CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 5 septembre 2024, n° 21/18590
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Edber (SAS)
Défendeur :
Société de Gestion Immobilière et Familiale (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Courmont, Me Guizard, Me Desfilis
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous signature privée du 30 juillet 1996, la SCI société de gestion immobilière et familiale (ci-après G.I.F) a donné à bail à la société Edber, exerçant sous l'enseigne commerciale « Castor Car Wash », une parcelle de terrain d'une superficie de 2.420 m² située au [Adresse 6] à Villejuif (94), pour une durée de quinze ans à compter du 1er août 1996 et contre paiement d'un loyer annuel HT de 400.000 francs.
Ce bail a été consenti avec faculté pour le preneur d'y faire édifier une station de lavage automobile, la destination contractuelle des lieux étant l'exercice d'une activité de « nettoyage de tous véhicules automobiles, et toutes activités annexes et complémentaires d'une telle activité ».
Par exploit d'huissier signifié le 25 janvier 2011, la société Edber a sollicité le renouvellement du bail, ce qu'a accepté le bailleur moyennant fixation du montant du loyer à la somme annuelle de 94.000 euros HT.
Faute d'accord entre les parties quant au montant du loyer de renouvellement, le président du tribunal de grande instance de Créteil a été saisi et a fixé ce montant à la somme annuelle HT/HC de 70.000 euros dans un jugement du 9 décembre 2014. Cette décision a été confirmée en toutes ses dispositions par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 28 juin 2017, signifié à la société Edber par exploit d'huissier du 24 octobre 2017.
Par exploit d'huissier signifié le 4 septembre 2017, la société G.I.F a notifié à la société Edber sa volonté d'exercer son droit d'option, en application des dispositions de l'article L. 145-57 du code de commerce.
Par exploit d'huissier signifié le 10 octobre 2019, la société Edber a sollicité le renouvellement du bail à compter du 1er juin 2020, contre paiement d'un loyer annuel HT de 71.346,12 euros. La société G.I.F lui a indiqué que sa demande était sans objet en raison de l'exercice de son droit d'option, par exploit d'huissier délivré le 21 novembre 2019.
La société G.I.F a fait assigner la société Edber devant le tribunal judiciaire de Créteil, par exploit d'huissier signifié le 13 janvier 2020, afin d'obtenir son expulsion et le paiement d'une indemnité d'occupation.
Par jugement du 7 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Créteil a, en substance, ordonné l'expulsion de la société Edber avec toutes conséquences de droit, condamné la société Edber à payer à la société G.I.F une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 5.833,33 euros HT, à compter du 1er août 2011 et jusqu'à libération des lieux, déclaré irrecevable la demande en paiement d'indemnité d'éviction formée par la société Edber et l'a condamné à payer à la société G.I.F la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter la charge des dépens.
Par déclaration du 25 octobre 2021, la société Edber a interjeté appel total du jugement.
Par ordonnance du 8 février 2022, le Premier président de la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevable la demande de la société Edber d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 7 septembre 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 avril 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 10 janvier 2022, la société Edber, appelante, demande à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel du juger par la société Edber du jugement rendu le 7.09.2021 par le tribunal judiciaire de Créteil ;
Ce faisant,
- infirmer dans sa totalité le jugement entrepris ;
A titre principal
- confirmer le droit à renouvellement du bail au profit de la société Edber à la suite de la renonciation par la SCI GIF à sa prévaloir de l'exercice de l'option ;
- dire et juger que l'arrêt à intervenir, fixant les conditions du bail vaudra bail commercial entre les parties avec un loyer en renouvellement dont le montant annuel est de 71.346,12 € HT et ce pour une durée de 9 années à compter du 01.06.2020 ;
A titre subsidiaire,
- dire qu'à compter de la date du 4 septembre 2017 un bail verbal entre la SCI GIF et la société Edber portant sur les locaux sis [Adresse 5] Villejuif a été substitué au bail initial, aux mêmes termes et conditions, sur la base d'un loyer annuel égal à 71.346,12 € HT égal au loyer facturé par la SCI GIF ;
- dire et juger que l'arrêt à intervenir, fixant les conditions du bail vaudra bail commercial entre les parties avec un loyer en renouvellement dont le montant annuel est de 71.346,12 € HT et ce pour une durée de 9 années à compter du 01.06.2020 ;
A titre très subsidiaire,
- condamner la SCI GIF à verser à la société Edber une indemnité d'éviction dont le montant sera arrêté à dire d'expert ;
- désigner tel expert qu'il plaira à l'effet de déterminer la valeur de l'indemnité d'éviction due par la SCI GIF à la société Edber ainsi que tous autres postes de préjudice ;
- condamner la Société civile immobilière SCI GIF à payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Société civile immobilière SCI GIF aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions la société Edber fait valoir :
- à titre principal, que la SCI GIF a renoncé à l'exercice de son droit d'option en continuant à placer ses relations avec la société Edber dans le cadre du bail commercial du 30 juillet 1996 ; qu'elle a agi de manière continue depuis le 5 octobre 2017 jusqu'au 20 septembre 2019 en considérant la société Edber comme sa locataire au titre du bail en renouvellement, en procédant à une succession d'actes univoques non équivoques, de sorte qu'elle a donc renoncé de facto au droit d'option exercé le 4 septembre 2017 ; qu'en écrivant à la société Edber le 5 octobre 2017 une lettre dont l'objet mentionné était « révision triennale de loyer » et qui appliquait la révision triennale des loyers du bail conclu le 30 juillet 1996, à partir du 1er août 2017, la SCI GIF manifestait son accord clair et incontestable avec la société Edber sur le nouveau loyer du bail par application de la décision de la cour de Paris en date du 28 juin 2017 ;
- à titre subsidiaire, que compte-tenu du comportement non équivoque de la SCI GIF et, particulièrement, du contenu des différentes lettres et factures adressées par la SCI GIF à la société Edber, un bail verbal a existé entre les parties, à compter de la date de signification de l'option le 4 septembre 2017, lequel a succédé au bail en date du 30 juillet 1996 selon les mêmes termes et conditions ;
- à titre très subsidiaire, que la bonne foi de la concluante a été abusée par l'attitude de son bailleur qui, par son comportement, a manqué non seulement à son obligation de loyauté contractuelle mais également au principe d'interdiction de se contredire au détriment d'autrui lui ouvrant ainsi le droit au bénéfice d'une indemnité d'éviction ; qu'au regard de cette attitude du bailleur, le locataire n'avait aucune raison d'introduire une demande en paiement d'une indemnité d'éviction ; que le jugement devra donc être infirmé et une mesure d'expertise ordonnée.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 8 avril 2022, la société G.I.F, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Edber de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Edber aux dépens de l'instance ;
- condamner la société Edber à verser à la SCI Gestion immobilière familiale une indemnité de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Edber aux dépens de la procédure d'appel et dire qu'ils pourront être recouvrés par la société Guizard et Associés, avocats au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société G.I.F oppose que l'option exercée par le bailleur est irréversible aux termes de l'article L. 145-59 du code de commerce, de sorte que le bailleur ne peut changer d'avis ; que la concluante n'a consenti aucun « bail verbal » à la société Edber ; que cette dernière ne rapporte pas la preuve d'un manquement de la SCI GIF à la bonne foi ou au principe d'estoppel, étant précisé que son intention de solliciter l'expulsion de l'appelante et la déchéance de son droit à l'indemnité d'éviction étaient clairement exprimée ; que l'action en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation engagée par la SCI GIF devant le tribunal judiciaire de Créteil n'a pas suspendu la prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction ; que la société Edber n'a formé aucune demande en fixation ou en paiement d'indemnité d'éviction avant le 4 mai 2020, date de signification par RPVA de ses conclusions en défense devant le tribunal judiciaire de Créteil ; que cette demande est prescrite puisqu'elle a été formée postérieurement à la date d'expiration du délai de prescription biennale ; que la prescription de la demande d'indemnité d'éviction résultant de l'inaction de la société Edber dans le délai de deux ans suivant l'exercice du droit d'option de la SCI GIF, prive de motif légitime la demande d'expertise.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
SUR CE,
Sur l'exercice du droit d'option
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 145-57 et L. 145-59 du code de commerce que tant le bailleur que le preneur ont la faculté de renoncer au renouvellement du bail dont le loyer a été fixé judiciairement, au plus tard dans le délai d'un mois après la signification de la décision définitive ayant statué notamment sur ce point et que l'option ainsi exercée est irrévocable.
Au cas d'espèce, la société Edber et la société G.I.F ont conclu un bail d'une durée de quinze ans, par acte du 30 juillet 1996, qu'elles ont convenu de renouveler à son terme.
Par arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris, rendu le 28 juin 2017, le montant du loyer renouvelé a été fixé à la somme annuelle de 70.000 euros HT/ HC à compter du 1er août 2011. Cette décision a été signifiée par la société Edber par acte d'huissier en date du 24 octobre 2017. La société G.I.F a, de son côté, signifié son droit d'option par acte d'huissier en date du 4 septembre 2017, soit avant l'expiration du délai d'un mois suivant la décision définitive de fixation du loyer.
Au cas d'espèce, les moyens soutenus par l'appelante ne font que réitérer sans justification complémentaire utile ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts, que la cour adopte et auxquels elle renvoie.
En effet, contrairement à ce que soutient la société Edber, après la signification de l'exercice de son droit d'option par le bailleur, le bail expiré continue à produire effet aux clauses et conditions régissant le contrat échu de sorte qu'il ne peut être fait grief au bailleur de se référer, dans la poursuite des relations avec le preneur jusqu'à son départ des lieux, aux dispositions du bail expiré.
Il s'en déduit que le bailleur est en droit, non seulement de percevoir une indemnité d'occupation du même montant que le dernier loyer versé, sans qu'il ne puisse être tiré aucune conséquence du fait qu'il envoie quittance sous l'appellation de loyer et non d'indemnité d'occupation quant à une mauvaise foi du bailleur destinée à tromper l'appelante, et qu'il est fondé à opérer la révision triennale à échéance conformément aux termes du bail expiré, sans que ne puisse être considéré qu'il aurait de la sorte renoncé au droit d'option exercé, lequel est irrévocable.
Il ne saurait d'avantage être allégué d'une manifestation non équivoque de proposition d'un nouveau loyer, ni considéré que ce serait établi un bail verbal entre les parties, alors que, comme relevé par le premier juge, le bailleur a informé la société occupante de l'application de la révision triennale par courrier du 24 octobre 2017, soit postérieurement à l'exercice du droit d'option, effectif depuis le 4 septembre 2017.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a considéré que la société Edber était occupante sans droit, ni titre des locaux appartenant à la société G.I.F et ce depuis le 1er août 2011.
Sur le droit à une indemnité d'éviction
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
L'article L. 145-60 du code de commerce prévoit que toutes les actions exercées au titre du bail commercial se prescrivent par deux ans.
Contrairement à ce que soutient le preneur, la forclusion visée à l'article L. 145-9 du code de commerce ne saurait trouver à s'appliquer au présent litige, l'hypothèse visée par le texte concernant uniquement celle du congé délivré.
Au cas d'espèce, il a été mis fin rétroactivement au bail litigieux par l'exercice du droit d'option par le bailleur, exercé dans le cadre d'une action en fixation du loyer du bail renouvelé, par acte d'huissier signifié le 4 septembre 2017 rappelant les dispositions des articles L. 145-57, L. 145-57 et L. 145-60 du code de commerce. C'est à cette date que le délai de prescription de l'action en demande de paiement d'une indemnité d'éviction a commencé à courir pour une durée de deux, soit jusqu'au 4 septembre 2019.
Le droit d'option étant irrévocable et la prescription n'étant interrompue qu'au bénéfice de celui qui agit, c'est par motifs pertinents que le premier juge a rappelé que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation n'a pu interrompre le délai pour agir en demande de paiement d'une indemnité d'éviction, action qui appartient au preneur.
L'appelante ayant sollicité pour la première fois, par conclusions notifiées le 4 mai 2020 soit postérieurement au délai de prescription, le paiement de cette indemnité, le premier juge a fait une juste application des principes régissant la matière en considérant l'action prescrite et donc irrecevable.
Le jugement sera confirmé de ce chef et ce qu'il en a déduit que la société Edber était occupante sans droit, ni titre, a ordonné son expulsion et l'a condamné au paiement d'une indemnité d'occupation.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant en ses prétentions, la société Edber sera condamnée à payer à la société G.I.F la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil le 7 septembre 2021, sous le numéro de RG 20/998, en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Edber à payer à la SCI Société de gestion immobilière et familiale la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Edber à supporter la charge des dépens d'appel.