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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 5 septembre 2024, n° 24/00021

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Acm Santé (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mme Chopin, M. Najem

Avocats :

Me Sultan, Me Boulanger

TJ Evry, du 8 août 2023, n° 22/01218

8 août 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 24 janvier 2021, M. [H] a consenti à la société ACM Santé la location à usage de bureaux, pour l'exercice exclusif de prestations en logistique et en gestion, des locaux sis [Adresse 3] pour une durée de dix ans, commençant à courir le 24 janvier 2021, pour se terminer le 23 janvier 2031, moyennant un loyer annuel de 18.000 euros HC payable en 12 termes égaux, outre provision sur charges de 400 euros et un dépôt de garantie de 4.500 euros.

Mme [M]-[T], présidente de la société locataire, s'est portée caution solidaire de toutes sommes dues en principal, intérêts, frais et accessoires du fait de cette convention.

Des loyers sont demeurés impayés.

Le 21 octobre 2022, M. [H] a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail entre les mains de la société ACM Santé, commandement dénoncé à la caution le 25 octobre 2022 pour le paiement de la somme principale de 11.500 euros, échéance d'octobre incluse, suivant décompte arrêté au 16 octobre 2022.

Par acte du 8 décembre 2022, M. [H] a assigné la société ACM Santé et Mme [M] devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry, au visa des articles 834 du code de procédure civile et L.145-41 du code de commerce afin à titre principal de voir constater la résiliation du contrat de bail commercial.

Par conclusions du 11 juillet 2023, il demandait :

débouter la société ACM Santé et Mme [M]-[T] de l'intégralité de leurs moyens de défense, demandes reconventionnelles, fins et conclusions ;

constater la résiliation du contrat de bail commercial consenti le 24 janvier 2021 par M. [H] à la société ACM Santé à la date du 22 novembre 2022 ;

ordonner l'expulsion de la société ACM Santé de l'ensemble immobilier qu'elle occupe sis [Adresse 3] et ce, avec le concours de la force publique s'il échet séquestration du mobilier dans tout garde-meuble du choix du requérant et aux frais, risques et périls de la société ACM Santé et de Mme [M] ;

condamner solidairement par provision la société ACM Santé et Mme [M] à verser M. [H] la somme de 9.700 euros à titre de provision sur les loyers, charges et frais dus arrêtés à la date de l'acquisition de la clause résolutoire, soit le 22 novembre 2022 ;

condamner solidairement par provision la société ACM Santé et Mme [M] à verser à M. [H] la somme provisionnelle de 1.156,27 euros au titre de la régularisation des charges ;

condamner solidairement par provision la société ACM Santé et Mme [M] à verser M. [H] une indemnité d'occupation mensuelle équivalente à deux fois le montant du loyer contractuel charges et taxes en sus, à compter du 1er décembre 2022 et jusqu'à la libération complète des lieux ;

condamner solidairement la société ACM Santé et Mme [M] à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens en ce compris la délivrance du commandement et sa dénonciation, puis de l'établissement du constat du 24 mai 2023.

La société ACM Santé et Mme [M]-[T] ont invoqué l'existence de contestations sérieuses tenant à l'inexécution des obligations contractuelles du bailleur concernant la délivrance d'un local non-conforme à sa destination et subsidiairement elles ont sollicité des délais.

Par ordonnance contradictoire du 8 août 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry, a :

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des parties ;

dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [H] aux entiers dépens ;

rejeté toute demande plus ample ou contraire.

Par déclaration du 8 décembre 2023, M. [H] a interjeté appel de cette décision de l'ensemble des chefs du dispositif.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 22 janvier 2024, M. [H] demande à la cour, au visa des articles 834 du code de procédure civile, 1103, 1219, 1719, 1728 du code civil et L. 145-41 du code de commerce, de :

le déclarer recevable et bien-fondé dans l'ensemble de ses demandes ;

débouter les demandes, fins et conclusions formées par la société ACM Santé ;

infirmer l'ordonnance rendue le 8 ao t 2023 par le tribunal judiciaire d'Evry, en toutes ses dispositions notamment en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé ;

Y faisant droit :

juger que ses demandes ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ;

ordonner l'expulsion de la société ACM Santé de l'ensemble immobilier qu'elle occupe sis [Adresse 3] et ce, avec le concours de la force publique s'il échet séquestration du mobilier dans tout garde meuble du choix du requérant au frais, risques et périls de la société ACM Santé et Mme [M] ;

condamner solidairement par provision la société ACM Santé et Mme [M] à verser M. [H] la somme de 9 700 euros à titre de provision sur les loyers, charges et frais dus arrêtés à la date de l'acquisition de la clause résolutoire, soit le 22 novembre 2022 ;

condamner solidairement par provision la société ACM Santé et Mme [M] à verser à M. [H] la somme de 1.454,58 euros au titre de la régularisation des charges pour l'année 2021 ;

condamner solidairement la société ACM Santé et Mme [M] à verser à M. [H] une indemnité d'occupation mensuelle équivalente à deux fois le montant du loyer charges et taxes en sus, à compter du 1er décembre 2022 jusqu'à la libération complète des lieux ;

condamner solidairement la société ACM Santé et Mme [M] à verser à M. [H] la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner solidairement la société ACM Santé et Mme [M] aux dépens, en ce compris les frais afférents à la délivrance du commandement et sa dénonciation puis de l'établissement du constat du 24 mai 2023.

M. [H] fait valoir essentiellement que :

- l'exception d'inexécution soulevée par la défenderesse ne constitue pas une contestation sérieuse ;

- seule l'interprétation du contrat de bail par le juge des référés aurait pu constituer une telle contestation ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le contrat de bail étant clair en cas de non-paiement des loyers ;

- le code de commerce donne effet de plein droit à la clause résolutoire en cas de commandement de payer resté infructueux après l'expiration d'un délai d'un mois ;

- depuis le mois de mai 2021, la société ACM Santé, preneur, a cessé de payer les loyers mais continue de jouir de la mise à disposition des locaux ; le preneur invoque de manière illusoire l'exception d'inexécution en alléguant un défaut d'entretien des locaux imputable au bailleur par la présence d'infiltrations d'eau dans la toiture alors qu'il a procédé à la réparation pour des travaux dont le montant s'élève à la somme de 8.405 euros ;

- il a fait procéder à un constat réalisé le 24 mai 2023 démontrant l'absence de tous désordres, sauf quelques traces de coulures anciennes, dans les locaux loués.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelante pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Bien que l'avis de fixation et les conclusions leur aient été signifiées le 19 janvier 2024, la société ACM Santé et Mme [T] née [M] n'ont pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2024.

SUR CE, LA COUR

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.

Il sera rappelé à cet égard :

- qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due ;

- qu'il n'appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, sachant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; que le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l'empêchant de constater la résolution du bail.

En outre, aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.

Il sera rappelé qu'en application de l'article 1728 du code civil, le locataire est tenu au paiement des loyers et charges aux termes prévus au bail, sans pouvoir invoquer l'exception d'inexécution pour y échapper, sauf à justifier que les locaux loués sont devenus impropres à l'usage auquel ils étaient destinés (Cass, 3e Civ., 6 juillet 2023, pourvoi n° 22-15.923, publié).

Le premier juge a retenu que si le bailleur avait indiqué avoir attiré l'attention de la société ACM Santé sur la présence d'infiltrations, au regard des documents versés aux débats, la preneuse était dans l'impossibilité d'en évaluer l'importance au moment de la signature du bail et qu'il appartenait au bailleur de délivrer un local permettant son exploitation « sereine ». Il a par ailleurs considéré que les pénalités contractuelles étaient certes contractuellement prévues mais qu'il ne ressortait pas des débats que M. [H] ait avisé sa locataire et sa caution qu'elles étaient appliquées, augmentant sensiblement de la créance. Le premier juge a également retenu une contestation sérieuse au titre de la régularisation des charges.

M. [H] produit un commandement de payer la somme de 11.500 euros délivré le 21 octobre 2022 et visant la clause résolutoire et sa dénonciation à la caution le 25 octobre 2022.

Il n'apparaît pas que la régularité formelle de ces actes ait été contestée en première instance.

Un décompte est annexé au commandement, il mentionne de manière détaillée le détail des sommes réclamées.

Si le décompte fait état des majorations conventionnelles, il n'en demeure pas moins que sont réclamés à titre principal des arriérés de loyers et de charges, de manière claire, et aucun élément ne démontre que ces sommes aient été payées dans le délai requis.

Un procès-verbal de constat diligenté par la société ACM Santé et en date du 8 avril 2022 relève des décolorations et des auréoles sur des panneaux de bois ou sur des murs en divers endroits, une plaque de placoplâtre déformée, la présence d'eau sur un plateau d'un bureau. Il est également noté la présence d'eau aux extrémités basses des vitres fixes ou des murs humides,

M. [H] justifie cependant de travaux afférents à l'étanchéité du toit par une facture du 20 août 2021 (sa pièce 9).

Il n'apparaît pas au vu des pièces que la locataire ait signalé à son bailleur des infiltrations persistantes et les photographies figurant dans le procès-verbal témoignent de ce qu'elle y poursuit une activité.

Le bailleur produit un procès-verbal de constat en date du 24 mai 2023. Le commissaire de justice relève dans l'espace administratif la présence de matériels informatiques allumés et en bon état. Quelques traces de coulures et des cloques sont notées. La pièce d'eau est en travaux. Les salles de consultations sont équipées de matériels informatiques et médicaux en état de fonctionnement, une patiente est d'ailleurs prise en charge (pages 37, 39, 41 du procès-verbal).

Ces constatations démentent suffisamment l'impossibilité alléguée par la locataire devant le premier juge d'exploiter les lieux et dès lors l'existence d'une exception d'inexécution susceptible de faire échec, en référé, au constat de l'acquisition de la clause résolutoire.

Au 15 janvier 2024, il est dû la somme de 27.504,32 euros, échéances de janvier 2024 incluses.

Par conséquent, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes du bailleur.

Statuant de nouveau, il y a lieu de constater que la clause résolutoire est acquise et que le bail se trouve résilié de plein droit avec toutes conséquences : l'expulsion de la société ACM Santé et de tout occupant de son chef doit donc être ordonnée en cas de non restitution volontaire des lieux dans les 15 jours de la signification du présent arrêt.

Le sort des meubles trouvés dans les lieux sera régi en cas d'expulsion conformément aux dispositions du code des procédures civiles d'exécution et selon les modalités précisées au dispositif de l'ordonnance.

Le doublement de l'indemnité d'occupation provisionnelle par rapport au loyer prévu au contrat de l'article 17-2 du bail s'analyse en une clause pénale par sa finalité comminatoire et indemnitaire, susceptible d'être réduite par le juge du fond du fait de l'avantage manifestement excessif qu'elles procurent au bailleur, alors même que ce dernier a déjà appliqué une majoration de loyer de 100 euros, puis 150 euros sur le fondement de l'article 7.1 de la convention.

L'indemnité d'occupation sera fixée à titre provisionnel au montant du loyer contractuel, outre les charges, taxes et accessoires.

Au vu du décompte produit, il était dû la somme de 9.700 euros en novembre 2022, majorations comprises.

M. [H] justifie d'un acte de cautionnement solidaire souscrit par Mme [M]-[T], présidente de la société locataire. Elle a par ailleurs signé en ses deux qualités le contrat de bail.

Le commandement de payer lui a été dénoncé en sa qualité de caution.

Dès lors, il y a lieu de condamner les intimées, à titre provisionnel et solidairement, à payer la somme de 9.700 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté à novembre 2022, date de résiliation du bail, ainsi qu'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer en principal, le tout augmenté des charges et taxes dont le preneur est redevable, à compter du 1er décembre 2022.

En l'absence des intimées, la cour n'est saisie d'aucune demande de délais de grâce.

M. [H] réclame la somme de 1.454,58 euros au titre d'une régularisation de charges. Le décompte du gestionnaire de l'immeuble qu'il produit en pièce 22 fait état de charges locatives pour la somme de 1.294,73 euros, mais cette somme ne tient pas compte de la provision sur charges mensuelle de 400 euros et aucune explication n'est fournie sur ce point.

C'est à bon droit que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande. La décision sera confirmée de ce chef.

Le sens de la présente décision conduit à infirmer les dispositions de l'ordonnance entreprise au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ACM Santé et Mme [M]-[T] seront condamnées in solidum aux dépens, comprenant le coût du commandement et de la dénonciation à la caution. En revanche, le coût du procès-verbal de constat entre dans les frais irrépétibles.

Les intimées seront condamnées in solidum à payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en ces dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé au titre de régularisation de charges ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Constate l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail au 21 novembre 2022 ;

Ordonne, à défaut de libération volontaire des lieux, l'expulsion de la société ACM Santé et de tout occupant de son chef, dans les quinze jours à compter de la signification du présent arrêt, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier, du local à usage commercial situé [Adresse 3] à [Localité 6] ;

Dit qu'en cas de besoin, les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désignée par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoit le code des procédures civiles d'exécution ;

Condamne solidairement la société ACM Santé et Mme [M]-[T] à payer à titre provisionnel à M. [H] une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer en principal, le tout augmenté des charges et taxes dont le preneur est redevable, à compter du 1er décembre 2022 et jusqu'à la libération effective des lieux se matérialisant par la remise des clés ou l'expulsion ;

Condamne solidairement la société ACM Santé et Mme [M]-[T] à payer à titre provisionnel à M. [H] la somme de 9.700 euros au titre des arriérés de loyers, charges et frais arrêtés à la mensualité de novembre 2022 ;

Rejette le surplus des demandes de M. [H] ;

Condamne in solidum la société ACM Santé et Mme [M]-[T] à payer à M. [H] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société ACM Santé et Mme [M]-[T] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de commandement de payer et dénonciation.