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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 5 septembre 2024, n° 24/00073

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ecoran GmbH

Défendeur :

Époux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boudy

Conseillers :

M. Figerou, Mme Defoy

Avocats :

Me Baggio, Me Betoulle, Me Manson

Bordeaux, 5e ch., du 07 nov. 2023, n° 21…

7 novembre 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Z] [K] et son épouse, Madame [R] [J], épouse [K], ont acquis une installation photovoltaïque composée de 14 panneaux fabriqués par la société Schott Solar.

Cette installation a été vendu et installée par la société Emmisol.

Constatant que la production des panneaux ne cessait de décroître, les époux [K] ont informé la société Emmisol qui a constaté des dysfonctionnements sur six des quatorze panneaux.

La société Emmisol a informé le fabricant, la société de droit allemand Schott Solar.

Les époux [K] ont assigné le 9 octobre 2018 les sociétés Emmisol et Schott Solar aux fins de voir désigner un expert judiciaire.

Par ordonnance du 6 mai 2019, le Juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a ordonné une expertise judiciaire de l'installation photovoltaïque et a désigné Monsieur [T] [M] en qualité d'expert.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 11 juin 2020.

Au regard des conclusions du rapport d'expertise, Monsieur et Madame [K] ont assigné en responsabilité le fabricant des panneaux photovoltaïques, la société Schott Solar AG, devenue Ecoran, ainsi que l'installateur la société Emmi Énergie Durable devant le tribunal judiciaire de Bordeaux.

Par conclusions d'incident, la société Ecoran a soulevé la prescription de l'action des époux [K] tant par l'application du droit allemand que du droit français.

Par ordonnance du 7 novembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- Déclaré irrecevable la demande de Monsieur [Z] [K] et de Madame [R] [K] à l'encontre de la SA Axa France IARD ;

- Déclaré irrecevable la demande de Monsieur [Z] [K] et de Madame [R] [K] à l'encontre de la SAS Schott France ;

- Déclaré irrecevable la demande de Monsieur [Z] [K] et de Madame [R] [K] à l'encontre de la société de droit allemand Schott AG ;

- Débouté la société de droit allemand AG Ecoran GmbH de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

- Dit que l'instance se poursuit entre d'une part Monsieur [Z] [K] et Madame [R] [K], et d'autre part, la SARL Emmi Énergie Durable, et la société de droit allemand AG Ecoran GmbH ;

- Condamné in solidum Monsieur [Z] [K] et Madame [R] [K], par application de l'article 700 du code de procédure civile, au paiement de la somme de 800 euros à chacune des parties suivantes :

- la SA Axa France IARD,

- la SAS Schott France,

- la société de droit allemand Schott AG;

- Condamné in solidum Monsieur [Z] [K] et Madame [R] [K] aux dépens engagés contre la SA Axa France IARD, la SAS Schott France et la société de droit allemand Schott AG ;

- Débouté les parties de leurs plus amples chefs de demande ;

- Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 10 janvier 2024 pour conclusions des demandeurs ;

- Réservé les dépens non-liquidés.

Par déclaration en date du 8 janvier 2024, la société Ecoran GmbH a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions en date du 5 mars 2024, la société Ecoran GmbH demande à la cour de :

- Infirmer l'ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu'elle l'a déboutée de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription,

- Déclarer irrecevable l'action de Monsieur et Madame [K] à son encontre basée sur la garantie des vices cachés,

- Débouter Monsieur et Madame [K] de leurs demandes, fins et conclusions à son égard,

- Condamner Monsieur et Madame [K] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner Monsieur et Madame [K] aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions du 4 avril 2024, Monsieur [Z] [K] et Madame [R] [K] demandent à la cour de :

- Confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

- Condamner la société Ecoran GmbH à leur verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.

Postérieurement à la clôture, l'appelante a déposé de nouvelles écritures, le 28 mai 2024 et a sollicité le report de l'ordonnance de clôture au jour de l'audience.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de report de la clôture à l'audience

L'affaire a été fixée par avis du 8 février 2024. A la suite de cet avis toute les parties ont déposé de nouvelles écritures.

Pour tenir compte de l'extranéité de l'appelante, il y a lieu de reporter la clôture de l'instruction au 4 juin 2024, avant l'ouverture des débats.

Sur le fond

Le juge de la mise en état a débouté la société de droit allemand Ecoran de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action aux motifs qu'il résultait du traité de Rome que si la loi applicable au contrat de vente de biens était celle du pays dans lequel le vendeur avait sa résidence principale, lorsque le contrat présentait des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui dans lequel le vendeur a sa résidence principale, la loi de cet autre pays s'appliquait ce qui était le cas en l'espèce. Et en application de la loi française la demande des époux [K] ne serait pas prescrite alors que la découverte du vice affectant les panneaux commençait à courir qu'au jour du dépôt du rapport d'expertise judiciaire.

La société Ecoran GMBH soutient que si un demandeur créancier d'une inexécution contractuelle peut rechercher la responsabilité du fabricant avec lequel il n'a pas contracté, ce fabricant peut en revanche lui opposer les clauses de son contrat, et, plus généralement, tous les moyens de défense qu'il aurait pu opposer à son propre cocontractant. Elle fait valoir qu'en matière de droit de la vente entre des pays de l'union, c'est le traité de Rome 1 qui doit s'appliquer. Or la règle générale qui doit également s'appliquer, aux termes de l'article 4.1 du traité, est que la loi applicable est celle où le vendeur a son siège, en l'espèce l'Allemagne, et dans la mesure où celui-ci avait établi des conditions générales prévoyant en outre l'application du droit allemand, c'est la loi allemande qui doit s'appliquer et qu'elle est ainsi fondée à opposer cette règle à toute partie de la chaîne de sa vente et des ventes successives de ses panneaux. Et en application du droit allemand la demande des époux [K] est prescrite. Elle ajoute que le premier juge a écarté cette règle pour retenir celle de l'article 4.3 qui permet d'écarter la règle de portée générale quand il résulte des circonstances que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays que celui dans lequel le vendeur a son siège , et ainsi en l'espéce, la loi française. Or, en l'espéce, 14 panneaux posés chez les époux [K] faisaient partie d'un lot de 390 panneaux qu'elle a vendu à la société MHH France, en avril 2010, alors que cette dernière a revendu seulement 14 panneaux à la société Emmisol. Aussi, il n'est pas possible d'affirmer que le contrat présenterait des liens manifestement plus étroits avec la France qu'avec l'Allemagne.

Les époux [K] sollicitent quant à eux la confirmation du jugement.

***

Sur la loi applicable

Le Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 (dit Rome I) est applicable aux contrats conclus après le 17 décembre 2009 et donc à ceux de l'espèce.

L'article 4 de ce Règlement, définissant la "loi applicable à défaut de choix", dispose tout d'abord que :

a) "le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle,

b) le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle",

c) à h) étant inapplicables à l'espèce.

Il ajoute ensuite en point 3 que "lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique" et en point 4 que "lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens le plus étroits".

En l'espèce, s'il n'est pas contesté que la société Ecoran, vendeur des seuls panneaux solaires a son siège en Allemagne, lesdits panneaux n'étaient que l'un des composants de la centrale photovoltaïque vendues et installées en France par une société française, Emmisol, et les désordres qui sont la cause de l'action et dont il est précisément demandé réparation sont survenus en France.

Aussi, le seul élément d'extranéité de la présente procédure tenant au siège social de la société Ecoran si bien qu'il apparaît ainsi à l'examen des circonstances de la cause, que le contrat de vente qui lie la société Ecoran aux époux [K] et sur le fondement duquel ceux-ci réclament garantie, présente des liens manifestement plus étroits avec la France de sorte que c'est la loi française qui est seule applicable.

Sur la prescription de l'action au regard de la loi française

Le premier juge a considéré que le litige devait être réglé par application de la loi Française et ainsi en l'espéce par les dispositions de l'article 1648 du code civil qui dispose que l'action doit être entreprise dans les deux ans de la découverte du vice, ce qui court au jour de la date du rapport d'expertise judiciaire si bien que l'action des époux [K] n'est pas prescrite en l'espèce.

La société Ecoran soutient à titre subsidiaire qu'au contraire, les règles issues du droit français conduisent à reconnaître la prescription de l'action directe du sous-acquéreur en garantie des vices cachés. En effet, dans une chaîne de contrats internationaux, les articles 1641 et suivants du Code civil ne sont pas d'ordre public, et le juge doit rechercher le droit applicable tant au contrat initial qu'à l'action directe du sous-acquéreur. Or, les actions directes en indemnisation, dès lors qu'elles sont fondées sur la violation des obligations nées du contrat auquel le défendeur est partie, relèvent de la seule compétence de la loi gouvernant ce contrat ; le droit applicable à l'action directe est ainsi le droit applicable au contrat initial. Dès lors, le sous-acquéreur bénéficie des droits dont bénéficie l'acheteur initial mais il ne peut détenir plus de droits à l'égard du vendeur que n'en détenait l'acheteur initial. En l'espèce, dans la mesure où le contrat est soumis au droit allemand, et ainsi à la prescription biennale qui part à compter de la vente. ( du § 438 du BGB), l'action des époux [K] est prescrite.

***

Les époux [K] sollicitent la confirmation de ordonnance déférée sur l'absence de prescription de leur action en application de la loi française.

***

En matière contractuelle comme en matière délictuelle, l'action directe doit être soumise à la loi du lieu où le dommage s'est produit. ( Cass. 1re'civ., 20'déc. 2000, n°'98-15546)

En l'espèce, le dommage s'est produit sur le sol français si bien que l'action directe des époux [K] contre le fabricant et premier vendeur est soumise à la loi française.

En conséquence, la décision entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a jugé que l'action de époux [K] n'était pas prescrite.

En effet en application de l'article 1648 du code civil français, applicable aux faits de l'espèce, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Le point de départ de ce délai de prescription est la date du dépôt du rapport d'expertise qui leur a permis de connaître les causes du vice caché dans toutes leurs ampleurs, leurs causes et leurs conséquences.

Or, dans la mesure où les époux [K] ont fait délivré leurs assignations au fond dans le délai de deux après le dépôt du rapport d'expertise, leur action n'est nullement prescrite.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

La société Ecoran GMBH succomant devant la cour sera condamnée aux dépens d'appel et à verser aux intimés la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Reporte l'ordonnance de clôture au 4 juin 2024, avant l'ouverture des débats,

Confirme l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux le 7 novembre 2023,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société de droit allemand Ecoran GmbH à payer à M. [Z] [K] et Mme [R] [J] épouse [K], ensemble la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société de droit allemand Ecoran GmbH aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.