CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 5 septembre 2024, n° 20/08692
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Bakamax (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Delmonte, Me Ladouce, Me Marino, Me Leca, Me Volle Tupin
EXPOSE DU LITIGE
Les époux [G] [H] et [M] [A] aux droits desquels vient leur fille Mme [Z] [H], ont conclu deux contrats différents avec les époux [R] [E] et [I] [L], dont le bail commercial litigieux :
- un contrat du 17 mars 1981 par lequel ils leurs ont vendu de leur fonds de commerce de miel confiserie, liqueurs boissons non alcoolisées, nougats et sous produits y rattachés,
- un bail commercial le même jour par lequel ils leur ont donné à bail commercial les locaux dans lesquels ils exploitaient leur fonds de commerce situés à [Localité 8] (83).
C'est ainsi que suivant acte notarié en date du 17 mars 1981, M. [G] [H] et Mme [M] [A] ont donné à bail à titre commercial aux époux [R] [E] et [I] [L] un local constituant la totalité du rez-de-chaussée d'un immeuble situé [Adresse 7] en bordure de la RN 7 à [Localité 8] (83)moyennant paiement d'un loyer annuel de 12.000 francs payable par mois et d'avance.
Aux termes du bail, les lieux loués aux preneurs sont décrits de la manière suivante :
- un ensemble immobilier situé à [Adresse 9], en bordure de la RN7 comportant un grand bâtiment sur le devant, une dépendance sur le derrière, des parkings,
- la totalité du rez-de-chaussée de l'immeuble donnant sur la RN 7 c'est-a-dire un magasin, une miellerie, une cuisine, un bureau, une cave au sous-sol,et à l'arrière dans les dépendances, trois garages voiture, une pièce réserve,
- la totalité de la cour à usage de parking donnant sur le devant du bâtiment principal et vers le village.
Concernant la destination contractuelles des lieux, le bail commercial précise : ' les lieux loués serviront au preneur à l'exercice de la fabrication de miel, sa vente, et de tous produits y dérivés, formant l'activité du fonds de commerce que le preneur acquiert aujourd'hui par acte notarié du même jour »
Concernant l'exploitation des lieux par les preneurs, le bail commercial stipule, en son article 9 intitulé 'exploitation du commerce' que la boutique devra être constamment ouverte et achalandée.
Concernant enfin les causes de résolution du bail, le bail commercial prévoit une clause résolutoire pour défaut d'exécution d'une seule des conditions du bail, un mois après une sommation d'exécuter.
Le bail commercial a fait l'objet de tacites prolongations successives.
Un litige s'est noué entre la bailleresse (Mme [Z] [H] puis ensuite la SCI Bakamax venant toutes deux aux droits des bailleurs initiaux) et les preneurs concernant le prix du bail renouvelé.
Le 20 mars 2017, la bailleresse a notifié un congé avec offre de renouvellement du bail commercial aux preneurs pour le 30 septembre 2017, moyennant fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 1.850 euros par mois en principal et hors charges, à compter du 1er octobre 2017, toutes les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées.
Par courrier du 20 juin 2017, les preneurs ont accepté le principe de renouvellement du bail, mais ont contesté le montant du loyer proposé.
Les parties se sont fait délivrer des assignations réciproques devant le juge des loyers commerciaux de [Localité 4].
Par acte d'huissier de justice du 1er septembre. 2017, Mme [Z] [H] a fait assigner les époux [R] [E] et [I] [L] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Draguignan aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 22.200 euros .
Par acte d'huissier de justice du 19 septembre 2017,les époux [R] [E] et [I] [L] ont fait assigner Mme [Z] [H] devant le juge des loyers commerciaux, après en avoir obtenu l'autorisation, aux fins de voir fixer le montant du loyer du bail renouvelé. Ils demandaient aussi la désignation d'un expert charge de déterminer cette valeur et sollicitaient enfin que le loyer provisionnel à régler pendant la durée des opérations d'expertise soit fixé à la somme de 4704 euros par an.
Ces deux procédures ont été jointes.
Un premier jugement, de nature mixte, a été prononcé et est devenu définitif en l'absence de tout recours.
Ainsi, par jugement avant-dire droit prononcé le 29 mars 2018, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Draguignan a ordonné la jonction entre les procédures réciproque des parties, a ordonné une expertise sur le montant du loyer, a fixé le montant du loyer prévisionnel dû dans l'attente du rapport d'expertise à 8000 euros par an hors taxes et hors charges.
Dans son jugement avant-droit, le magistrat retenait notamment que la règle du plafonnement n'était pas applicable et que le montant du loyer serait fixé à la valeur locative.
L'expert judiciaire désigné , M. [X] [P], qui a déposé son rapport au tribunal le 31 janvier 2019, a donné son avis selon lequel le loyer déplafonné à appliquer à compter du 1er octobre 2017 devait être fixé à la somme de 9240 euros par an.
Pour retenir un loyer de 9240 euros par an, l'expert judiciaire appliquait la méthode suivante :
- il retenait d'abord que le total de la surface pondérée arrondie était de 125, 50 mètres carrés,
- il estimait que la moyenne obtenue des loyers commerciaux en termes d'éléments comparables constituant son pannel était de 135, 70 euros par mètre carré et par an pour des locaux en bon état,
- il appliquait une moins-value à hauteur de 45 % sur le loyer de référence obtenu compte tenu des défauts des locaux et retenait un loyer utile pondéré de 74, 63 euros par mètre carré par an,
- il concluait à une valeur locative annuelle des locaux litigieux au 1er octobre 2017 à 73, 60 euros par mètre carré pondéré,
- il estimait que la valeur locataire annuelle déplafonnée pour l'ensemble des locaux était de 9240 euros par an (soit 73,60 euros par mètre carré UP x 125, 50 mètres carrés soit 9 236, 80 euros par an, somme arrondie à la somme de 9240 euros).
Pour justifier la moins- value retenue de 45 %, l'expert judiciaire estimait en particulier que:
- les locaux à expertiser étaient actuellement impropres à leur destination première s'agissant de la fabrication du miel et déclarés non exploitables suite à un rapport sanitaire négatif, notamment en raison de la présence d'amiante par des canalisations d'évacuation des eaux usées de l'usage.
- les locaux étaient également très vétustes et sans comparaison avec ceux pris en référence,
- le parking attenant, devant le local, était souvent encombré de semi-remorques.
Par jugement contradictoire du 24 juin 2020, le tribunal judiciaire de Draguignan s'est prononcé en ces termes :
- fixe le montant du loyer du bail renouvelé entre les parties a compter du 1er octobre 2017 à la somme de 9240 euros par an hors taxes et hors charges,
- rejette les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure,
- dit que chaque partie supportera la moitié des dépens comprenant le coût de l'expertise judiciaire.
Pour fixer le loyer du bail renouvelé à 9 240 euros par an hors taxes et hors charges à compter du 1er octobre 2017, le juge des loyers commerciaux retenait l'avis de l'expert judiciaire.
Le juge des loyers commerciaux estimait notamment que l'état général des locaux (construction des années l960, menuiseries en simple vitrage, installation électrique d'origine) , la forte réduction d'usage de la miellerie et des caves en raison de la présence d'amiante , les remontées d'eau par capillarité justifiaient l'application de l'abattement de 45% proposé par l'expert.
Mme [Z] [H] a formé un appel le 9 septembre 2020.
La déclaration d'appel est ainsi rédigée :': Mme [Z] [H] épouse [V] demande à la cour d'appel de réformer la décision en date du 24 juin 2020 rendue par Monsieur le juge des loyers commerciaux de la 1ère chambre du tribunal judiciaire de Draguignan en ce qu'il a :
- fixé le montant du loyer du bail renouvelé entre les parties à compter du 1er octobre 2017 à
la somme de neuf-mille-deux-cent-quarante euros (9240 euros) par an hors taxes et hors charges ,
- rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure .'
Le 24 juin 2022, la SCI Bakamax a acquis l'immeuble litigieux et est donc devenue la nouvelle bailleresse.
Un autre litige est né entre les parties concernant le supposé défaut d'exploitation du commerce par les preneurs et concernant la supposée fréquente fermeture du local commercial.La nouvelle bailleresse, la SCI Bakamax a fait établir plusieurs procès-verbaux pour tenter de faire établir le constat de fermeture du local commercial à différentes dates.
Le 19 janvier 2024, la nouvelle bailleresse faisait délivrer aux preneurs un commandement d'avoir à exploiter les lieux et visant la clause résolutoire.
Le 14 juin 2023, les intimés preneurs ont fait assigner en intervention forcée leur nouvelle bailleresse , la SCI Bakamax.
L'instruction de la procédure a été clôturée par ordonnance prononcée le 7 mai 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2021, Mme [Z] [H] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- fixé le montant du loyer du bail renouvelé entre les parties à compter du
1 er octobre 2017 à la somme de 9240 euros par an hors taxes et hors charges
- rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure
- rejeté la demande de condamnation des époux [L] aux dépens
et, statuant de nouveau,
vu les articles L.145-33 et L.145-34 du code de commerce,
- donner acte au preneur de son consentement au principe du renouvellement du bail pour une durée de 9 ans à compter du 1 er octobre 2017,
- constater que le loyer du bail renouvelé est déplafonné de plein droit et doit être fixé à la valeur locative,
- constater que le preneur a modifié la destination d'une partie des lieux donnés à bail en violation du bail commercial,
- dire que le loyer doit être fixé à compter du 1 er octobre 2017 à la somme de 22 200 euros HT et hors charges par an, correspondant à la valeur locative des lieux, sans que le jeu du plafonnement institué par l'article L 145-34 alinéa 3 du code de commerce puisse intervenir,
- condamner les époux [L] au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civil ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2023, la SCI Bakamax demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a :
- fixé le montant du loyer du bail renouvelé entre les parties à compter du 1er
octobre 2017 à 9240 euros par an hors taxes et hors charges ,
- rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure ,
- rejeté la demande de condamnation des époux [L] aux dépens,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- prononcer la résiliation du bail liant les parties,
- ordonner l'expulsion des preneurs ainsi que celle de tous occupants de leur chef avec le concours de la force publique accompagnée d'un serrurier si nécessaire,
- les condamner à porter et payer au bailleur une indemnité d'occupation égale à la somme mensuelle de 1.850 euros HT, outre les charges mensuelles jusqu'à la libération totale des lieux,
- les condamner au paiement d'une astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter de la résiliation du bail jusqu'à leur départ effectif,
à titre subsidiaire,
- fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1 er octobre 2017 à 22 200 euros HT et hors charges par an, correspondant à la valeur locative des lieux, sans que le jeu du plafonnement institué par l'article L 145-34 alinéa 3 du code de commerce puisse intervenir,
- débouter les époux [R] [E] et [I] [L] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Carline Leca, avocat au barreau d'Aix-en-Provence.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2023 ,les époux [R] [E] et [I] [L] demandent à la cour de :
vu l'article l719, alinéa 2 et alinéa 3 du code civil l'article L 145-33 du code de commerce, vu les articles 554 et 555 du code de procédure civile ,
- juger recevable et bien fondée l'intervention forcée de la société Bakamax,
- confirmer le jugement en ce qu'il a statué comme suit:
- fixe le montant du loyer du bail renouvelé entre les parties a compter du 1er
octobre 20l7 à la somme de 9 240 euros par an hors taxes et hors charges,
- infirmer et réformer le jugement dont appel en ce qu'il a statué comme suit :
- rejette les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure,
- dit que chaque partie supportera la moitie des dépens comprenant le coût
de l'expertise judiciaire,
statuant de nouveau,
- débouter Mme [Z] [H] et la SCI Bakamax de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner solidairement Mme [Z] [H] et la SCl Bakamax à leur payer de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi q'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.
MOTIFS
1-sur la procédure
Les preneurs demandent à la cour de juger recevable l'intervention forcée de la société Bakamax, ce à quoi ni cette dernière ni la bailleresse antérieure ne s'opposent.
En conséquence, la cour juge recevable l'intervention forcée de la société Bakamax
2-sur la demande principale de la bailleresse (la société Bakamax) de résiliation judiciaire du bail commercial
- sur la recevabilité
Aux termes de l'article R145-23 du code de commerce :Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble.
Il est de principe que la compétence du juge des loyers commerciaux est une compétence limitée et exclusive autorisant le juge des loyers commerciaux à ne se prononcer exclusivement que sur les seules fixations du prix du bail révisé et non sur des demandes accessoires qui relèvent de la compétence du tribunal de grande instance.
Ainsi, en l'espèce, saisie de l'appel d'un jugement du juge des loyers commerciaux, la cour d'appel ne peut statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci, de sorte qu'elle n'est pas compétente pour statuer sur la demande de la bailleresse de résiliation judiciaire du bail commercial ainsi que sur les demandes accessoires liées à ladite demande.
Faisant droit à la demande des intimés, la cour déclare irrecevable la demande principale de la SCI Bakamax de résiliation judiciaire du bail commercial. Sont également déclarées irrecevables les demandes accessoires de la bailleresse relatives à l'expulsion des preneurs, à l'indemnité d'occupation et à l'astreinte.
3-sur les demandes sur le prix du bail renouvelé
Aux termes de l'article L145-33 du code de commerce :Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1 Les caractéristiques du local considéré ,
2 La destination des lieux ,
3 Les obligations respectives des parties ,
4 Les facteurs locaux de commercialité ,
5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ,
Un décret en Conseil d'État précise la consistance de ces éléments.
En l'espèce, le jugement déféré à la cour a fixé le montant du loyer du bail renouvelé entre les parties a compter du 1er' octobre 2017 à 9240 euros par an hors taxe et hors charge, adoptant les conclusions de l'expert judiciaire sur ce point.
S'agissant du montant du loyer pratiqué par les parties au jour du renouvellement, le jugement déféré estime qu'il était de 5275 euros par an au jour du renouvellement.
La bailleresse sollicite la réformation du jugement sur le prix du bail renouvelé et demande la fixation dudit prix à compter du 1 er octobre 2017 à 22 200 euros HT et hors charges par an. Les preneurs demandent la confirmation jugement sur le prix du bail renouvelé.
Vu L145-34 du code de commerce,
L'article L. 145-33 du code de commerce dispose que « le montant des baux à renouveler doit correspondre à la valeur locative »
L'article L. 145-34 du code de commerce prévoit une dérogation à la règle du plafonnement, le loyer étant dans ce cas fixé à la valeur locative, dans trois cas différents dont lorsque la durée du bail excède douze ans par l'effet d'une tacite prolongation.
En l'espèce, conformément à ce qu'affirme la bailleresse, le loyer est déplafonné puisque la durée du bail a excédé 12 années par l'effet d'une tacite prolongation (bail du 17 mars 1981).
Le plafonnement étant exclu, le loyer litigieux doit être calculé directement en fonction de la valeur locative.
Pour s'opposer au montant de la valeur locative proposée par l'expert judiciaire ou pour en obtenir la confirmation, les parties opposent différents arguments concernant les critères de fixation du prix du bail renouvelé, arguments qu'il convient d'examiner.
Selon l'article R145-3 du code de commerce :Les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ,
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ,
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ,
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ,
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
- sur la surface pondérée de la miellerie et sur la surface générale des lieux
Dans son rapport d'expertise , l'expert judiciaire a retenu une surface pondérée de 20 mètres carrés pour la miellerie alors que la surface est de 51 mètres carrés.
La bailleresse critique l'abattement de 40 % appliqué par l'expert judiciaire pour obtenir la surface pondérée pour la miellerie.
Pour retenir cette surface pondérée , l'expert judiciaire a relevé que la pièce destinée à l'élaboration et au conditionnement du miel ne pouvait être exploitée suite à un rapport sanitaire négatif, notamment en raison de la présence d'amiante par des canalisations d'évacuation des eaux usées de l'étage.
De leur côté, les preneurs estiment que cet abattement retenu par l'expert judiciaire est justifié au regard de la présence d'amiante dans cette pièce. Ils précisent en effet que compte tenu de la présence d'amiante, la pièce appelée 'miellerie' dont la destination était l'élaboration et le conditionnement du miel, est devenue une pièce de stockage. Ils affirment avoir été contraints de délocaliser cette activité au sein de leur domicile personnel, afin de ne prendre aucun risque sanitaire.
S'agissant de la preuve de la présence d'amiante dans les locaux commerciaux,celle-ci est bien rapportée. En effet, dans ses conclusions notifiées le 15 juin 2021, Mme [Z] [H], l'ancienne bailleresse, reconnaissait la présente d'amiante en ces termes : 'Par ailleurs, l'amiante ne concernait que les tuyaux d'évacuation et non les tuyaux relatifs à la consommation d'eau. D'autant que ceux-ci étaient recouverts par une protection empêchant l'amiante de s'échapper dans la pièce qui servait de miellerie.'
En outre, contrairement à ce qu'affirme la bailleresse, il n'est pas démontré que les preneurs auraient eux-même retiré les protections des tuyaux d'évacuation eaux usées en fibro-ciment amianté, dont il n'est pas davantage établi qu'elles étaient efficaces pour prévenir tout risque pour la santé tant pour les preneurs que pour le public.
Ainsi, c'est à juste titre que l'expert judiciaire a pu prendre en compte la présence d'amiante au sein de la miellerie pour déterminer la surface pondérée de cette pièce.
S'agissant ensuite de la présence de toilettes et d'une douche au sein de la miellerie, la bailleresse ne démontre pas suffisamment qu'ils auraient été installés par les preneurs eux-même.
En tout état de cause la surface pondérée retenue par l'expert judiciaire pour la miellerie est justifiée au regard notamment de la présence d'amiante.
Il y a donc lieu d'adopter l'avis de l'expert sur la surface pondérée de la miellerie (20 mètres carrés) et plus généralement sur la surface des lieux loués (125,50 mètres carrés).
- sur les caractéristiques de lieux, sur la destination contractuelle, sur les obligations respectives des parties, sur l'abattement de 45 % appliqué par l'expert judiciaire
L'article 1719 du code civil dispose :Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ,
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ,
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ,
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations.
Aux termes de l'article 1720 du code civil :Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
Concernant les obligations du preneur, le bail prévoit que le locataire entretiendra en bon état de réparations locatives ou de menu entretien et les rendra à sa sortie en bon état de réparations locatives. l supportera toutes réparations qui deviendraient nécessaires par suite soit de défaut d'exécution des réparations locatives, soit de dégradations résultant de son fait ou de celui de son personnel ou de sa clientèle.ll aura entièrement à sa charge, sons aucun recours contre le bailleur, l'entretien complet de la devanture de son commerce.'
Concernant la destination contractuelle des lieux, le bail stipule : L'exercice de la fabrication de miel, sa vente et de tous produits dérivés, formant'activité du fonds de commerce [...] ».
Pour déterminer le loyer renouvelé, l'expert judiciaire a pris en considération en particulier l'impropriété à leur destination des locaux ainsi que leur très grande vétusté.
Les preneurs estiment que les locaux loués sont impropres à leur destination première,compte tenu de leur état d'insalubrité avancé et de la présence d'amiante.Pour eux, ils ne peuvent plus utiliser que le seul |'espace de vente avec la vitrine et toutes les autres pièces et surfaces n'ont plus d'utilité particulière compte-tenu de leur état de dégradation avancé.
Il est de principe que le bailleur doit remettre au preneur un local conforme à sa destination contractuelle.
En l'espèce, Mme [Z] [H] puis la SCI Bakamax devaient donc remettre aux preneurs une miellerie conforme à sa destination, à savoir la fabrication du miel. Aucune clause expresse du bail commercial ne la dispensait de prendre en charge les travaux nécessaires à l'exploitation du fonds.
En sa qualité de bailleresse, elle était tenue d'une obligation de délivrance et devait prendre en charge les travaux de désamiantage nécessaires à l'activité stipulée au bail, faute d'exonération par une clause expresse contraire
Or, il a été précédemment jugé que les débats établissaient la présence d'amiante au sein des lieux loués.
Enfin, la bailleresse ne démontre pas suffisamment avoir entrepris les travaux nécessaires de désamiantage. En effet, les factures et devis produits n'établissent pas que les travaux effectivement financés par la bailleresse étaient des travaux de désamiantage.
De plus, s'agissant de la vétusté des locaux, l'expert donne son avis et des éléments permettant d'affirmer qu'effectivement les locaux donnés à bail sont très vétustes, sans qu'il soit pour autant possible d'affirmer qu'ils ne pourraient pas être exploités conformément à la destination contractuelle des lieux.
L'expert judiciaire indique en particulier :
'le bâtisse, qui date des années 1960, est restée depuis dans son état d'origine.',
- ainsi, toutes les menuiseries sont en simple vitrage bois (...)l'installation électrique date de l'année de construction (...) Au sous-sol différentes pièces (...) présentent de nombreuses remontées d'humidité par capillarité',
-'les locaux également sont très vétustes et sans comparaison avec ceux pris en référence'
Concernant les pièces en sous-sol, l'expert a relevé que les trois grands garages sont dans un état dégradé et que 'la partie intérieure composée de caves d'une hauteur d'1m 90 présente de nombreuses traces d'humidité et ne peut servir qu'à entreposer des objets sans intérêt'
Concernant la partie arrière du bâtiment, l'expert judiciaire indique que la remise est en mauvais état.
Pour tenter de justifier qu'ils ne sont pas à l'origine de la vétusté constatée par l'expert judiciaire, les deux bailleurs successifs reprochent aux locataires un défaut d'entretien des lieux loués. Pour eux, l'humidité de lieux loués est due à une absence d'entretien par les locataires.
En droit, il est de principe les preneurs sont débiteurs d'une obligation de faire les réparations locatives nécessaires dans les lieux loués.
Toutefois, en l'espèce, contrairement à ce que soutient à tort la bailleresse, il ne ressort pas suffisamment des pièces du débat que l'humidité constatée est due à une absence d'entretien par les locataires. Dans son rapport d'expertise, l'expert judiciaire estime d'ailleurs que les nombreuses remontées d'humidité constatées sont générées par la capillarité.
La bailleresse reproche encore aux locataires de s'être opposés aux travaux qui auraient pu maintenir les lieux. Or, ces derniers ne contestent pas clairement cette affirmation.En outre, il ressort des pièces versés qu'effectivement, les preneurs se sont opposés à certains travaux. Le rapport d'expertise judiciaire de M. [U] [O], mentionne, dans le rappel des faits, que 'Mme [V] souhaitait faire réaliser des travaux d'aménagement dans les locaux lui appartenant, mais les époux [L] ont refusé l'accès aux entreprises. Devant cet état de fait, les époux [L] ont été assignés en référé'. L'ancienne bailleresse affirme plus précisément que les preneurs ont refusé l'accès à la chaudière, aux ouvriers, en 2001, ce sur quoi ces derniers ne s'expliquent pas.
Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit possible affirmer que les lieux loués étaient impropres à leur destination première s'agissant de la fabrication du miel, l'expert , pour déterminer le prix du loyer renouvelé, a pu à juste titre tenir compte de la présence d'amiante ainsi en outre que la très grande vétusté des locaux .
S'agissant de l'argumentation de la SCI Bakamax selon laquelle les preneurs ont modifié la destination de la miellerie en un local à usage d'habitation, il ne résulte toutefois pas suffisamment des pièces produites aux débats qu'il ne subsisterait aucun commerce au sein de l'une ou l'autre des pièces louées. En outre, la présence d'amiante avérée était problématique pour la fabrication du miel et il ne saurait être reproché dans ces conditions aux preneurs d'avoir cessé d'utiliser la miellerie à des fins commerciales. Il y a lieu de rappeler qu'il incombait à la bailleresse de réaliser les travaux de désamiantage.
Néanmoins, compte tenu de l'opposition des preneurs à la résiliation de certains travaux (opposition sur laquelle ils ne s'expliquent pas), la cour réduira la moins-value appliquée par l'expert judiciaire à 35 % au lieu de 45 %.
- sur les prix couramment pratiqués dans le voisinage
Aux termes de l'article R145-7 du code de de commerce :Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation.
En l'espèce, l'expert judiciaire a estimé que la moyenne obtenue des loyers commerciaux retenus en termes d'éléments comparables constituant son panel était de 135, 70 euros par mètre carré et par an pour des locaux en bon état.
Concernant les prix couramment pratiqués dans le voisinage, pour la bailleresse, ces loyers varient plutôt de 138 euros HT/m²/an à 234 euros HT/m² pondéré/an .
Pour les preneurs, les avis de l'expert sont au contraire justifiés concernant les prix des baux couramment pratiqués dans le voisinage à savoir 135,70 euros / m2 / an.
S'agissant des prix couramment pratiqués dans le voisinage, l'estimation de l'expert, de 135, 70 euros par mètre carré et par an pour des locaux en bon état sera retenue, son travail sur ce point étant sérieux, détaillé et transparent.
sur la détermination du prix du bail renouvelé
Au regard de l'ensemble des critères indiqués à l'article L 145-33 du code de commerce, des explications et des pièces produites par les parties, l'avis de l'expert judiciaire est fondé concernant les différents éléments retenus de fixation du prix du bail renouvelé, sauf concernant l'abattement appliqué (la cour retenant un abattement de 35 % au lieu de 45 %).
La cour retient donc un loyer de référence de 135, 70 euros par mètre carré et applique une décote de 35 % àce loyer au lieu de 45 %, sur la base d'une surface pondérée arrondie de 125,50 mètres carrés et sur la base des autres éléments retenus par l'expert judiciaire dans son rapport d'expertise. Le prix du bail renouvelé s'établit dès lors à 10 160 , 48 euros par an.
La cour , infirmant le jugement, fixe le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2017 à la somme de 10 160, 48 euros par an hors taxes et hors charges.
4-Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, il n'est pas inéquitable de dire que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens et frais de procédure. Les demandes au titre de l'article 700 du code procédure civile sont rejetées.
Concernant les frais de l'expert judiciaire , infirmant le jugement à ce titre, il y a lieu de dire que Mme [Z] [H] d'une part , la société Bakamax d'autre part et enfin les époux [E]-[L], supporteront chacun un tiers du coût de l'expertise judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement :
- juge recevable l'intervention forcée de la société Bakamax,
- déclare irrecevables la demande principale de la SCI Bakamax de résiliation judiciaire du bail commercial et ses demandes accessoires relatives à l'expulsion des preneurs, à l'indemnité d'occupation et à l'astreinte,
- infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf concernant la répartition des dépens en première instance (hors frais d'expertise judiciaire ) et le rejet des demandes au titre de l'article 700 du code procédure civile,
statuant à nouveau,
- fixe le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2017 à la somme de
10 160, 48 euros par an hors taxes et hors charges,
- dit que Mme [Z] [H] d'une part , la société Bakamax d'autre part , et enfin les époux [R] [C] et [I] [L], supporteront chacun un tiers du coût de l'expertise judiciaire,
- rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens d'appel.