 2023, déclare recevable son intervention volontaire et étend les missions de l'expert [M].

- Dans le cadre de ses travaux intéressant le volet [U]/[E], l'expert procède à des investigations et selon dire aux parties du 28 avril 2023 souligne qu'à ce stade provisoire, une ou plusieurs canalisations d'EU (eaux usées) semblent détériorées, l'arrivée de gravats ne pouvant être expliquée par l'existence d'un simple bouchon. Il note que l'impropriété des lieux est avérée en ce sens que l'origine des remontées d'eau souillées en pieds de cloisons, en particulier côté cuisine, a bien été identifiée comme étant liée à une saturation sous carrelage consécutif à l'engorgement du réseau EU et souligne que Mme [U] ne peut user dans des conditions normales de ses installations sanitaires car à très bref délai le réseau sera à nouveau saturé. L'expert préconise des investigations complémentaires, largement destructrices, qui ne seront pas réalisées à défaut de consignation par Mme [E] qui reconnaît en avoir eu la charge. L'expert déposera son rapport en l'état le 8 septembre 2023.

24) De ce rapport et de ses annexes, réclamées au contradictoire des parties par la cour, il résulte que :

- ce n'est qu'au cours d'opérations de l'expert [M], en avril 2023, que celui-ci a révélé l'existence de désordres affectant les canalisations eaux usées en ce que l'évacuation des eaux vannes de la cuisine ne permet pas un écoulement optimum de l'eau, en ce que la canalisation principale est encombrée de divers éléments de sorte qu'aucune caméra ne peut y passer pour examen (mortier de ciment, gravier, brique, faïences mais également couteaux et petites cuillères et présente des anciennes connexions de raccordements abandonnés et non rebouchés.

- ce vice, selon l'expert, rend l'appartement impropre à sa destination car à l'origine de remontées d'eaux souillées en pied de cloison, en particulier du côté cuisine;

- il est antérieur à la vente dans la mesure où l'expert précise que la présence de couteaux et petites cuillères dans la canalisation ne pouvait provenir d'aucun des éxutoires de l'appartement dans sa configuration actuelle, leur présence ne pouvant s'expliquer que par sa configuration ancienne préalable aux travaux de transformation de la boulangerie en appartement, soit antérieurement à la vente à Mme [E], donc a fortiori à Mme [U].

Il est ainsi acquis aux débats l'existence d'un vice caché répondant aux exigences cumulatives de l'article 1641 du code civil.

25) Toutefois, la clause élusive de responsabilité contenue à l'acte de vente ne peut être écartée que s'il est prouvé par l'acquéreur que les vices cachés étaient en réalité connus du vendeur.

26) Mme [U] reprend devant la cour les mêmes éléments que ceux qu'elles développaient en première instance en soutenant qu'il est impossible que Mme [E] n'ait pas eu connaissance de ces désordres, se traduisant par des remontées d'eau souillée dans la cuisine et le salon avec un taux d'humidité sous carrelage atteignant parfois les 70%, ce d'autant que deux locataires successifs avaient résilié leur bail avant la vente du fait de l'état sanitaire du logement et alors que Mme [E] a fait procéder avant la vente à des travaux de remise en état en cherchant à dissimuler les vices.

27) En l'absence d'éléments nouveaux, la cour, à l'instar du premier juge, est d'avis que la preuve de la connaissance de ce vice affectant la canalisation d'eau usée n'était pas nécessairement connue de Mme [E] antérieurement à la vente puisque de première part, il n'a été révélé qu'en avril 2023 par l'expert, de seconde part que les infiltrations d'eau par toiture pouvaient alors être présentées comme à l'origine des désordres internes, lesquels ont été repris selon l'engagement pris dans le compromis. Mme [E] avait certes connaissance des désordres mais il n'est pas démontré raisonnablement qu'elle avait connaissance du vice affectant la canalisation et sa dissimulation du départ des deux locataires étant sans incidence sur la connaissance de ce vice, preuve n'étant pas établie qu'ils se soient plaints d'une saturation sous carrelage et d'un écoulement des eaux limité.

28) La cour conclut en conséquence au rejet de l'action en garantie des vices cachés, la jurisprudence citée par Mme [U] (3e Civ., 29 juin 2017, pourvoi n° 16-18.087, Bull. 2017, III, n° 84) n'ayant pas la portée qu'elle entend lui donner quant à la conséquence de devoir écarter une clause élusive de responsabilité en matière de vices cachés pour manquement à l'obligation de renseignement, Mme [E] n'étant pas elle même occupante des lieux lors des sinistres.

Sur le dol

29) La validité d'un contrat nécessite le consentement des parties (article 1128 du code civil).

Selon l'article 1130 du même code, "l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné."

Selon l'article 1137 alinéa 1 du même code, "Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges."

Il demeure constant sous l'empire de ces textes que le dol ne se présume pas et qu'il incombe à celui qui s'en prévaut d'établir les manoeuvres et les mensonges de nature à vicier son consentement, exercés dans des proportions telles qu'il n'aurait pas contracté ou différemment, lequel est apprécié au jour du contrat en considération des personnes et des circonstances.

30) Si le premier juge a estimé que les conséquences de l'absence de démonstration de la connaissance du vice par Mme [E] avant la vente devaient s'étendre à la demande d'annulation pour dol, les éléments de l'espèce sont manifestement différents sur ce fondement juridique.

31) La cour ne peut approuver Mme [E] qui soutient sa bonne foi et sa totale transparence à travers la révélation de l'état du bien et des travaux issus des procédures judiciaires en cours. Les éléments suivants, tirés notamment des pièces annexes au rapport d'expertise que la cour a fait produire en cours de délibéré, nécessairement dans les débats, le démontrent :

32) À la signature du compromis le 16 novembre 2021, Mme [E] révèle par le biais de l'assignation annexée du 24 septembre 2020 l'existence de son action contre la société Allibert Immobilier, son propre vendeur, et l'attente d'un compte rendu d'expert fin septembre 2021. Dans cette assignation du 24 septembre 2020, sont visées des infiltrations d'eau par engorgement du chêneau et par étanchéité périphérique des fenêtres du toit, à l'exclusion de toute infiltration par la toiture mitoyenne.

L'acte de vente par acte authentique précise en page 34 qu'il existe une procédure en cours entre le vendeur et la société Allibert Immobilier, à l'exclusion de tout autre.

33) Elle dissimule en revanche toute l'évolution procédurale concomitante, particulièrement tout le volet contentieux dirigé contre Mme [B], propriétaire de l'immeuble voisin et mitoyen par toiture, qui a été actionnée dès le mois d'avril 2019 par l'assureur de Mme [E], la société Pacifica et qui oppose une résistance farouche aux réclamations qui lui sont adressées, suite aux désordres survenus le 15 octobre 2018 alors que M. [W] était locataire; elle dissimule ainsi l'assignation en référé expertise délivrée contre Mme [B] et contre le syndicat des copropriétaires en date des 21 et 25 octobre 2021 qui ne seront révélées à Mme [U] que lors de sa convocation à l'assemblée générale ordinaire du 12 avril 2022.

34) Elle dissimule le fait que ses deux locataires successifs ont subi des dégâts des eaux en octobre 2018 pour M. [W] et en octobre 2019 pour MM. [T] et [D], auquel elle a consenti une baisse de loyer en février 2020 ; elle dissimule leurs départs, le dernier donné par lettre du 30 juin 2021 en raison de l'absence de travaux depuis octobre 2019 et des procédures toujours en cours de telle sorte que "l'appartement ne peut plus être considéré comme décent."

35) Il en ressort clairement que Mme [E] connaissait des éléments déterminants quant à l'état du bien vendu, tout à la fois juridiques et factuels, et qu'elle les a volontairement dissimulés à Mme [U] pour emporter le consentement de celle-ci à l'achat, alors qu'il est incontestable que si celle-ci avait connu la récurrence des désordres et l'état des procédures en cours, elle n'aurait pas procédé à cette acquisition d'un bien qui devait constituer sa résidence principale.

36) Le dol est caractérisé et la vente sera annulée sur ce fondement avec pour conséquence la restitution par Mme [E] à Mme [U] de la somme de 176100€ correspondant au prix et aux frais d'actes.

37) Il est constant que la réticence dolosive imputable à Mme [E] a causé à Mme [U] un important préjudice moral par la révélation progressive de tous les désordres ayant affecté ou affectant encore l'appartement qu'elle a acheté pour en faire sa résidence principale et par le manquement à la loyauté contractuelle qu'elle était en droit d'attendre de sa venderesse. Une somme de 10000€ lui sera allouée en réparation.

38) Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [E] supportera les dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de l'expertise judiciaire.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Déclare irrecevable la demande nouvelle en appel présentée à titre très infiniment subsidiaire tendant à la désignation de l'expert en raison de la responsabilité de plein droit de Mme [E] en sa qualité de constructeur.

Déclare recevables l'ensemble des autres demandes

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [A] [U] de sa demande en résolution de la vente pour vices cachés en l'état de la clause élusive de responsabilité non écartée,

l'Infirme pour le surplus et statuant à nouveau

Prononce la nullité de la vente intervenue entre Mme [N] [E] et Mme [A] [U] pour dol, selon acte authentique de Me [G] en date du 1er février 2022 et portant sur le lot n°4 de l'ensemble immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 1], cadastré section AV n°[Cadastre 5].

Ordonne la publication du présent arrêt au service de publicité foncière compétent et désigne le président de la 4ème chambre civile de la cour d'appel de Montpellier pour statuer sur requête en cas de difficulté.

Condamne en conséquence Mme [N] [E] à restituer à Mme [A] [U] la somme de 176 100€ au titre du prix et des frais.

Condamne Mme [N] [E] à payer à Mme [A] [U] la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Condamne Mme [N] [E] aux dépens de première instance et d'appel, y compris le coût du rapport d'expertise.

Condamne Mme [N] [E] à payer à Mme [A] [U] la somme de 8 000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.