Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 5 septembre 2024, n° 23/18571

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Cabinet Comte (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Girousse

Avocats :

Me Kalck, Me Viollet, Me Sebrier

TJ Paris, 18e ch. sect. 1, du 17 oct. 20…

17 octobre 2023

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 15 novembre 1999, les consorts [E] représentés par leur gérant, la société Cabinet Comte S.A., ont donné à bail commercial en renouvellement à Madame [J] [S], épouse [A], et Monsieur [T] [A] divers locaux dépendant d'un immeuble sis à [Localité 6] [Adresse 4]. Ce bail a été renouvelé par acte du 15 janvier 2008 pour neuf années à compter du 1er Août 2008,

Le 29 juin 2019, un incendie s'est déclaré dans les parties communes de l'immeuble. Un arrêté de péril a été pris le 3 juillet 2019, interdisant l'accès et l'occupation de l'ensemble de l'immeuble. Le 26 mars 2020, l'accès et l'occupation des locaux du rez-de-chaussée ont été autorisés.

Par acte d'huissier signifié le 29 octobre 2021, les preneurs ont sollicité le renouvellement du bail, à effet du 1er janvier 2022, auprès de la société Cabinet Comte en qualité de gérante au sens de l'article L. 145-10 2ème alinéa du code de commerce. Aucune réponse n'a été apportée à cette demande.

Un nouvel arrêté préfectoral du 7 mars 2022 ayant interdit l'accès à l'immeuble, les locataires et leur conseil ont invoqué l'exception d'inexécution et mis en demeure les bailleurs d'exécuter les travaux nécessaires ainsi que de leur rembourser les loyers indûment payés par lettres recommandées de leur conseil adressées à la société Cabinet Comte le 26 octobre 2021 et le 8 mars 2022.

Suivant acte d'huissier délivré le 20 avril 2022, les preneurs, invoquant notamment l'exception d'inexécution et le manquement du bailleur à son obligation de délivrance, ont assigné la société Cabinet Comte devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins essentiellement de la voir condamner sous astreinte à effectuer les travaux de remise en état nécessaires à l'utilisation normale du local, à lui payer la somme de 14.320,85 € en restitution des loyers perçus pour la période du 29 juin 2019 au 31 décembre 2021 ainsi que celle de 22.000 € à titre de dommages et intérêts.

Au cours de l'année 2022, l'immeuble en cause a été vendu par les consorts [E] à la SAS [Adresse 4] à [Localité 6] et le mandat de gestion de la société Cabinet Comte a pris fin le 31 octobre 2022.

Par conclusions déposées le 17 novembre 2022, la société Cabinet Comte a saisi le juge de la mise en état d'un incident aux fins essentiellement de voir déclarer irrecevable l'action intentée par les consorts [A] à son encontre.

Par ordonnance sur incident du 17 octobre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré irrecevables les demandes de Mme [J] [S] épouse [A] et M. [T] [A] dirigées contre la société Cabinet Comte ;

- déclaré irrecevable la demande de communication de pièces de Mme [J] [S] épouse [A] et M. [T] [A] ;

- condamné in solidum Mme [J] [S] épouse [A] et M. [T] [A] à payer à la société Cabinet Comte la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum Mme [J] [S] épouse [A] et M. [T] [A] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Laurent Viollet, avocat.

Par déclaration d'appel du 19 novembre 2023, Madame [J] [S] épouse [A] et Monsieur [T] [A] ont interjeté appel total de cette ordonnance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 mai 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS

Par conclusions déposées le 15 mai 2024, Madame [J] [S] épouse [A] et Monsieur [T] [A], appelants, demandent à la cour de :

- recevoir Madame [J] [S] et Monsieur [T] [A] en leur appel ;

- infirmer l'ordonnance rendue le 17 octobre 2023 par le juge de la mise en état ;

Et statuant à nouveau,

- déclarer Madame [J] [S] et Monsieur [T] [A] recevables en leurs demandes principales et renvoyer la procédure devant la 18ème chambre, 1ère section du tribunal judiciaire de Paris (RG 22/05171) ;

- condamner la société Cabinet Comte à communiquer dans les quinze jours de la décision à intervenir :

- l'acte intégral de son mandat ;

- l'identité complète ainsi que les adresses de ses mandants ;

sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;

- condamner la société Cabinet Comte à payer à Madame [J] [A] et à Monsieur [T] [A] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le Cabinet Comte aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 14 mai 2024, la société Cabinet Comte S.A., intimée, demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 17 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire,

- débouter Madame [S], épouse [A] et Monsieur [A] de l'ensemble de leurs prétentions formulées à l'encontre du Cabinet Comte S.A. ;

En toute hypothèse,

- condamner solidairement Madame [S], épouse [A] et Monsieur [A] aux entiers dépens;

- condamner solidairement Madame [S], épouse [A] et Monsieur [A] au paiement de la somme de cinq mille euros (5.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

MOTIFS DE L'ARRET

Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir. Il s'en déduit que la recevabilité d'une prétention dépend tant de la qualité pour agir du demandeur que de celle du défendeur et que l'action doit être déclarée irrecevable lorsque le défendeur n'a pas qualité pour défendre à l'action intentée à son encontre.

Selon les dispositions des articles 1989 et 1998 du code civil, le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat et le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire conformément au pouvoir qui lui est donné. Il en résulte que le mandataire qui a accompli les actes juridiques au nom et pour le compte du mandant en restant dans les limites de son mandat n'est pas engagé personnellement à l'égard des tiers. En revanche, il est personnellement responsable envers les tiers des délits ou quasi-délits qu'il a pu commettre dans l'accomplissement de sa mission.

En l'espèce, il ressort du contrat de bail que la société Cabinet Comte, administrateur de biens, a conclu le bail en tant que mandataire « agissant au nom et comme gérant des biens immobiliers propriété des consorts [E] », de sorte que ce sont ces derniers qui sont engagés par le bail en qualité de bailleur. Il résulte des pièces produites que la société Cabinet Comte était mandaté pour l'administration du bien, qu'elle adressait les quittances et qu'elle a été destinataire des arrêtés préfectoraux. Cependant, il n'entre pas dans les attributions d'un administrateur de biens de représenter en justice ses mandants bailleurs.

Il est inopérant de la part des appelants de se prévaloir de la jurisprudence relative aux syndics de copropriété dont les fonctions font l'objet d'une réglementation spécifique.

L'assignation du 20 avril 2022 saisissant le tribunal judiciaire, a été délivrée à la société Cabinet Comte « en sa qualité de gérante au sens de l'article L. 145-10, 2ème alinéa du code de commerce, des biens immobiliers situés [Adresse 4], [Localité 6] ».

L'article L. 145-10 prévoyant que sauf stipulation contraire, la demande de renouvellement du preneur peut être valablement notifiée au gérant du bailleur, réputé avoir qualité pour la recevoir, est d'interprétation restrictive et ne permet pas d'en déduire que le gérant a qualité pour représenter le bailleur en justice dans le cadre des procédures visant à obtenir l'exécution des obligations résultant du bail.

Or, dans le cadre de la présente procédure, les époux [A] se fondent exclusivement sur les obligations contractuelles résultant du bail, notamment l'obligation de délivrance des bailleurs, afin de solliciter la réalisation des travaux nécessaires pour pouvoir utiliser les locaux. Ils invoquent l'exception d'inexécution pour obtenir la restitution des loyers déjà payés ainsi que l'inexécution contractuelle pour solliciter des dommages et intérêts.

Dès lors que seuls les mandants sont tenus d'exécuter les engagements formés par le mandataire pour leur compte et que la société Cabinet Comte n'a pas qualité pour représenter les consorts [E] en justice, les époux [A] se devaient d'assigner ces derniers.

Il est inopérant de leur part de se prévaloir du fait que la société Cabinet Comte a omis de préciser les coordonnées des consorts [E] dans le contrat de bail puisque cette omission n'a pas eu pour effet de donner qualité à leur mandataire de défendre en justice pour le compte des bailleurs et qu'au surplus, il appartenait aux demandeurs de s'adresser au service de la publicité foncière du lieu de la situation de l'immeuble pour en connaître les propriétaires et obtenir leurs coordonnées.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que dans le cadre de la présente procédure aucune demande n'est formée à l'encontre de la société Cabinet Comte à titre personnel au titre de sa responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle à l'égard des locataires, de sorte qu'il est inopérant de lui reprocher l'absence de mention des coordonnées des bailleurs dans le contrat de bail.

C'est donc à juste titre que faute pour la société Cabinet Comte d'avoir qualité pour défendre aux demandes formées par les époux [A] relatives aux obligations contractuelles des bailleurs, le juge de la mise en état a déclaré irrecevables leurs demandes en application de l'article 32 du code de procédure civile.

Il résulte des dispositions combinées des articles 11,139, 142 et 788 du code de procédure civile qu'à la demande d'une partie, le juge de la mise en état ordonne la communication de pièces s'il estime cette demande fondée au regard du litige dont il est saisi. Dès lors que la demande des époux [A] dirigée contre la société Cabinet Comte est irrecevable, il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a également déclaré irrecevables leur demande de communication de pièces.

Il convient de confirmer l'ordonnance déférée dans ses dispositions relatives aux dépens et fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de débouter les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Les autres demandes seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 17 octobre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris (RG n° 22/5171) ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes ;

Condamne Madame [J] [S] et Monsieur [T] [A] aux dépens de la procédure d'appel, dont distraction à la société LVA, Maître Laurent Viollet, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.