CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 5 septembre 2024, n° 24/00218
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Multi Gardiennage Sécurité Protection Privée (SARL)
Défendeur :
Dgp (SC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Bouruet Aubertot, Me Juillet, Me Benhamou Kneler
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 16 novembre 2011, la société DGP a donné à bail commercial à la société Génie surveillance privée, aux droits de laquelle vient la société Multi gardiennage sécurité protection privée (dite « MG2P ») à la suite d'une cession du fonds de commerce intervenue le 24 mars 2014, des locaux situés à [Localité 5] (94) [Adresse 2], moyennant un loyer annuel de 7.165 euros hors charges et hors taxes, payables mensuellement d'avance.
Des loyers demeurant impayés, la société DGP a fait délivrer un commandement de payer, visant la clause résolutoire, par acte d'huissier du 24 mars 2023 à la société MG2P pour une somme de 3.938,38 euros, au titre de l'arriéré locatif au 21 mars 2023.
Par acte du 30 mai 2023, la société DGP a fait assigner la société MG2P devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de, notamment :
constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail ;
ordonner l'expulsion de la société MG2P et celle de tous occupants de son chef des lieux loués avec le concours de la force publique si besoin est ;
ordonner le transport et la séquestration du mobilier trouvé dans les lieux dans tel garde-meubles qu'il plaira au bailleur aux frais, risques et péril de la partie expulsée ;
condamner la société MG2P à lui payer la somme provisionnelle de 5.408 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 22 mai 2023 (terme de mai 2023 inclus) avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance du commandement, sur la somme de 3.938,38 euros et à compter de l'assignation pour le surplus ;
condamner la société MG2P au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle mensuelle égale au montant du dernier loyer en vigueur augmenté des charges, soit la sommez de 735,12 euros jusqu'à la libération des locaux qui se matérialisera par la remise des clés ou l'expulsion du défendeur ;
condamner la société MG2P au paiement d'une somme de 540 euros au titre de la clause pénale.
Il n'a pas été fait droit à la demande de renvoi de la société MG2P présentée par deux employées de cette dernière, à l'audience du 5 octobre 2023.
Par ordonnance réputée contradictoire du 21 novembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil, a :
constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 25 avril 2023 ;
ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société MG2P et de tout occupant de son chef situés à [Localité 5] (94) [Adresse 2] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
dit, en cas de besoin que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu' défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai fixé par voie réglementaire à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société MG2P à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés une somme égal au montant du loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires ;
condamné la société MG2P à la payer ;
condamné par provision la société MG2P à payer à la société DGP la somme de 5.408,62 euros au titre du solde des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation arriérés au 22 mai 2023 (terme de mai 2023 inclus), avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2023 sur 3.938,38 euros et à compter du 30 mai 2023 sur le surplus, ainsi que les indemnités d'occupation postérieures ;
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre de la clause pénale ;
condamné la société MG2P aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement ;
condamné la société MG2P à payer à la société DGP la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 12 décembre 2023, la société MG2P a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 10 février 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 834, 835 al. 2 du code de procédure civile, 1104, 1343-5, 1347 du code civil, L. 145-41 et R. 145-36 du code de commerce, de :
infirmer l'ordonnance de référé rendue le 21 novembre 2023 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a rejeté la demande formée au titre de la clause pénale ;
Statuant à nouveau :
A titre principal :
dit n'y avoir lieu à référé sur l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail renouvelé du 1er décembre 2011 et sur les demandes de condamnation provisionnelles formées par la société DGP ;
condamner la société DGP à lui payer la somme provisionnelle de 3.869 euros au titre des provisions pour charges indues sur la période du 24 mars 2019 au 30 septembre 2023 inclus ;
A titre subsidiaire :
l'autoriser à se libérer de sa dette dans un délai de 24 mois ;
suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire pendant les délais ainsi accordés ;
En tout état de cause :
condamner la société DGP à lui verser la somme de 3.500 euros HT (4.200 euros TTC) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
le condamner également en tous les dépens.
Elle fait valoir qu'il existe des contestations sérieuses relatives à la validité du commandement de payer ; qu'il n'est pas possible de déterminer s'il existe un solde débiteur ; que les reprises de solde ne sont pas justifiées ; que la société DGP n'a jamais communiqué de quittance ou avis d'échéance, ce qui démontre par ailleurs une mauvaise foi ; que le commandement doit être annulé.
Elle allègue qu'il existe également des contestations sérieuses relatives au montant de l'arriéré locatif ; qu'aucun avis de révision de loyer ou de justification de son calcul n'a été adressé.
Elle allègue que les provisions sur charges n'ont pas été davantage justifiées et elle estime, à titre reconventionnel, que lesdites provisions doivent lui être remboursées.
Elle réclame également à titre subsidiaire des délais, faisant valoir qu'elle avait été touchée lourdement par la crise sanitaire ; que ses difficultés financières ne lui permettent pas de se libérer immédiatement de sa dette locative.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2024.
La société DGP, régulièrement constituée, n'a pas conclu.
Faisant état de ce que sa première constitution n'avait pas été prise en compte, à la suite d'une confusion entre le numéro de la déclaration d'appel et celui de l'affaire et évoquant par ailleurs une situation personnelle, le conseil de la société DGP a fait parvenir le 3 juin 2024 son dossier de plaidoirie de première instance.
SUR CE,
A titre liminaire, selon l'article 783 du même code, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture. (')
La société DGP ne justifie d'aucun bordereau de communication notifié à l'appelante et elle n'a pas conclu à hauteur d'appel.
Les pièces versées après la clôture par la société DGP, correspondant à son dossier de plaidoirie de première instance, seront écartées des débats.
En revanche, et en application des dispositions susvisées, le décompte actualisé versé par la société MG2P à hauteur de 10.714,93 euros au 1er mai 2024 (mensualité de mai 2024 incluse) est donc recevable.
Enfin, il sera rappelé que selon le dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.
Un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due. Il n'appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, sachant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l'empêchant de constater la résolution du bail.
En outre, aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.
En l'espèce, le commandement de payer, tel que versé par la locataire a été délivré le 24 mars 2023 pour une somme de 3.938,38 euros et il vise un décompte.
Cependant, deux décomptes distincts y sont annexés : le premier, à hauteur de 3.938,38 euros contient différentes sommes portées comme « reprises de solde », et ce, sans explication. Ces montants sont successivement portés en débit, puis au crédit de sorte que le solde qui en résulte est nul.
En revanche, la chronologie de ce décompte est inversée : la première entrée est datée du 30 juin 2022 et la dernière, du 1er janvier 2022. Un décompte arrêté au 30 juin 2022 n'est pas susceptible de fonder utilement un commandement de payer délivré en mars 2023, soit plus de 8 mois plus tard puisque la somme qui y figure n'a plus d'actualité.
Est annexée une seconde situation de compte, avec cette même chronologie inversée pour la période du 30 juin 2022 au 1er mars 2023, avec les mêmes anomalies concernant des reprises de solde en débit puis en crédit. Cette situation de compte ne comporte aucune mention d'un solde total arrêté au 1er mars 2023 et il existe dès lors un doute important pour le locataire, à la lecture du commandement, sur le fait de savoir si la somme réclamée au titre de l'acte est actualisée à cette date puisqu'elle ne figure que sur le décompte portant sur une période antérieure.
En outre, il apparaît que le bailleur a procédé à une révision de loyers et qu'il réclame un solde de charges. Or, le locataire expose ne pas avoir reçu d'informations sur ces différents points par des quittances pourtant nécessaires pour justifier préalablement des sommes réclamées.
Ces irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, constituent une contestation sérieuse empêchant la présente juridiction de constater la résolution du bail.
L'ordonnance entreprise sera infirmée et la cour, statuant à nouveau, dira n'y avoir lieu à référé au titre de l'acquisition de la clause résolutoire, de l'expulsion et ses conséquences de droit.
En outre, aucun décompte à hauteur de 5.408,62 euros n'est produit de sorte qu'il ne peut y avoir non plus confirmation de la première décision s'agissant de la condamnation provisionnelle pour un arriéré de charges de loyers et de charges.
La société MG2P réclame la somme de 3.869 euros au titre du remboursement des provisions sur charges sur 53 mois, pour la période du 24 mars 2019 au 30 septembre 2023 inclus.
Cependant, cette demande se heurte à une contestation sérieuse en ce que la société MG2P elle-même verse un décompte de son bailleur à hauteur de 10.714,93 euros arrêté au 1er mai 2014. Si elle conteste le quantum qui y est porté, elle ne conteste pas sérieusement être débitrice d'un arriéré, qu'il appartiendra au juge du fond le cas échéant, de déterminer et elle fait état de versements récents.
Il n'est donc pas établi qu'elle ait réglé les provisions sur charges dont elle demande le remboursement.
Cette demande sera rejetée.
Le sens de la présente décision conduit à infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a condamné la société MG2P aux dépens et à payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société MGP sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer la somme de 2.000 euros (nécessairement « TTC » s'agissant d'une indemnité) pour ces deux instances au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Ecarte des débats les pièces versées par la société DGP ;
Infirme l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé sur l'acquisition de la clause résolutoire, l'expulsion et ses conséquences et sur la demande provisionnelle au titre de l'arriéré locatif ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle au titre de la restitution des provisions sur charges ;
Condamne la société DGP à payer à la société Multi Gardiennage Sécurité Protection la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société DGP aux dépens de première instance et d'appel.