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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 5 septembre 2024, n° 22/11607

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Fablac-Immo (SARL), Jaam-Immo (SARL), Lacoste Immo (SARL), Bergia Immo (SARL), Droit Patrimoine (SARL), Epargny (SARL)

Défendeur :

France III (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Girousse

Avocats :

Me Louis, Me Boccon Gibod, Me Le Maistre

TJ Evry, 8e ch., du 2 juin 2022, n° 21/0…

2 juin 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La société Bergia immobilier, la société Droit patrimoine, la société Epargny, la société Fablac-Immo, la société Jaam-Immo, M. [G] [E], la société Lacoste immo, M. [U] [A], M. [J] [T], Mme [O] [S] épouse [T], Mme [Z] [K], M. [H] [I] [B] [R] et Mme [N] [V] [F] épouse [R] ont acquis en 2008 et 2009 auprès du Groupe GDP Vendôme immobilier des lots privatifs correspondant à des chambres au sein de la résidence pour personnes âgées « [26] » âgées à [Localité 30] (91), [Adresse 5].

Ils ont consenti le jour de la vente, un bail commercial de locaux meublés à la société FRANCE III, filiale à 100 % du groupe GDP Vendôme immobilier afin qu'elle exploite la résidence hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Ces baux contiennent une clause intitulée « mandat de facturation » aux termes de laquelle : « le bailleur donne expressément mandat au preneur d'émettre matériellement, au nom et pour le compte du bailleur, les factures de loyers, en détaillant, le montant du loyer et la TVA y afférent et, en opérant la ventilation au taux précité ».

Par lettres simples du 25 juin 2020 et du 23 juillet 2020, le président de la société France III a écrit à chaque locataire que selon la jurisprudence la clause d'indexation des baux serait illicite de sorte qu'il faudrait appliquer le montant du loyer stipulé aux baux d'origine et qu'elle sollicitait le trop-perçu dans la limite des cinq années précédentes, compte tenu de la prescription quinquennale. Elle a adressé à chacun des factures de réajustement, des factures portant sur des loyers ramenés au montant contractuel initial ainsi que des échéanciers de restitution.

Saisi par les bailleurs, par ordonnance du 8 janvier 2021, le juge des référés fu tribunal judiciaire d'Evry a notamment :

ordonné à la société FRANCE III la reprise du paiement des loyer du même montant que celui du 1er janvier 2020 pour la période 3° et du 4° trimestre 2020 ;

condamné la société FRANCE III à payer par provision aux appelants les sommes retenues au titre de la révision des loyers pour les 4 trimestres 2020,

autorisé la société FRANCE III à s'opposer à l'application de la clause contractuelle d'indexation de révision du loyer de 1,5 % net par an à compter du 1er janvier 2021.

Cette ordonnance a été infirmée par arrêt du 28 octobre 2021 en ce qu'elle a dit que la société FRANCE III pouvait s'opposer à la clause contractuelle de révision du loyer de 1,5 % par an à compter du 1er janvier 2021. Cet arrêt a ordonné à la locataire de continuer à payer à compter du 1er janvier 2021 les loyers pour leur montant réglé au 1er avril 2020 au titre du 1er trimestre 2020 et l'a condamnée au paiement des sommes indûment retenues.

Parallèlement, par exploit du 15 septembre 2021, la société FRANCE III a fait assigner la société Bergia immobilier, la société Droit patrimoine, la société Epargny, la société Fablac-Immo, la société Jaam-Immo, M. [G] [E], la société Lacoste immo, M. [U] [A], M. [J] [T], Mme [O] [S], épouse [T], Mme [Z] [K], M. [H] [I] [B] [R] et Mme [N] [V] [F] épouse [R] devant le tribunal judiciaire d'Évry aux fins principalement de voir juger non écrite la clause d'indexation stipulée au 4ème alinéa de l'article « loyer et indexation » de chaque bail conclu entre les parties et condamner les bailleurs à restituer le trop-perçu.

Par jugement réputé contradictoire du 2 juin 2022, le tribunal judiciaire d'Évry a :

- déclaré non écrite la clause d'indexation stipulée au 4eme alinéa de l'article « loyer et indexation » des baux conclus entre la SARL France III et la SARL Bergia immobilier, la SARL Droit patrimoine, la SARL Epargny, la SARL Fablac-Immo, la SARL Jaam-Immo, Monsieur [G] [E], la SARL Lacoste immo, Monsieur [U] [A], Monsieur [J] [T], Madame [O] [S], son épouse, Madame [Z] [K], Monsieur [H] [I] [B] [R] et Madame [N] [V] [F] ;

- condamné la SARL Bergia immobilier à payer à la SARL France III la somme de 18.582,70 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné la SARL Droit patrimoine at payer à la SARL France III la somme de 16.633,68 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné la SARL Epargny à payer à la SARL France III la somme de 17.983,18 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné la SARL Fablac-Immo à payer à la SARL France III la somme de 18.582,70 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné la SARL Jaam-Immo à payer à la SARL France III la somme de 17.983,18 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné Monsieur [G] [E] à payer à la SARL France III la somme dc 6.593,96 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné la SARL Lacoste immo à payer à la SARL France III la somme de 12.588,13 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné Monsieur [U] [A] à payer à la SARL France III la somme de 5.994,39 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné solidairement Monsieur [J] [T] et Madame [O] [S] épouse [T] à payer à la SARL France III la somme de 5.727,80 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné Madame [Z] [K] à payer à la SARL France III la somme de 1.678,09 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné solidairement Monsieur [H] [I] [B] [R] et Madame [N] [V] [F] épouse [R] à payer a la SARL France III la somme de 1.605,92 euros au titre des trop-perçus de loyers, ce avec intérêts au taux légal de la décision et jusqu'à parfait paiement ;

- condamné les défendeurs à payer à la SARL France III la somme dc 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné les défendeurs aux dépens ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 20 juin 2022, [J] [T], [O] [S] ép. [T], [B] [R], [N] [F] ép. [R], [U] [A], [G] [E], [Z] [K], la société Fablac Immo, la société Jaam Immo, la société Lacoste immo, la société Bergia Immo, la société Droit patrimoine et la société Epargny ont interjeté appel de ce jugement.

Les appelants ont saisi le Premier président de la cour d'appel de Paris aux fins de voir prononcer l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 15 septembre 2021. Leur demande a été rejetée par ordonnance du 29 juillet 2022.

Par conclusions d'incident signifiées le 14 décembre 2022, la société FRANCE III a demandé au conseiller de la mise en état de déclarer irrecevable l'appel nullité formé par les appelants ainsi que la condamnation de ces derniers au paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 17 mai 2023, le conseiller de la mise en état a :

- rejeté la demande de la société FRANCE III aux fins de voir déclarer irrecevable l'appel nullité formé par les appelants ;

- dit que l'ordonnance de clôture serait rendue le 18 octobre 2023, et fixé la date des plaidoiries;

- condamné la société FRANCE III à payer la somme de 300 euros chacun au titre des frais irrépétibles de l'incident en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société Bergia immobilier, la société Droit patrimoine, la société Epargny, la société Fablac-Immo, la société Jaam-Immo, M. [G] [E], la société Lacoste immo, M. [U] [A], Mme [Z] [K] ainsi que la somme de 300 euros aux époux [T] et la somme de 300 euros aux époux [R] au même titre ;

- débouté la société FRANCE III de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sté FRANCE III aux dépens de l'incident.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 octobre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Dans leurs dernières conclusions déposées 16 octobre 2023, [J] [T], [O] [S] ép. [T], [B] [R], [N] [F] ép. [R], [U] [A], [G] [E], [Z] [K], société Fablac Immo, société Jaam Immo, société Lacoste immo, société Bergia Immo, société Droit patrimoine, société Epargny, appelants, demandent à la cour de :

A titre principal :

- annuler le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Évry le 2 juin 2022 (RG n° 21/05564) ;

- renvoyer la société FRANCE III à mieux se pourvoir ;

A titre subsidiaire :

- annuler le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Évry le 2 juin 2022 (RG n° 21/05564) ;

- juger que l'alinéa 4 de la clause de l'article « Loyer et indexation » contenue dans les contrats de bail signés entre les appelants et la société France III est légale et doit recevoir application ;

- débouter la société France III de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société France III à restituer à chacun des concluants les sommes indument retenues en exécution du jugement annulé ;

En tout état de cause :

- condamner la société France III aux entiers dépens de l'instance,

- condamner la société France III à payer à chacun des requérants une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 17 octobre 2023, la société FRANCE III, intimée, demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondée la société France III en ses demandes ; y faisant droit :

À titre principal :

- déclarer irrecevable l'appel nullité formé par les appelants ;

À titre subsidiaire :

- juger que la cour d'appel n'est pas saisie de demandes en l'absence d'effet dévolutif de l'appel;

En conséquence, confirmer le jugement entrepris ;

À titre encore plus subsidiaire :

- déclarer mal fondé l'appel annulation pour violation du principe du contradictoire ;

- confirmer le jugement rendu le jugement rendu le 2 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Évry;

En tout état de cause,

- débouter les sociétés Bergia immobilier, Droit patrimoine, Epargny, Fablac-Immo, Jaam-Immo, et Lacoste immo, ainsi que Messieurs [G] [E], [U] [A], [J] [T] et Madame [O] [S] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- condamner les sociétés Bergia immobilier, Droit patrimoine, Epargny, Fablac-Immo, Jaam-Immo, et Lacoste immo, ainsi que Messieurs [G] [E], [U] [A], [J] [T] et Madame [O] [S] à payer à la société France III la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de l'appel

L'ordonnance rendue le 17 mai 2023 par le conseiller de la mise en état, à la motivation de laquelle il est renvoyé, a rejeté la demande de la société FRANCE III aux fins de voir déclarer irrecevable l'appel nullité formée par les appelants, puisqu'en l'espèce, les appelants ne demandent pas l'application de la création prétorienne relative à « appel nullité » prévue pour pouvoir déférer à la cour d'appel une décision insusceptible d'appel en cas un excès de pouvoir. Aucune confusion n'a pu être commise puisque le jugement déféré est susceptible d'appel et qu'il n'est pas invoqué l'existence d'un excès de pouvoir. Il est donc inopérant de faire valoir à nouveau que les conditions de l'« appel-nullité » ne sont pas remplies.

Selon l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel, selon l'article 562 du même code, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Par ailleurs, l'article 901 précise que la déclaration d'appel contient à peine de nullité notamment '4°) les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible'.

En l'espèce, la déclaration d'appel est ainsi rédigée :

'Objet : Portée de l'appel :

A titre principal : Appel nullité (annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire sans évocation)

A titre subsidiaire :

- annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire ;

- débouter la Société FRANCE III de l'ensemble de ses demandes formées contre les appelants;

- condamner la Société FRANCE III aux entiers dépens de l'instance et à indemniser les appelants sur le fondement de l'article 700 du cpc'.

Dans la demande principale le terme 'appel nullité' étant explicité par la mention entre parenthèse 'annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire', il résulte sans ambiguïté de cette déclaration que les appelants visent à obtenir l'annulation du jugement conformément aux dispositions précitées des articles 542, 562 et 901 du code de procédure civile.

De même, les conclusions des appelants demandent à la cour d'annuler le jugement déféré au motif qu'il n'a pas respecté le principe du contradictoire.

Il résulte notamment des articles 14, 15 et 16 du code de procédure civile que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue et appelée et que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire.

Il ressort des pièces produites par les appelants, qu'à la suite de la délivrance des assignations, le conseil des bailleurs s'est constitué en défense dans l'affaire enregistrée sous le n° RG 21/5564 le 5 novembre 2021 et a reçu réception de son envoi par le service e-barreau puis qu'il s'est de nouveau constitué le 29 mars 2022 dans la même affaire et a également reçu un accusé de réception de son envoi. Or, le jugement n'a manifestement pas tenu compte de cette constitution en ce qu'il a mentionné les défendeurs comme « défaillants » et en ce qu'il a qualifié de réputé contradictoire le jugement rendu le 2 juin 2022 après une audience de plaidoirie tenue le jour de la clôture, le 7 avril 2022, est donc entaché de nullité en ce que le principe du contradictoire n'a pas été respecté malgré les diligences des défendeurs. Il convient de prononcer sa nullité.

Il résulte de l'article 562 précité que l'annulation du jugement entraine la dévolution du litige pour le tout, de sorte que la cour est tenue de statuer au fond sur l'entier litige et ne peut renvoyer l'affaire devant le tribunal comme le sollicite les appelants. De plus, il est inopérant de faire valoir que les chefs du jugement critiqué ne sont pas précisés dans l'acte d'appel. Les demandes de l'intimée sur ces points seront rejetées.

Sur la validité de la clause

Selon l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, applicable en l'espèce au regard de la date de conclusion des baux en cause, dont les principes sont repris aux articles 1103 et 1104 de ce code, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

Selon les dispositions combinées des articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce, les loyers des baux commerciaux peuvent être révisés dans les conditions fixées par décret à la demande de l'une des parties, laquelle demande ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé, de nouvelles demandes pouvant être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable. En l'absence de modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de loyer de plus de 10 % de la valeur locative, la variation du loyer ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou des activités tertiaires. Les dispositions des articles R. 145-20 et suivants réglementent la procédure de révision devant le juge des loyers commerciaux.

L'article L. 145-39 du même code dispose que, par dérogation à l'article L. 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, c'est-à-dire une clause d'indexation, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.

Il ressort de ces textes que le principe posé par la loi est celui de la procédure de révision intervenant seulement à la demande d'une partie au moins trois ans après la précédente fixation du loyer tandis que l'indexation automatique déroge à cette procédure légale de droit commun et doit donc faire l'objet d'une stipulation expresse et dénuée d'ambigüité ; que le terme « révision » est employé pour la procédure légale résultant des articles L. 145-37 et L. 145-38 tandis qu'en cas de clause d'échelle mobile, le terme approprié est celui d'indexation, le terme « révision » étant utilisé par l'article L. 145-39 seulement lorsque par le jeu de l'indexation, la variation du loyer de plus d'un quart permet de solliciter l'application de la valeur locative ; que l'article L. 145-38 impose un indice pour le plafond de la révision légale tandis que pour la clause d'échelle mobile, l'article L. 145-39 n'impose pas d'indice, celui choisi devant cependant être en relation directe avec l'objet de la convention ou l'activité de l'une des parties conformément aux exigences de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier.

Il résulte des dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce relatives à la clause d'échelle mobile en matière de baux commerciaux prévoyant expressément qu'en cas d'indexation, le loyer est 'augmenté ou diminué' en fonction de l'indice et qu'en cas de variation de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé, la révision du loyer peut être demandée, que l'indexation du loyer implique de respecter la réciprocité de la variation de l'indice et qu'elle doit suivre strictement l'indice, la seule exception prévue étant la variation de plus d'un quart du montant du loyer. Une clause d'échelle mobile se caractérise donc par une référence à un indice économique variable, une périodicité, une automaticité et une réciprocité. Tel n'est pas le cas d'une clause d'augmentation forfaitaire, le taux constant d'augmentation n'étant pas un indice économique variable.

Selon l'article L. 145-15 du code de commerce, applicable dans sa nouvelle rédaction aux contrats en cours lors de son entrée en vigueur, les stipulations ayant pour effet de faire échec aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-39 du code de commerce sont réputées non écrites.

Par ailleurs, il résulte notamment des dispositions des articles 1156 et suivants du code civil dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016 applicable en l'espèce, dont les principes sont repris aux articles 1188 et suivants de ce code, que pour interpréter un acte, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ; que lorsqu'une clause est susceptible d'avoir deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir un effet, que dans le sens avec lequel elle n'en produit aucun. Il appartient à la juridiction de rechercher l'intention des parties dans les termes employés par elles comme dans leur comportement ultérieur lors de l'exécution du contrat de nature à la manifester.

En l'espèce, dans les contrats de bail commercial conclus entre les appelants et la Sté FRANCE III à l'article intitulé « LOYER ET INDEXATION » après diverses précisions relatives au loyer, sa périodicité, son assujettissement à la TVA et avant l'indication du montant du loyer, il est inséré le paragraphe suivant :

« Ce loyer sera, au terme de la deuxième année entière suivant la date de prise d'effet du bail, révisé annuellement au 1er janvier suivant, avec la garantie d'un taux d'augmentation de ,5 % net par an ».

Cette clause n'emploie pas le terme indexation mais celui de « révision » puis celui de « taux d'augmentation » et ne se réfère pas à un indice. Il convient donc de l'interpréter dans un sens où elle est conforme à la commune intention des parties et reçoit effet, sans s'arrêter à l'emploi du mot « indexation » dans le titre de l'article où elle est insérée.

Les parties s'accordent pour soutenir qu'en application de la clause précitée, la société FRANCE III a systématiquement augmenté chaque année de 1,5 % le loyer dans les factures qu'elle émettait et payait, les appelants ajoutant que cette augmentation systématique convenue était d'ailleurs un argument commercial ayant déterminé leur consentement pour conclure les baux en cause.

Il ressort, en effet, des pièces produites, en particulier des factures de loyers établies par la locataire elle-même et de ses factures de « réajustement » des loyers, qu'elle a toujours appliqué l'augmentation garantie de 1,5 %, y compris lorsque la variation des indices susceptibles de s'appliquer étaient supérieure à ce taux, ce qui était le cas de l'ILC en 2017 et 2018.

Ainsi, par exemple, pour le propriétaire BERGIA IMMOBILIER dont le loyer annuel d'origine s'élevait à 26.773,99 € TTC :

- pour l'année 2015, la société France III a appliqué un réajustement au titre de trop perçu par rapport au loyer d'origine de 2.069,17 € TTC, soit un loyer TTC de 28.843,16 € TTC,

- pour l'année 2016, la société France III a appliqué un réajustement au titre de trop perçu par rapport au loyer d'origine de 2.501,82 € TTC, soit un loyer TTC de 29.272,80 € correspondant à une augmentation de 1,5 % par rapport au loyer de l'année précédente,

- pour l'année 2017, la société France III a appliqué un réajustement au titre de trop perçu par rapport au loyer d'origine de 2.9040,95 € TTC, soit un loyer TTC de 29.714,94 €, correspondant à une augmentation de 1,5 % par rapport au loyer de l'année précédente,

- pour l'année 2018, la société France III a appliqué un réajustement au titre de trop perçu par rapport au loyer d'origine de 3.386,68 € TTC, soit un loyer TTC de 30.160,67 €, correspondant à une augmentation de 1,5 % par rapport au loyer de l'année précédente,

- pour l'année 2019, la société France III a appliqué un réajustement au titre de trop perçu par rapport au loyer d'origine de 3.839,12 € TTC, soit un loyer TTC de 30.613,11 €, correspondant à une augmentation de 1,5 % par rapport au loyer de l'année précédente.

Il en est de même pour les autres copropriétaires, étant précisé que les pièces relatives à la situation contractuelle des époux [R] et de Mme [K] ne sont pas produites mais qu'il ressort des écritures des deux parties que cette situation est identique à celle des autres appelants et que les chiffres présentés les concernant ne sont pas discutés.

La locataire, qui n'a jamais appliqué la variation d'un indice, n'est donc pas fondée à soutenir que le taux d'augmentation de 1,5 % ne serait pas une modalité de variation du loyer mais serait une stipulation accessoire au principe de révision du loyer puisque tel n'est pas le cas. Il s'agit en l'espèce, d'une augmentation forfaitaire autonome et détachée de tout indice garantissant aux bailleurs une augmentation fixe du loyer de 1,5 % par an conformément à l'intention des parties.

Cette clause ne constituant pas une clause d'indexation, le moyen soulevé par l'intimée tiré de la violation des dispositions des articles L. 112-1 et L. 112-2 du code monétaire et financier et de l'article L. 145-39 du code de commerce sera écarté. En effet, une telle clause prévoyant la révision du loyer par une augmentation forfaitaire annuelle sans référence à un indice économique, n'est pas contraire aux dispositions d'ordre public précitées du code de commerce relative aux baux commerciaux ni contraire aux dispositions de l'article L. 112-2 interdisant l'application d'un indice sans rapport avec l'objet de la convention. Elle est donc valable.

C'est donc à tort que le jugement déféré a déclaré non écrite la clause stipulée au 4ème paragraphe de l'article « LOYER ET INDEXATION » des baux en cause et condamné les bailleurs à rembourser à la société FRANCE III les sommes trop perçues par rapport au loyer contractuel initial qui en résulteraient. La société FRANCE III qui demande la confirmation du jugement sera déboutée de ses demandes aux fins de voir déclarer non écrite la clause litigieuse et en restitution de loyers trop perçus.

Il n'appartient pas à la cour de modifier les termes du contrat de bail qui fait la loi des parties. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande la société FRANCE III aux fins de voir dire que l'augmentation annuelle du loyer serait cantonnée au bail initial et ne s'appliquerait pas aux renouvellements lors desquels le loyer nominal s'appliquerait.

La clause d'augmentation forfaitaire du loyer étant valable, il convient d'ordonner la restitution à chacun des appelants par la société FRANCE III des sommes perçues ou retenues en exécution du jugement rendu le 2 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Evry,

Sur les autres demandes :

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir 'juger' ou 'declarer', lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à confèrer un droit à la partie qui les requiert et ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Il n'y a pas lieu de reprendre les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance. Il convient de condamner la société France III aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à chacun des appelants la somme de 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel dans les conditions précisées au dispositif. Elle sera déboutée de sa demande fondée sur ce texte.

Les autres demandes seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société FRANCE III et déclare l'appel recevable,

Annule le jugement rendue le 2 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Evry (RG n° 21/5564)

Rejette la demande de renvoi à mieux se pourvoir formée par les appelants,

Déboute la société FRANCE III de sa demande aux fins de voir déclarer non écrite la clause stipulée au 4ème paragraphe de l'article « LOYER ET INDEXATION » des baux en cause ainsi que de sa demande aux fins de voir condamner les bailleurs à lui rembourser les sommes prétendument trop perçues par rapport au loyer contractuel initial,

Ordonne la restitution à chacun des appelants par la société FRANCE III des sommes perçues ou retenues en exécution du jugement rendu le 2 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Evry,

Condamne la société FRANCE III à payer la somme de 800 € chacun au titre des procédures de première instance et d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société BERGIA IMMOBILIER, la société DROIT PATRIMOINE, la société EPARGNY, la société FABLAC-IMMO, la société JAAM-IMMO, M. [G] [E], la société LACOSTE IMMO, M. [U] [A], Mme [Z] [K] ainsi qu'une somme globale de 800 € aux époux [T] et une somme globale de 800 € aux époux [R] au même titre,

Déboute la société FRANCE III de l'ensemble de ses demandes,

Rejette les autres demandes,

Condamne la société FRANCE III aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP SOUCHON-CATTE-LOUIS, avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.