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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 5 septembre 2024, n° 23/10828

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Juridis France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perraut

Conseillers :

Mme Leydier, Mme Neto

Avocats :

Me Carre, Me Anave

TJ Nice, du 13 juill. 2023, n° 23/00272

13 juillet 2023

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 24 janvier 2005, à effet au 14 décembre 2004, M. [K] [L] a consenti à la société à responsabilité limitée (SARL) Juridis France, un bail commercial portant sur un local, situé en rez-de-chaussée, sis [Adresse 2] à [Localité 3] (06).

Le bail a été conclu pour une durée de 9 ans, moyennant un loyer annuel de 3 660 euros, hors taxes et outre une provision sur charges de 30 euros par mois.

M. [K] [L] est décédé le 18 janvier 2019 à [Localité 3] (06), laissant pour lui succéder son frère M. [W] [L].

Faisant valoir que les loyers n'avaient pas été réglés, M. [W] [L] a, par acte de commissaire de justice du 9 décembre 2022, fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire à la SARL Juridis France, aux fins d'obtenir le paiement de la somme de 1 879,90 euros au principal.

Par acte de commissaire de justice, du 2 février 2023, M. [W] [L] a fait assigner la SARL Juridis France, devant le président du tribunal judiciaire de Nice, statuant en référé afin d'obtenir :

- le constat de la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, au 9 janvier 2023 ;

- son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;

- sa condamnation au paiement provisionnel de :

* la somme de 1 765,44 euros due au titre des loyers et charges impayés, échus au 11 janvier 2023 ;

* une indemnité d'occupation mensuelle égale à 395,18 euros, jusqu'à parfaite libération des lieux, soit 106,57 euros ;

- sa condamnation au paiement de la somme de 1 500 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, incluant le coût du commandement de payer.

Par ordonnance réputée contradictoire du 13 juillet 2023, le juge des référés, du tribunal judiciaire de Nice, a :

- constaté la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, au 10 janvier 2023 ;

- ordonné l'expulsion du locataire et celles de tous occupants de son chef du local susvisé, et ce, dans le mois de la signification de l'ordonnance avec le concours de la force publique et d'un serrurier, si nécessaire ;

- condamné la SARL Juridis France à payer à M. [L] la somme provisionnelle de 1 185,54 euros dus au titre de la dette locative arrêtée au 13 avril 2024 ;

- condamné la SARL Juridis France à payer à M. [L] la somme de 1185,54 euros par mois, à titre provisionnel, à valoir sur l'indemnité d'occupation, à compter du 10 janvier 2023 jusqu'a libération effective des lieux ;

- condamné la SARL Juridis France à payer à M. [L] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SARL Juridis France aux dépens, incluant le coût du commandement de payer.

Selon déclaration reçue au greffe le 11 août 2023, la SARL Juridis France a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 9 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL Juridis France sollicite de la cour qu'elle infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé, et statuant à nouveau, qu'elle constate qu'il s'est acquitté de sa dette locative et suspende la réalisation des effets de la clause résolutoire, étant à jour de ses paiements.

Elle sollicite le débouté des demandes de M. [D]

Elle demande sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions transmises le 10 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [L] sollicite de la cour, qu'elle :

- à titre principal :

- confirme l'ordonnance déférée en toutes ces dispositions, excepté la condamnation de la SARL Juridis France au paiement à titre provisionnel, d'une indemnité mensuelle d'occupation de 1 185,54 euros par mois ;

- constate que la SARL Juridis France n'a plus intérêt à demander l'infirmation de sa condamnation à cette somme, ce dernier ayant reconnu qu'elle devait se limiter à la somme de 395,18 euros par mois, conformément à sa demande en première instance ;

- à titre subsidiaire :

- infirme l'ordonnance en ce qu'elle a condamné à la SARL Juridis France à lui verser une indemnité d'occupation mensuelle de 1 185,54 euros, à titre provisionnel ;

- condamne la SARL Juridis France à lui payer par provision une indemnité d'occupation de 395,18 euros, à compter du 10 janvier 2023, jusqu'à libération effective des lieux ;

- condamne la SARL à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 16 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater', 'donner acte', 'dire et juger' ou 'déclarer' qui, sauf dispositions légales spécifiques, ne sont pas des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais des moyens qui ne figurent que par erreur dans le dispositif, plutôt que dans la partie discussion des conclusions d'appel.

Sur la demande relative à l'acquisition de la clause résolutoire :

En vertu des dispositions de l'article 834 du Code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Aux termes de l'article 835 du même Code, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En application des dispositions de ces textes le juge des référés peut constater l'acquisition d'une clause résolutoire.

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

L'alinéa 2 du même texte dispose que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

En l'espèce, le contrat de bail signé par les parties le 24 janvier 2005, stipule en page 1, que faute d'exécution de l'une des clauses du bail, et notamment du paiement d'un seul terme de loyer, des intérêts de retard, des charges accessoires, et des frais de commandement restés infructueux, le preneur pourra être expulsé par ordonnance du juge des référés, auquel les parties donnent expressément compétence, sans préjudice des droits du bailleur pour les loyers échus, dommage-intérêts et frais.

L'article 1353 du code civil précise que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, au vu du décompte versé aux débats par M. [L], la dette locative de la SARL Juridis France s'élevait au 1er janvier 2023 à 1765,44 euros.

Ce n'est au le 30 mars 2023, que la SARL Jurdidis France a soldé sa dette en opérant un versement de 1765,44 euros.

La SARL Juridis indique s'être acquitté des causes du commandement de payer.

Elle produit un décompte dont il ressort :

- un paiement de 1300 euros effectué le 20 décembre 2023 (porté au décompte de M. [L]) ;

- un solde de la dette au 30 mars 2023 par un paiement de 1765,44 euros

Par conséquent, les deux décomptes coïncident et il est établi, avec l'évidence requise en référé, que, dans le mois de la délivrance du commandement de payer, la SARL Juridis France ne s'était pas acquitté de sa dette.

C'est bien en application de ce commandement de payer resté infructueux que le bailleur a sollicité du juge des référés la constatation de la résiliation de plein droit du bail par l'effet de l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans le contrat de bail.

Dans ces conditions, c'est par des motifs pertinents que le premier juge a constaté la résiliation de plein droit du contrat de bail en application de la clause résolutoire au 10 janvier 2023.

L'ordonnance entreprise sera confirmée sur ce chef.

Sur la demande de provision portant sur les loyers, charges et indemnités d'occupation :

Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.

Ainsi le paiement des loyers et charges aux termes convenus dans le contrat de location constitue une obligation essentielle du locataire, qui résulte du bail signé entre les parties.

En l'espèce au vu des décomptes versés aux débats, il est établi que le 8 mai 2024 la SARL Juridis France s'était acquittée totalement de sa dette locative, ce que ne conteste pas son bailleur.

Par conséquent, la cour ne peut qu'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée au paiement de la somme provisionnelle de 1185,54 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation dus, ainsi qu'au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle.

M. [L] sera débouté de sa demande formulé à ce titre.

Sur la demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire :

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 alinéa 2 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée : la clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

L'article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En matière de baux commerciaux, tant qu'aucune décision constatant la résolution du bail n'est passée en force de chose jugée, le juge saisi d'une demande de délais peut les accorder et suspendre les effets de la clause résolutoire de façon rétroactive au locataire à jour de ses loyers.

En l'espèce, même si elle n'a pas toujours été régulière et ponctuelle dans le paiement des échéances de son loyer, la SARL Juridis France s'est acquittée de l'intégralité de sa dette locative le 8 mai 2024, ainsi qu'en atteste le décompte versé aux débats par le bailleur.

Dans la mesure où la SARL Juridis, s'est acquittée de sa dette, elle ne saurait dès lors être considérée comme de mauvaise foi.

Ainsi et même s'il ne saurait être question de sous-estimer la lassitude de son bailleur, il échet de lui accorder, au moins une fois, la chance de conserver son activité professionnelle et de restaurer avec M. [L] une relation de confiance.

Ces éléments justifient d'accorder à l'appelante des délais de paiement rétroactifs à la date du commandement de payer du 9 décembre 2022 expirant le 8 mai 2024, date de l'apurement de la dette et, partant, de suspendre les effets de la clause résolutoire.

Dès lors que la SARL Juridis France a apuré sa dette locative, qu'elle a repris le paiement de ses loyers et charges avant même que la cour ne se prononce sur les délais de paiement, la clause résolutoire est réputée n'avoir jamais joué.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion et condamné la SARL Juridis France au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation provisionnelle, en cas de non-respect des délais de paiement accordé

M. [L] sera donc déboutée de sa demande formée en ce sens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la SARL Juridis France aux dépens et à payer à M. [L] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Chacune des parties succombant partiellement au litige, il n'y a lieu de faire application des dispositions de ce texte en cause d'appel.

La SARL Juridis France supportera en outre les dépens de la procédure d'appelante ayant apuré la dette, postérieurement à l'ordonnance entreprise et quelques jours seulement avant la clôture de la présente affaire.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice le 13 juillet 2023, en ce qu'elle a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire inscrite au bail du 24 janvier 2005 à compter du 10 janvier 2023 ;

- condamné la SARL Juridis France aux dépens et à payer à M. [W] [L] la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme en toutes ses autres dispositions critiquées ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Accorde de manière rétroactive à des délais de paiement entre le 9 décembre 2022, date du commandement de payer visant la clause résolutoire, et le 8 mai 2024, date du dernier paiement apurant la dette locative ;

Ordonne la suspension des effets de la clause résolutoire présente dans le contrat de bail pendant le cours des délais accordés ;

Constate que la SARL Juridis France s'est intégralement acquitté des causes du commandement de payer à la date du 8 mai 2024 ;

Dit qu'en conséquence de ce règlement, la clause résolutoire est réputée n'avoir jamais joué ;

Déboute M. [W] [L] de sa demande formée au titre de la provision, de l'expulsion et de l'indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Juridis France aux dépens d'appel.