CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 5 septembre 2024, n° 21/15890
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
D.Riviera Chauss (Sté)
Défendeur :
Les Citronniers (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Flambard, Me Brahim-Dietz
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 3 mai 1995, mesdames [Y] et [W], aux droits desquelles est venue la SCI Almar I, par suite d'une acquisition du 5 juillet 2020, puis la SARL Les Citronniers, par suite de la dissolution de la SCI Almar I le 20 avril 2005, ont donné à bail commercial à la SARL D Riviera Chauss DRC un local situé au rez-de-chaussée d'un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5] pour un loyer annuel de 30.660 francs et une durée de neuf ans à compter du 1er mai 1995.
La SCI Almar I a fait signifier au preneur le 28 octobre 2003 un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction.
Demeurant dans les lieux, la SARL D Riviera Chauss DRC a fait assigner par acte du 25 avril 2006 la SCI Almar I devant le tribunal de grande instance de Nice afin de faire juger nul le congé avec refus de renouvellement et obtenir la désignation d'un expert pour chiffrer le montant de l'indemnité d'éviction.
Après radiation de l'instance pour défaut de diligences le 5 juin 2009 et l'échec d'une expertise amiable, la SARL D Rivieira Chauss DRC a fait délivrer une nouvelle assignation aux mêmes fins à la SARL Les Citronniers le 16 avril 2010.
Par jugement du 20 décembre 2012, confirmé par un arrêt de cette cour du 20 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Nice a débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande de nullité du congé et a ordonné une expertise aux fins de fixer l'indemnité d'éviction, le montant du droit au bail et l'indemnité d'occupation.
L'expert judiciaire, après relevé de caducité pour défaut de consignation de la SARL D Riviera Chauss DRC et indisponibilité de l'avocat de la demanderesse avant la fin juin 2015, a rendu son rapport le 28 mai 2018.
Par jugement en date du 28 octobre 2021, le tribunal de grande instance de Nice a :
- débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande d'indemnité d'éviction,
- débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande de prescription de l'action de la SARL Les Citronniers en paiement d'une indemnité d'occupation qui sera fixée à 240.458,58 € hors taxes et hors charges pour la période allant du 1er mai 2004 au 1er mai 2021,
- condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser à la SARL Les Citronniers la somme de 73.206,65 € d'indemnité d'occupation incluant les taxes et charges,
- condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser une amende civile de 750 € au Trésor public,
- condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser à la SARL Les Citronniers la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la SARL D Riviera Chauss DRC aux dépens de l'instance y compris les frais d'expertise.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que :
1. Sur l'indemnité d'éviction :
- la SARL D Riviera Chauss DRC, à qui un congé a été donné pour le 30 avril 2004, est toujours dans les lieux,
- l'indemnité d'éviction est calculée en tenant compte, entre autres données, de la valeur du fonds de commerce, laquelle est fonction des résultats comptables d'exploitation,
- pour que le calcul soit pertinent, il faut que les chiffres comptables soient très proches de la date de l'éviction elle-même et il convenait donc que la locataire fournisse ses bilans des années 2016 à 2020, alors qu'elle n'a pas communiqué ses comptes au-delà de 2015,
- il n'est donc pas possible de calculer une indemnité d'éviction pertinente du fait de l'obstruction de la SARL D Riviera Chauss DRC elle-même,
- si le refus de celle-ci de régler le montant de l'indemnité d'occupation fixée par le bailleur dans l'attente de la décision du tribunal peut s'expliquer, en revanche, elle se devait de payer le montant du loyer au niveau qu'elle estimait justifié, en l'occurrence 1.891,75 € par trimestre,
- or, cette somme n'a pas été versée à de multiples reprises et ces impayés répétés, qui ont fait l'objet de nombreux rappels ou commandements de payer, constituent une infraction suffisamment grave pour justifier la déchéance du droit à indemnité d'éviction.
2. Sur l'indemnité d'occupation :
- le point de départ du délai biennal édicté à l'article L 145-60 du code de commerce ne peut courir qu'à compter du jour où il a été définitivement consacré, dans son principe, le droit au preneur à une indemnité d'éviction et en l'espèce, un tel droit du preneur a été contesté par le bailleur lors de la présente instance, de sorte que le délai n'a pas pu commencé à courir avant la décision du tribunal,
- l'expert judiciaire a retenu un coefficient de précarité de 60%, ce qui est excessif, la précarité alléguée n'ayant pas empêché la réalisation d'investissements et la longueur de la procédure relève essentiellement des actions du preneur,
- l'abattement réclamé par la SARL Les Citronniers à hauteur de 40% sera donc retenu,
- le cumul des valeurs locatives du 1er mai 2004 à 1er mai 2021 s'établit à 400.764,36 € , soit une indemnité d'occupation, en tenant compte de l'abattement de 40%, s'établissant à 240.458,58 € hors taxes et hors charges,
- seul le montant de la TVA réclamé en sus par le bailleur est justifié, soit un total de 288.458,58 € , à savoir un solde de 178.389,26 € après déduction des versements effectués par le preneur,
- la SARL Les Citronniers ne réclame toutefois le paiement des indemnités d'occupation que pour la période du 1er mai 2015 au 30 juin 2021, ce qui correspond à une somme de 73.206,65 €.
Par déclaration en date du 10 novembre 2021, la SARL D Riviera Chauss DRC a interjeté appel de ce jugement.
Par jugement du 27 janvier 2022, le tribunal de commerce de Nice a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL D Riviera Chauss DRC, convertie en liquidation judiciaire le 23 février 2022.
Par lettre recommandée du 28 mars 2022, la SARL Les Citronniers a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur pour un montant total de 91.366,05 €.
La SARL D Riviera Chauss n'occupe plus les lieux depuis le 29 septembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 17 mai 2024, la société D Riviera Chauss DRC, représentée par la SCP [E], prise en la personne de Me [R] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire suivant jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 23 févier 2022, demandent à la cour de:
Vu les articles L 145-14, L 145-17, L 145-28 et L 145-51 du code de commerce,
Vu les articles 1103, 1219, 1220, 1348, 1719, 1720 et 1721 du code civil,
- infirmer et réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nice en date du 28 octobre 2021 en ce qu'il a:
* débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande d'indemnité d'éviction,
* débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande de prescription de l'action de la SARL Les Citronniers en paiement d'une indemnité d'occupation qui sera fixée à 240.458,58 € hors taxes et hors charges pour la période allant du 1er mai 2004 au 1er mai 2021,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser à la SARL Les Citronniers la somme de 73.206,65 € d'indemnité d'occupation incluant les taxes et charges,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser une amende civile de 750 € au Trésor public,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser à la SARL Les Citronniers la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
En conséquence,
Statuant à nouveau,
1. Sur l'indemnité d'éviction:
- déclarer que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance,
- déclarer que le non paiement de certains trimestres de loyers par la société D Riviera Chauss DRC était justifié par le manquement du bailleur à cette obligation de délivrance,
Partant,
- déclarer que la société D Riviera Chauss DRC est bien fondée à opposer l'exception d'inexécution à la société Les Citronniers,
- déclarer recevable et bien fondée la concluante en sa demande en paiement de l'indemnité d'éviction,
Partant,
A titre principal,
- condamner la société les Citronniers à verser à la société D Riviera Chauss DRC la somme de 120.000 € au titre de l'indemnité d'éviction, conformément aux conclusions de l'expert,
A titre subsidiaire, si la cour venait à considérer que l'appelante n'a pas transmis les éléments comptables nécessaires au calcul de l'indemnité d'éviction:
- déclarer que la méthode de calcul à retenir pour l'indemnité d'éviction est celle de la valeur du droit au bail,
En conséquence,
- condamner la société Les Citronniers à verser à la société D Riviera Chauss DRC la somme de 115.000 € au titre de l'indemnité d'éviction conformément aux conclusions de l'expert,
En tout état de cause,
2. Sur les indemnités accessoires:
- condamner la société Les Citronniers à verser à la société D Riviera Chauss DRC la somme de 31.326 € au titre des indemnités accessoires conformément aux conclusions retenues par l'expert,
3. Sur l'indemnité d'occupation:
- déclarer que l'indemnité d'occupation est fixée suivant le dernier loyer contractuel,
- déclarer que de cette indemnité d'occupation, il conviendra de déduire toutes les sommes accessoires non justifiées et payées par la société D Riviera Chauss DRC à la société Les Citronniers dès lors que l'indemnité d'occupation doit correspondre au montant du dernier loyer au cas d'espèce, net de toute charge et complément,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nice du 28 octobre 2021 en ce qu'il a écarté du calcul de l'indemnité d'occupation les charges de copropriété, la taxe foncière et les frais et accessoires injustifiés,
4. Sur la compensation des sommes dues de part et d'autre:
- ordonner le cas échéant la compensation entre les sommes dues de part et d'autre entre les parties,
5. Sur l'amende civile :
- déclarer que l'amende civile de 750 € infligée à la société D Riviera Chauss DRC est dépourvue de tout fondement,
- réformer le jugement entrepris de ce chef,
- débouter la société Les Citronniers de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Les Citronniers à payer à la société D Riviera Chauss DRC la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Les Citronniers au entiers dépens de la présente instance et de la première instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et des constats d'huissier produits dans le cadre de la présente procédure.
La SARL Les Citronniers, venant aux droits de la SCI Almar I, suivant ses dernières conclusions signifiées le 14 mai 2024, demande à la cour de :
Vu les articles L 145-14, L 145-28, L 145-41, L 145-60, L 622-11 et suivants, L 640-1 et suivants, L 641-2 et suivants du code de commerce,
- déclarer recevable et bien fondée la SARL Les Citronniers en ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nice du 28 octobre 2021 en ce qu'il a:
* débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande d'indemnité d'éviction,
* débouté la SARL D Riviera Chauss DRC de sa demande de prescription de l'action de la SARL Les Citronniers en paiement d'une indemnité d'occupation qui sera fixée à 240.458,58 € hors taxes et hors charges pour la période allant du 1er mai 2004 au 1er mai 2021,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser à la SARL Les Citronniers la somme de 73.206,65 € d'indemnité d'occupation incluant les taxes et charges,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser une amende civile de 750 € au Trésor public,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à verser à la SARL Les Citronniers la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la SARL D Riviera Chauss DRC aux dépens de l'instance y compris les frais d'expertise.
En conséquence, la SARL D Riviera Chauss étant en liquidation judiciaire depuis le jugement du tribunal de commerce de Nice du 23 février 2022 désignant en qualité de liquidateur la SCP [E], représentée par Me [E],
- fixer au passif de la procédure susvisée:
* la somme de 73.206, 65 € d'indemnité d'occupation incluant les taxes et charges due par la SARL D Riviera Chauss à la SARL Les Citronniers,
* la somme de 3.500 € due par la SARL D Riviera Chauss à la SARL Les Citronniers sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* la somme de 750 € d'amende civile,
En tout état de cause,
- débouter la SARL D riviera Chauss de toutes ses demandes:
* de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction,
* de toute somme réclamée au titre d'indemnités accessoires,
* de sa demande tendant à voir fixer l'abattement de précarité à 60%,
* de sa demande tendant à voir fixer l'indemnité d'occupation hors TVA,
Reconventionnellement,
- condamner la SARL D Riviera au paiement de la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par la SARL Les Citronniers en instance d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et fixer la dite somme au passif de la procédure de liquidation judiciaire.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 22 mai 2024.
MOTIFS
Sur l'indemnité d'éviction
La SARL Les Citronniers oppose en premier lieu à la société D Riviera Chauss RDC la déchéance de son droit à l'indemnité d'éviction au motif que celle-ci a commis des manquements graves et répétés, à savoir le non respect des charges et obligations lui incombant au titre du bail expiré.
Elle soutient que la société appelante s'est abstenue de régler les indemnités d'occupation dont elle est pourtant redevable, précisant que depuis le début de l'année 2015, elle ne procède au paiement de son loyer que de manière irrégulière.
Elle précise que l'appelante est redevable de seize trimestres d'indemnités d'occupation, qu'elle a pourtant été destinataire de nombreuses relances et d'un commandement de payer et que si la preneuse prétend avoir effectué des versements non comptabilisés, elle n'en fait pas la démonstration. Elle relève, en outre que les règlements effectués pour la période du 1er janvier 2016 au 27 janvier 2002 sont irréguliers et totalement aléatoires quant à leur montant et que la survenance de la crise sanitaire en 2020 n'est pas de nature à justifier le non respect par la locataire de ses obligations sur les cinq années qui ont précédé.
Elle considère que l'exception d'inexécution invoquée, pour la première fois en cause d'appel par l'appelante ne saurait prospérer, en soulignant qu'une telle exception ne peut être envisagée dans la mesure où celle-ci a toujours occupé les locaux loués et n'a jamais cessé d'exploiter le fonds. Elle estime que les dégâts des eaux déplorés seraient survenus entre 1995 et 1999 et ne sont donc pas de nature à justifier le non paiement des indemnités d'occupation entre 2015 et 2021 et qu'en tout état de cause, elle n'a jamais averti son bailleur de tels sinistres et ne s'en est jamais plainte avant 2024. Elle formule les mêmes observations sur les dégâts des eaux intervenus en 2019, aucune lettre ne lui ayant été adressée pour l'informer de tels événements.
La SARL D Riviera Chauss DRC rappelle que le non règlement de l'indemnité d'occupation ne constitue pas ipso facto un motif grave et légitime, qu'en l'espèce le bailleur a été de particulière mauvaise foi, que depuis la prise à bail des locaux en 1995, des infiltrations d'eau permanentes ont été constatées, qu'elle a été victime de nombreux sinistres entre 1995 et 1999, ainsi qu'il en ressort des différents constats d'huissier qui sont produits. Elle reproche à la société Les Citronniers d'avoir fait preuve d' une inertie totale alors qu'en dépit de ces désordres, elle a toujours réglé son loyer et ses charges. Elle affirme que la bailleresse était parfaitement informée des désordres litigieux et que de tels manquements sont de nature à justifier le bien fondé de son exception d'inexécution.
En tout état de cause, elle fait valoir que les montants réclamés par la bailleresse au titre des indemnités d'occupation sont sans fondement, que tous les versements qu'elle a effectués n'ont pas été pris en considération, étant relevé qu'elle est fondée à refuser le régler les charges qui ne sont pas justifiées depuis plusieurs années. Elle précise avoir également rencontré des difficultés pour honorer ses obligations en 2020-2021 compte tenu de l'épidémie de la COVID, qu'elle a été particulièrement touchée par cette crise, ainsi qu'il en ressort de l'évolution de son chiffre d'affaires.
En vertu de l'article L145-14 du code de commerce, le bailleur peut renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Il convient de rappeler que l'offre d'indemnité d'éviction n'a qu'un caractère provisoire et n'interdit pas la rétractation et le refus de renouvellement sans indemnité si le preneur ne remplit pas les conditions légales du renouvellement.
L'article L 145-28 dispose qu'aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut-être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat expiré.
Il s'ensuit que le maintien dans les lieux s'opère aux conditions et clauses du bail, de sorte que le bailleur peut se prévaloir à l'encontre du preneur des infractions commises après l'expiration du bail, qui peuvent être sanctionnées par la perte du droit à indemnité d'éviction.
Le défaut de paiement de l'indemnité d'occupation, qui constitue un manquement à l'obligation principale du locataire maintenu dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré, peut justifier la déchéance du droit à indemnité d'éviction, sous réserve de l'appréciation par les juges du fond de la gravité du manquement ainsi allégué.
En l'espèce, par acte extra judiciaire du 28 octobre 2003, la SCI Almar a fait signifier à la SARL D Riviera Chauss DRC un congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, pour le 30 avril 2004.
Il n'est pas contesté que par jugement du 20 décembre 2012, confirmé par un arrêt de cette cour, la société D Riviera Chauss a été déboutée de sa demande de nullité du congé. Le bail a donc expiré le 30 avril 2004 et le preneur s'est donc maintenu dans les lieux depuis cette date aux conditions et clauses du contrat de location expiré, étant dès lors tenu de régler le loyer transformé en indemnité d'occupation.
Comme l'a souligné à juste titre le tribunal, si le refus de la SARL D Riviera Chauss de régler le montant de l'indemnité d'occupation fixée par le bailleur dans l'attente d'un jugement peut s'expliquer, celle-ci se devait, en revanche, de régler le montant du loyer dû au niveau qu'elle estimait comme justifié, à savoir 1.891, 75 € par trimestre, hors taxes et hors charges.
La SARL Les Citronniers établit, qu'au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'encontre du preneur le 27 janvier 2022, seize trimestres n'ont pas été réglés:
- 2015: un trimestre,
- 2016: 1er, 3ème et 4ème trimestres,
- 2017: 1er et 2ème trimestres,
- 2018: 1er et 2ème trimestres,
- 2020: 1er, 2ème et 3ème trimestres,
- 2021: 4 trimestres,
- 2022: un trimestre.
Entre 2016 et 2022, elle a adressé 17 mises en demeure à la société appelante, par lettres recommandées avec accusé de réception, d'avoir à respecter ses obligations à ce titre.
Elle a par ailleurs fait délivrer à la preneuse, par acte extra judiciaire du 13 juin 2019, un commandement d'avoir à payer la somme principale de 63.318,15 € au titre des indemnités d'occupation dues à cette date.
La bailleresse produit également les différents relevés de compte de sa locataire sur les différentes périodes considérées, récapitulant notamment les versements reçus.
La société D Riviera Chauss, qui soutient que tous les paiements qu'elle a effectués n'ont pas été pris en considération, doit rapporter la preuve de s'être acquittée de ses obligations à ce titre.
En cause d'appel, elle produit pour la première fois les bilans et comptes de résultat sur la période de mai 2015 à avril 2021 ( pièces 34 à 39). Les comptes tels que présentés ne permettent pas de déterminer si les sommes qu'elle affirme avoir réglées, ont été effectivement payées à son bailleur au titre des indemnités d'occupation.
Comme le relève la SARL Les Citronniers, il n'est pas communiqué l'extrait du ' compte fournisseur loyer' ou le grand livre. En outre, la société appelante ne produit ni les justificatifs des virements prétendument opérés, ni davantage ses relevés bancaires, lesquels auraient permis de vérifier de manière certaine la réalité des paiements allégués.
Les impayés déplorés par la société intimée sont donc établis.
S'agissant de l'exception d'inexécution qui est opposée par la société preneuse pour la première fois en cause d'appel, il y a lieu de rappeler que celle-ci n'est admise que lorsqu'il existe une impossibilité totale d'utiliser les locaux loués au regard de l'activité prévue au bail.
Il appartient, en conséquence, à la société D Riviera Chauss qui n'a pas réglé les indemnités d'occupation dont elle est redevable pour la période de 2015 à 2022 ( soit 16 trimestres), de caractériser durant cette période l'impossibilité d'exploiter son commerce.
La cour observe que celle-ci prétend en premier lieu avoir été victime de 24 sinistres dégâts des eaux entre 1995 et 1999, à savoir durant une période où la SARL Les Citronniers n'était pas propriétaire des locaux donnés à bail et de tels événements ne sauraient, en toute hypothèse, justifier le non paiement des indemnités d'occupation entre 2015 et 2022, soit plus de 20 ans après.
L'appelante a certes communiqué le 25 avril 2024, soit trente ans après les faits allégués, des pièces datant de 1995 à 2003 notamment des courriers qui auraient été adressés aux bailleurs de l'époque ou l'ancien administrateur du bien mais ne précise pas quelle suite a pu être donnée à ses sinistres, étant observé que:
- pour la période de 2006 à décembre 2018, elle ne s'est jamais plainte d'un quelconque désordre de ce type auprès de la SARL Les Citronniers, alors que parallèlement elle était destinataire de multiples mises en demeure lui rappelant son obligation de s'acquitter du paiement des indemnités d'occupation,
- les comptes sociaux qui sont versés pour la période de 2015 à 2021 attestent que la preneuse a réalisé un chiffre d'affaires et n'était donc pas dans l'impossibilité d'exploiter son fonds de commerce,
- elle soutient avoir été victime de nouveaux sinistres en 2019 ( avril et novembre) mais ne démontre pas en avoir informé son bailleur, aucun courrier en ce sens n'étant produit, les pièces 28 à 31 qu'elle verse et qui constituent les seules lettres qu'elle a adressées à l'intimé ne font à aucun moment état de désordres mais concernent des contestations sur le montant des charges qui lui sont réclamées,
- la lecture du rapport d'expertise judiciaire déposé le 28 mai 2018 ne mentionne à aucun endroit l'existence de dégâts des eaux, la description des locaux loués ne faisant pas référence à de telles difficultés qui n'ont pas davantage été évoquées par la société preneuse.
Cette dernière ne peut en aucun cas se faire justice à lui-même et venir opposer l'exception d'inexécution, pour la première fois en cause d'appel, pour refuser le paiement du loyer sur une période bien postérieure à l'existence des sinistres déplorés et dont il n'est aucunement établi qu'ils ont empêché une jouissance paisible des locaux, ni davantage que le bailleur ait été informé d'une difficulté à ce titre.
Le non-paiement des indemnités d'occupation à la date d'exigibilité de façon récurrente et dans des proportions plus que conséquentes puisqu'il est établi que seize trimestres n'ont pas été réglés sur la période entre 2015 et 2021 constitue un manquement suffisamment grave de la part de la société D Riviera Chauss à ses obligations contractuelles justifiant la déchéance du droit au paiement de l'indemnité d'éviction.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
Sur l'indemnité d'occupation
Les dispositions du jugement entrepris ayant retenu que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation présentée par la SALR Les Citronniers n'était pas prescrite, ne font l'objet d'aucune discussion en cause d'appel.
La SARL Les Citronniers sollicite la confirmation de cette décision en ce qu'elle a arrêté le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 73.206, 65 € pour la période du 1er mai 2015 au 30 mai 2021. Elle sollicite notamment que le coefficient d'abattement soit fixé à 40% au lieu de 60% retenu à tort par l'expert judiciaire.
Elle précise qu'il ressort des termes du bail que la TVA est à verser par le preneur en sus du loyer et que le maintien dans les loyers à l'issue du congé avec refus de renouvellement s'opère aux mêmes charges et conditions que le bail expiré.
La SARL D Riviera Chauss DRC sollicite, pour sa part, la fixation d'un coefficient de précarité à 60% conformément à l'analyse de l'expert judiciaire, que l'acquisition qu'elle a fait du droit au bail du local dénommé [J] ne représente aucunement un investissement mais n'est que la conséquence de son impossibilité de vendre son fonds de commerce et son droit au bail compte tenu de la procédure en cours. Elle considère par ailleurs qu'elle n'est pas redevable de la TVA, le bail commercial ne faisant aucune référence au paiement d'un tel impôt alors que pour être mis à la charge du preneur, une clause expresse est nécessaire.
Elle estime, enfin , que c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté du calcul de cette indemnité, les charges de copropriété, la taxe foncière et les frais et accessoires parfaitement injustifiés.
La bailleresse et la preneuse ne discutent pas le calcul de la valeur locative du marché tel qu'effectué par le tribunal sur la base du rapport d'expertise judiciaire qui fournit un tableau annuel mentionnant les valeurs locatives successives du 1er mai 2004 au 1er mai 2019, le dernier montant étant de 23.919 €. L'évolution de l'indice du coût de la construction depuis lors ( 1629 le 1er mai 2018 et 1703 depuis le 1er mai 2019) porte la valeur locative du marché 25.005, 56 € à compter du 1er mai 2019.
En revanche, les parties s'opposent sur l'abattement à appliquer sur cette valeur locative pour tenir compte de la précarité de la situation de l'occupant résultant du seul fait de l'extinction du bail.
Le coefficient de précarité est, en effet, destiné à compenser le préjudice résultant du caractère précaire de cette occupation mais ne vise en aucun cas à sanctionner le bailleur.
L'expert judiciaire, après avoir indiqué que les coefficients généralement appliqués varient entre 10% et 30%, propose en l'espèce de retenir un taux de 60% en raison de la durée particulièrement longue de la procédure.
Or, sauf exceptions particulières, il est d'usage de fixer l'abattement à 10%. Il en est toutefois différemment lorsque certains éléments d'appréciation entraînent un préjudice supplémentaire. Tel est le cas face à une procédure particulièrement longue et incertaine, de nature à limiter la pleine jouissance de l'outil d'exploitation, s'accompagnant d'une prudence et d'une mise en veille des investissements à réaliser. Dans de telles situations, le taux de précarité peut atteindre 40%.
En considération de ces éléments, un abattement de 60% est excessif et ne correspond pas à la pratique. En outre, il résulte du rapport d'expertise que la société D Riviera Chass disposait d'un second magasin à proximité en vue de préparer son déménagement et dont elle s'est séparée en 2013, de sorte que comme l'a relevé à juste titre le tribunal, la précarité de la situation de l'appelante ne l'a pas empêchée de réaliser des investissements. Enfin, la longueur de la procédure est largement imputable aux actions et à l'inertie de la preneuse.
Par conséquent, le coefficient de précarité ne saurait excéder 40% .
S'agissant de la TVA, le bail liant les parties stipule au paragraphe ' loyer' que:
' Le présent bail est consenti moyennant un loyer annuel en principal de 30.660 francs que le preneur s'oblige à payer au bailleur ou à son mandataire, d'avance par trimestre (...) Le droit de bail et la taxe additionnelle seront acquittés par le preneur au taux en vigueur avec échéance de loyer'.
La TVA est donc à verser par le preneur en sus du loyer.
Par ailleurs, le maintien dans les lieux à la suite d'un refus de renouvellement s'opère aux mêmes charges et conditions que le bail expiré, de sorte que dès lors que la bail prévoit l'assujettissement du loyer à la TVA, celle-ci est due.
Le tribunal a donc de manière exacte retenu que la société D Riviera Chauss était redevable pour la période allant du 1er mai 2015 au 30 juin 2021, du paiement de l'indemnité d'occupation, à laquelle s'ajoute la TVA, à savoir une somme de 73.206, 65 €, l'appelante ne formulant aucune contestation sur ce quantum à l'exception des deux points précédemment abordés tenant au coefficient de précarité et à la TVA.
Sur l'amende civile
C'est en revanche à tort que le tribunal a condamné la société D Riviera Chauss au paiement d'une amende civile de 750 € alors qu'il n'est pas justifié que celle-ci a agi de manière dilatoire ou abusive, le simple fait d'introduire diverses actions et par là d'user de son droit incontestable d'agir en justice ne permettant pas de caractériser un tel abus.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce seul point.
L'équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Vu l'article 696 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Nice déféré sauf en ce qu'il a condamné la SARL D Riviera Chauss DRC à payer une amende civile de 750 € au Trésor Public et sauf à:
- fixer au passif de la procédure collective ouverte au profit de la la SARL D Riviera Chauss DRC , la créance de la SARL Les Citronniers à la somme de 73.206, 65 € au titre de l'indemnité d'occupation pour la période du 1er mai 2015 au 30 juin 2021, incluant les taxes et charges,
- fixer au passif de la procédure collective ouverte au profit de la la SARL D Riviera Chauss DRC , la créance de la SARL Les Citronniers à la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles de première instance,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à condamner la SARL D Riviera Chauss DRC au paiement d'une amende civile au profit du Trésor Public,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Dit que les dépens de la procédure d'appel seront supportés par la SARL D Riviera Chauss DRC, représentée par la SCP [E], prise en la personne de Me [R] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire.