CA Chambéry, 2e ch., 5 septembre 2024, n° 22/00653
CHAMBÉRY
Autre
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Leman Auto (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fouchard
Conseillers :
M. Therolle, M. Gauvin
Avocats :
Me Bouzol, Me Piccamiglio
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 4 novembre 2019, Mme [F] [Z] et M. [G] [L] ont passé commande, auprès de la Sarl Léman Auto, d'un véhicule Audi A4 (immatriculé [Immatriculation 7]) présentant un kilométrage de 178 873 kilomètres vendu au prix de 8 990 euros.
Un contrôle technique réglementaire a été effectué le 7 novembre 2019 au centre [Localité 2] Auto-Bilans lequel a constaté différents défauts avec contre-visite (relatifs aux pneumatiques) et d'autres défauts sans obligation de contre-visite.
Par certificat en date du 20 novembre 2019, la cession du véhicule intervenait entre la Sarl Léman Auto et les acheteurs, la contre-visite technique réalisée le même jour n'ayant pointé aucune anomalie.
Le 3 décembre 2019, Mme [Z] et M. [G] [L] constataient différents problèmes affectant le véhicule (claquement du moteur, fuite d'huile, fuite du silencieux, odeur anormale, usure importante des disques de frein, etc...).
Les acheteurs faisaient alors réaliser un contrôle volontaire complet le 11 décembre 2019. Le centre Contrôles [Localité 3] mettait alors en exergue :
- différents défauts nécessitant une contre-visite :
- orientation feu de croisement D et G,
- transmission capuchon anti-poussière AVG manquant ou fêlé,
- système de réduction de bruit, un élément du système est desserré, endommagé, mal monté, manquant ou manifestement modifié d'une manière néfaste au niveau du bruit,
- des défauts sans obligation de contre-visite :
- disques de frein ARG et ARD légèrement usés,
- amortisseur ARG protection défectueuse,
- tubes de poussée, jambes de forces, triangles et bras de suspension AVG et AVD : détérioration du silentbloc,
- état général du châssis : corrosion ARG, ARD,
- état général du châssis : corrosion berceau AR,
- tuyaux d'échappement et silencieux endommagé sans fuite ni risque de chute.
Le 24 décembre 2019, M. [G] [L] faisait réaliser une lecture des calculateurs par un concessionnaire Audi. Cet examen permettait de révéler :
- un défaut moteur vanne palier moteur,
- un défaut de calage de distribution.
Le 7 juillet 2020, un 'examen contradictoire' a été réalisé par M. [S], expert en automobile, en présence de M. [G] [L] et de M. [M], responsable atelier mécanique, hors la présence de la Sarl Léman Auto.
L'expert préconisait alors différentes réparations pour un coût de 9 570,53 euros TTC soit :
- le remplacement du silencieux intermédiaire,
- la recherche fuite huile moteur et BV + réparation,
- la recherche bruit moteur au démarrage nécessitant la dépose de la chaîne de distribution, donc dépose de l'ensemble du groupe motopropulseur,
- le remplacement du silentbloc moteur,
- le remplacement du bouchon du vase d'expansion.
L'expert concluait en outre que, compte tenu du faible kilométrage parcouru depuis l'acquisition du véhicule, les défauts relevés étaient nécessairement antérieurs à la vente.
Par lettre du 1er mars 2021, Mme [F] [Z] et M. [G] [L] ont mis en demeure la Sarl Léman Auto de leur régler la somme de 9 781,48 euros.
Par acte du 31 mai 2021, Mme [F] [Z] et M. [G] [L] ont fait assigner la Sarl Léman Auto devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains notamment aux fins d'engager la responsabilité de la défenderesse sur le fondement de la garantie légale des vices cachés.
Par jugement contradictoire du 11 mars 2022, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
- déclaré la Sarl Léman Auto responsable en tant que vendeur du véhicule,
- dit que la responsabilité de la Sarl Léman Auto est engagée sur le fondement de la garantie légale des vices cachés,
En conséquence,
- condamné la Sarl Léman Auto à payer à Mme [F] [Z] et M. [G] [L] la somme de 9 769,53 euros, décomposée de la somme de 9 570,53 euros au titre des frais de remise en état du véhicule, de la somme de 144 euros au titre des frais d'expertise et de la somme de 55 euros au titre du contrôle technique volontaire,
- rappelé que le jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire,
- condamné la Sarl Léman Auto à payer à Mme [F] [Z] et M. [G] [L] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl Léman Auto aux entiers dépens de la procédure,
- rejeté les autres demandes des parties.
Par acte du 15 avril 2022, la Sarl Léman Auto a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Sarl Léman Auto demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il :
- l'a déclarée responsable en tant que vendeur du véhicule,
- a dit que sa responsabilité est engagée sur le fondement de la garantie légale des vices cachés,
En conséquence,
- l'a condamnée à payer à Mme [F] [Z] et M. [G] [L] la somme de 9 769,53 euros, décomposée de la somme de 9 570,53 euros au titre des frais de remise en état du véhicule, de la somme de 144 euros au titre des frais d'expertise et de la somme de 55 euros au titre du contrôle technique volontaire,
- a rappelé que le jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire,
- l'a condamnée à payer à Mme [F] [Z] et M. [G] [L] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
- a rejeté les autres demandes des parties,
Et statuant à nouveau,
- rejeter toutes fins et conclusions contraires,
A titre principal, sur l'exception de nullité,
- prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance en date du 31 mai 2021 délivré par la Selarl Juris Office - [T] [E] & [Y] [N], huissier de justice associés pour vice de forme portant grief,
En conséquence,
- débouter Mme [F] [Z] et M. [G] [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire, sur le fond du dossier,
- juger que la garantie légale des vices cachés n'est pas due,
- juger que sa responsabilité n'est pas engagée,
- juger que Mme [F] [Z] et M. [G] [L] ne justifient pas de la réalité de leur préjudice,
En conséquence,
- débouter Mme [F] [Z] et M. [G] [L] de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires,
Dans tous les cas,
- rejeter toutes demandes reconventionnelles adverses formées par appel incident,
- condamner solidairement Mme [F] [Z] et M. [G] [L] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement Mme [F] [Z] et M. [G] [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En réplique, dans leurs conclusions adressées par voie électronique le 10 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [Z] et M. [L] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- débouter la Sarl Léman Auto de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la Sarl Léman Auto à leur verser une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner la Sarl Léman Auto aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Piccamiglio, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la nullité de l'acte introductif d'instance
La Sarl Léman Auto expose que l'assignation ne comporte pas la mention de la profession des demandeurs en violation des dispositions de l'article 658 du code de procédure civile. Elle estime que cela lui cause un grief caractérisé par le fait que les demandeurs sont dirigeants d'une société MG Meca Auto, enseigne sous laquelle M. [G] [L] exerçait auparavant à titre personnel. Cette société a pour activité déclarée 'entretien et réparation de véhicule'. Pour elle, le vice caché n'est pas retenu entre professionnels de même spécialité et que, en présence d'un acheteur professionnel le vice s'apprécie très strictement comme étant le vice indécelable. Elle ajoute que ce vice n'a pas été régularisé postérieurement, dans la mesure où il subsiste un grief.
Mme [F] [Z] et M. [G] [L] estiment pour leur part que le bon de commande est établi au nom de Mme [F] [Z] et M. [G] [L] et non au nom d'un professionnel de l'automobile. En outre, l'oubli a été régularisé dans les conclusions postérieures et ne laisse subsister aucun grief. En tout état de cause, il s'agit selon eux d'une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel.
Sur ce :
L'article 74 premier alinéa du code de procédure civile dispose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.
En application de ce texte il est constant que la partie qui a conclu sur le fond devant le tribunal est irrecevable à présenter une exception en cause d'appel.
En l'espèce la Sarl Léman Auto a présenté une défense au fond devant le tribunal.
Par conséquent, la demande tendant à la nullité de l'assignation est irrecevable.
2. Sur la garantie contre les vices cachés
Les acheteurs exposent que, 13 jours après l'achat soit le 3 décembre 2019, divers défauts sont, selon eux, apparus sur le véhicule (kilométrage 178819):
- une fuite d'huile externe au niveau du soubassement,
- un claquement moteur à froid,
- un problème de silentbloc moteur,
- une fuite sur le silencieux intermédiaire,
- un soufflet de transmission avant gauche HS,
- les disques de frein arrière HS,
- une odeur anormale de liquide de refroidissement et huile.
Ils se prévalent ensuite d'un contrôle technique volontaire effectué le 11 décembre 2019 et d'une expertise amiable non contradictoire réalisée le 7 juillet 2020 (kilométrage : 179304). Les défauts relevés ont été ci-dessus rappelés. Ils précisent que les défauts n'étaient pas apparents au moment de la vente, ni connus de M. [G] [L]. Ils en déduisent que la garantie des vices cachés doit être appliquée.
La Sarl Léman Auto expose quant à elle que les vices ne sont pas antérieurs à la vente dès lors que le contrôle technique était vierge de toute mention. Elle reprend ensuite poste par poste les défauts pour montrer que, selon elle, ils sont postérieurs à l'achat. Elle ajoute que le véhicule est ancien (20 ans) de sorte que, notamment en raison du nombre important de kilomètres déjà parcourus, l'acheteur doit s'attendre à engager des frais dans les mois à venir. Elle dit encore que M. [G] [L] est lui-même professionnel de la mécanique de sorte que le caractère caché du vice s'apprécie plus sévèrement que s'il était profane et que l'un des problèmes du véhicule était connu comme signalé sur les différents forums de discussion spécialisés. Enfin, elle dit que les vices dénoncés ne sont pas rédhibitoires et ne rendent pas la voiture impropre à son usage.
Sur ce :
L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il est constant que la garantie des vices cachés suppose, pour être mise en oeuvre, que l'acheteur démontre l'existence :
- d'un vice rendant la chose impropre à son usage ou qui en diminue tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou alors à moindre prix,
- d'un vice caché, c'est-à-dire dont l'acquéreur non professionnel n'a pu se convaincre lui-même par un examen normal de la chose,
- d'un vice antérieur à la vente.
La cour relève qu'une expertise amiable non contradictoire est recevable si elle est régulièrement versée aux débats et qu'elle peut être contradictoirement débattue. En revanche il est constant qu'elle ne peut valoir comme preuve qu'autant que des éléments qui en corroborent les conclusions sont également versés. En l'espèce l'expertise amiable constate (pièce acheteur n°9) :
- un claquement au démarrage à froid,
- le mauvais état de la protection sous le moteur,
- une fuite d'huile moteur en partie droite et partie avant,
- le caractère hors d'usage du silencieux intermédiaire du pot d'échappement,
- de la corrosion sur le bas de porte avant droite et la caisse avant droit,
- des points d'oxydation dans le soubassement arrière,
- un léger refoulement du liquide de refroidissement au niveau du vase d'expansion,
- le fait que le bouchon du vase d'expansion ne tient pas la pression dans le temps,
- le fait que la climatisation déclenche mais ne souffle pas un air froid.
La remise en état suppose, toujours aux termes de cette expertise, le remplacement du silencieux intermédiaire, la recherche de la fuite d'huile et sa réparation, la recherche du bruit moteur au démarrage (nécessité de déposer la chaîne de transmission et donc de l'ensemble du groupe motopropulseur), le remplacement du silentbloc et du bouchon du vase d'expansion.
Le seul élément versé pour corroborer ces conclusions est le procès-verbal de contrôle technique volontaire (pièce acheteur n°4) lequel relève comme défaut commun avec l'expertise le caractère endommagé du silencieux du pot d'échappement et, éventuellement le mauvais état du soubassement (corrosion du châssis dans le contrôle technique). Or, Mme [F] [Z] et M. [G] [L] qui ne procèdent sur ce point que par affirmations, ne démontrent ni n'expliquent en quoi un châssis portant de la corrosion ou un silencieux défectueux rendraient le véhicule impropre à son usage au sens du texte précité ou en diminuerait notablement l'usage, surtout au regard d'un véhicule mis en circulation en 2003 et affichant 177 000 kilomètres au compteur. Au demeurant, même pour les défauts qui ne sont constatés que par l'expertise amiable non contradictoire, les acheteurs n'expliquent pas en quoi ils seraient rédhibitoires ou diminueraient notablement l'usage du véhicule.
Par conséquent, Mme [F] [Z] et M. [G] [L] ne prouvent pas l'existence de vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil. Le jugement déféré sera donc infirmé en toutes ses dispositions et Mme [F] [Z] et M. [G] [L] déboutés de leurs demandes.
3. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Mme [F] [Z] et M. [G] [L] qui succombent seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d'appel. Ils seront dans le même temps déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Il n'est pas inéquitable de faire supporter par Mme [F] [Z] et M. [G] [L] partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par la Sarl Léman Auto en première instance et en appel. Il seront donc condamnés in solidum à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute Mme [F] [Z] et M. [G] [L] de leurs demandes
Condamne in solidum Mme [F] [Z] et M. [G] [L] aux dépens de première instance et d'appel,
Déboute Mme [F] [Z] et M. [G] [L] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [F] [Z] et M. [G] [L] à payer à la Sarl Léman Auto la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 05 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.