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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 5 septembre 2024, n° 23/11391

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

BNP Paribas (SA), Trésor Public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

Mme Lefort, Mme Distinguin

Avocats :

Me Ohana, Me Boutmy, Me Leopold Couturier

Cour de cassation, ch. commerciale, du 8…

8 février 2023

ARRET :

- RENDUE PAR DEFAUT

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Selon actes notariés du 30 juillet 2004, la société BNP Paribas a consenti à M. [Y] deux prêts immobiliers, un prêt dit « à l'accession sociale » d'un montant de 128.980 euros et un prêt « à taux zéro » d'un montant de 15.244 euros, l'ensemble formant un « prêt global » destiné à l'acquisition de son habitation principale, garanti par l'inscription d'un privilège de prêteur de deniers ainsi que par une hypothèque conventionnelle.

Par acte notarié du 15 mai 2009, M. [Y] a fait publier une déclaration d'insaisissabilité sur cet immeuble.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 août 2011, la société BNP Paribas a mis en demeure M. [Y] de payer la somme de 1519,34 euros au titre des échéances impayées du prêt à l'accession sociale.

Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 17 octobre 2011, la banque a prononcé la déchéance du terme des prêts.

Par jugement du 10 mai 2012, M. [Y] a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire selon jugement du 7 juin suivant.

Le 12 juin 2012, la société BNP Paribas a déclaré au passif de la procédure collective ses créances au titre des prêts susvisés, lesquelles ont été admises par ordonnances du juge-commissaire en date du 7 novembre 2013.

Le 8 août 2014, la banque a fait délivrer à M. [Y] un commandement de payer valant saisie immobilière, portant sur le bien lui appartenant.

Par jugement du 31 janvier 2020, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Versailles a, notamment :

déclaré irrecevables les contestations relatives aux créances de la société BNP Paribas,

autorisé M. [Y] à procéder à la vente amiable de ses biens visés au cahier des conditions de vente et pour un prix plancher de 130.000 euros nets vendeur,

fixé le montant des créances de la société BNP Paribas, arrêtées au 30 juin 2014, aux sommes respectives de 135.949,62 euros, outre intérêts au taux de 7,60%, et 17930,35 euros, outre intérêts au taux de 6,30%,

taxé les frais de poursuite engagés par la société BNP Paribas à la somme de 5790,11 euros,

rejeté les autres contestations et demandes incidentes de M. [Y],

renvoyé l'affaire au 27 mai 2020 aux fins de constatation de la vente amiable ou, à défaut, aux fins d'orientation en vente forcée,

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens seront compris dans les frais taxés.

Par arrêt du 3 décembre 2020, la cour d'appel de Versailles a :

constaté qu'elle n'avait pas été saisie de la question préjudicielle ;

écarté des débats les dernières conclusions de l'appelant et les pièces nouvelles les accompagnant ;

confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

condamné M. [Y] à payer à la société BNP Paribas la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [Y] aux dépens d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de vente.

Par arrêt du 8 février 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 3 décembre 2020, au visa des articles 7§1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 et L. 132-1 alinéa 1er devenu L. 212-1 alinéa 1er du code de la consommation, et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.

Par déclaration du 23 juin 2023, M. [Y] a saisi cette cour en sa qualité de cour d'appel de renvoi.

Par dernières conclusions signifiées le 22 mai 2024, il demande à la cour de :

infirmer le jugement d'orientation rendu le 31 janvier 2020 en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

déclarer abusive et réputer non écrite la clause contractuelle de déchéance du terme ;

tirer toutes conséquences du fait que le juge-commissaire « n'a pas appliqué de façon effective la protection des consommateurs imposée par la directive 93/13 » et déclarer prescrite l'action de la banque ;

annuler et ordonner la mainlevée du commandement de payer valant saisie immobilière du 8 août 2014 ;

ordonner la mainlevée de la procédure saisie immobilière ;

débouter la société BNP Paribas de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

cantonner le commandement de payer valant saisie immobilière du 8 août 2014 à la somme de 1519,34 euros, soit au montant des échéances impayées ;

ordonner la mainlevée de la procédure de saisie immobilière ;

débouter la société BNP Paribas de l'ensemble de ses demandes ;

A titre très subsidiaire,

si la cour devait considérer que les règles de la procédure de la procédure collective doivent être relevées d'office en raison de leur caractère d'ordre public, déclarer irrecevable la présente saisie immobilière comme contraire à l'interdiction des procédures d'exécution ;

A titre infiniment subsidiaire,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné (sic) la vente amiable du bien immobilier visé par le commandement de payer valant saisie immobilière du 8 août 2014 ;

débouter la société BNP Paribas de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

condamner la société BNP Paribas à lui payer la somme de 6000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société BNP Paribas aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 21 mai 2024, la société BNP Paribas demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris, au besoin par substitution de motifs, sauf en ce qu'il a autorisé M. [Y] à vendre amiablement les biens objet de la procédure de saisie immobilière,

en conséquence,

déclarer irrecevable et, à défaut, mal fondé M. [Y] en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter intégralement,

retenir ses créances, par application de l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, telles qu'elles résultent des deux ordonnances d'admission du juge-commissaire du 7 novembre 2013, soit :

au titre du prêt de 128.980 euros, la somme totale de 135.949,62 euros au 30 juin 2014, outre les intérêts depuis le 1er juillet 2014 au taux de 7,60% ;

au titre du prêt de 15.244 euros, la somme totale de 17.930,35 euros au 30 juin 2014, outre les intérêts au taux de 6,30% depuis le 1er juillet 2014 ;

ainsi que les frais exposés ;

infirmer le jugement en ce qu'il a autorisé M. [Y] à vendre amiablement les biens immobiliers objet de la procédure de saisie ;

ordonner la vente forcée du bien sur la mise à prix de 100.000 euros ;

renvoyer en tout état de cause devant le juge de l'exécution pour la poursuite de la procédure d'exécution ;

condamner M. [Y] à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dire que les dépens, comprenant notamment l'émolument proportionnel d'incident (article A444-200 du code de commerce) doivent être qualifiés de frais de justice privilégiés.

MOTIFS

Pour casser et annuler en toutes ses dispositions l'arrêt du 3 décembre 2020, la Cour de cassation a jugé que :

la décision d'admission d'une créance au passif de la procédure collective d'un débiteur a, en principe, autorité de la chose jugée sur l'existence, la nature et le montant de la créance admise ;

cette autorité de la chose jugée s'impose en particulier au juge de l'exécution statuant à l'audience d'orientation en cas de saisie immobilière initiée par un créancier auquel est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur et qui peut donc faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, l'audience d'orientation ayant notamment pour objet, à l'instar de la procédure d'admission, de constater le principe de la créance du créancier poursuivant et d'en mentionner le montant retenu ;

néanmoins, l'autorité de la chose jugée d'une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d'une procédure collective, résultant de l'article 1355 du code civil et de l'article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l'obligation incombant au juge national de procéder, en application des articles 7§1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 et L. 132-1 alinéa 1er devenu L. 212-1 alinéa 1er du code de la consommation, à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles ;

il en découle que le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen.

Il résulte de l'article L.311-2 du code des procédures civiles d'exécution que, pour procéder à une saisie immobilière, le créancier doit être muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Sur le moyen tiré de la déchéance du terme légale prévue par l'article L. 643-1 du code de commerce

L'intimée demande à la cour, par application de l'article 12 du code de procédure civile et eu égard au caractère d'ordre public des règles relatives aux procédures collectives, d'appliquer la règle de l'exigibilité de droit de ses créances en vertu de l'article L. 643-1 du code de commerce, ce qui priverait d'incidence l'analyse du caractère abusif de la clause contractuelle de déchéance du terme.

En réplique au moyen tiré de l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution, elle soutient que, s'agissant d'une règle d'ordre public, la cour peut la soulever d'office.

L'appelant oppose à ce moyen, nouveau devant la cour d'appel, les dispositions de l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution ; et que, sauf règles particulières, le juge n'est pas tenu de relever d'office un moyen de droit non expressément invoqué par les parties. Il ajoute que, à suivre le raisonnement de l'intimée, il faudrait alors que la cour soulève aussi, d'office, le principe d'interdiction des procédures d'exécution prévu à l'article L. 622-21 du code de commerce, lui aussi d'ordre public.

En outre, il soulève l'irrecevabilité du moyen en raison de l'inapplicabilité de la déchéance du terme légale issue de l'article L. 643-1 en cas de déclaration notariée d'insaisissabilité de l'immeuble concerné, qui se trouve de ce fait « hors procédure collective ».

Enfin, il conclut à l'irrecevabilité du moyen en raison de l'incohérence procédurale de la société BNP Paribas ou estoppel, qui consiste à demander à voir retenir des créances telles qu'elles résultent des ordonnances d'admission par le juge-commissaire avec intérêts depuis les 5 juin et 17 octobre 2011 en vertu de la déchéance du terme contractuelle, et une déchéance du terme légale faisant courir les intérêts à compter du 7 juin 2012, date de la liquidation judiciaire.

Aux termes de l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, être formée après l'audience d'orientation, à moins qu'elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que ces dispositions dérogent à celles de l'article 564 du code de procédure civile qui permet de présenter des moyens nouveaux en appel.

Il ressort du jugement du juge de l'exécution que ce moyen tiré de l'application de l'article L. 643-1 du code de commerce n'avait pas été présenté devant le juge de l'exécution. Par ailleurs, il ne porte pas sur des actes de procédure postérieurs à l'audience d'orientation.

Nonobstant le caractère d'ordre public des dispositions invoquées de l'article L. 641-3 du code de commerce, il n'y a pas lieu de les soulever d'office, puisqu'elles ne bénéficient pas à la banque en l'espèce en raison de la déclaration d'insaisissabilité que le débiteur a fait inscrire sur son bien par acte notarié du 15 mai 2009.

En effet, il résulte de l'article L. 526-1 du code de commerce, dans sa version en vigueur applicable au litige, que la déclaration d'insaisissabilité portant sur la résidence principale de la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication au fichier immobilier, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant.

Or en l'espèce, les droits du créancier sont nés antérieurement à la publication de la déclaration d'insaisissabilité et la créance n'est pas née à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant. La société BNP Paribas, titulaire d'une sûreté réelle sur l'immeuble d'habitation du débiteur objet de la déclaration d'insaisissabilité, peut donc faire vendre le bien par voie de saisie immobilière. En effet, en pareil cas, le créancier ne poursuit pas cette procédure d'exécution dans les conditions prévues par l'article L. 643-2 du code de commerce et n'a donc pas à être autorisé par le juge-commissaire à faire procéder à la saisie immobilière, qui n'est pas une opération de liquidation judiciaire (Com. 5 avr. 2016, n°14-24.640 ; Com. 4 mai 2017, n°15-18.348). En effet, l'immeuble se retrouvant en dehors du périmètre de la procédure collective et hors de portée des pouvoirs du liquidateur, sa saisie s'effectue selon les règles du droit commun. Il s'ensuit que l'article L. 643-1 du même code, prévoyant l'exigibilité immédiate des créances non échues par l'effet du prononcé de la liquidation judiciaire, ne lui est pas applicable.

Sur le caractère abusif de la clause contractuelle de déchéance du terme

L'appelant fait valoir que, dans son arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation fait obligation au juge de l'exécution d'examiner, même d'office, le caractère abusif des clauses du contrat ayant donné lieu au titre exécutoire fondant la mesure d'exécution contestée.

Il estime abusive la clause d'exigibilité anticipée au motif que :

elle est de nature à laisser croire à l'emprunteur que la banque dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour prononcer la déchéance du terme et que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester cette déchéance du terme ;

elle est rédigée en termes généraux, ce qui a pour effet d'accorder à la société BNP Paribas la possibilité de l'interpréter à sa guise et crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à son profit ;

elle ne prévoit pas de délai de préavis raisonnable.

En réplique, l'intimée souligne que la Cour de cassation n'a nullement jugé, dans son arrêt, que la clause litigieuse était abusive, mais seulement qu'il appartenait au juge qui en était saisi, de se prononcer sur son caractère éventuellement abusif ; que les recommandations de la Commission des clauses abusives ne lient pas les juridictions judiciaires ; que la clause doit être examinée dans sa globalité, qu'il n'était nullement question d'une exigibilité immédiate, enfin que la mention « si bon semble » ne recouvre qu'une faculté qui ne pouvait être exercée que dans des cas limitativement énumérés. Elle rappelle que le remboursement du prêt aux échéances convenues constitue l'obligation essentielle de l'emprunteur, de sorte que la condition posée par l'arrêt Banco Primus était en l'espèce remplie.

En ce qui concerne le non-respect d'un préavis raisonnable, elle rappelle que le caractère abusif ou non de la clause contractuelle de déchéance du terme doit s'apprécier in abstracto et que celle-ci stipulait en l'espèce un délai de quinze jours, que la Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion de sanctionner jusqu'à présent. Elle ajoute que, dans les faits, M. [Y] a bénéficié d'un délai de deux mois pour régulariser un arriéré de 1519,34 euros seulement.

L'article L.212-1 alinéa 1er du code de la consommation dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Il énonce en son second alinéa que le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.

Par un arrêt du 22 mars 2023 (Civ. 1ère, n°21-16.044) et en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne issue des arrêts des 26 janvier 2017 et 8 décembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu'était abusive comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d'un contrat de prêt immobilier prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, rappelant dans un arrêt du même jour qu'il incombait au juge d'examiner d'office l'existence d'un tel abus.

Par un arrêt du 29 mai 2024 (Civ. 1ère, n°23-12.904), la Cour de cassation a eu l'occasion d'appliquer cette jurisprudence à une clause d'un contrat de prêt prévoyant la résiliation de plein droit après une mise en demeure de régler demeurée infructueuse pendant quinze jours.

En l'espèce, la clause contractuelle de déchéance du terme litigieuse est rédigée comme suit :

« La totalité des sommes dues en principal, intérêts, frais et accessoires deviendrait immédiatement exigible, en vertu des causes légales d'exigibilité et, en outre, si bon semble à la Banque quinze jours après une notification faite à l'emprunteur par lettre recommandée avec avis de réception sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire dans l'un des cas suivants :

(...) » (suivent 12 cas d'exigibilité anticipée, notamment le non-paiement des échéances tel que prévues au contrat).

D'une part, l'emploi des termes « si bon semble à la Banque » laisse en effet entendre à l'emprunteur que la banque dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour prononcer la déchéance du terme, accentué par l'insertion de l'expression « sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire » et que ne vient pas suffisamment limiter l'énumération des douze cas d'exigibilité anticipée.

D'autre part, le délai de quinze jours séparant l'envoi de la mise en demeure du prononcé de la déchéance du terme ne constitue pas un préavis d'une durée raisonnable au regard du droit de l'Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation précitée.

Ainsi, cette clause est-elle clairement de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, qui se voit, sans autre avertissement préalable qu'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, imposer le remboursement immédiat de la totalité du prêt, selon le bon vouloir du prêteur et sans préavis d'une durée raisonnable.

La société BNP Paribas prétend cependant qu'elle a accordé, dans les faits, un très large délai de deux mois à M. [Y] pour régler l'arriéré d'échéances impayées avant de prononcer la déchéance du terme, laquelle n'est intervenue que le 17 octobre 2011 après une mise en demeure du 12 août précédent ; que, par ailleurs, le manquement contractuel reproché à M. [Y] porte sur l'exécution d'une obligation essentielle, qui est celle de rembourser le prêt aux termes convenus.

Mais il importe peu que la société BNP Paribas ait laissé, de fait, à M. [Y] un délai raisonnable pour s'acquitter d'une obligation essentielle du contrat, soit le paiement d'échéances de prêt, préalablement au prononcé de la déchéance du terme du 17 octobre 2011, dans la mesure où les conditions effectives de mise en 'uvre de la clause sont sans effet sur la validité de celle-ci, qui doit être appréciée in abstracto. En effet, le délai ainsi fixé ne dépendait que d'elle et demeurait par conséquent discrétionnaire, caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs du professionnel et du consommateur au détriment de ce dernier.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la clause d'exigibilité immédiate doit être réputée non écrite, de sorte que la déchéance du terme n'a pas été valablement mise en 'uvre. Dès lors, la créance de la société BNP Paribas ne peut être considérée comme étant exigible en sa totalité.

Sur la sanction du caractère abusif de la clause de déchéance du terme

L'appelant rappelle que la sanction de l'irrégularité de la déchéance du terme est, de jurisprudence constante, que le créancier n'est en droit de réclamer que le paiement des échéances échues impayées (1ère Civ., 16 juin 2021, n°18-25.320), soit en l'occurrence de la somme de 1519,34 euros. Il conclut à titre principal à l'annulation et à la mainlevée du commandement de payer valant saisie immobilière en raison de son caractère disproportionné et à la prescription de l'action de la banque par suite de la perte de son caractère interruptif.

En réplique au moyen tiré par l'intimée du principe de concentration des prétentions posé par l'article 910-4 du code de procédure civile, la perte du caractère interruptif n'ayant pas été soulevée dès ses premières conclusions, il se prévaut d'une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le principe de concentration temporelle des prétentions ne s'oppose pas à l'examen d'office du caractère abusif d'une clause contractuelle par le juge national, et estime qu'il s'agit ici de tirer les conséquences de l'absence d'examen d'office par le premier juge du caractère abusif d'une clause de déchéance du terme.

Enfin, il soutient que le juge-commissaire, constatant le caractère abusif de la clause de déchéance du terme, aurait dû rejeter ces créances, de sorte que l'application de l'article 2243 du code civil aurait fait obstacle à l'effet interruptif des déclarations de créance.

A titre subsidiaire, il réclame le cantonnement du commandement au montant des échéances impayées.

En réplique, l'intimée soutient, quant à la prétendue perte de l'effet interruptif du commandement de payer valant saisie par suite de la constatation du caractère abusif de la clause, que cette prétention nouvelle, par conséquent irrecevable par application des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, revient à remettre en cause l'arrêt de la Cour de cassation, dont il ressort que la déclaration de ses créances a bien eu un effet interruptif de prescription.

Or le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée constaté plus avant a pour effet, non pas de réduire à néant l'intégralité de la créance exigible de la banque, mais de la limiter au montant des seules échéances échues impayées, soit en l'occurrence à la somme de 1519,34 euros.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'annuler le commandement de payer valant saisie immobilière du 8 août 2014 ni d'en ordonner la mainlevée, mais d'en limiter les effets à ladite somme de 1519,34 euros.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir tirée de la prescription par suite de la perte du caractère interruptif de ce commandement de payer, selon l'article 910-4 alinéa 1er du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; l'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la prescription doit être déclarée irrecevable en application des dispositions précitées, comme n'ayant pas été présentée dès ses premières conclusions d'appel par M. [Y], étant rappelé, au surplus, que la présente procédure d'appel devant la cour de renvoi n'est que la continuation de celle introduite devant la cour d'appel de Versailles selon déclaration du 9 mars 2020.

En tout état de cause, cette prétention eut-elle été recevable que la cour l'aurait déclarée mal fondée, le commandement de payer valant saisie immobilière restant valable à concurrence du montant des mensualités échues impayées.

Cependant, l'appelant soulève, sur le fondement de l'article L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution, la disproportion de la mesure de saisie immobilière par rapport au montant de la créance telle que réduite à 1519,34 euros.

Aux termes de ce texte, le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance ; l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.

En application de ces dispositions, la cour, statuant avec les pouvoirs du juge de l'exécution à l'audience d'orientation, doit se livrer à un contrôle de proportionnalité entre la mesure de saisie immobilière d'une part, la nature et le montant de la créance d'autre part. Or la mesure de saisie immobilière portant sur des biens d'habitation dont le juge a fixé la mise à prix à 100.000 euros apparaît disproportionnée par rapport au montant de la créance détenue par la banque, ici limité à 1519,32 euros. En application du texte précité, il convient d'ordonner la mainlevée de la procédure de saisie immobilière et, par suite, du commandement de payer valant saisie immobilière du 8 août 2014.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige commande la condamnation de l'intimée, qui succombe en ses prétentions, aux dépens d'appel, qu'il n'y a pas lieu de qualifier de frais privilégiés.

En revanche, l'équité ne justifie pas le prononcé d'une condamnation à paiement en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt n°129 FS-B rendu le 8 février 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Versailles le 31 janvier 2020 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare irrecevable le moyen tiré par la société BNP Paribas de l'application des dispositions de l'article L. 643-1 du code de commerce ;

Déclare abusive et réputée non écrite la clause de déchéance du terme stipulée à l'article 5 des conditions générales du contrat de « prêt global » consenti le 30 juillet 2004 par la société BNP Paribas à M. [F] [Y],

Fixe la créance de la société BNP Paribas à la somme de 1519,34 euros, correspondant aux échéances impayées du prêt immobilier n° 00193 602410 58, outre intérêts postérieurs au taux conventionnel du prêt au 12 août 2011,

Ordonne la mainlevée de la procédure de saisie immobilière poursuivie par la SA BNP Paribas à l'encontre de M. [F] [Y],

Ordonne la mainlevée du commandement de payer valant saisie immobilière délivré par la SA BNP Paribas à M. [F] [Y] le 8 août 2014,

Et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à condamnation à paiement en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA BNP Paribas aux dépens d'appel.