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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 5 septembre 2024, n° 23/17295

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/17295

5 septembre 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2024

(n° 216/2024, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 23/17295 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CINND

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du juge de la mise en état du 18 octobre 2023 - Tribunal judiciaire de Bobigny (chambre 5/section 1) RG n° 23/00040

APPELANTS

M. [K] [E]

né le 15 avril 1960 à [Localité 7] (53)

[Adresse 2]

[Localité 6]

S.A.R.L. AES DEPANNAGE

Immatriculée au R.C.S. de Bobigny sous le n° 537 783 656

Agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié en cette qualité

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentés par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0010

INTIMEE

S.C.I. SM IMMO

Immatriculée au R.C.S. de Pontoise sous le n° 907 820 443

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée et assistée par Me Samba Dieng SY, avocat au barreau de Paris, toque : P0555

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Sandra Leroy, conseillère

Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions

juridictionnelles

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing prive' en date du 1er fe'vrier 1997, la SCI Edelweiss a conclu avec M. [K] [E] une convention d'occupation pre'caire portant sur des locaux a' usage professionnel sis [Adresse 3] a' [Localité 6] (93) pour un loyer de 500 euros hors charges et hors taxes par mois. Depuis lors, des conventions d'occupation pre'caire d'une dure'e de 12 a' 23 mois vont être conclues, la dernie're convention d'occupation pre'caire e'tant date'e du 3 octobre 2020 pour une pe'riode de 18 mois, du 3 octobre 2020 jusqu'au 31 mars 2022.

Par acte authentique du 23 de'cembre 2021, la SCI Edelweiss a ce'de' a' la SCI SM Immo la proprie'te' de l'immeuble sis [Adresse 1] a' [Localité 6] (93), comprenant les locaux professionnels utilise's par les demandeurs.

Par courrier du 8 fe'vrier 2022, la SCI SM Immo a notifie' a' la société AES Dépannage le non renouvellement de la convention pre'caire du 3 octobre 2020. Le 20 avril 2022, une sommation de de'guerpir a été signifie'e a' la société AES Dépannage.

Par exploit du 25 août 2022, la SCI SM Immo a assigne' M. [K] [E] devant le juge des re'fe're's aux fins de voir ordonner son expulsion sous astreinte de 200 euros par jour de retard. La société AES Dépannage est intervenue volontairement a' ce litige. Par ordonnance du 4 novembre 2022, le juge des re'fe're's a de'clare' recevable cette intervention volontaire et dit n'y avoir lieu a' re'fe're'.

Par exploit en date du 5 de'cembre 2022, la société AES Dépannage et M. [K] [E] ont assigne' la SCI SM Immo devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de requalifier en bail commercial la convention, qui a pris fin le 31 mars 2022, au profit de la société AES Dépannage.

Par conclusions déposées le 4 février 2023, la SCI SM Immo a demandé au juge de la mise en état de déclarer irrecevable l'action de la société AES Dépannage à son encontre pour défaut de qualité à agir et de déclarer irrecevable l'action de la société AES Dépannage et de M. [K] [E] à son encontre en raison de la prescription.

Par ordonnance du 18 octobre 2023, le juge de la mise en état a :

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la qualité à agir formée par la SCI SM Immo ;

- déclaré recevable l'action intentée par la société AES Dépannage ;

- fait droit à la fin de non recevoir tirée de la prescription formée par la SCI SM Immo ;

- déclaré prescrite l'action intentée par M. [K] [E] et la société AES Dépannage à l'encontre de la SCI SM Immo ;

- condamné M. [K] [E] et la société AES Dépannage à payer à la SCI SM Immo la somme de 1.000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [K] [E] et la société AES Dépannage au paiement des entiers dépens de l'instance ;

- rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.

Par déclaration du 23 octobre 2023, la société AES Dépannage et M. [K] [E] ont interjeté appel total de l'ordonnance.

Par conclusions déposées le 11 décembre 2023, la SCI SM Immo a interjeté appel incident partiel de l'ordonnance.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Aux termes de ses conclusions notifiées le 27 novembre 2023, la société AES Dépannage et M. [K] [E], appelants à titre principal et intimés à titre incident, demandent à la cour de :

- re'former l'ordonnance rendue par le juge de la mise en e'tat du tribunal judiciaire de Bobigny rendue le 18 octobre 2023 notamment en ce qu'il a dit recevable la fin de non-recevoir tire'e de la prescription invoque'e par la SCI SM Immo ;

Statuant de nouveau,

- dire et juger recevables et bien fonde's la société AES Dépannage et M. [K] [E] ;

- rejeter la fin de non-recevoir invoque'e par la SCI SM Immo.

Au soutien de leur prétention, les appelants exposent que le juge de la mise en état n'a pas suivi la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, laquelle a considéré par un arrêt du 25 mai 2023, que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire sans opposition du bailleur, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est soumise à aucun délai de prescription ; qu'en l'espèce, la société AES Dépannage est entrée dans les lieux le 1er février 1997 en exerçant une activité commerciale, de sorte qu'elle bénéficie de plein droit du statut des baux commerciaux conformément à l'article L. 145-5 alinéa 2 du code de commerce ; qu'elle n'est donc pas prescrite pour demander judiciairement la requalification de la convention d'occupation précaire en bail commercial.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 13 mai 2024, la société SM Immo, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 18 octobre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu'il a jugé prescrite la demande de requalification de la convention d'occupation ;

- ordonner l'expulsion de M. [K] [E], la socie'te' AES Dépannage et celle de tous occupants de son chef des lieux ;

- condamner M. [K] [E] et la société AES Dépannage à verser à la SCI SM Immo la somme de 9.800 euros à titre d'indemnité d'occupation d'avril 2023 à juin 2024 ;

- assortir l'expulsion d'une astreinte de 500 euros par jour de retard, a' compter de la signification de l'ordonnance a' intervenir et se re'server sa liquidation ;

- condamner M. [K] [E] et la socie'te' AES Dépannage a' payer a' la socie'te' SCI SM Immo la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de proce'dure civile ;

- condamner M. [K] [E] et la socie'te' AES Dépannage aux de'pens de la pre'sente instance.

Au soutien de ses prétentions, la SCI SM Immo oppose :

- sur la prescription de l'action des appelants, sur le fondement de l'article L. 145-60 du code de commerce, que la SM Immo a consenti à M. [K] [E] une convention de bail de courte durée le 3 octobre 2020, celle-ci devant prendre fin le 31 mars 2022, de sorte qu'eu égard à la jurisprudence constance de la Cour de cassation, M. [E] avait jusqu'au 3 octobre 2022 pour solliciter la requalification en bail commercial ; qu'un avis de passage a été délivré à la SM Immo par le commissaire de justice le 6 décembre 2022, soit plus de deux mois après l'expiration du délai pour solliciter la requalification, de sorte que le délai ayant expiré, la demande est tardive ; que la convention conclue entre la SCI Edelweiss et la société AES Dépannage a pris fin le 29 mars 2019, soit le 30 septembre 2019, soit plus d'une année avant l'acquisition de l'immeuble par la SM Immo, laquelle a donné lieu à la libération des locaux et à une remise des clés par la société AES Dépannage ; que si par extraordinaire la Cour retenait le 1er février 1997 comme date de conclusion du contrat, elle devra appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle a jugé que le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court, même en présence d'une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée (Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-15.946 : JurisData n° 2023-008265) ; que l'arrêt rendu le 25 mai 2023 visé par les appelants n'est pas applicable en l'espèce dès lors que la société s'est maintenue dans les lieux et a été laissée en possession de ceux-ci alors que les appelants se sont maintenus sans l'accord du propriétaire dans les lieux ;

- sur l'occupation des lieux, sur le fondement des articles 567 du code de procédure civile et 1194 du code civil, que M. [E] se maintient dans les lieux sans droit ni titre depuis le 31 mars 2022, de sorte qu'il sera expulsé conformément à la convention de bail de courte durée du 3 octobre 2020 ;

- sur la condamnation des appelants à régler les redevances, qu'aux termes de la convention conclue entre le précédent propriétaire SCI Edelweiss et M. [E], une redevance mensuelle de 700 euros était prévue pour l'occupation des locaux ; que M. [E] a cessé de régler la redevance à la SM Immo au mois d'avril 2023 ; qu'au 7 mai 2024, il est redevable envers la concluante de la somme de 8.400 euros.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

En cours de délibéré, la cour a sollicité des parties leurs observations sur les pouvoirs du conseiller de la mise en état à connaître des demandes, au demeurant nouvelles devant la cour, formées par la SCI SM Immo d'ordonner l'expulsion des appelants et de les avoir condamnés au paiement d'une indemnité d'occupation.

Par note reçue le 18 Juillet 2024, la société AES Dépannage et M. [E] considèrent que la cour ne peut statuer, sur appel d'une ordonnance du juge de la mise en état, que dans la limite des pouvoirs de ce derniers ce au visa de l'article 789 du code de procédure civile de sorte que la cour ne peut statuer sur les demandes nouvelles d'expulsion et de paiement d'une indemnité d'occupation, qui ne ressortent pas des pouvoirs du juge de la mise en état.

Par note reçue le 30 juillet 2024, la SCI SM Immo considère, au visa des articles 64, 567 et 568 du code de procédure civile que si la cour devait confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état qui a fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription, la société AES Dépannage et M. [E] serait de facto occupent sans droit, ni titre, de sorte que la demande d'expulsion et de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires que la cour peut dès lors examiner conformément aux dispositions de l'article 568 du code de procédure civile.

SUR CE,

A titre liminaire, la cour relève qu'il ressort du dispositif des conclusions des parties et, notamment, de l'intimée que le chef du dispositif de l'ordonnance du juge de la mise en état relatif à la recevabilité de l'intervention à l'instance de la société AES Dépannage n'est pas discutée en absence de moyen développé de ce chef.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action

Aux termes de l'article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions dérivant du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.

Au cas d'espèce, il est constant et non contesté que la SCI Edelweiss a consenti plusieurs baux dérogatoires successifs soit à M. [E], en son nom personnel, soit à la société AES Dépannage dont il est le gérant, dont le dernier a été conclu le 3 octobre 2020 pour une durée de 18 mois, soit jusqu'au 31 mars 2022.

Cette dernière convention a été conclue avec M. [E] en son nom personnel et fait immédiatement suite à une précédente convention conclue avec la société AES Dépannage datée du 1er avril 2019 ayant pris fin le 30 septembre 2020 avec établissement d'un procès-verbal d'état des lieux de sortie signé par les deux parties et daté du 30 septembre 2020 suite à une lettre remise en main propre du bailleur au locataire contre signature d'avoir à quitter les lieux.

Les appelants ne peuvent invoquer de bonne foi une durée d'occupation continue depuis 1997, ni l'exercice d'une activité commerciale leur permettant de bénéficier de droit du statut des baux commerciaux, plusieurs conventions ayant été par choix délibéré des parties signées alternativement avec M. [E], personne physique, ou la société AES Dépannage, personne morale avec la volonté manifeste de ne pas se soumettre au statut des baux commerciaux.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, si l'action en constatation de l'existence d'un bail commercial, dans l'hypothèse où le bénéficiaire d'un bail dérogatoire est maintenu dans les lieux à l'échéance de sa durée, est imprescriptible, l'action en requalification d'une succession de baux dérogatoires est soumis à la prescription biennale de l'article susvisé dont le point de départ est fixé au jour de la signature de la dernière convention, soit au 3 octobre 2020.

En outre, la SCI SM Immo, propriétaire des lieux depuis le 23 décembre 2021, a clairement manifesté son intention de voir les appelants quitter les lieux par courrier en date du 8 février 2022, soit avant l'échéance de la dernière convention, puis par la délivrance d'une sommation de déguerpir signifiée le 2 avril 2022.

Ainsi c'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoit et qu'elle adopte que le juge de la mise en état a considéré l'action en requalification de la convention conclue le 3 octobre 2020 prescrite dès lors qu'au 5 décembre 2022, date de l'introduction de l'instance au fond, la prescription était acquise.

L'ordonnance du juge de la mise en état sera donc confirmée de ce chef.

Sur les demandes de la SCI SM Immo

Il ressort des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile que les parties ne peuvent pas soumettre à la cour de nouvelles prétentions, ce à peine d'irrecevabilité.

Cependant, ne sont pas nouvelles les prétentions qui sont « l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaires » (art. 566) des prétentions formées en première instance.

Aux termes de l'article 567 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.

Aux termes de l'article 568 du code de procédure civile, la cour d'appel, statuant sur une exception de procédure qui a mis fin à l'instance, peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive. »

Le pouvoir d'évocation de la cour ne concerne que les points non jugés dans le cadre de la première instance à laquelle il a été mis fin.

Au cas d'espèce, la procédure devant le premier juge a été initiée par la société AES Dépannage et M. [E], lesquels sollicitaient de voir requalifier leur convention d'occupation en bail commercial et la SCI Immo ne démontre pas qu'elle ait, devant le premier juge, conclu au fond et sollicité à titre reconventionnel l'expulsion des occupants et leur condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation, de sorte qu'il ne peut être considéré que ces points soient restés non jugés en première instance, par plus qu'il ne peut être considéré qu'il soient l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaires des prétentions formées en première instance. Surabondamment, la SCI Immo fournit aucun élément permettant de justifier du montant de l'indemnité d'occupation demandée.

Il s'en déduit qu'il n'y a pas lieu à évocation et que les demandes nouvelles formées sont irrecevables.

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

En revanche, chaque partie succombant en ses prétentions en cause d'appel, les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées et chacune conservera la charge de ses dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny le 18 octobre 2023, sous le numéro de RG 23/40 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à évocation ;

Déclare irrecevables en cause d'appel les demandes formées par la SCI SM Immo d'expulsion de M. [K] [E] de la SARL AES Dépannage et de condamnation de ces derniers à lui payer la somme de 9.800 euros à titre d'indemnités d'occupation ;

Déboute la SCI SM Immo de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés.

La greffière, La présidente