Décisions
CA Limoges, ch. soc., 5 septembre 2024, n° 23/00659
LIMOGES
Arrêt
Autre
ARRET N° .
N° RG 23/00659 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIPRV
AFFAIRE :
Mme [L] [C]
C/
Association UDAF DE LA CORREZE représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège de l'association.
JP/MS
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Grosse délivrée à Me Christophe DURAND-MARQUET, Me Laetitia DAURIAC, le 05-09-2024.
COUR D'APPEL DE LIMOGES
Chambre sociale
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ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2024
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Le CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:
ENTRE :
Madame [L] [C]
née le 22 Décembre 1969 à [Localité 3] (19), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Laetitia DAURIAC de la SELARL SELARL DAURIAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'une décision rendue le 21 JUILLET 2023 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TULLE
ET :
Association UDAF DE LA CORREZE représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège de l'association., demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Christophe DURAND-MARQUET, avocat au barreau de LIMOGES substitué par Me Valérie BARDIN, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 18 Juin 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2024.
La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, conseiller, et de Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Madame Johanne PERRIER, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 29 août 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
La mise à disposition de cette décision a été prorogée au 05 Septembre 2024, les avocats des parties en ayant été régulièrement informés.
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LA COUR
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FAITS ET PROCÉDURE :
Le 1er février 2013, Mme [C] a été embauchée par l'UDAF de la Corrèze en qualité de chef du service de comptabilité.
Mme [C] a été en arrêt de travail du 03 septembre au 04 novembre 2018 pour une opération du genou, puis de manière ininterrompue à compter du 18 septembre 2019 en raison selon elle d'un état dépressif réactionnel à une détérioration de ses conditions de travail.
Alors qu'elle avait été convoquée le 15 juin 2020 à un entretien préalable à un licenciement fixé au 30 juin suivant auquel elle ne s'est pas rendue, le médecin du travail a émis le 15 juillet 2020 un avis d'inaptitude à son poste sans possibilité de reclassement.
A la suite de cet avis, Mme [C] a été convoquée le 24 juillet 2020 à un nouvel entretien préalable fixé au 6 août 2020 auquel elle ne s'est pas rendue et le 11 août 2020 elle s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 19 janvier 2021, Mme [C] a régularisé auprès de la Caisse primaire d'assurance maladie une demande de reconnaissance de son affection en maladie professionnelle, demande à laquelle il a été fait droit le 07 septembre 2021 et qui fait l'objet d'un recours de l'UDAF toujours pendant à ce jour.
Le 27 juillet 2021, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Tulle aux fins de de voir prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude en raison d'un harcèlement moral dont elle auait été victime ou, subsidiairement, de le voir dire dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par un jugement du 21 juillet 2023, le conseil de prud'hommes de Tulle, en retenant que Mme [C] n'a pas apporté d'éléments suffisants à démontrer des actes de harcèlement moral ou un comportement fautif de l'employeur, l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Le 16 août 2023, Mme [C] a relevé appel de ce jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures du 26 mars 2024 auxquelles il est renvoyé, Mme [C] demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant a nouveau :
- de déclarer l'UDAF de la Corrèze responsable de faits de harcèlement moral commis à son encontre
- de constater que M.[N], directeur général, n'avait pas la capacité de signer la lettre de licenciement ;
- d'annuler son licenciement pour inaptitude en raison du harcèlement moral subi, ainsi que pour défaut de capacité du signataire de la lettre de licenciement;
- subsidiairement, de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse car dû au comportement fautif de l'employeur à l'origine de l'inaptitude;
- de condamner l'UDAF de la Corrèze à lui régler les sommes suivantes :
' la somme de 32.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral:
' la somme de 50.000 pour licenciement nul ou, subsidiairement, celle de 32.000 euros pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
- d'ordonner la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail rectifiés sur le motif du licenciement et la durée de l'emploi ;
- de condamner l'UDAF à lui régler la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- d'ordonner que les sommes allouées portent intérêts au taux légal à compter de la demande en justice avec anatocisme ;
- de condamner l'UDAF de la Corrèze aux entiers dépens, en ce compris ceux éventuels d'exécution.
Elle fait valoir :
' sur la nullité du licenciement pour harcèlement moral :
- qu'à compter de l'année 2017, alors qu'elle en était en charge, Mme [S], qui a occupé le poste de directrice générale jusqu'en novembre 2019, a mal perçu une demande de sa part relative à sa prise de congés et, à la suite, elle en a subi de sa part des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral;
- que Mme [S] s'est montrée agressive à son égard, l'a volontairement privée d'informations nécessaires à l'exécution de ses missions, ne l'a pas conviée à certaines réunions de travail, ou encore a modifié des procédures relatives à ses missions sans l'en informer ;
- que lors de son embauche, il lui avait été confié des missions de comptabilité mais également de ressources humaines et ces dernières missions lui ont été retirées au profit de M. [U] puis de la direction ;que ce retrait, qui a été officialisé le 30 août 2019, a emporté modification de son niveau hiérarchique et de ses responsabilités et s'analyse en modification unilatérale de son contrat de travail ;
- qu'alors qu'elle avait sous sa responsabilité plusieurs comptables, dont M. [U], la direction de l'UDAF a incité ses subordonnés à ne pas lui rendre compte, remettant ainsi en cause sa qualité de responsable de service ;
- que la direction lui a adressé des reproches injustifiés, notamment en novembre 2018 avant de la convoquer le 15 juin 2020 à un entretien préalable à un licenciement vraisemblablement pour faute et que cette tentative de sanction a relevé d'une procédure disciplinaire non justifiée ;
- qu'elle a également subi une différence de traitement en ne bénéficiant pas d'une augmentation dont tous les autres chefs de service ont bénéficié et en n'étant pas remplacée pendant son arrêt maladie de deux mois de septembre et octobre 2018, ce qui a entraîné une surcharge très importante de travail à son retour, alors que ses collègues en arrêt maladie ont été remplacés ;
- que ce harcèlement moral et ces différences de traitement ont altéré sa santé physique et mentale, la Caisse primaire d'assurance maladie ayant d'ailleurs reconnu le caractère professionnel de son affection.
' sur la nullité du licenciement pour défaut de capacité du signature de la lettre de licenciement , que c'est le directeur général qui a signé cette lettre et non le président de l'UDAF comme le prévoient les statuts de l'association.
' à titre subsidiaire, que le licenciement devra être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du comportement fautif de l'employeur ayant conduit à son inaptitude.
Aux termes de ses dernières écritures du 16 avril 2024 auxquelles il est renvoyé, l'UDAF de la Corrèze demande à la cour:
' a titre principal, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
' à titre subsidiaire , si la Cour, réformant le jugement attaqué, jugeait nul le licenciement intervenu, de diminuer le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [C] au titre du harcèlement moral et du licenciement nul ;
' très subsidiairement, si la Cour jugeait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de diminuer alors le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [C] ;
' en tout état de cause,
- de rejeter la demande formulée au titre de la remise des documents de rupture sous astreinte;
- de débouter Mme [C] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner, en revanche, à lui verser à une indemnité de 3.000 euros par application du même texte et de La condamner aux dépens d'appel en accordant à Maître Christophe Durand-Marquet, avocat, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile .
L'UDAF fait valoir en réplique :
- que le directeur de l'UDAF, qui en avait reçu délégation de pouvoir, avait la capacité avec l'accord de la présidente de l'association pour signer la lettre de licenciement de Mme [C] ;
- que Mme [C] ne lui jamais adressé de courriers l'alertant sur des difficultés professionnelles susceptibles d entraîner une détérioration de ses conditions de travail, ni saisi les représentants du personnel de telles difficultés et qu'il ne peut donc lui être reproché d'avoir manqué à son obligation de sécurité ;
- que, selon sa fiche de poste, Mme [C] n'a eu pour mission que de contribuer à la gestion des ressources humaines sous la dépendance hiérarchique de la directrice générale et si, selon son contrat de travail, elle s'est vu confier la responsabilité du service de comptabilité, tel n'a pas été le cas pour le service des ressources humaines ;
- que, de fait, Mme [S] et Mme [C] n'ont en réalité eu que des échanges explicatifs sur la prise de congés de la première et qu'une mésentente passagère entre un salarié et son supérieur ne peut être assimilée à un agissement de harcèlement moral ;
- que Mme [C] ne rapporte pas la preuve des difficultés de communication avec l'expert comptable ou le personnel du service de comptabilité ou qu'elle ait été écartée de réunions, ses absences étant uniquement dues à ses arrêts de travail ou à sa prise de congés;
- que la salariée n'a pas été mise en difficulté sur les missions de comptabilité, ni subi une différence de traitement en n'étant pas remplacée durant son arrêt de travail de l'automne 2018 ;
- que le courrier recommandé du 8 novembre 2018 lui demandant des explications sur un document comptable qu'elle avait établi a été le seul reçu en en sept ans de service et ne peut s'analyser en un fait de harcèlement moral ;
- que, par ailleurs, la convocation à entretien préalable à un licenciement le 15 juin 2020 ne revêtait pas un caractère disciplinaire ;
- enfin, que Mme [C] a eu la rémunération la plus haute des chefs de services et elle est mal venue à soutenir qu'elle a été victime d'une différence de traitement salarial .
SUR CE,
Sur la nullité du licenciement :
Mme [C] recherche la nullité du licenciement, d'une part, sur le fondement de l'article L.1235-3-1 du code du travail à raison de faits de harcèlement moral dont elle dit avoir été victime et, d'autre part, pour défaut de capacité de M. [N], directeur général, pour signer la lettre de licenciement.
Sur la qualité du signataire de la lettre de licenciement :
L'article 11.C des statuts de l'UDAF prévoit que le président exerce les fonctions d'employeur et notamment le pouvoir de licencier, mais qu'il peut déléguer ce pouvoir à l'égard d'un autre membre du bureau ou d'un salarié de l'association.
L'UDAF produit la délégation de pouvoirs donnée le 18 novembre 2019 par Mme [K], présidente de l'UDAF, à M. [N], ayant pris à compter de cette date la fonction de directeur général de l'UDAF de la Corrèze, pour procéder au recrutement des salariés, exercer avec son accord préalable le pouvoir disciplinaire et engager une procédure de licenciement, ainsi que le courrier en date du 20 juillet 2020 par lequel Mme [K] a donné son accord à M. [N] pour engager la procédure de licenciement de Mme [C].
Ce moyen pris d'irrégularité du licenciement, au demeurant uniquement susceptible de le priver de cause réelle et sérieuse, ne peut donc qu'être écarté.
Sur le harcèlement moral :
L' article L 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral dont peut être victime un salarié comme étant la répétition de certains agissements pouvant être qualifiés de cette nature, et qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui permettent, pris dans leur ensemble et en tenant compte des documents médicaux éventuellement produits, de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement .
De son côté, l'article L.1152-4 du code du travail met à la charge de l'employeur une obligations de prévention du harcèlement moral ; ainsi, l'employeur est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et cette obligation s'inscrit dans celle, plus générale, d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés prévue aux articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
En l'espèce, l'article 11-C des statuts de l'association prévoit que le président exerce les fonctions d'employeur au sein de l'UDAF et l'article 13 dispose que, sur délégation expresse du président, le directeur exerce les fonctions d'employeur qui lui sont déléguées ; qu'à ce titre, le directeur a autorité sur l'ensemble du personnel de L'UDAF, il anime, gère et contrôle les services de l'UDAF et il rend compte au président des actions menées.
Antérieurement au 18 novembre 2019, par un écrit en date du 13 mars 2014, Mme [S], occupant la fonction de directrice générale, avait reçu délégation de Mme [K] pour assumer les missions prévues à l'article 13 mentionnées s ci-dessus et, si Mme [C] se plaint d'agissements de harcèlement moral qu'elle a eu à subir, non directement du fait de l'employeur pris en la personne de Mme [K], présidente de l'association, mais de sa directrice Mme [S], cette dernière a alors agi en qualité d'employeur avec l'obligation de rendre compte à Mme [K], de sorte que l'UDAF, pour les agissements ayant relevé de la gestion des services, n'est pas fondée à invoquer l'ignorance dans laquelle elle en serait restée.
Ainsi l'UDAF est à même de répondre des faits suivants invoqués par Mme [C] comme constitutifs de faits de harcèlement moral :
' le retrait de missions dans la gestion des ressources humaines :
Si le contrat de travail de Mme [C] en date du 1er février 2013 l'a recrutée en qualité de chef du service comptable, sa fiche de fonction en date du 1er avril 2014,signée de Mme [S], lui a conféré les missions suivantes de contribution à la gestion des ressources humaines :
- le déroulement des parcours d'intégration des nouveaux embauchés,
- une participation aux entretiens annuels ,
- la proposition au directeur des formations et autres actions propres à développer les compétences des personnes,
- l'élaboration des contrats de travail,
- une contribution au contrôle des temps de travail.
Cette fiche de fonction est réputée avoir été portée à la connaissance de Mme [K], ce qui n'est pas démenti.
En outre, la fonction de Mme [C] en tant que responsable du service de comptabilité mais également du service des ressources humaines a figuré dans les organigrammes mis à jour en juin 2015, en avril 2016 et encore en janvier 2019, et ces organigrammes ont relevé d'une analyse et d'une décision conjointe de Mme [K] et de Mme [S] ainsi que cela a été mentionné dans la délégation de pouvoir du 1er avril 2014.
Les missions de Mme [C] dans le domaine des ressources humaines ont ainsi été contractualisées avec l'accord de Mme [K].
À l'occasion de ses entretiens d'évaluation par Mme [S] des 31 juillet 2014 et 21 octobre2015, et également dans un courrier adressé à Mme [S] le 10 juillet 2017, Mme [C] avait clairement exprimé le souhait de développer des missions dans le domaine des ressources humaines et d'en conserver la responsabilité.
Or Mme [C], qui justifie avoir été étroitement associée à la gestion des ressources humaines jusque dans le courant de l'année 2017, en a été évincée au profit de M. [G] [U] qui avait été recruté en février 2016, non comme assistant RH mais comme comptable d'abord en contrat à durée déterminée à temps partiel, puis en contrat à durée indéterminée et enfin à temps plein à compter du 1er juillet 2017.
Ainsi que M. [U] en atteste dans un écrit du 15 juillet 2022, c'est lors de son passage à temps plein à compter du 1er juillet 2017 qu'il a reçu pour nouvelle mission de prendre en charge la partie RH dans sa globalité, et en collaboration hiérarchique, non pas avec Mme [C] apparaissant sur les organigrammes comme chef du service RH, mais avec Mme [S].
Mme [S] avait d'ailleurs répondu à Mme [C] le 10 juillet 2017 : ' je vous avais indiqué que je souhaitais que [G] soit sur la RH';
Lors de son entretien d'évaluation du 10 octobre 2017,il était cependant relevé à l'encontre de Mme [C] une absence d'analyse de la masse salariale, à laquelle elle a pu légitimement repondre que si le suivi des salaires était établi par M. [U], il lui semblait logique qu'il en fasse aussi l'analyse en ajoutant ' l'année 2017 a été remplie de doutes pour moi tant sur la confiance que sur l'évolution de mon poste' ce que Mme [S] avait admis en substance, en reconnaissant que cette année 2017 avait été entourée, selon elle, d'une 'incompréhension' entre elle et Mme [C] ;
Ce n'est qu'à compter du 1er septembre 2019 , sans que Mme [C] n'en ait été préalablement consultée, que le service RH a été directement rattaché à la direction, et il en ressort que, pendant plus de deux années M. [U], bien que restant placé sous la subordination de Mme [C], son chef de service à laquelle il aurait dû rendre compte, s'est vu déchargé de cette obligation.
Il ressort clairement des pièces versées aux débats que cette organisation a été génératrice de tensions entre Mme [C] et M. [U] et également de difficultés, notamment dans la gestion du service de la paie dont Mme [C] conservait l'entière responsabilité, et qu' il en est résulté pour elle une détérioration dans ses conditions de travail.
Le retrait à Mme [C] des missions RH peut être rapproché de l'incident survenu en février 2017 à l'occasion d'un constat qu'elle avait relevé à l'avantage de la directrice entre ses jours de congés figurant sur un logiciel 'Octime' et celui figurant sur ses fiches de paie, ce qui n'avait manifestement pas été apprécié de l'intéressée qui, dans un courrier du 16 février 2017 a écrit à sa subordonnée : ' Nous ne souhaitons pas polémiquer et que cette histoire devienne infernale, d'autant que vendredi nous aurions pu en parler directement sans arriver à ces échanges .. La différence est forcément liée à un contrôle de ma présence. Seule la présidente est habilitée à un contrôle de ma présence' et a reconnu dans un écrit du 22 mars 2021 que 'le contrôle de ses congés avait entraîné une ambiance complexe'.
Dans un tel contexte, le retrait à Mme [C] des missions RH au profit d'un salarié qui restait placé sous sa subordination, voulu par Mme [S] alors qu'aucun élément objectif, que ce soit dans la façon de servir de Mme [C] ou dans l'organisation des services, ne pouvait le justifier, doit être retenu comme constitutif d'un fait de harcèlement moral.
' des griefs énoncés dans un courrier recommandé avec AR daté du 08 novembre 2018:
Par ce courrier signé de Mme [K] et de Mme [S], il a été demandé à Mme [C] de leur apporter des précisions sur une projection budgétaire sur cinq ans qu'elle avait réalisée en 2017 et actualisée en 2018 au vu des résultats de l'année 2017 et qui comportait un calcul erroné, ou du moins non explicité, du total des charges prévisionnelles de l'ordre de 110.000 euros sur plus de 2.200.000 euros pour chacune des années 2021 et 2022 ; cette anomalie avait été relevé par l'expert-comptable dans un courrier du 05 octobre 2018 en réponse à une demande précise de l'UDAF qui s'était inscrite hors de sa mission.
Si cette demande d'explication a elle-même été fondée et a conduit Mme [C] à devoir y répondre, il en reste que la forme de ce courrier par LRAR adressé juste après une reprise du travail le 03 novembre 2018 à l'issue d'un arrêt pour cause de maladie de deux mois à une salariée cadre comptant cinq années d'ancienneté de service jusque là exemptes de toute critique, a relevé d'un procédé susceptible de caractériser un fait de harcèlement moral.
En outre, M.[B], ancien salarié de l'UDAF ayant occupé un mandat de représentant du personnel, indique dans un témoignage du 02 octobre 2021, qui n'est pas argué de faux même s'il est démenti par Mme [S] qui pourrait difficilement admettre le contraire, que, dans le courant de l'été 2018, cette dernière lui avait fait part en 'off' de l'intention de l'UDAF de licencier Mme [C], ainsi qu'une autre salariée chef de service, à la rentrée de septembre.
Le courrier recommandé du 08 novembre 2018 a donc pu s'inscrire dans un 'projet' de licenciement qui ne reposait sur aucun grief sérieux et, dans un tel contexte, il s'analyse en un fait de harcèlement moral.
' une convocation le 15 juin 2020 à un entretien préalable à un licenciement :
L'UDAF, qui se contente de dire que ce projet de licenciement ne présentait pas un caractère disciplinaire, n'en donne cependant aucune autre explication.
Ce fait, faute d'être justifié par un élément objectif, sera également retenu comme ayant relevé d'un harcèlement moral.
En outre, même s'il n'est pas justifié que ces faits aient pu être portés à la connaissance de Mme [K], présidente de l'association, il résulte des pièces produites :
' alors que Mme [C] était en arrêt de travail les 28 et 29 mai 2018, Mme [S], lors de deux journées de travail avec l'expert-comptable et d'autres personnes du service de compatbilité, a réfléchi à une nouvelle trame pour le suivi budgétaire qu'elle a immédiatement demandé à Mme [C] d'utiliser, sans toutefois la consulter notamment sur le regroupement de certains rubriques qui lui posait difficulté pour une meilleure visualisation des postes de dépenses ; ce fait peut être retenu comme ayant résulté d'une volonté de Mme [S] de la tenir à l'écart d'un process ayant pourtant relevé de son poste de chef du service comptable ;
' le 19 novembre 2018, le commissaire aux comptes a proposé à Mme [S] une intervention soit le 30 novembre 2018 après-midi, soit le 07 décembre 2018 en matinée et, alors que le temps de travail hebdomadaire de Mme [C] était organisé avec un rythme du lundi au jeudi avec un vendredi sur deux, Mme [S], sans encore consulter Mme [C], a retenu la date du vendredi 30 novembre 2018, jour de repos prévu pour Mme [C], et l'UDAF ne dit rien du motif ayant conduit à cette décision qui, comme dit précédemment, a pu s'inscrire dans une volonté de Mme [S] de la tenir à l'écart de responsabilités dans son poste de chef du service comptable .
En revanche, le grief fait à l'UDAF d'une différence de traitement salarial n'est pas caractérisé.
Enfin, Mme [C] justifie avoir été en arrêt de travail pour un état dépressif à compter du 18 septembre 2019, de la reconnaissance de cette affection en maladie professionnelle par la Caisse primaire d'assurance maladie en septembre 2021 et du versement par l'UDAF, en août 2020, de l'indemnité légale de licenciement de 30.0580,51 euros et, en décembre 2021, de l'indemnité de préavis et du complément de l'indemnité spéciale de licenciement égal au double de l'indemnité légale, ce qui, nonobstant son recours contre la décision de l'organisme social, a valu reconnaissance implicite par l'association du caractère professionnel de l'affection dont il doit être jugé qu'elle a été au moins partiellement en relation de causalité avec les faits de harcèlement moral ci-dessus caractérisés et ayant conduit à une détérioration de ses conditions de travail et à une altération de son état de santé.
EN CONSÉQUENCE, il convient, réformant le jugement dont appel, de faire droit à la demande de Mme [C] en nullité du licenciement .
Compte tenu notamment de l'effectif de l'association, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération mensuelle et brute de 4.024 euros versée à Mme [C], de son âge de 50 ans au jour du licenciement, de son ancienneté de sept années, des difficultés qu'elle rencontre pour trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer :
- une somme de 35.000 euros au titre de l'indemnité prévue à m'article 1235-3-1 du code du travail ;
- une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Le présent arrêt est attributif de droit et les sommes visées ci-dessus sont porteuses d'intérêts au taux légal à compter de ce jour.
L'UDAF sera en outre tenue de remettre à Mme [C] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conforme au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure du prononcé d'une astreinte.
L'UDAF, qui succombe, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et il est de l'équité de la condamner à verser à Mme [C] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Limoges en date du 21 juillet 2023,
Statuant à nouveau,
Vu l'article 1235-3-1 du code du travail ,
Prononce la nullité du licenciement pour inaptitude de Mme [C] ;
Condamne l'UDAF de la Corrèze à payer à Mme [L] [C], avec intérêts au taux légal à compter de ce jour :
- la somme de 35.000 euros au titre de l'indemnité prévue en cas de nullité du licenciement ;
- la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que l'UDAF de la Corrèze est tenue de remettre à Mme [C] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ;
Condamne l'UDAF de la Corrèze aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.
N° RG 23/00659 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIPRV
AFFAIRE :
Mme [L] [C]
C/
Association UDAF DE LA CORREZE représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège de l'association.
JP/MS
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Grosse délivrée à Me Christophe DURAND-MARQUET, Me Laetitia DAURIAC, le 05-09-2024.
COUR D'APPEL DE LIMOGES
Chambre sociale
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ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2024
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Le CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:
ENTRE :
Madame [L] [C]
née le 22 Décembre 1969 à [Localité 3] (19), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Laetitia DAURIAC de la SELARL SELARL DAURIAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'une décision rendue le 21 JUILLET 2023 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TULLE
ET :
Association UDAF DE LA CORREZE représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège de l'association., demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Christophe DURAND-MARQUET, avocat au barreau de LIMOGES substitué par Me Valérie BARDIN, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 18 Juin 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2024.
La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, conseiller, et de Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Madame Johanne PERRIER, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 29 août 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
La mise à disposition de cette décision a été prorogée au 05 Septembre 2024, les avocats des parties en ayant été régulièrement informés.
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LA COUR
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FAITS ET PROCÉDURE :
Le 1er février 2013, Mme [C] a été embauchée par l'UDAF de la Corrèze en qualité de chef du service de comptabilité.
Mme [C] a été en arrêt de travail du 03 septembre au 04 novembre 2018 pour une opération du genou, puis de manière ininterrompue à compter du 18 septembre 2019 en raison selon elle d'un état dépressif réactionnel à une détérioration de ses conditions de travail.
Alors qu'elle avait été convoquée le 15 juin 2020 à un entretien préalable à un licenciement fixé au 30 juin suivant auquel elle ne s'est pas rendue, le médecin du travail a émis le 15 juillet 2020 un avis d'inaptitude à son poste sans possibilité de reclassement.
A la suite de cet avis, Mme [C] a été convoquée le 24 juillet 2020 à un nouvel entretien préalable fixé au 6 août 2020 auquel elle ne s'est pas rendue et le 11 août 2020 elle s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 19 janvier 2021, Mme [C] a régularisé auprès de la Caisse primaire d'assurance maladie une demande de reconnaissance de son affection en maladie professionnelle, demande à laquelle il a été fait droit le 07 septembre 2021 et qui fait l'objet d'un recours de l'UDAF toujours pendant à ce jour.
Le 27 juillet 2021, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Tulle aux fins de de voir prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude en raison d'un harcèlement moral dont elle auait été victime ou, subsidiairement, de le voir dire dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par un jugement du 21 juillet 2023, le conseil de prud'hommes de Tulle, en retenant que Mme [C] n'a pas apporté d'éléments suffisants à démontrer des actes de harcèlement moral ou un comportement fautif de l'employeur, l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Le 16 août 2023, Mme [C] a relevé appel de ce jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures du 26 mars 2024 auxquelles il est renvoyé, Mme [C] demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant a nouveau :
- de déclarer l'UDAF de la Corrèze responsable de faits de harcèlement moral commis à son encontre
- de constater que M.[N], directeur général, n'avait pas la capacité de signer la lettre de licenciement ;
- d'annuler son licenciement pour inaptitude en raison du harcèlement moral subi, ainsi que pour défaut de capacité du signataire de la lettre de licenciement;
- subsidiairement, de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse car dû au comportement fautif de l'employeur à l'origine de l'inaptitude;
- de condamner l'UDAF de la Corrèze à lui régler les sommes suivantes :
' la somme de 32.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral:
' la somme de 50.000 pour licenciement nul ou, subsidiairement, celle de 32.000 euros pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
- d'ordonner la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail rectifiés sur le motif du licenciement et la durée de l'emploi ;
- de condamner l'UDAF à lui régler la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- d'ordonner que les sommes allouées portent intérêts au taux légal à compter de la demande en justice avec anatocisme ;
- de condamner l'UDAF de la Corrèze aux entiers dépens, en ce compris ceux éventuels d'exécution.
Elle fait valoir :
' sur la nullité du licenciement pour harcèlement moral :
- qu'à compter de l'année 2017, alors qu'elle en était en charge, Mme [S], qui a occupé le poste de directrice générale jusqu'en novembre 2019, a mal perçu une demande de sa part relative à sa prise de congés et, à la suite, elle en a subi de sa part des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral;
- que Mme [S] s'est montrée agressive à son égard, l'a volontairement privée d'informations nécessaires à l'exécution de ses missions, ne l'a pas conviée à certaines réunions de travail, ou encore a modifié des procédures relatives à ses missions sans l'en informer ;
- que lors de son embauche, il lui avait été confié des missions de comptabilité mais également de ressources humaines et ces dernières missions lui ont été retirées au profit de M. [U] puis de la direction ;que ce retrait, qui a été officialisé le 30 août 2019, a emporté modification de son niveau hiérarchique et de ses responsabilités et s'analyse en modification unilatérale de son contrat de travail ;
- qu'alors qu'elle avait sous sa responsabilité plusieurs comptables, dont M. [U], la direction de l'UDAF a incité ses subordonnés à ne pas lui rendre compte, remettant ainsi en cause sa qualité de responsable de service ;
- que la direction lui a adressé des reproches injustifiés, notamment en novembre 2018 avant de la convoquer le 15 juin 2020 à un entretien préalable à un licenciement vraisemblablement pour faute et que cette tentative de sanction a relevé d'une procédure disciplinaire non justifiée ;
- qu'elle a également subi une différence de traitement en ne bénéficiant pas d'une augmentation dont tous les autres chefs de service ont bénéficié et en n'étant pas remplacée pendant son arrêt maladie de deux mois de septembre et octobre 2018, ce qui a entraîné une surcharge très importante de travail à son retour, alors que ses collègues en arrêt maladie ont été remplacés ;
- que ce harcèlement moral et ces différences de traitement ont altéré sa santé physique et mentale, la Caisse primaire d'assurance maladie ayant d'ailleurs reconnu le caractère professionnel de son affection.
' sur la nullité du licenciement pour défaut de capacité du signature de la lettre de licenciement , que c'est le directeur général qui a signé cette lettre et non le président de l'UDAF comme le prévoient les statuts de l'association.
' à titre subsidiaire, que le licenciement devra être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du comportement fautif de l'employeur ayant conduit à son inaptitude.
Aux termes de ses dernières écritures du 16 avril 2024 auxquelles il est renvoyé, l'UDAF de la Corrèze demande à la cour:
' a titre principal, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
' à titre subsidiaire , si la Cour, réformant le jugement attaqué, jugeait nul le licenciement intervenu, de diminuer le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [C] au titre du harcèlement moral et du licenciement nul ;
' très subsidiairement, si la Cour jugeait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de diminuer alors le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [C] ;
' en tout état de cause,
- de rejeter la demande formulée au titre de la remise des documents de rupture sous astreinte;
- de débouter Mme [C] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner, en revanche, à lui verser à une indemnité de 3.000 euros par application du même texte et de La condamner aux dépens d'appel en accordant à Maître Christophe Durand-Marquet, avocat, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile .
L'UDAF fait valoir en réplique :
- que le directeur de l'UDAF, qui en avait reçu délégation de pouvoir, avait la capacité avec l'accord de la présidente de l'association pour signer la lettre de licenciement de Mme [C] ;
- que Mme [C] ne lui jamais adressé de courriers l'alertant sur des difficultés professionnelles susceptibles d entraîner une détérioration de ses conditions de travail, ni saisi les représentants du personnel de telles difficultés et qu'il ne peut donc lui être reproché d'avoir manqué à son obligation de sécurité ;
- que, selon sa fiche de poste, Mme [C] n'a eu pour mission que de contribuer à la gestion des ressources humaines sous la dépendance hiérarchique de la directrice générale et si, selon son contrat de travail, elle s'est vu confier la responsabilité du service de comptabilité, tel n'a pas été le cas pour le service des ressources humaines ;
- que, de fait, Mme [S] et Mme [C] n'ont en réalité eu que des échanges explicatifs sur la prise de congés de la première et qu'une mésentente passagère entre un salarié et son supérieur ne peut être assimilée à un agissement de harcèlement moral ;
- que Mme [C] ne rapporte pas la preuve des difficultés de communication avec l'expert comptable ou le personnel du service de comptabilité ou qu'elle ait été écartée de réunions, ses absences étant uniquement dues à ses arrêts de travail ou à sa prise de congés;
- que la salariée n'a pas été mise en difficulté sur les missions de comptabilité, ni subi une différence de traitement en n'étant pas remplacée durant son arrêt de travail de l'automne 2018 ;
- que le courrier recommandé du 8 novembre 2018 lui demandant des explications sur un document comptable qu'elle avait établi a été le seul reçu en en sept ans de service et ne peut s'analyser en un fait de harcèlement moral ;
- que, par ailleurs, la convocation à entretien préalable à un licenciement le 15 juin 2020 ne revêtait pas un caractère disciplinaire ;
- enfin, que Mme [C] a eu la rémunération la plus haute des chefs de services et elle est mal venue à soutenir qu'elle a été victime d'une différence de traitement salarial .
SUR CE,
Sur la nullité du licenciement :
Mme [C] recherche la nullité du licenciement, d'une part, sur le fondement de l'article L.1235-3-1 du code du travail à raison de faits de harcèlement moral dont elle dit avoir été victime et, d'autre part, pour défaut de capacité de M. [N], directeur général, pour signer la lettre de licenciement.
Sur la qualité du signataire de la lettre de licenciement :
L'article 11.C des statuts de l'UDAF prévoit que le président exerce les fonctions d'employeur et notamment le pouvoir de licencier, mais qu'il peut déléguer ce pouvoir à l'égard d'un autre membre du bureau ou d'un salarié de l'association.
L'UDAF produit la délégation de pouvoirs donnée le 18 novembre 2019 par Mme [K], présidente de l'UDAF, à M. [N], ayant pris à compter de cette date la fonction de directeur général de l'UDAF de la Corrèze, pour procéder au recrutement des salariés, exercer avec son accord préalable le pouvoir disciplinaire et engager une procédure de licenciement, ainsi que le courrier en date du 20 juillet 2020 par lequel Mme [K] a donné son accord à M. [N] pour engager la procédure de licenciement de Mme [C].
Ce moyen pris d'irrégularité du licenciement, au demeurant uniquement susceptible de le priver de cause réelle et sérieuse, ne peut donc qu'être écarté.
Sur le harcèlement moral :
L' article L 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral dont peut être victime un salarié comme étant la répétition de certains agissements pouvant être qualifiés de cette nature, et qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui permettent, pris dans leur ensemble et en tenant compte des documents médicaux éventuellement produits, de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement .
De son côté, l'article L.1152-4 du code du travail met à la charge de l'employeur une obligations de prévention du harcèlement moral ; ainsi, l'employeur est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et cette obligation s'inscrit dans celle, plus générale, d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés prévue aux articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
En l'espèce, l'article 11-C des statuts de l'association prévoit que le président exerce les fonctions d'employeur au sein de l'UDAF et l'article 13 dispose que, sur délégation expresse du président, le directeur exerce les fonctions d'employeur qui lui sont déléguées ; qu'à ce titre, le directeur a autorité sur l'ensemble du personnel de L'UDAF, il anime, gère et contrôle les services de l'UDAF et il rend compte au président des actions menées.
Antérieurement au 18 novembre 2019, par un écrit en date du 13 mars 2014, Mme [S], occupant la fonction de directrice générale, avait reçu délégation de Mme [K] pour assumer les missions prévues à l'article 13 mentionnées s ci-dessus et, si Mme [C] se plaint d'agissements de harcèlement moral qu'elle a eu à subir, non directement du fait de l'employeur pris en la personne de Mme [K], présidente de l'association, mais de sa directrice Mme [S], cette dernière a alors agi en qualité d'employeur avec l'obligation de rendre compte à Mme [K], de sorte que l'UDAF, pour les agissements ayant relevé de la gestion des services, n'est pas fondée à invoquer l'ignorance dans laquelle elle en serait restée.
Ainsi l'UDAF est à même de répondre des faits suivants invoqués par Mme [C] comme constitutifs de faits de harcèlement moral :
' le retrait de missions dans la gestion des ressources humaines :
Si le contrat de travail de Mme [C] en date du 1er février 2013 l'a recrutée en qualité de chef du service comptable, sa fiche de fonction en date du 1er avril 2014,signée de Mme [S], lui a conféré les missions suivantes de contribution à la gestion des ressources humaines :
- le déroulement des parcours d'intégration des nouveaux embauchés,
- une participation aux entretiens annuels ,
- la proposition au directeur des formations et autres actions propres à développer les compétences des personnes,
- l'élaboration des contrats de travail,
- une contribution au contrôle des temps de travail.
Cette fiche de fonction est réputée avoir été portée à la connaissance de Mme [K], ce qui n'est pas démenti.
En outre, la fonction de Mme [C] en tant que responsable du service de comptabilité mais également du service des ressources humaines a figuré dans les organigrammes mis à jour en juin 2015, en avril 2016 et encore en janvier 2019, et ces organigrammes ont relevé d'une analyse et d'une décision conjointe de Mme [K] et de Mme [S] ainsi que cela a été mentionné dans la délégation de pouvoir du 1er avril 2014.
Les missions de Mme [C] dans le domaine des ressources humaines ont ainsi été contractualisées avec l'accord de Mme [K].
À l'occasion de ses entretiens d'évaluation par Mme [S] des 31 juillet 2014 et 21 octobre2015, et également dans un courrier adressé à Mme [S] le 10 juillet 2017, Mme [C] avait clairement exprimé le souhait de développer des missions dans le domaine des ressources humaines et d'en conserver la responsabilité.
Or Mme [C], qui justifie avoir été étroitement associée à la gestion des ressources humaines jusque dans le courant de l'année 2017, en a été évincée au profit de M. [G] [U] qui avait été recruté en février 2016, non comme assistant RH mais comme comptable d'abord en contrat à durée déterminée à temps partiel, puis en contrat à durée indéterminée et enfin à temps plein à compter du 1er juillet 2017.
Ainsi que M. [U] en atteste dans un écrit du 15 juillet 2022, c'est lors de son passage à temps plein à compter du 1er juillet 2017 qu'il a reçu pour nouvelle mission de prendre en charge la partie RH dans sa globalité, et en collaboration hiérarchique, non pas avec Mme [C] apparaissant sur les organigrammes comme chef du service RH, mais avec Mme [S].
Mme [S] avait d'ailleurs répondu à Mme [C] le 10 juillet 2017 : ' je vous avais indiqué que je souhaitais que [G] soit sur la RH';
Lors de son entretien d'évaluation du 10 octobre 2017,il était cependant relevé à l'encontre de Mme [C] une absence d'analyse de la masse salariale, à laquelle elle a pu légitimement repondre que si le suivi des salaires était établi par M. [U], il lui semblait logique qu'il en fasse aussi l'analyse en ajoutant ' l'année 2017 a été remplie de doutes pour moi tant sur la confiance que sur l'évolution de mon poste' ce que Mme [S] avait admis en substance, en reconnaissant que cette année 2017 avait été entourée, selon elle, d'une 'incompréhension' entre elle et Mme [C] ;
Ce n'est qu'à compter du 1er septembre 2019 , sans que Mme [C] n'en ait été préalablement consultée, que le service RH a été directement rattaché à la direction, et il en ressort que, pendant plus de deux années M. [U], bien que restant placé sous la subordination de Mme [C], son chef de service à laquelle il aurait dû rendre compte, s'est vu déchargé de cette obligation.
Il ressort clairement des pièces versées aux débats que cette organisation a été génératrice de tensions entre Mme [C] et M. [U] et également de difficultés, notamment dans la gestion du service de la paie dont Mme [C] conservait l'entière responsabilité, et qu' il en est résulté pour elle une détérioration dans ses conditions de travail.
Le retrait à Mme [C] des missions RH peut être rapproché de l'incident survenu en février 2017 à l'occasion d'un constat qu'elle avait relevé à l'avantage de la directrice entre ses jours de congés figurant sur un logiciel 'Octime' et celui figurant sur ses fiches de paie, ce qui n'avait manifestement pas été apprécié de l'intéressée qui, dans un courrier du 16 février 2017 a écrit à sa subordonnée : ' Nous ne souhaitons pas polémiquer et que cette histoire devienne infernale, d'autant que vendredi nous aurions pu en parler directement sans arriver à ces échanges .. La différence est forcément liée à un contrôle de ma présence. Seule la présidente est habilitée à un contrôle de ma présence' et a reconnu dans un écrit du 22 mars 2021 que 'le contrôle de ses congés avait entraîné une ambiance complexe'.
Dans un tel contexte, le retrait à Mme [C] des missions RH au profit d'un salarié qui restait placé sous sa subordination, voulu par Mme [S] alors qu'aucun élément objectif, que ce soit dans la façon de servir de Mme [C] ou dans l'organisation des services, ne pouvait le justifier, doit être retenu comme constitutif d'un fait de harcèlement moral.
' des griefs énoncés dans un courrier recommandé avec AR daté du 08 novembre 2018:
Par ce courrier signé de Mme [K] et de Mme [S], il a été demandé à Mme [C] de leur apporter des précisions sur une projection budgétaire sur cinq ans qu'elle avait réalisée en 2017 et actualisée en 2018 au vu des résultats de l'année 2017 et qui comportait un calcul erroné, ou du moins non explicité, du total des charges prévisionnelles de l'ordre de 110.000 euros sur plus de 2.200.000 euros pour chacune des années 2021 et 2022 ; cette anomalie avait été relevé par l'expert-comptable dans un courrier du 05 octobre 2018 en réponse à une demande précise de l'UDAF qui s'était inscrite hors de sa mission.
Si cette demande d'explication a elle-même été fondée et a conduit Mme [C] à devoir y répondre, il en reste que la forme de ce courrier par LRAR adressé juste après une reprise du travail le 03 novembre 2018 à l'issue d'un arrêt pour cause de maladie de deux mois à une salariée cadre comptant cinq années d'ancienneté de service jusque là exemptes de toute critique, a relevé d'un procédé susceptible de caractériser un fait de harcèlement moral.
En outre, M.[B], ancien salarié de l'UDAF ayant occupé un mandat de représentant du personnel, indique dans un témoignage du 02 octobre 2021, qui n'est pas argué de faux même s'il est démenti par Mme [S] qui pourrait difficilement admettre le contraire, que, dans le courant de l'été 2018, cette dernière lui avait fait part en 'off' de l'intention de l'UDAF de licencier Mme [C], ainsi qu'une autre salariée chef de service, à la rentrée de septembre.
Le courrier recommandé du 08 novembre 2018 a donc pu s'inscrire dans un 'projet' de licenciement qui ne reposait sur aucun grief sérieux et, dans un tel contexte, il s'analyse en un fait de harcèlement moral.
' une convocation le 15 juin 2020 à un entretien préalable à un licenciement :
L'UDAF, qui se contente de dire que ce projet de licenciement ne présentait pas un caractère disciplinaire, n'en donne cependant aucune autre explication.
Ce fait, faute d'être justifié par un élément objectif, sera également retenu comme ayant relevé d'un harcèlement moral.
En outre, même s'il n'est pas justifié que ces faits aient pu être portés à la connaissance de Mme [K], présidente de l'association, il résulte des pièces produites :
' alors que Mme [C] était en arrêt de travail les 28 et 29 mai 2018, Mme [S], lors de deux journées de travail avec l'expert-comptable et d'autres personnes du service de compatbilité, a réfléchi à une nouvelle trame pour le suivi budgétaire qu'elle a immédiatement demandé à Mme [C] d'utiliser, sans toutefois la consulter notamment sur le regroupement de certains rubriques qui lui posait difficulté pour une meilleure visualisation des postes de dépenses ; ce fait peut être retenu comme ayant résulté d'une volonté de Mme [S] de la tenir à l'écart d'un process ayant pourtant relevé de son poste de chef du service comptable ;
' le 19 novembre 2018, le commissaire aux comptes a proposé à Mme [S] une intervention soit le 30 novembre 2018 après-midi, soit le 07 décembre 2018 en matinée et, alors que le temps de travail hebdomadaire de Mme [C] était organisé avec un rythme du lundi au jeudi avec un vendredi sur deux, Mme [S], sans encore consulter Mme [C], a retenu la date du vendredi 30 novembre 2018, jour de repos prévu pour Mme [C], et l'UDAF ne dit rien du motif ayant conduit à cette décision qui, comme dit précédemment, a pu s'inscrire dans une volonté de Mme [S] de la tenir à l'écart de responsabilités dans son poste de chef du service comptable .
En revanche, le grief fait à l'UDAF d'une différence de traitement salarial n'est pas caractérisé.
Enfin, Mme [C] justifie avoir été en arrêt de travail pour un état dépressif à compter du 18 septembre 2019, de la reconnaissance de cette affection en maladie professionnelle par la Caisse primaire d'assurance maladie en septembre 2021 et du versement par l'UDAF, en août 2020, de l'indemnité légale de licenciement de 30.0580,51 euros et, en décembre 2021, de l'indemnité de préavis et du complément de l'indemnité spéciale de licenciement égal au double de l'indemnité légale, ce qui, nonobstant son recours contre la décision de l'organisme social, a valu reconnaissance implicite par l'association du caractère professionnel de l'affection dont il doit être jugé qu'elle a été au moins partiellement en relation de causalité avec les faits de harcèlement moral ci-dessus caractérisés et ayant conduit à une détérioration de ses conditions de travail et à une altération de son état de santé.
EN CONSÉQUENCE, il convient, réformant le jugement dont appel, de faire droit à la demande de Mme [C] en nullité du licenciement .
Compte tenu notamment de l'effectif de l'association, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération mensuelle et brute de 4.024 euros versée à Mme [C], de son âge de 50 ans au jour du licenciement, de son ancienneté de sept années, des difficultés qu'elle rencontre pour trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer :
- une somme de 35.000 euros au titre de l'indemnité prévue à m'article 1235-3-1 du code du travail ;
- une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Le présent arrêt est attributif de droit et les sommes visées ci-dessus sont porteuses d'intérêts au taux légal à compter de ce jour.
L'UDAF sera en outre tenue de remettre à Mme [C] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conforme au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure du prononcé d'une astreinte.
L'UDAF, qui succombe, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et il est de l'équité de la condamner à verser à Mme [C] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Limoges en date du 21 juillet 2023,
Statuant à nouveau,
Vu l'article 1235-3-1 du code du travail ,
Prononce la nullité du licenciement pour inaptitude de Mme [C] ;
Condamne l'UDAF de la Corrèze à payer à Mme [L] [C], avec intérêts au taux légal à compter de ce jour :
- la somme de 35.000 euros au titre de l'indemnité prévue en cas de nullité du licenciement ;
- la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que l'UDAF de la Corrèze est tenue de remettre à Mme [C] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ;
Condamne l'UDAF de la Corrèze aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.