CA Bordeaux, 2e ch. civ., 5 septembre 2024, n° 20/04656
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Époux
Défendeur :
Capinvest Immobilier (SARL), Les Terrasses de Persée (SNC), Capa Promotion (SAS), Capa Participation (SARL), Patrimoines Participations (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
M. Desalbres, M. Figerou
Avocats :
Me Le Bource, Me Licata, Me David, Me Balas, Me Ballade, Me Leroy, Me Monferran
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 7 novembre 2005, Monsieur [T] [A] et Madame [E] [P] épouse [A] ont signé un contrat préliminaire dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement avec la SNC Les terrasses de Persée, représentée par sa gérante la SAS Capa Promotion, portant sur un appartement et deux parkings de la résidence Les Terrasses de Persée, située [Adresse 10], moyennant le prix de 130.600 euros TTC, dans le cadre d'une opération patrimoniale et de défiscalisation. Le 24 juillet 2006, ils ont donné mandat de gestion locative à la société Elience.
L'acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement a été passé entre la SNC Les Terrasses de Persée et les époux [A] le ler août 2006 et le bien a été livré le 22 décembre 2006. Pour financer cet achat, M. et Mme [A] ont souscrit un emprunt de 130.600 euros.
La vente a été conclue par l'intermédiaire de la SARL Capinvest Immobilier, mandataire de la société SNC Les Terrasses de Persée.
Par jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 4 juillet 2023, la société Capinvest Immobilier a été placée en liquidation judiciaire.
Le 19 novembre 2015, l'assemblée générale de la SNC Les Terrasses de Persée a décidé de sa dissolution anticipée et de l'ouverture de sa liquidation amiable et nommé la société Capa Promotion liquidateur pour toute la durée de la liquidation.
Le 30 novembre 2015, elle a déchargé la société Capa Promotion de son mandat, donné quitus de sa gestion et prononcé la clôture de la liquidation.
Le 17 mars 2016, la SNC Les Terrasses de Persée a fait l'objet d'une radiation du registre du commerce et des sociétés.
Monsieur et Madame [A] n'obtenant pas la rentabilité qu'ils attendaient de cette opération patrimoniale ont, par acte des 27 et 28 mars 2017, assigné la SARL Capa Participation et la SARL Patrimoines Participations, en leur qualité d'associées de la SNC Les Terrasses de Persée, la SAS Capa Promotion et la société Capinvest Immobilier( mandataire de la SNC Les Terrasses de Persée), aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
A la suite de l'ordonnance en date du 27 mars 2018, par laquelle le président du tribunal de grande instance a confié à la société Capa Promotion la mission de mandataire ad hoc de la SNC Les Terrasses de Persée, les époux [A] l'ont assignée en cette qualité en intervention forcée par acte du 27 avril 2018.
La jonction a été ordonnée par le juge de la mise en état le 25 mai 2018.
Par acte en date du 26 mars 2019, Monsieur et Madame [A] ont ensuite assigné en intervention forcée devant le tribunal de grande instance de Bordeaux la SNC Les Terrasses de Persée représentée par la SAS Capa Promotion, en sa qualité de mandataire ad hoc. La jonction a été ordonnée par le juge de la mise en état le 2 septembre 2019.
Par jugement en date du 15 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré les demandes de Monsieur [T] [A] et Madame [E] [P] épouse [A] irrecevables,
- condamné Monsieur [T] [A] et Madame [E] [P] épouse [A] à payer à la SARL Participation, SAS Promotion, SASU Participation et la SARL Capinvest Immobilier, chacune, la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties pour le surplus,
- condamné Monsieur [T] [A] et Madame [E] [P] épouse [A] aux dépens qui seront recouvrés directement par Maître Charlotte Guespin conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Par déclaration électronique en date du 25 novembre 2020, Monsieur [T] [A] et Madame [E] [A] ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions en date du 9 avril 2024, Monsieur [T] [A] et Madame [E] [A] demandent à la cour de :
- les déclarer recevables en leur appel,
- les y dire bien fondés,
En conséquence,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes dirigées contre la SNC Les Terrasses de Persée représentée par la SAS Capa Promotion, en sa qualité de mandataire ad hoc, la société Capa Participation et la société Patrimoines Participations et la société Capinvest Immobilier y compris celles les condamnant à l'article 700 du Code de procédure civile.
Et statuant à nouveau,
- juger que l'opération qui leur a été présentée était une opération financière complexe de long terme (i) ayant pour support un bien immobilier géré par un tiers, (ii) intégralement financée par un emprunt remboursé par la perception de loyers, par les réductions d'impôt procurées par le dispositif d'incitation fiscale Robien avec en complément un effort d'épargne mensuel, (iii) destinée à permettre, suivant la revente du bien au terme de l'engagement de location, le remboursement du prêt contracté et la réalisation d'un capital net supérieur à l'effort d'épargne fourni et donc la constitution d'un capital,
- juger que la société Capinvest Immobilier est intervenue dans le cadre d'un démarchage pour leur présenter l'opération et était tenue à leur égard à une obligation d'information et à un devoir de conseil,
- juger que dans le cadre de cette opération, les perspectives de valorisation du bien au terme de l'engagement de location revêtaient une importance essentielle pour ne pas dire cruciale dès lors que la possibilité d'atteindre l'objectif assigné à l'opération (la constitution d'un capital) dépendait très étroitement et principalement de la valeur du bien au terme de l'engagement de location,
- juger qu'il appartenait en conséquence à la société Capinvest Immobilier de se renseigner sur les perspectives réelles de valorisation du bien au terme de l'engagement de location pour (i) les informer utilement et satisfaire à son obligation d'information, (ii) vérifier que l'opération proposée était adaptée à l'objectif de constitution d'un capital de leur part et satisfaire à son devoir de conseil,
- juger qu'en s'abstenant de réaliser la moindre étude sur les perspectives réelles de valorisation du bien au terme de l'engagement de location et en leur communiquant une étude financière faisant état de perspectives de valorisation du bien litigieux au terme de l'engagement de location totalement irréalistes et fondées sur des données purement théoriques, la société Capinvest Immobilier a manqué à son obligation d'information et à son devoir de conseil,
- juger que la société Capinvest Immobilier, nécessairement consciente en sa qualité de professionnel des risques qu'elle leur faisait courir aurait dû attirer leur attention sur le caractère purement théorique des informations de l'étude financière relative aux perspectives de réalisation d'un capital et les risques pour elle à s'engager dans une opération dont la réussite était fondée sur des données purement théoriques. Qu'à aucun moment, cette mise en garde n'a été opérée, la seule mention du caractère non contractuel de l'étude financière étant parfaitement insuffisante à caractériser une telle mise en garde,
- juger que quand bien même ils n'ignoraient pas que l'investissement proposé (comme d'ailleurs tout investissement) comportait une part d'aléa, l'absence d'étude préalable par la société Capinvest Immobilier sur les perspectives réelles de valorisation du bien au terme de leur engagement de location et la communication sans mise en garde d'une information y relative totalement irréaliste, les a conduit à s'exposer à un risque certain ou quasi-certain qui s'est réalisé,
- juger que la société Les Terrasses de Persée en sa qualité de vendeur professionnel et de mandant de la Capinvest Immobilier a engagé sa responsabilité civile à leur égard pour le manquement aux obligations d'information et de mise en garde,
- juger que les manquements de la société Capinvest Immobilier à son obligation d'information et à son devoir de conseil les ont privé de la perte de chance de ne pas avoir pu souscrire un engagement plus rentable (i) que la valeur du bien au terme de l'engagement de location ne permette pas de réaliser un capital net supérieur à l'effort d'épargne fourni, (ii) que la valeur du bien au terme de l'engagement de location ne permette même pas de rembourser le solde du capital restant dû auprès de l'établissement ayant financé l'opération litigieuse, (iii) d'avoir ainsi, et pendant de nombreuses années, fourni en vain un important effort d'épargne (sans constituer le moindre capital).
- condamner in solidum avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, la société Les Terrasses de Persée, société en nom collectif représentée par la société Capa Promotion, société par actions simplifiée, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Les Terrasses de Persée désignée à cet effet par ordonnance du 27 mars 2018 de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, la société Capa Participation et la société Patrimoines Participations, prises en leur qualité d'associées de ladite SNC Les Terrasses de Persée à proportion de leurs droits sociaux dans la SNC Les Terrasses de Persée au paiement de la somme de 111 758,64 euros à titre de dommages et intérêts,
- juger que les manquements de la société Les Terrasses de Persée, société en nom collectif représentée par la société Capa Promotion, société par actions simplifiée, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Les Terrasses de Persée désignée à cet effet par ordonnance du 27 mars 2018 de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, la société Capa Participation et la société Patrimoines Participations, prises en leur qualité d'associées de ladite SNC Les Terrasses de Persée à leur obligation d'information et à leur devoir de conseil sont aussi pour eux la cause d'un préjudice moral distinct du préjudice financier causé par le stress lié à la présente procédure initiée pour faire valoir leurs droits,
- condamner in solidum avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, la société Les Terrasses de Persée, société en nom collectif représentée par la société Capa Promotion, société par actions simplifiée, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Les Terrasses de Persée désignée à cet effet par ordonnance du 27 mars 2018 de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, la société Capa Participation et la société Patrimoines Participations, prises en leur qualité d'associées de ladite SNC Les Terrasses de Persée à proportion de leurs droits sociaux dans la SNC Les Terrasses de Persée au paiement de la somme de 12 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
- condamner in solidum avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, la société Les Terrasses de Persée, société en nom collectif représentée par la société Capa Promotion, société par actions simplifiée, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Les Terrasses de Persée désignée à cet effet par ordonnance du 27 mars 2018 de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, la société Capa Participation et la société Patrimoines Participations, prises en leur qualité d'associées de ladite SNC Les Terrasses de Persée à proportion de leurs droits sociaux dans la SNC Les Terrasses de Persée et la société Capinvest Immobilier au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,
- déclarer infondées les intimées en leur argumentation,
- les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires.
Dans ses dernières conclusions en date du 15 avril 2021, la SARL Patrimoines Participations demande à la cour de :
- déclarer irrecevable ou à tout le moins infondé l'appel interjeté par Monsieur et Madame [A] à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 octobre 2020,
- confirmer le jugement en date du 15 octobre 2020 en ce qu'il a déclaré prescrites et irrecevables les demandes de Monsieur et Madame [A] et les a condamnés à lui verser une somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a' supporter les dépens.
En conséquence,
- déclarer l'action initiée par Monsieur et Madame [A] à l'encontre de la SNC Les Terrasses de Persée irrecevable, pour cause de prescription, et par voie de conséquence, irrecevable, a' son encontre, en ce qu'elle est prescrite.
Subsidiairement,
- Déclarer irrecevables l'action et les demandes dirigées par Monsieur et Madame [A] à
son encontre, en sa qualité d'associée, compte tenu de l'irrégularité affectant la procédure initiée à l'encontre de la SNC Les Terrasses de Persée,
- déclarer irrecevables l'action et les demandes dirigées par Monsieur et Madame [A] à son encontre, en ce qu'elle est prématurée,
- déclarer irrecevables l'action et les demandes dirigées par Monsieur et Madame [A] à son encontre de la SARL Patrimoines Participations, en l'absence de toute qualité et d'intérêt à agir,
- prononcer sa mise hors de cause,
En toutes hypothèses,
- rejeter l'ensemble des demandes formées par Monsieur et Madame [A] à son encontre en ce qu'elles sont infondées,
- rejeter les demandes financières présentées par Monsieur et Madame [A], ainsi que leurs demandes sollicitant l'exécution provisoire.
Très subsidiairement,
- dire et juger que le préjudice de Monsieur et Madame [A] consiste en une perte de chance,
En conséquence,
- le réduire à de plus justes proportions,
- rejeter la demande de Monsieur et Madame [A] de condamnation in solidum de la SARL Patrimoines Participations et de la SARL Capa Participation,
- dire et juger qu'elle ne peut être condamnée à l'égard de Monsieur et Madame [A], tout au plus, qu'à proportion de ses parts sociales,
- rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- condamner in solidum Monsieur et Madame [A] à lui verser une somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de ses frais de défense en première instance,
- condamner in solidum Monsieur et Madame [A] à avoir à lui verser une somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais de défense en appel,
- condamner in solidum Monsieur et Madame [A] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL Leroy-Gras, avocat postulant.
Dans leurs dernières conclusions en date du 23 mai 2024, la SNC Les Terrasses de Persée, la société Capa Promotion et la société Capa Participation demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondées en leurs demandes,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- déclarer prescrites les demandes de Monsieur et Madame [A],
- constater que les seules obligations de la SNC Les Terrasses de Persée vendeur en VEFA, société non liée au groupe Patrimoine Conseils ont été remplies à l'égard des dispositions du Code de la construction et de l'habitation et que le vendeur en VEFA n'a pas une obligation d'information sur la valeur, sauf à avoir commis un dol qui n'est pas invoqué en l'espèce,
- constater qu'en choisissant de poursuivre le contrat, Monsieur et Madame [A] sont irrecevables à se prévaloir de la perte d'une chance de ne pas avoir contracté,
- condamner Monsieur et Madame [A], à payer par application de l'article 700 du Code de procédure civile en ce qui concerne la première instance :
- à la SNC Les Terrasses de Persée agissant poursuites et diligences de son mandataire la SARL Capa Promotion une somme de 6 000 euros,
- à la société CAPA Promotion une somme de 6000 euros,
- à la société CAPA Participation une somme de 6000 euros,
- condamner Monsieur et Madame [A] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 mai 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I- Sur la régularisation de la procédure
La société Capinvest a fait l'objet, le 4 juillet 2023, d'une procédure de liquidation judiciaire.
En conséquence, lors de l'audience de plaidoirie du 23 janvier 2024, l'affaire a été renvoyée à la mise en état en vue de la régularisation de la procédure.
Les époux [A] ont fait savoir qu'ils n'entendaient pas faire assigner en intervention forcée le liquidateur.
Selon l'article 365 du code de procédure civile, l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
L'article L. 622-22 du code de commerce dispose : 'Sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.'
Ces dispositions sont applicables en cas de liquidation judiciaire ainsi qu'il résulte de l'article L. 641 du même code selon lequel : ' Le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire a les mêmes effets que ceux qui sont prévus en cas de sauvegarde par les premier et troisième alinéas du I et par le III de l'article L. 622-7, par les articles L. 622-21 et L. 622-22, par la première phrase de l'article L. 622-28 et par l'article L. 622-30.'
Par conséquent, dès lors que les époux [A] n'entendent pas procéder aux diligences propres à permettre la reprise de l'instance en ce qu'elle les oppose à la sarl Capinvest, il y a lieu de procéder à une disjonction d'instance et d'ordonner la radiation de celle-ci par application de l'article 376 du code de procédure civile.
II- Sur la prescription de l'action
Les époux [A] fondent leur demande sur un manquement par la sarl Capinvest à son obligation précontractuelle d'information et de conseil.
Le tribunal a considéré que la prescription applicable, d'une durée de cinq ans, selon l'article 2224 du code civil, avait pour point de départ le jour où le titulaire du droit aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Que s'agissant du potentiel locatif de l'immeuble litigieux, celui-ci est resté vacant :
- entre le 22 décembre 2006, date de sa livraison, et le 17 août 2007 et ce alors même qu'un mandat de gestion locative avait été confié à une société spécialisée
- entre le 14 mars 2010 et le 27 février 2012,
de sorte que les époux [A] ont pu prendre conscience de leur dommage au plus tard, le 27 février 2012 après 31 mois de vacance locative et alors qu'ils n'ont pu relouer qu'à un prix moindre que celui envisagé à l'origine ( 400 € au lieu de 430 €).
Que par ailleurs, s'agissant de la surévaluation du prix de l'appartement dont les époux [A] soutenaient n'avoir pris connaissance qu'en décembre 2017, il leur appartenait, lors de l'achat, de procéder eux-mêmes aux vérifications et recherches nécessaires afin de déterminer si le prix demandé était sérieux.
Qu'en décider autrement, c'est-à-dire fixer le point de départ de la prescription au moment où ils décidaient de procéder à cette vérification, revenait à conférer au délai de prescription un caractère purement potestatif.
Le tribunal a donc fixé le point de départ du délai de prescription au 27 février 2012 de sorte que la prescription était acquise lors de l'introduction de l'instance, les 27 et 28 mars 2017.
La SNC Les Terrasses de Persée et les sociétés Capa Participation et Patrimoines Participations concluent à la confirmation du jugement dont elles reprennent la motivation.
Sur la prescription, les époux [A] rappellent que son point de départ ne peut être fixé au jour de la conclusion du contrat mais à la date de réalisation du risque à propos duquel la victime aurait dû être informée, conseillée ou mise en garde.
Que leur préjudice consiste dans une perte de chance de ne pas avoir pu souscrire un engagement plus rentable, celui-ci ne pouvant se réaliser in concreto qu'au terme de l'opération.
Qu'en l'espèce, il faut donc prendre en considération qu'il s'agissait d'une opération d'investissement et de défiscalisation qui doit être prise en compte dans son ensemble et notamment au regard de leurs objectifs : souscrire à une opération de défiscalisation ayant pour support un bien immobilier, qui leur permettrait non seulement de défiscaliser les revenus, mais également de constituer un capital, financé grâce à une épargne personnelle (censée être définie et maîtrisée), un gain fiscal et notamment grâce à la revente prévue à l'issue de la période de défiscalisation.
Que le dénouement de l'opération ne pouvait intervenir qu'au bout de neuf ans compte tenu des contraintes liées au dispositif de défiscalisation prévu par la loi dite 'de Robien', soit en juin 2016.
Selon l'article 2224 du code civil, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour ou le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription ne se situe pas nécessairement au jour du dommage mais au jour où le titulaire du droit dispose de tous les éléments nécessaires pour en prendre connaissance.
Il n'est pas contesté que le dommage résultant d'un éventuel manquement à l'obligation précontractuelle d'information, de conseil ou en mise en garde ne peut être constitué que par une perte de chance de n'avoir pas contracté ou de n'avoir pu contracter à de meilleures conditions.
Le dommage en question se réalise certes nécessairement le jour de la signature du contrat car la possibilité de ne pas contracter disparaît à ce moment même.
Mais par définition, s'agissant d'un placement ou d'un investissement spéculatif, sa manifestation ne peut s'opérer que plus tard.
Plus particulièrement, s'agissant d'un investissement locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat. ( Civ. 3, 26 oct 2022, n°21-19.900 et 5 oct 2023, n°23-13.104).
En l'espèce, la plaquette de présentation de l'investissement auquel ont souscrit les époux [A] leur proposait :
- de constituer un capital,
- de percevoir pendant toute la durée de l'opération des revenus locatifs garantis, dont le montant mensuel ne ferait qu'augmenter année après année,
- de générer une substantielle économie d'impôt grâce aux dispositions de la
défiscalisation permise par la loi dite 'de Robien'
- de régler l'essentiel des mensualités de remboursement du prêt, grâce aux revenus
locatifs et à l'économie d'impôt,
et une simulation, dans l'hypothèse où les intéressés conserverait leur bien pendant dix ans laissait prévoir l'acquisition :
- d'un gain fiscal total de 14.715 euros,
- d'un capital réalisé de 48.174 euros,
- d'un capital net d'impôts au terme de 130.600 euros.
La rentabilité de l'opération ne pouvait donc s'apprécier qu'au regard des différents facteurs conjugués tels que l'appréciation de la valeur acquise par l'immeuble, les revenus procurés par les locations et les avantages fiscaux obtenus.
Dans la mesure en particulier où les avantages fiscaux supposaient d'une part un engagement consistant à offrir l'immeuble à la location pendant une durée minimale de 9 années et pouvaient d'autre part, être remis en cause, avant l'expiration de ce délai, ce n'est au minimum qu'au terme de cette durée que le bilan global de l'opération pouvait être réalisé.
En effet, une mauvaise rentabilité locative pouvait être contrebalancée par une valorisation très importante de l'immeuble ou des avantages fiscaux eux-mêmes très significatifs si les investisseurs étaient fortement imposés.
C'est donc à juste titre que les époux [A] soutiennent que le point de départ du délai de prescription ne saurait être antérieur à la date du 17 août 2016, date de fin du dispositif de défiscalisation.
Par conséquent, l'instance introduite le 28 mars 2017 n'était pas prescrite.
III- Sur le manquement à l'obligation de renseignement et de conseil
En raison de la disjonction d'instance évoquée plus haut, il n'y a plus lieu d'examiner la demande des époux [A] en ce qu'elle est dirigée contre la sarl Capinvest Immobilier.
La demande était également dirigée contre la SNC Les Terrasses de Persée en sa qualité de vendeur professionnel et de mandant des conseillers financiers parmi lesquels la sarl Capinvest Immobilier.
La SNC Les Terrasses de Persée conclut à la confirmation du jugement en soutenant qu'elle a parfaitement rempli les obligations qui étaient les siennes en tant que vendeur en l'état futur d'achèvement et que tous les documents requis par la loi sont exempts de reproches : contrat de réservation, projet d'acte, l'acte lui-même...
Elle fait observer que ces actes ne portent aucune mention relative à des avantages fiscaux et qu'il ne saurait lui être imposé des obligations d'information et de conseil étrangères à son activité.
Mais il n'est pas contesté que la sarl Capinvest Immobilier s'était vue confier par la SNC le mandat de commercialiser les appartements qui devaient être construits par celle-ci.
Même s'il peut être considéré qu'il était évident que cette société n'agissait pas de manière neutre et indépendante et qu'elle était avant tout chargée de placer les produits d'une société déterminée, ayant de fait plus une fonction de commercialisation que de conseil en patrimoine, elle n'en n'était pas moins tenue d'une obligation de conseil et d'information qui incluait le devoir de rappeler les risques inhérents à ce type de placement.
Ces appartements étaient essentiellement destinés à des investissements locatifs intégrés dans les dispositifs fiscaux destinés à favoriser l'investissement locatif tels la loi dite 'de Robien'.
Les plaquettes présentées aux époux par le représentant de la société Capinvest et intitulés 'Étude personnalisée' comportaient en sous-titre 'Programme : les Terrasses de Persée'.
Il y était annexé une plaquette présentant le programme immobilier en question qui comportait le logo et l'indication 'Patrimoines de France'.
Dans cette plaquette, étaient présentés, notamment le gestionnaire qui se chargerait de la gestion locative, la société Élience et un 'package spécial investisseurs'.
Il n'est pas contesté non plus que la sarl Capinvest Immobilier n'agissait pas comme un conseiller de gestion en patrimoine indépendant et n'assurait donc que la commercialisation des programmes élaborés par la SNC Les Terrasses de Persée ou d'autres sociétés du groupe 'Patrimoine de France'.
Au demeurant, il est soutenu par les époux [A], sans qu'ils soient contredits, qu'en effet, la Société Capinvest ne leur a proposé que ce seul placement.
Par conséquent, loin de se cantonner à réaliser un programme d'appartements en vente en l'état futur d'achèvement, la SNC Les Terrasses de Persée avait une politique active de commercialisation de ces appartements dans une perspective d'investissement défiscalisé qu'elle avait confiée à la sarl Capinvest Immobilier.
Les plaquettes de présentation avaient nécessairement reçu son aval quand elle ne les avait pas conçues elle-même.
Or, comme l'affirment les époux [A], la société Capinvest leur avait présenté cet investissement de manière à les persuader qu'il n'existait aucun risque et qu'il suffisait de se reposer entièrement sur les différentes entités qui se chargeaient de tout.
Ainsi n'était-il pas nécessaire de se rendre sur place, ne serait-ce que pour signer l'acte notarié puisqu'on leur proposait le nom d'un notaire chargé d'établir une procuration.
De même, une société de gestion se chargeait de chercher les locataires et de procéder à toutes les formalités nécessaires à cette fin tandis qu'une assurance était proposée à la fois en cas de vacance de l'appartement et en cas de défaut de paiement des loyers.
Il était même proposé une assurance 'garantie revente' avec garantie de valeur en cas de revente dans certaines hypothèses.
Dans ces conditions, les époux [A] étaient nécessairement conduits à accorder une confiance complète au placement en question puisque tout paraissait être prévu et qu'aucune initiative de leur part ne leur était réclamée.
Mais en contrepartie, aucun élément du dossier ne comportait une mise en garde quelconque quant au caractère aléatoire à divers titres de ce type de placement.
C'est également à juste titre que les époux [A] relèvent que les simulations financières qui leur avaient été présentées étaient purement théoriques et ne s'appuyaient sur aucun élément concret propre au contexte général et particulier : marché immobilier national et local, prix des locations, taux de vacance etc...
Il est donc établi que la sarl Capinvest Immobilier n'a pas respecté son obligation générale précontractuelle de conseil, d'information et aussi de mise en garde.
En sa qualité de mandant ayant de surcroît participé, voire conçu, et en tout cas, ayant eu une parfaite connaissance de l'argumentaire et du dispositif mis en place en vue de la commercialisation de l'appartement vendu aux époux [A], la société Les Terrasses de Persée doit en être déclarée responsable.
Pour ce qui concerne l'action en ce qu'elle est dirigée aussi contre les associés de la SNC, c'est-à-dire les sociétés Capa Participation et Patrimoines Participation, force est de constater qu'à l'appui de leur demande les époux [A] n'invoquent aucun fondement.
Par conséquent, cette demande sera rejetée.
IV- Sur le préjudice
Les époux [A] démontrent qu'ayant vendu leur appartement le 29 juin 2021 pour un prix inférieur à son prix d'achat soit pour un montant de 60 000 € net vendeur, le bilan global de l'opération est largement négatif puisqu'il se caractérise par une perte de 111 758,64 €.
En effet, les frais ont été les suivants :
- intérêts et frais du contrat de prêt : 51 665.95 €
- assurance emprunteur : 9 511.65 €
- capital emprunté : 130 600 €
- assurance locative :2 554.63 €
- charges de copropriété : 17 099,46 €
- frais de garantie de loyer: 1794,31 €
- frais de gestion: 6560,47 €
- frais de location : 2 177,62 €
- travaux de rénovation : 4 632,97 €
- taxes foncières : 4940 €
- contrat d'assurance propriétaire non occupant :904.89 €
Sous-Total : 232 441,95 €
Les gains et revenus on été les suivants :
- Loyers : 42 751,67 €
- Réductions d'impôt : 17 931,64 €
- Revente de l'immeuble : 60 000 €
Sous-total : 120 683,31 €
Toutefois, le préjudice lié à la faute commise par la sarl Capinvest et dont est responsable son mandant ne peut être qu'une perte de chance d'avoir pu renoncer à l'achat si celle-ci avait rempli son obligation d'information et de conseil.
Il convient de l'évaluer à 50 % de sorte que les dommages et intérêts dus aux époux [A] s'élèvent à la somme de 55 879,32 €.
À l'appui de leur demande de réparation de leur préjudice moral, les époux invoquent à juste titre l'inquiétude provoquée par les difficultés de location et la découverte de la moins-value importante enregistrée lors de la revente de l'appartement.
Il leur sera donc alloué à ce titre la somme de 3000 €.
Conformément à ce que prévoient les articles 1231-7 et 1343-2 du code civil, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la présente décision et seront capitalisés par années entières.
V- Sur les demandes accessoires.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SNC Les Terrasses de Persée laquelle versera en outre la somme de 4000 € aux époux [A] par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Ordonne la disjonction de l'instance et dit que l'instance opposant les époux [A] à la sarl Capinvest sera distraite de la présente instance et recevra un numéro de rôle distinct,
Ordonne la radiation de cette instance faute de diligences des parties, par application de l'article 376 du code de procédure civile,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 octobre 2020 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable comme non prescrite l'action en dommages et intérêts formée par les époux [A],
Condamne la société Capa Promotion ès qualités de mandataire ad hoc de la SNC Les Terrasses de Persée à payer aux époux [A], pris ensemble, la somme de 55 879,32 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance d'avoir pu refuser l'achat de l'appartement et celle de 3000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur dommage moral.
Déboute les époux [A] de leurs autres demandes.
Condamne la société Capa Promotion ès qualités de mandataire ad hoc de la SNC Les Terrasses de Persée à payer aux époux [A] la somme de 4000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision et seront capitalisés par années entières.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.