Cass. 2e civ., 17 février 2022, n° 21-70.024
COUR DE CASSATION
Arrêt
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Foussard et Froger
1. La question est ainsi formulée :
« Il résulte de l'article L. 114-1 du code des assurances que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. Quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.
Dans le cas où l'action en justice du tiers contre l'assuré consiste en l'exercice de l'action civile devant la juridiction pénale, doit-il être considéré que le point de départ du délai de prescription de deux ans se situe au moment de sa constitution de partie civile devant la juridiction pénale compétente pour en connaître, quand bien même il ne formulerait alors aucune demande en paiement, ou bien au moment où le tiers ainsi constitué partie civile, présente ultérieurement des demandes en paiement précises à l'encontre de l'assuré ? »
2. Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 114-1 du code des assurances, qui dispose que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance, le troisième alinéa de ce texte prévoit que lorsque l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.
3. Par ailleurs, il résulte de l'article 30 du code de procédure civile que l'exercice d'une action en justice suppose que des prétentions soient soumises au juge.
4. En ce qui concerne, comme en l'espèce, une assurance de responsabilité, l'article L. 124-1 du code des assurances prévoit que l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé. L'article L. 124-3 du même code précise que l'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.
5. Il en résulte que le recours exercé contre l'assuré par le tiers lésé qui, selon l'article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, constitue la cause de l'action de l'assuré contre son assureur, correspond à la réclamation judiciaire du tiers lésé. Cette réclamation conditionne en effet l'obligation à garantie de l'assureur et constitue, dès lors, le fait permettant à l'assuré d'agir valablement contre lui.
6. Selon une jurisprudence constante, toute action en référé est une action en justice au sens de l'article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (1re Civ., 10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull., n° 133 ; 1re Civ., 31 mai 2007, pourvoi n° 06-15.699, Bull., n° 210 ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull., n° 202 ; 2e Civ., 1er juillet 2010, pourvoi n° 09-10.590, Bull., n° 129) et il a été jugé qu'une action en référé expertise était une réclamation au sens de l'article L. 124-1 du même code (1re Civ., 29 février 1972, pourvoi n° 70-12.487, Bull., n° 066).
7. Il découle de ce qui précède, en premier lieu, que la qualification d'action en justice au sens de l'article L. 114-1 du code des assurances n'est pas subordonnée à la présentation d'une demande indemnitaire chiffrée (s'agissant d'une constitution de partie civile : Crim., 4 mars 1958, Bull., n° 130 ; 2e Civ., 26 mars 2015, pourvoi n° 14-15.426).
8. En second lieu, concernant l'assurance de responsabilité, l'action doit tendre à engager la responsabilité civile de l'assuré.
9. Or, selon l'article 418, alinéa 3, du code de procédure pénale et la jurisprudence de la chambre criminelle, l'action civile peut être exercée devant la juridiction répressive aux seules fins de corroborer l'action publique (Crim., 10 octobre 1968, pourvoi n° 67-92.262, Bull., n° 248 ; Crim., 26 juin 2018, pourvoi n° 17-86.666). Dans cette hypothèse, notamment lorsque les demandes indemnitaires ne peuvent pas être portées devant la juridiction répressive mais relèvent de la compétence d'une autre juridiction, la constitution de partie civile ne constitue pas le point de départ de l'action de l'assuré contre son assureur (2e Civ., 7 avril 2005, pourvoi n° 04-12.128, Bull. 2005, II, n° 88 ; 2e Civ., 11 octobre 2006, pourvoi n° 04-30.694 ; 2e Civ., 8 octobre 2009, pourvoi n° 08-17.151, Bull. 2009, II, n° 238).
10. De façon similaire, l'effet interruptif, par la constitution de partie civile, de la prescription de l'action en responsabilité formée par la victime devant une juridiction civile ne se produit que si elle manifeste l'intention chez la victime de mettre en cause la responsabilité de l'auteur de ses dommages et pas simplement de corroborer l'action publique (Ch. mixte, 24 février 1978, pourvoi n° 73-12.290, Bull., n° 003 ; 1re Civ., 25 janvier 2000, pourvois n° 97-22.658, 98-12.183, Bull., n° 23 ; 2e Civ., 12 décembre 2002, pourvoi n° 01-02.853, Bull., n° 284).
11. En conséquence, la deuxième chambre civile est d'avis que, pour l'application de l'article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, en matière d'assurance de responsabilité, le point de départ du délai biennal de prescription de l'action de l'assuré contre l'assureur se situe au jour de la constitution de partie civile de la victime devant la juridiction pénale compétente pour connaître de la demande de réparation, dès lors que cette constitution de partie civile manifeste l'intention d'engager la responsabilité civile de l'auteur du dommage, quand bien même la partie civile ne formulerait à ce stade aucune demande en paiement.
ORDONNE la transmission du dossier et de l'avis à la chambre criminelle.
Ainsi fait et émis par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.