CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 5 septembre 2024, n° 23/14363
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Fit'n Form (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Daval-Guedj, Me Damy
EXPOSE DU LITIGE
Le 17 janvier 2011, la SCI Sorgentino et la société Fit'n Form ont conclu un bail commercial pour une durée de huit ans à compter de l'entrée en jouissance au plus tard le 31 janvier 2011, portant sur des locaux sis [Adresse 6] à Nice et moyennant un loyer mensuel de 1.825,70 € HT.
Par acte d'huissier en date du 18 juillet 2019, la SCI Sorgentino, prise en la personne de l'indivision constituée de ses associés, M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T], a fait signifier à la société Fit'n Form un congé avec refus de renouvellement avec prise d'effet au 30 janvier 2020 et offrant une indemnité d'éviction d'un montant de 210.000 €.
Par courrier du 20 septembre 2019, la société Fit'n Form a contesté le montant de l'indemnité d'éviction offerte et, a indiqué qu'à défaut d'accord, elle entendait se maintenir dans les lieux.
Par acte du 30 mars 2021, la société Fit'n Form a fait assigner la société SCI Sorgentino devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins notamment de fixer, a minima, l'indemnité d'éviction à la somme de 210.000 € , comme prévu par le congé avec refus de renouvellement.
Par ordonnance du 9 février 2023, le juge de la mise en état a déclaré la SCI Sorgentino dépourvue du droit d'agir au motif qu'elle n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés et qu'elle est donc dépourvue de la personnalité morale.
Par assignation en date des 22 et 28 mars 2022, la société Fit'n Form a initié une nouvelle procédure à l'encontre de M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T] en fixation, à titre principal, du montant de l'indemnité d'éviction à 210.000 € sauf à parfaire en ordonnant une expertise.
M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T] ont saisi le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice d'un incident tendant à voir déclarer prescrite l'action en fixation et paiement de l'indemnité d'éviction engagée par la société Fit'n Form à leur encontre.
Par ordonnance en date du 19 octobre 2023, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice a:
- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Fit'n Form en fixation de l'indemnité d'éviction à la suite du congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction signifié le 18 juillet 2019 par la SCI Sorgentino, prise en la personne de l'indivision constituée de ses associés, M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T],
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit nonobstant appel,
- condamné solidairement M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T] aux dépens de l'incident,
- condamné solidairement M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T] à payer à la société Fit'n Form la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles,
- renvoyé l'affaire au fond à l'audience de mise en état du 8 janvier 2024 à 9h30 pour conclusions des parties.
Ce magistrat a retenu que :
- en vertu de l'article L 145-60 du code de commerce, le délai de prescription applicable à l'action intentée par la société Fit'n Form est de deux ans,
- le locataire qui entend demander le paiement d'une indemnité d'éviction doit agir avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné, le fait que le locataire se soit maintenu dans les lieux n'ayant pas pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription,
- en l'espèce, le délai biennal a commencé à courir le 30 janvier 2020,
- la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait est une cause d'interruption de la prescription,
- constitue une telle reconnaissance, le courrier officiel daté du 28 septembre 2020 du conseil de l'indivision [H] en vertu duquel les membres de cette indivision, bailleurs, ont reconnu être débiteurs du règlement d'une indemnité d'éviction au profit de la société Fit'n Form dont le montant serait déterminé judiciairement,
- ce courrier a interrompu le délai de prescription ayant commencé à courir le 30 janvier 2020 et a fait naître un nouveau délai de prescription devant expirer le 28 septembre 2022, de sorte que l'action intentée par assignation des 22 et 28 mars 2022 n'est pas prescrite,
- en revanche, l'instance introduite par acte du 30 mars 2021 par la société Fit'n Form à l'encontre de la SCI Sorgentino n'a pas interrompu le délai de prescription, en ce que cette interruption est devenue non avenue à la suite de l'ordonnance du juge de la mise en état du 9 janvier 2023 qui a déclaré la SCI Sorgentino dépourvue du droit d'agir.
Par déclaration en date du 22 novembre 2023, M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiés le 28 décembre 2023, M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T], Mme [E] [U] et M. [B] [U], ayants-droit de Mme [O] [T] décédée, demandent à la cour de:
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel formé par M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T], Mme [E] [U] et M. [B] [U], ayants-droit de Mme [O] [T] décédée, à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en éatt du tribunal judiciaire de Nice le 19 octobre 2023,
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Vu l'article L 145-60 du code de commerce,
Vu les articles 122 et suivants du code de procédure civile,
- déclarer prescrite l'action en fixation et paiement de l'indemnité d'éviction engagée par la société Fit'n Form à l'encontre de M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T], aux droits de laquelle interviennent désormais ses ayants-droit Mme [E] [U] et M. [B] [U],
- débouter la société Fit'n Form de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,
- condamner la société Fit'n Form au paiement d'une somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, ceux d'appel distrais au profit de la SCP Cohen-Guedj- Montero-Daval Guedj.
La société Fit'n Form, dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 janvier 2024, demande à la cour de :
Vu les articles L 145-14, L 145-60 et L 100-4 du code de commerce,
Vu l'article L 131-1 du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles 2240,2241,2242, 2224, 1329, 1104, 1217, 1231-1, 1231-2 et 1240 du code civil,
Vu l'article 524 du code de procédure civile,
A titre liminaire,
- ordonner la radiation de l'appel pour défaut d'exécution,
En tout état de cause,
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- condamner l'ensemble des indivisaires à verser à la société Fit'n Form la somme de 5.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 14 mai 2023.
MOTIFS
Sur la radiation pour défaut d'exécution
A titre liminaire et au visa de l'article 524 du code de procédure civile, la société Fit'n Form sollicite la radiation de l'appel du rôle de la cour pour défaut d'exécution par les appelants de la condamnation prononcée à leur encontre au titre des frais irrépétibles par l'ordonnance entreprise et revêtue de l'exécution provisoire.
Aux termes de l'article 524 du code de procédure civile, lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.
Il s'ensuit que seul le premier président ou le conseiller de la mise en état, à l'exclusion de la juridiction d'appel elle-même, peut prononcer la radiation de l'affaire pour défaut d'exécution.
La demande de la société Fit'n Form sera déclarée irrecevable.
Sur la prescription
Conformément à l'article L 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
En l'espèce, aucune des parties ne conteste que l'action intentée par le preneur en fixation du montant de l'indemnité d'éviction est soumise à la prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce.
En revanche, elles s'opposent en premier lieu sur le point de départ de ce délai, la société Fit'n Form soutenant que celui-ci doit être fixé au jour où le preneur quitte les lieux, à savoir le 16 octobre 2020, date à laquelle les clés ont été restituées au bailleur.
En application de l'article L 145-9 alinéa 4 et 5 du code de commerce, s'agissant d'un bail comportant plusieurs périodes, si le bailleur dénonce le bail à la fin des neuf premières années ou à l'expiration de l'une des périodes suivantes, le congé doit être donné dans les délais prévus à l'alinéa premier ci-dessus, à savoir six mois à l'avance.
Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
Ainsi, en cas de refus de renouvellement du bail par le bailleur, le point de départ de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction est la date d'effet du congé.
Par acte extra-judiciaire en date du 18 juillet 2019, la SCI Sorgentino,prise en la personne de l'indivision constituée de ses associés, M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T] et Mme [O] [T], a fait signifier à la société Fit'n Form un congé avec refus de renouvellement avec prise d'effet au 30 janvier 2020 et offrant une indemnité d'éviction d'un montant de 210.000 €.
Le délai biennal de l'action en fixation de l'indemnité d'éviction a donc commencé à courir le 30 janvier 2020, la circonstance que la preneuse se soit maintenue dans les lieux postérieurement à cette date en application de l'article L 145-28 du code de commerce n'ayant pas eu pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription prévu aux articles L 145-9 et L 145-60 du même code.
Les appelants soutiennent qu'au regard du point de départ de ce délai fixé au 30 janvier 2020, l'action introduite par l'intimée par assignations des 22 mars et 28 mars 2022 est irrecevable comme étant prescrite.
La société Fitn Form considère en premier lieu que le délai a été valablement interrompu par la reconnaissance par le bailleur du droit à indemnité d'éviction et ce, en vertu d'un courrier officiel du conseil de l'indivision [H] du 28 septembre 2020, sollicitant la confirmation de l'ordonnance entreprise sur ce point.
L'indivision [H] conteste une telle position, au motif que l'action en fixation et paiement de l'indemnité d'éviction ne peut être interrompue que par la reconnaissance par les bailleurs d'une valorisation de l'indemnité supérieure à celle proposée ou la proposition de paiement d'une indemnité et que le courrier officiel retenu par le juge de la mise en état ne contient aucune proposition de paiement ou de valorisation supérieure de l'indemnité d'éviction.
En vertu de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Cette reconnaissance, par le bénéficiaire de la prescription, qui peut-être expresse ou tacite, résulte de tout fait impliquant sans équivoque l'existence du droit du créancier. Il convient ainsi de caractériser la renonciation non équivoque du débiteur à se prévaloir de la prescription.
Le conseil des bailleurs a adressé un courrier officiel le 28 septembre 2020 au conseil de la société Fit'n Form à la lecture duquel il indique que:
'Compte tenu de l'attitude de la société Fit'n Form et, a priori de son refus de l'indemnité d'éviction proposée dans le congé signifié le 18 juillet 2019, mon client souhaite, de son côté, saisir la juridiction compétente afin de faire fixer ladite indemnité d'éviction'.
Cette réponse, dépourvue de toute ambiguïté, constitue bien, de la part de l'indivision [H], la reconnaissance expresse et non équivoque, dans son principe, du droit de la locataire au paiement d'une indemnité d'éviction puisque précisément, le bailleur propose de saisir la juridiction compétente en vue de la fixer.
Contrairement aux affirmations des appelants, il importe peu que ce courrier ne contienne aucune proposition de paiement ou de valorisation supérieure de l'indemnité d'éviction par rapport à ce qui avait été proposé dans le congé délivré le 18 juillet 2019, dès lors par cette lettre, le bailleur reconnaît de manière certaine le principe du droit au paiement d'une indemnité d'éviction.
En conséquence, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que ce courrier daté du 28 septembre 2020 a valablement interrompu le délai de prescription qui avait commencé à courir le 30 janvier 2020.
Un nouveau délai biennal a donc débuté le 28 septembre 2020, de sorte que l'action en fixation de l'indemnité d'éviction introduite par la société Fit'n Form par assignations des 22 et 28 mars 2022 est recevable comme n'étant pas prescrite.
L'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Déclare la société Fit'n Form irrecevable en sa demande de radiation de l'affaire sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile,
Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T], Mme [E] [U] et M. [B] [U], ayants-droit de Mme [O] [T] décédée, à payer à la société Fit'n Form la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne M. [J] [H], Mme [R] [G], Mme [D] [T], Mme [E] [U] et M. [B] [U], ayants-droit de Mme [O] [T] décédée, aux dépens de la procédure d'appel.