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Décisions

Cass. 3e civ., 22 septembre 2004, n° 03-10.325

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Weber

Rapporteur :

M. Paloque

Avocat général :

M. Guérin

Avocats :

Me Odent, SCP Coutard et Mayer, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Gatineau, SCP Nicolay et de Lanouvelle

Rennes, du 23 oct. 2002

23 octobre 2002

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 octobre 2002), que la société Batiroc a fait procéder, en 1991, à l'édification d'un bâtiment à usage industriel et a souscrit une police "dommages ouvrage" auprès de la société Cigna insurance of Europe (société Cigna), aux droits de laquelle se trouve la société Ace insurance SA-NV ; que la société Sodistra, assurée auprès de la société Axa assurances IARD, aux droits de laquelle se trouve la société Axa France IARD, s'étant vu confier le lot "panneaux isothermes et bardages", a mis en oeuvre des panneaux fabriqués par la société Plasteurop, aux droits de laquelle se trouve la Société financière et industrielle du Peloux, assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) ; qu'à la suite de désordres apparus sur ces panneaux, la société Cigna a indemnisé son assurée puis a assigné la société Sodistra, la société Plasteurop et leurs assureurs en remboursement des sommes versées ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la SMABTP fait grief à l'arrêt de reconnaître valable la police d'assurance souscrite auprès d'elle par la société Plasteurop, alors, selon le moyen :

1 / que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu'en l'espèce, s'il y avait bien identité de cause, il n'y avait pas identité d'objet dès lors que l'on était en présence de sinistres différents, ni identité de parties dès lors que la compagnie Cigna, bénéficiaire de la condamnation prononcée dans le cas d'espèce contre la SMABTP, n'était pas dans la procédure ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris ; qu'en estimant dès lors que la Société financière et industrielle du Peloux concluait à bon droit, sur le fondement de l'autorité de la chose jugée, à l'irrecevabilité de la demande en nullité de la police formulée par la SMABTP, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil et l'article 480 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que la loi applicable à une fausse déclaration intentionnelle est celle en vigueur au jour où elle a été effectuée et non celle de la signature du contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, par motifs supposés adoptés, a estimé qu'il fallait se placer au jour de la signature de la police, le 12 décembre 1990, soit postérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er mai 1990, de la loi du 31 décembre 1989, pour apprécier si la société Plasteurop avait volontairement induit en erreur la SMABTP sur le risque à garantir ; que la cour d'appel, pourtant, a constaté, d'une part, que les parties avaient choisi de faire rétroagir la convention au 1er janvier 1990 et, d'autre part, que des renseignements sur le produit fabriqué avaient été apportés le 17 octobre 1988 par la société Plasteurop, sur la demande de la SMABTP, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la loi de 1989 ; qu'il en résultait que la définition du risque entre les parties était achevée à la fin de l'année 1989, avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ; qu'en ne recherchant pas si, à cette date, la société Plasteurop n'avait pas commis une réticence frauduleuse et en faisant ainsi peser sur l'assureur les conséquences d'un défaut de questionnaire qu'il n'avait pas à établir à cette époque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du Code civil, L. 113-2 et L. 113-8 du Code des assurances ;

Mais attendu qu'ayant relevé que, dans une autre instance l'opposant à son assurée la société Plasteurop, la SMABTP avait soulevé la nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration intentionnelle et que cette demande avait été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de Paris, et après avoir relevé que la chose demandée devant elle, fondée sur la même cause était la même, qu'elle était formée entre les mêmes parties, la société Cigna étant subrogée après paiement dans les droits et actions de son assurée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire qu'il y avait autorité de la chose jugée quant au rejet de la demande en nullité du contrat d'assurance formée par la SMABTP ;

D'où, il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la SMABTP fait grief à l'arrêt de rejeter le recours formé contre la société Royale Belge, autre assureur de la société Plasteurop, alors, selon le moyen, qu'en ne recherchant pas, comme les conclusions l'y invitaient, si le contrat souscrit auprès de la Royale Belge ne couvrait pas la responsabilité extracontractuelle de la Société financière et industrielle du Peloux, et même tout "travail après sa réception", ce qui supposait que la responsabilité décennale de ladite société était garantie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat d'assurance souscrit par la société Royale Belge ne garantissait pas la responsabilité décennale de l'assurée mais sa responsabilité civile après livraison, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a, sans dénaturation, pu en déduire que la garantie de cet assureur ne s'appliquait pas ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais, sur le premier moyen :

Vu l'article 1792-4 du Code civil ;

Attendu que le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré ;

Attendu que pour faire application de ce texte l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les panneaux livrés par la société Plasteurop sont fabriqués pour constituer des entrepôts frigorifiques à température négative ou positive, la paroi intérieure en polyester étant destinée à répondre à des exigences précises d'ordre sanitaire recommandées dans des ambiances agressives ou à haut risque de corrosion dus à des nettoyages fréquents comme dans les industries agro-alimentaires ; que les panneaux sont découpés en usine aux dimensions voulues pour la réalisation de l'entrepôt, l'entreprise n'ayant plus que l'assemblage à réaliser, sans modification et conformément aux règles édictées par la société Plasteurop ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé, d'une part, que le fabricant proposait une gamme de panneaux différents que le concepteur de l'immeuble pouvait choisir en fonction de la plage de température qu'il souhaitait obtenir et que d'autres fabricants proposaient à la vente ce même type de produit, d'autre part, que les panneaux étaient découpés sur le chantier afin d'y insérer des châssis d'éclairage et d'aération, des portes, des fenêtres et des passages de gaines techniques, et que dès lors les panneaux constituaient des éléments indifférenciés et nécessitant des modifications pour leur mise en oeuvre, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne, solidairement, en application des articles 1792 et 1792-4 du Code civil, la société Sodistra, la Société financière et industrielle du Peloux, la compagnie Axa assurances IARD et la SMABTP à payer à la société Ace insurance, aux droits de la société Cigna insurances company of Europe, la somme de 859 001 francs avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1997, l'arrêt rendu le 23 octobre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.