Décisions
CA Nancy, jex, 5 septembre 2024, n° 23/02735
NANCY
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du peuple français
------------------------------------
Cour d'appel de Nancy
Chambre de l'Exécution - JEX
Arrêt n° /24 du 05 SEPTEMBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/02735 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FJJT
Décision déférée à la cour : jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G.n° 23/00606, en date du 11 décembre 2023,
APPELANTE :
COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DES HAUTES-VOSGES
[Adresse 2] venant aux droits de la COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DES HAUTES VOSGES, [Adresse 1] par suite de scission à effet du 1er janvier 2022, elle-même venant aux droits de la COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE LA HAUTE MOSELOTTE [Adresse 2] par suite de fusion à effet du 01 janvier 2017, agissant poursuites et diligences de son président en exercice Monsieur [K] [G]
Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN, avocat au barreau de NANCY
INTIMEE :
S.C.P. LE CARRER-NAJEAN
société civile professionnelle dont le siège social est [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société CARORA FIBRES, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège social se trouve [Adresse 5], immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Epinal sous le n° 819 305 822, nommée à cette fonction par jugement du 24 mars 2020
Représentée par Me Alain BÉGEL de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL substitué par Me Didier MADRID, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Juin 2024, en audience publique devant la cour composée de : Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Mme Christelle CLABAUX-DUWIQUET ;
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement le 05 septembre 2024 date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par, Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seings privés du 21 mai 2016, la communauté de communes de la Haute Moselotte, aux droits de laquelle vient la communauté de communes des Hautes-Vosges, a consenti un bail commercial à la société CARORA FIBRES.
Un gage sans dépossession a été inscrit le 27 mai 2016 et publié sur le registre tenu au greffe du tribunal de commerce d'Epinal au bénéfice de la communauté de communes des Hautes-Vosges sur la ligne de fabrication fibre polyester recyclé, en garantie de la somme de 100 000 euros, selon les états des inscriptions sur les biens de la société CARORA FIBRES au 18 janvier 2019.
La société CARORA FIBRES a été admise au bénéfice d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 22 janvier 2019, qui a désigné la SCP LE CARRER-NAJEAN en qualité de mandataire judiciaire.
La créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges a été admise à titre chirographaire pour 61 805,01 euros, et à titre provisionnel chirographaire pour 43 000 euros, par ordonnance du juge commissaire notifiée à la trésorerie de [Localité 4] le 9 janvier 2020.
Par jugement en date du 24 mars 2020, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé la liquidation judiciaire de la société CARORA FIBRES, et a nommé la SCP LE CARRER-NAJEAN en qualité de liquidateur judiciaire, la maintenant en qualité de mandataire judiciaire afin de terminer sa mission.
Par jugement en date du 24 mars 2020 notifié aux parties le même jour, le tribunal de commerce d'Épinal a reçu l'offre de reprise présentée par M. [R] [Z] et arrêté le plan de cession des actifs de la société CARORA FIBRES SA à son profit, et a " affecté pour chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et ce conformément aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, une quote-part du prix, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence, comme suit:
- 30 800 euros pour la totalité des biens nantis au titre de deux nantissements au profit de la Société Générale,
- 50 400 euros pour la totalité des biens gagés au titre d'un gage au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges, venant aux droits de la communauté de communes de la Haute Moselotte, "
- et a pris acte de la réception d'un virement d'un montant de 160 000 euros, émanant de INREST LLC en l'étude de la SCP LE CARRER-NAJEAN, mandataire judiciaire, correspondant au prix de cession.
Par courrier du 16 juin 2021, la communauté de communes des Hautes-Vosges a interrogé la SCP LE CARRER-NAJEAN sur les perspectives de règlement de sa créance, et par courrier du 1er juillet 2021, la SCP LE CARRER-NAJEAN a répondu " que la créance de la communauté de communes des Hautes Vosges a été déclarée et admise à titre chirographaire selon déclaration du 26 février 2019 effectuée par la trésorerie de Gérardmer. (...) De ce fait, en l'absence d'admission privilégiée, votre communauté de communes ne peut venir en rang utile sur la quote-part fixée par le tribunal et ne pourra bénéficier que d'éventuelles répartitions aux créanciers chirographaires. En l'occurrence, en l'absence d'actif suffisant, il est malheureusement déjà acquis que les créanciers chirographaires n'ont aucun espoir de percevoir un dividende dans cette procédure ".
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 15 novembre 2021, le conseil de la communauté de communes des Hautes-Vosges a invité la SCP LE CARRER-NAJEAN à verser à sa mandante la somme de 50 400 euros dans un délai de huit jours, en indiquant que l'acte de cession du fonds de commerce est intervenu en exécution du jugement du 24 mars 2020 qui est opposable à tous, comprenant le mandataire judiciaire. Par courrier du 2 décembre 2021, la SCP LE CARRER-NAJEAN n'a pas répondu favorablement à cette demande, en rappelant que l'affectation d'une quote-part du prix de cesssion au regard de l'état des inscriptions et de l'inventaire ne préjugeait en aucune façon de l'admission à titre
gagé ou nanti des créances que pourraient détenir les bénéficiaires de ces sûretés, et que l'admission de sa créance au passif de la liquidation judiciaire à titre chirographaire était définitive.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 21 avril 2022, la communauté de communes des Hautes-Vosges a mis la SCP LE CARRER-NAJEAN en demeure de lui verser la somme de 50 400 euros. Par courrier en réponse du 6 mai 2022, le liquidateur s'est opposé au paiement en indiquant que le montant du superprivilège excédait les fonds disponibles à répartir aux créanciers.
- o0o-
Par acte de commissaire de justice délivré le 30 mars 2023, la communauté de communes des Hautes-Vosges a fait assigner la SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal, afin de voir assortir le jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2020 d'une astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.
La SCP LE CARRER-NAJEAN a conclu in limine litis à l'incompétence du juge de l'exécution au profit du juge commissaire à la liquidation de la société CARORA FIBRES, et sur le fond, au débouté des demandes.
Par jugement en date du 11 décembre 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal a :
- débouté la communauté de communes des Hautes-Vosges de sa demande tendant à voir condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN à exécuter sous astreinte les dispositions du jugement rendu le 24 mars 2020 par le tribunal de commerce d'Epinal, affectant pour chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, et ce conformément aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, une quote-part du prix, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence,
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
- débouté la communauté de communes des Hautes-Vosges de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la communauté de communes des Hautes-Vosges à verser à la SCP LE CARRER-NAJEAN la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la communauté de communes des Hautes-Vosges aux dépens,
- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.
Le juge a retenu sa compétence à connaître des demandes sur le fondement de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution.
Il a déclaré qu'en vertu des dispositions de l'article R. 121-1 dudit code, il lui appartenait de fixer le sens de la décision dont l'exécution est poursuivie. Il a jugé que les dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce avaient pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence et ne dérogeaient pas à l'ordre des privilèges et sûretés, et qu'elles n'autorisaient pas qu'une partie du prix de cession soit réservée aux créanciers chirographaires. Le juge a constaté qu'au regard de l'admission de la créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges à titre chirographaire, la SCP LE CARRER-NAJEAN était fondée à l'exclure de la répartition du prix de cession, en ce que le jugement du 24 mars 2020 avait vocation à déterminer l'assiette du droit de préférence et la quote-part pouvant être attribuée à chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque.
- o0o-
Le 28 décembre 2023, la communauté de communes des Hautes-Vosges a formé appel du jugement tendant à son annulation ou sa réformation en tous ses chefs critiqués.
Dans ses dernières conclusions transmises le 13 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la communauté de communes des Hautes-Vosges, appelante, demande à la cour sur le fondement des articles L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution et L. 642-12 du code de commerce :
- d'infirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal en date du 11 décembre 2023,
Et statuant à nouveau, après avoir constaté, qu'à la date du jugement de cession des actifs de la société CARORA FIBRES, elle était titulaire d'une créance de 82 696,51 euros (dont une créance antérieure à l'ouverture de la procédure d'un montant de 55 805,01 euros) et d'un droit de rétention grevant la ligne de fabrication de fibres polyester recyclées,
- de condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN à exécuter le jugement du 24 mars 2020 en répartissant à son profit la somme de 82 696,51 euros correspondant à sa créance à la date de la cession ou, à tout le moins, la somme de 50 400 euros sur les fonds consignés à la Caisse des Dépôts et Consignation, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- de débouter la SCP LE CARRER-NAJEAN de ses demandes, fins et prétentions contraires et plus amples,
- de condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de la procédure de première instance et de la procédure d'appel,
- de condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses demandes, la communauté de communes des Hautes-Vosges fait valoir en substance :
- qu'il appartient à la SCP LE CARRER-NAJEAN de procéder à la répartition du prix de vente conformément au jugement de cession du 24 mars 2020, définitif et pleinement exécutoire, s'agissant d'une décision de justice qui a autorité de la chose jugée, et qu'elle n'a aucun moyen de l'y contraindre au regard de l'insaisissabilité du prix de vente consigné à la Caisse des Dépôts et Consignation ;
- que la SCP LE CARRER-NAJEAN tente d'introduire un débat sur l'interprétation à donner du jugement qui n'a pas lieu d'être, compte tenu de la clarté des termes du jugement ; qu'elle avait expressément demandé au tribunal le paiement à son profit de la somme de 82 696,51 euros en raison de son droit de rétention résultant de son gage sur la ligne de fabrication fibres polyester recyclée ; que la SCP LE CARRER-NAJEAN avait sollicité du tribunal d'être autorisée à transmettre un inventaire détaillé pour lui permettre d'affecter une quote-part du prix de cession pour chacun des biens faisant l'objet d'un gage ou d'un nantissement, sans exclusion du gage dont elle bénéficiait ; les questions du droit et de l'étendue de ses droits dans la répartition du prix de cession ont bien été évoquées lors des débats ayant donné lieu au jugement du 24 mars 2020 ; que la détermination de la quote-part du prix de cession s'inscrit dans le cadre de la répartition du prix ; que le jugement du 24 mars 2020 contient l'obligation faite au liquidateur de répartir à son profit la somme de 50 400 euros ;
- que le liquidateur a la faculté de distribuer le prix en se référant à l'état des créances, et qu'il devait payer sa créance, et à tout le moins la quote-part du prix qui lui était réservée par le tribunal dans son jugement de plan de cession du 24 mars 2020 ; que selon l'article L. 642-12 du code de commerce, le droit de rétention survit à la déclaration de créance simplement chirographaire, et autorise un paiement du créancier en dehors de tout concours avec les autres créanciers ; que dès lors que le rétenteur, titulaire d'un gage régulièrement acquis sur des éléments compris dans l'actif cédé, a déclaré au passif sa créance, le liquidateur judiciaire ne peut retirer la chose retenue qu'en payant, avec l'autorisation du juge-commissaire, cette créance, et il peut aussi procéder à sa réalisation, sous la même autorisation, dans les six mois de la liquidation, le droit de rétention du créancier étant de plein droit reporté sur le prix ; qu'en l'absence de disposition légale en ce sens, le créancier rétenteur ne peut être contraint de se dessaisir du bien qu'il retient légitimement que par le paiement du montant de la créance qu'il a déclarée, et non par celui d'une quote-part du prix de cession qui serait affectée à ce bien pour l'exercice du droit de préférence ; que les dispositions légales autorisaient donc la communauté de communes à obtenir le paiement de toutes les sommes qui lui étaient dues à la date de la cession, soit 82 696,51 euros correspondant à sa créance échue antérieure à l'ouverture de la procédure d'un montant de 55 805,01 euros et à sa créance de loyers et charges postérieurs à l'ouverture de la procédure d'un montant de 26 891,50 euros ;
- que la répartition du prix de vente claire et non équivoque dans le jugement de cession à son profit ne saurait être interprétée par le juge de l'exécution comme étant liée à la position chirographaire ou non de l'appelante au passif de la procédure pour la débouter
de sa demande de répartition sous astreinte ; que le juge de l'exécution a procédé à une dénaturation des termes du jugement en liant la répartition du prix de vente à l'admission chirographaire de la créance de l'appelante ; que les dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce ne font aucune référence aux dispositions légales ou réglementaires régissant l'admission des créances au passif, mais uniquement à l'existence de biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque dans le périmètre de la cession ; que le dernier alinéa prévoit expressément que le droit de rétention acquis par un créancier sur des biens compris dans la cession n'est pas affecté par la répartition de la quote-part du prix entre les créanciers ; que le régime instituant le paiement sur une quote-part du prix de cession affecté au bien est expressément exclu pour les créanciers gagistes titulaires d'un droit de rétention quel qu'il soit, ceux-ci pouvant donc toujours obtenir le paiement immédiat de leur créance en application de l'article L. 642-12 dernier alinéa du code de commerce ;
- que le jugement a été rendu en pleine connaissance de cause du caractère chirographaire de la créance résultant de l'ordonnance du juge-commissaire ; que le tribunal a décidé de répartir une quote-part du prix de cession à son profit en ce qu'elle était bien titulaire au jour du jugement de cession d'un gage sans dépossession, dont le liquidateur judiciaire lui-même a fait état en communiquant aux débats l'état des inscriptions de gages délivré par le greffe du tribunal de commerce d'Epinal et en établissant une note en délibéré favorable à la répartition du prix à son profit.
Dans ses dernières conclusions transmises le 29 avril 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCP LE CARRER-NAJEAN, intimée, demande à la cour :
- de confirmer purement et simplement le jugement rendu par le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire d'Epinal le 11 décembre 2023,
Y ajoutant,
- de condamner la communauté de communes des Hautes-Vosges à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la communauté de communes des Hautes-Vosges aux dépens d'appel.
Au soutien de ses demandes, la SCP LE CARRER-NAJEAN fait valoir en substance :
- que dans son jugement du 24 mars 2020, le tribunal de commerce s'est conformé aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce en affectant à chacun des biens de la société CARORA FIBRES grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, une quote-part du prix de cession, à savoir 50 400 euros au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges ; mais que pour se voir attribuer cette quote-part du prix de cession, encore faut-il que le créancier bénéficiaire puisse se prévaloir d'une créance garantie par cette sûreté ; or, au cas d'espèce, la créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges a dégénéré en créance chirographaire ;
- que le tribunal n'a fait qu'affecter une quote-part du prix sans ordonner son paiement ;
que cette affectation est un préalable indispensable pour permettre au liquidateur d'établir l'ordre des créanciers sur chaque bien faisant l'objet d'une sûreté publiée, et ainsi de répartir le prix en fonction de l'ordre de préférence établi entre ces créanciers ; que la communauté de communes des Hautes-Vosges admise à titre chirographaire ne peut donc venir en rang utile ; que si le jugement ordonnait le paiement de la quote-part au(x) seul(s) créancier(s) inscrit(s) sur le bien grevé, cela pourrait revenir à passer outre les règles de répartition, qui sont d'ordre public, au bénéfice du seul créancier nanti, alors que sa créance est primée par le privilège du Trésor Public et le privilège du bailleur ;
- que si la communauté de communes des Hautes-Vosges était effectivement détentrice d'un droit de rétention effectivement attaché au créancier bénéficiaire d'une inscription de gage sans dépossession (droit de rétention fictif), elle a perdu toutes les prérogatives attachées à l'inscription initiale, en ce compris le droit de rétention, parce que sa créance n'a été admise qu'à titre chirographaire ; que par ailleurs, la communauté de communes ne s'est à aucun moment prévalue de ce droit de rétention devant le tribunal de commerce.
- o0o-
La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'existence d'une créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges à l'encontre de la SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, résultant du jugement du 24 mars 2020
L'article L. 642-12 du code de commerce, dans sa version applicable issue de l'ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014, dispose que lorsque la cession porte sur des biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, le tribunal affecte à chacun de ces biens, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence, la quote-part du prix, déterminée au vu de l'inventaire et de la prisée des actifs, et correspondant au rapport entre la valeur de ce bien et la valeur totale des actifs cédés.
Aussi, le dispositif du jugement arrêtant le plan de cession doit précisément affecter une quote-part du montant du prix à chacun des biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, ayant pour effet de limiter le droit de préférence à la valeur que le tribunal aura attribué au bien grevé.
En l'espèce, le jugement du tribunal de commerce d'Epinal en date du 24 mars 2020 a " affecté pour chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et ce conformément aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, une quote-part du prix, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence, comme suit:
- 30 800 euros pour la totalité des biens nantis au titre de deux nantissements au profit de la Société Générale,
- 50 400 euros pour la totalité des biens gagés au titre d'un gage au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges, venant aux droits de la communauté de communes de la Haute Moselotte ".
Or, tel que retenu à juste titre par le juge de l'exécution, ces dispositions ont uniquement pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence et ne dérogent pas à l'ordre de paiement des créanciers prévu par l'article L. 643-13 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 (article L. 643-8 à ce jour).
En effet, la quote-part du prix de cession affectée aux biens grevés, déposée à la Caisse des Dépôts et Consignation, permet de déterminer un droit simplement théorique qui diffère du droit effectif, puisqu'il devra être tenu compte des droits des créanciers de rang préférable.
Par suite, le jugement arrêtant la cession ne pouvait avoir pour effet de créer un privilège en faveur de la communauté de communes des Hautes-Vosges, titulaire d'une créance chirographaire selon ordonnance définitive du juge commissaire notifiée le 9 janvier 2020.
Dans ces conditions, il en résulte que le jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2020 n'a pas ordonné le paiement d'une somme au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges en sa qualité de créancier inscrit, mais a fixé l'affectation du prix de cession sur les différents actifs grevés pour l'exercice du droit de préférence des créanciers régulièrement inscrits.
Au surplus, la communauté de communes des Hautes-Vosges ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l'exécution du dernier alinéa de l'article L. 642-12 dudit code selon lequel " les dispositions du présent article n'affectent pas le droit de rétention acquis par un créancier sur des biens compris dans la cession ", en ce qu'il n'entre pas dans ses pouvoirs de modifier le jugement du 24 mars 2020, désormais définitif.
Dès lors, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte le dispositif du jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2020 ayant affecté aux biens grevés d'un gage sans dépossession pris par la communauté de communes des Hautes-Vosges une quote-part du montant du prix de cession.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La communauté de communes des Hautes-Vosges qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens d'appel, et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
La SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, a dû engager des frais non compris dans les dépens afin d'assurer sa défense, de sorte qu'il convient de lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE la communauté de communes des Hautes-Vosges de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la communauté de communes des Hautes-Vosges à payer à la SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la communauté de communes des Hautes-Vosges aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Minute en sept pages.
Au nom du peuple français
------------------------------------
Cour d'appel de Nancy
Chambre de l'Exécution - JEX
Arrêt n° /24 du 05 SEPTEMBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/02735 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FJJT
Décision déférée à la cour : jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G.n° 23/00606, en date du 11 décembre 2023,
APPELANTE :
COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DES HAUTES-VOSGES
[Adresse 2] venant aux droits de la COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DES HAUTES VOSGES, [Adresse 1] par suite de scission à effet du 1er janvier 2022, elle-même venant aux droits de la COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE LA HAUTE MOSELOTTE [Adresse 2] par suite de fusion à effet du 01 janvier 2017, agissant poursuites et diligences de son président en exercice Monsieur [K] [G]
Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN, avocat au barreau de NANCY
INTIMEE :
S.C.P. LE CARRER-NAJEAN
société civile professionnelle dont le siège social est [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société CARORA FIBRES, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège social se trouve [Adresse 5], immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Epinal sous le n° 819 305 822, nommée à cette fonction par jugement du 24 mars 2020
Représentée par Me Alain BÉGEL de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL substitué par Me Didier MADRID, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Juin 2024, en audience publique devant la cour composée de : Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Mme Christelle CLABAUX-DUWIQUET ;
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement le 05 septembre 2024 date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par, Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seings privés du 21 mai 2016, la communauté de communes de la Haute Moselotte, aux droits de laquelle vient la communauté de communes des Hautes-Vosges, a consenti un bail commercial à la société CARORA FIBRES.
Un gage sans dépossession a été inscrit le 27 mai 2016 et publié sur le registre tenu au greffe du tribunal de commerce d'Epinal au bénéfice de la communauté de communes des Hautes-Vosges sur la ligne de fabrication fibre polyester recyclé, en garantie de la somme de 100 000 euros, selon les états des inscriptions sur les biens de la société CARORA FIBRES au 18 janvier 2019.
La société CARORA FIBRES a été admise au bénéfice d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 22 janvier 2019, qui a désigné la SCP LE CARRER-NAJEAN en qualité de mandataire judiciaire.
La créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges a été admise à titre chirographaire pour 61 805,01 euros, et à titre provisionnel chirographaire pour 43 000 euros, par ordonnance du juge commissaire notifiée à la trésorerie de [Localité 4] le 9 janvier 2020.
Par jugement en date du 24 mars 2020, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé la liquidation judiciaire de la société CARORA FIBRES, et a nommé la SCP LE CARRER-NAJEAN en qualité de liquidateur judiciaire, la maintenant en qualité de mandataire judiciaire afin de terminer sa mission.
Par jugement en date du 24 mars 2020 notifié aux parties le même jour, le tribunal de commerce d'Épinal a reçu l'offre de reprise présentée par M. [R] [Z] et arrêté le plan de cession des actifs de la société CARORA FIBRES SA à son profit, et a " affecté pour chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et ce conformément aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, une quote-part du prix, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence, comme suit:
- 30 800 euros pour la totalité des biens nantis au titre de deux nantissements au profit de la Société Générale,
- 50 400 euros pour la totalité des biens gagés au titre d'un gage au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges, venant aux droits de la communauté de communes de la Haute Moselotte, "
- et a pris acte de la réception d'un virement d'un montant de 160 000 euros, émanant de INREST LLC en l'étude de la SCP LE CARRER-NAJEAN, mandataire judiciaire, correspondant au prix de cession.
Par courrier du 16 juin 2021, la communauté de communes des Hautes-Vosges a interrogé la SCP LE CARRER-NAJEAN sur les perspectives de règlement de sa créance, et par courrier du 1er juillet 2021, la SCP LE CARRER-NAJEAN a répondu " que la créance de la communauté de communes des Hautes Vosges a été déclarée et admise à titre chirographaire selon déclaration du 26 février 2019 effectuée par la trésorerie de Gérardmer. (...) De ce fait, en l'absence d'admission privilégiée, votre communauté de communes ne peut venir en rang utile sur la quote-part fixée par le tribunal et ne pourra bénéficier que d'éventuelles répartitions aux créanciers chirographaires. En l'occurrence, en l'absence d'actif suffisant, il est malheureusement déjà acquis que les créanciers chirographaires n'ont aucun espoir de percevoir un dividende dans cette procédure ".
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 15 novembre 2021, le conseil de la communauté de communes des Hautes-Vosges a invité la SCP LE CARRER-NAJEAN à verser à sa mandante la somme de 50 400 euros dans un délai de huit jours, en indiquant que l'acte de cession du fonds de commerce est intervenu en exécution du jugement du 24 mars 2020 qui est opposable à tous, comprenant le mandataire judiciaire. Par courrier du 2 décembre 2021, la SCP LE CARRER-NAJEAN n'a pas répondu favorablement à cette demande, en rappelant que l'affectation d'une quote-part du prix de cesssion au regard de l'état des inscriptions et de l'inventaire ne préjugeait en aucune façon de l'admission à titre
gagé ou nanti des créances que pourraient détenir les bénéficiaires de ces sûretés, et que l'admission de sa créance au passif de la liquidation judiciaire à titre chirographaire était définitive.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 21 avril 2022, la communauté de communes des Hautes-Vosges a mis la SCP LE CARRER-NAJEAN en demeure de lui verser la somme de 50 400 euros. Par courrier en réponse du 6 mai 2022, le liquidateur s'est opposé au paiement en indiquant que le montant du superprivilège excédait les fonds disponibles à répartir aux créanciers.
- o0o-
Par acte de commissaire de justice délivré le 30 mars 2023, la communauté de communes des Hautes-Vosges a fait assigner la SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal, afin de voir assortir le jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2020 d'une astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.
La SCP LE CARRER-NAJEAN a conclu in limine litis à l'incompétence du juge de l'exécution au profit du juge commissaire à la liquidation de la société CARORA FIBRES, et sur le fond, au débouté des demandes.
Par jugement en date du 11 décembre 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal a :
- débouté la communauté de communes des Hautes-Vosges de sa demande tendant à voir condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN à exécuter sous astreinte les dispositions du jugement rendu le 24 mars 2020 par le tribunal de commerce d'Epinal, affectant pour chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, et ce conformément aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, une quote-part du prix, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence,
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
- débouté la communauté de communes des Hautes-Vosges de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la communauté de communes des Hautes-Vosges à verser à la SCP LE CARRER-NAJEAN la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la communauté de communes des Hautes-Vosges aux dépens,
- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.
Le juge a retenu sa compétence à connaître des demandes sur le fondement de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution.
Il a déclaré qu'en vertu des dispositions de l'article R. 121-1 dudit code, il lui appartenait de fixer le sens de la décision dont l'exécution est poursuivie. Il a jugé que les dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce avaient pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence et ne dérogeaient pas à l'ordre des privilèges et sûretés, et qu'elles n'autorisaient pas qu'une partie du prix de cession soit réservée aux créanciers chirographaires. Le juge a constaté qu'au regard de l'admission de la créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges à titre chirographaire, la SCP LE CARRER-NAJEAN était fondée à l'exclure de la répartition du prix de cession, en ce que le jugement du 24 mars 2020 avait vocation à déterminer l'assiette du droit de préférence et la quote-part pouvant être attribuée à chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque.
- o0o-
Le 28 décembre 2023, la communauté de communes des Hautes-Vosges a formé appel du jugement tendant à son annulation ou sa réformation en tous ses chefs critiqués.
Dans ses dernières conclusions transmises le 13 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la communauté de communes des Hautes-Vosges, appelante, demande à la cour sur le fondement des articles L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution et L. 642-12 du code de commerce :
- d'infirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal en date du 11 décembre 2023,
Et statuant à nouveau, après avoir constaté, qu'à la date du jugement de cession des actifs de la société CARORA FIBRES, elle était titulaire d'une créance de 82 696,51 euros (dont une créance antérieure à l'ouverture de la procédure d'un montant de 55 805,01 euros) et d'un droit de rétention grevant la ligne de fabrication de fibres polyester recyclées,
- de condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN à exécuter le jugement du 24 mars 2020 en répartissant à son profit la somme de 82 696,51 euros correspondant à sa créance à la date de la cession ou, à tout le moins, la somme de 50 400 euros sur les fonds consignés à la Caisse des Dépôts et Consignation, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- de débouter la SCP LE CARRER-NAJEAN de ses demandes, fins et prétentions contraires et plus amples,
- de condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de la procédure de première instance et de la procédure d'appel,
- de condamner la SCP LE CARRER-NAJEAN aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses demandes, la communauté de communes des Hautes-Vosges fait valoir en substance :
- qu'il appartient à la SCP LE CARRER-NAJEAN de procéder à la répartition du prix de vente conformément au jugement de cession du 24 mars 2020, définitif et pleinement exécutoire, s'agissant d'une décision de justice qui a autorité de la chose jugée, et qu'elle n'a aucun moyen de l'y contraindre au regard de l'insaisissabilité du prix de vente consigné à la Caisse des Dépôts et Consignation ;
- que la SCP LE CARRER-NAJEAN tente d'introduire un débat sur l'interprétation à donner du jugement qui n'a pas lieu d'être, compte tenu de la clarté des termes du jugement ; qu'elle avait expressément demandé au tribunal le paiement à son profit de la somme de 82 696,51 euros en raison de son droit de rétention résultant de son gage sur la ligne de fabrication fibres polyester recyclée ; que la SCP LE CARRER-NAJEAN avait sollicité du tribunal d'être autorisée à transmettre un inventaire détaillé pour lui permettre d'affecter une quote-part du prix de cession pour chacun des biens faisant l'objet d'un gage ou d'un nantissement, sans exclusion du gage dont elle bénéficiait ; les questions du droit et de l'étendue de ses droits dans la répartition du prix de cession ont bien été évoquées lors des débats ayant donné lieu au jugement du 24 mars 2020 ; que la détermination de la quote-part du prix de cession s'inscrit dans le cadre de la répartition du prix ; que le jugement du 24 mars 2020 contient l'obligation faite au liquidateur de répartir à son profit la somme de 50 400 euros ;
- que le liquidateur a la faculté de distribuer le prix en se référant à l'état des créances, et qu'il devait payer sa créance, et à tout le moins la quote-part du prix qui lui était réservée par le tribunal dans son jugement de plan de cession du 24 mars 2020 ; que selon l'article L. 642-12 du code de commerce, le droit de rétention survit à la déclaration de créance simplement chirographaire, et autorise un paiement du créancier en dehors de tout concours avec les autres créanciers ; que dès lors que le rétenteur, titulaire d'un gage régulièrement acquis sur des éléments compris dans l'actif cédé, a déclaré au passif sa créance, le liquidateur judiciaire ne peut retirer la chose retenue qu'en payant, avec l'autorisation du juge-commissaire, cette créance, et il peut aussi procéder à sa réalisation, sous la même autorisation, dans les six mois de la liquidation, le droit de rétention du créancier étant de plein droit reporté sur le prix ; qu'en l'absence de disposition légale en ce sens, le créancier rétenteur ne peut être contraint de se dessaisir du bien qu'il retient légitimement que par le paiement du montant de la créance qu'il a déclarée, et non par celui d'une quote-part du prix de cession qui serait affectée à ce bien pour l'exercice du droit de préférence ; que les dispositions légales autorisaient donc la communauté de communes à obtenir le paiement de toutes les sommes qui lui étaient dues à la date de la cession, soit 82 696,51 euros correspondant à sa créance échue antérieure à l'ouverture de la procédure d'un montant de 55 805,01 euros et à sa créance de loyers et charges postérieurs à l'ouverture de la procédure d'un montant de 26 891,50 euros ;
- que la répartition du prix de vente claire et non équivoque dans le jugement de cession à son profit ne saurait être interprétée par le juge de l'exécution comme étant liée à la position chirographaire ou non de l'appelante au passif de la procédure pour la débouter
de sa demande de répartition sous astreinte ; que le juge de l'exécution a procédé à une dénaturation des termes du jugement en liant la répartition du prix de vente à l'admission chirographaire de la créance de l'appelante ; que les dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce ne font aucune référence aux dispositions légales ou réglementaires régissant l'admission des créances au passif, mais uniquement à l'existence de biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque dans le périmètre de la cession ; que le dernier alinéa prévoit expressément que le droit de rétention acquis par un créancier sur des biens compris dans la cession n'est pas affecté par la répartition de la quote-part du prix entre les créanciers ; que le régime instituant le paiement sur une quote-part du prix de cession affecté au bien est expressément exclu pour les créanciers gagistes titulaires d'un droit de rétention quel qu'il soit, ceux-ci pouvant donc toujours obtenir le paiement immédiat de leur créance en application de l'article L. 642-12 dernier alinéa du code de commerce ;
- que le jugement a été rendu en pleine connaissance de cause du caractère chirographaire de la créance résultant de l'ordonnance du juge-commissaire ; que le tribunal a décidé de répartir une quote-part du prix de cession à son profit en ce qu'elle était bien titulaire au jour du jugement de cession d'un gage sans dépossession, dont le liquidateur judiciaire lui-même a fait état en communiquant aux débats l'état des inscriptions de gages délivré par le greffe du tribunal de commerce d'Epinal et en établissant une note en délibéré favorable à la répartition du prix à son profit.
Dans ses dernières conclusions transmises le 29 avril 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCP LE CARRER-NAJEAN, intimée, demande à la cour :
- de confirmer purement et simplement le jugement rendu par le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire d'Epinal le 11 décembre 2023,
Y ajoutant,
- de condamner la communauté de communes des Hautes-Vosges à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la communauté de communes des Hautes-Vosges aux dépens d'appel.
Au soutien de ses demandes, la SCP LE CARRER-NAJEAN fait valoir en substance :
- que dans son jugement du 24 mars 2020, le tribunal de commerce s'est conformé aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce en affectant à chacun des biens de la société CARORA FIBRES grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, une quote-part du prix de cession, à savoir 50 400 euros au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges ; mais que pour se voir attribuer cette quote-part du prix de cession, encore faut-il que le créancier bénéficiaire puisse se prévaloir d'une créance garantie par cette sûreté ; or, au cas d'espèce, la créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges a dégénéré en créance chirographaire ;
- que le tribunal n'a fait qu'affecter une quote-part du prix sans ordonner son paiement ;
que cette affectation est un préalable indispensable pour permettre au liquidateur d'établir l'ordre des créanciers sur chaque bien faisant l'objet d'une sûreté publiée, et ainsi de répartir le prix en fonction de l'ordre de préférence établi entre ces créanciers ; que la communauté de communes des Hautes-Vosges admise à titre chirographaire ne peut donc venir en rang utile ; que si le jugement ordonnait le paiement de la quote-part au(x) seul(s) créancier(s) inscrit(s) sur le bien grevé, cela pourrait revenir à passer outre les règles de répartition, qui sont d'ordre public, au bénéfice du seul créancier nanti, alors que sa créance est primée par le privilège du Trésor Public et le privilège du bailleur ;
- que si la communauté de communes des Hautes-Vosges était effectivement détentrice d'un droit de rétention effectivement attaché au créancier bénéficiaire d'une inscription de gage sans dépossession (droit de rétention fictif), elle a perdu toutes les prérogatives attachées à l'inscription initiale, en ce compris le droit de rétention, parce que sa créance n'a été admise qu'à titre chirographaire ; que par ailleurs, la communauté de communes ne s'est à aucun moment prévalue de ce droit de rétention devant le tribunal de commerce.
- o0o-
La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'existence d'une créance de la communauté de communes des Hautes-Vosges à l'encontre de la SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, résultant du jugement du 24 mars 2020
L'article L. 642-12 du code de commerce, dans sa version applicable issue de l'ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014, dispose que lorsque la cession porte sur des biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, le tribunal affecte à chacun de ces biens, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence, la quote-part du prix, déterminée au vu de l'inventaire et de la prisée des actifs, et correspondant au rapport entre la valeur de ce bien et la valeur totale des actifs cédés.
Aussi, le dispositif du jugement arrêtant le plan de cession doit précisément affecter une quote-part du montant du prix à chacun des biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, ayant pour effet de limiter le droit de préférence à la valeur que le tribunal aura attribué au bien grevé.
En l'espèce, le jugement du tribunal de commerce d'Epinal en date du 24 mars 2020 a " affecté pour chaque bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et ce conformément aux dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, une quote-part du prix, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence, comme suit:
- 30 800 euros pour la totalité des biens nantis au titre de deux nantissements au profit de la Société Générale,
- 50 400 euros pour la totalité des biens gagés au titre d'un gage au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges, venant aux droits de la communauté de communes de la Haute Moselotte ".
Or, tel que retenu à juste titre par le juge de l'exécution, ces dispositions ont uniquement pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence et ne dérogent pas à l'ordre de paiement des créanciers prévu par l'article L. 643-13 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 (article L. 643-8 à ce jour).
En effet, la quote-part du prix de cession affectée aux biens grevés, déposée à la Caisse des Dépôts et Consignation, permet de déterminer un droit simplement théorique qui diffère du droit effectif, puisqu'il devra être tenu compte des droits des créanciers de rang préférable.
Par suite, le jugement arrêtant la cession ne pouvait avoir pour effet de créer un privilège en faveur de la communauté de communes des Hautes-Vosges, titulaire d'une créance chirographaire selon ordonnance définitive du juge commissaire notifiée le 9 janvier 2020.
Dans ces conditions, il en résulte que le jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2020 n'a pas ordonné le paiement d'une somme au profit de la communauté de communes des Hautes-Vosges en sa qualité de créancier inscrit, mais a fixé l'affectation du prix de cession sur les différents actifs grevés pour l'exercice du droit de préférence des créanciers régulièrement inscrits.
Au surplus, la communauté de communes des Hautes-Vosges ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l'exécution du dernier alinéa de l'article L. 642-12 dudit code selon lequel " les dispositions du présent article n'affectent pas le droit de rétention acquis par un créancier sur des biens compris dans la cession ", en ce qu'il n'entre pas dans ses pouvoirs de modifier le jugement du 24 mars 2020, désormais définitif.
Dès lors, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte le dispositif du jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2020 ayant affecté aux biens grevés d'un gage sans dépossession pris par la communauté de communes des Hautes-Vosges une quote-part du montant du prix de cession.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La communauté de communes des Hautes-Vosges qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens d'appel, et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
La SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, a dû engager des frais non compris dans les dépens afin d'assurer sa défense, de sorte qu'il convient de lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE la communauté de communes des Hautes-Vosges de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la communauté de communes des Hautes-Vosges à payer à la SCP LE CARRER-NAJEAN, ès qualités, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la communauté de communes des Hautes-Vosges aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Minute en sept pages.