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Décisions

Cass. 3e civ., 14 septembre 2023, n° 22-17.001

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Zedda

Avocats :

SARL Cabinet Munier-Apaire, SARL Le Prado - Gilbert, SAS Buk Lament-Robillot, SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Yves et Blaise Capron, SCP Zribi et Texier

Bordeaux, du 22 févr. 2022

22 février 2022

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Carrier du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Allianz IARD.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 22 février 2022), la société Réseau de transport d'électricité (la société RTE) a confié à la société Cap Ingelec la maîtrise d'oeuvre du remplacement d'installations de climatisation d'un bâtiment technique.

3. L'exécution des travaux a été confiée à la société Waroude Automation, assurée auprès de la société Allianz IARD.

4. Cette entreprise a sous-traité une partie des travaux à la société Établissements Jean Carcelles (la société Carcelles), assurée auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle se trouvent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA).

5. La société Carrier a fourni à la société Carcelles des groupes frigorifiques.

6. La réception de l'ouvrage est intervenue le 1er septembre 2010.

7. Se plaignant de désordres, la société RTE a, après expertise judiciaire, assigné les sociétés Cap Ingelec, Waroude Automation et Allianz IARD en indemnisation de ses préjudices. Les sociétés Carcelles et MMA ont été appelées en intervention forcée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal de la société Carrier

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi incident de la société Waroude Automation

Enoncé du moyen

9. La société Waroude Automation fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de la société Carcelles et des sociétés MMA à la relever et à la garantir indemne de toutes les condamnations prononcées à son encontre, alors « qu'en déboutant, dans le dispositif de l'arrêt attaqué, la société Waroude Automation de ses demandes tendant à la condamnation de la société Établissements Jean Carcelles, de la société MMA Iard et de la société MMA Iard assurances mutuelles à la relever et à la garantir indemne de toutes les condamnations prononcées à son encontre, quand elle avait retenu, dans les motifs de son arrêt, que ces demandes étaient fondées, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif et a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte des motifs de l'arrêt que la cour d'appel a entendu condamner les sociétés Carcelles et MMA in solidum à garantir la société Waroude Automation de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

11. La demande de garantie n'est pas spécifiquement rejetée dans le dispositif.

12. Le vice allégué par le moyen procède d'une omission matérielle dont la rectification sera ci-après ordonnée en application de l'article 462 du code de procédure civile.

13. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la société Carrier, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Carrier à payer diverses sommes à la société RTE

Enoncé du moyen

14. La société Carrier fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec la société Waroude Automation, la société Cap Ingelec, la société Carcelles et les sociétés MMA à payer diverses sommes à la société RTE, alors « qu'un fabricant ne peut être solidairement responsable des obligations mises à la charge du locateur d'ouvrage sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil que si l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou l'élément d'équipement qu'il a fabriqué a été conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance et qu'il a été mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles qu'il a lui-même édictées ; qu'en se contentant de retenir, pour juger que la responsabilité de la société Carrier était engagée sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, que les travaux litigieux consistaient dans le remplacement des installations de production de froid et de climatisation dans un bâtiment technique R22, qu'ils passaient par la réalisation de réseaux hydrauliques nouveaux, la mise en place de canalisations nouvelles nécessitant des percements et de liaisons électriques nouvelles, qu'ils entraient dans le cadre d'une réhabilitation du bâtiment et que les installations de climatisations concernées avaient une importance capitale pour l'activité du maître de l'ouvrage, de sorte que compte tenu de leur nature, de leur ampleur et leur importance, ces travaux étaient à tout le moins un élément constitutif de l'ouvrage, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les machines fournies par la société Carrier dans le cadre de ces travaux avaient été spécialement conçues pour répondre aux besoins de la réhabilitation du bâtiment litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-4, alinéa 1er, du code civil :

15. Aux termes de ce texte, le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré.

16. Pour condamner la société Carrier à indemniser la société RTE, l'arrêt relève que les travaux litigieux consistent dans le remplacement des installations de production de froid et de climatisation dans un bâtiment technique, passant par la réalisation de réseaux hydrauliques nouveaux, la mise en place de canalisations nouvelles nécessitant des percements, et de liaisons électriques nouvelles.

17. Il retient que ces travaux sont d'une importance capitale pour l'activité du maître de l'ouvrage et que, compte tenu de leur nature, de leur ampleur et de leur importance, ils sont un élément constitutif de l'ouvrage.

18. Il en déduit que la responsabilité de la société Carrier, fabricant « du matériel », est engagée de plein droit sur le fondement de l'article susvisé.

19. En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi les éléments fabriqués par la société Carrier étaient de la nature de ceux visés à l'article 1792-4 du code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal de la société Carrier, sur le moyen du pourvoi provoqué de la société Cap Ingelec, sur le moyen du pourvoi incident de la société Carcelles et sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Waroude Automation, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

20. Par son troisième moyen, la société Carrier fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec les sociétés Waroude Automation, Cap Ingelec, Carcelles et MMA à payer à la société RTE la somme de 23 356,53 euros HT au titre des honoraires réglés à M. [W] et des sommes versées à la société Becice et de la condamner à relever et garantir les sociétés Cap Ingelec, Waroude Automation, Carcelles et MMA des condamnations prononcées à leur encontre à ce titre, alors « que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en énonçant, pour condamner à payer à titre de dommages et intérêts à la société RTE la somme de 23 356,53 euros HT, correspondant aux honoraires réglés à M. [W] et aux sommes versées à la société Becice, que M [W] avait accompagné la société RTE pendant les opérations d'expertise et que la société Becice avait réalisé des études et devis dans le cadre des opérations d'expertise, la cour d'appel qui a qualifié de préjudice réparable les frais non compris dans les dépens engagés par la société RTE dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire a violé, par refus d'application, l'article 700 du code de procédure civile. »

21. Par son moyen la société Cap Ingelec fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec les sociétés Carrier, Waroude Automation, Carcelles et MMA à payer à la société RTE la somme de 23 356,53 euros HT au titre des honoraires réglés à M. [W] et des sommes versées à la société Becice, alors « que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en énonçant, pour condamner la société Cap Ingelec à payer à titre de dommages-intérêts à la société RTE la somme de 23 356,53 euros HT, correspondant aux honoraires réglés à M. [W] et aux sommes versées à la société Becice, que M. [W] avait accompagné la société RTE pendant les opérations d'expertise et que la société Becice avait réalisé des études et devis dans le cadre des opérations d'expertise, la cour d'appel, qui a qualifié de préjudice réparable les frais non compris dans les dépens engagés par la société RTE dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire, a violé, par refus d'application, l'article 700 du code de procédure civile. »

22. Par son moyen, la société Carcelles fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec les sociétés Carrier, Waroude Automation, Carcelles et MMA à payer à la société RTE la somme de 23 356,53 euros HT au titre des honoraires réglés à M. [W] et des sommes versées à la société Becice, alors « que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en énonçant, pour condamner in solidum la société Carrier, la société Waroude, la société Cap Ingelec, la société Carcelles et les sociétés MMA IARD à payer à titre de dommages-intérêts à la société RTE la somme de 23 356,53 euros HT, correspondant aux honoraires réglés à M. [W] et aux sommes versées à la société Becice, que M. [W] avait accompagné la société RTE pendant les opérations d'expertise et que la société Becice avait réalisé des études et devis dans le cadre des opérations d'expertise, la cour d'appel qui a qualifié de préjudice réparable les frais non compris dans les dépens engagés par la société RTE dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire a violé, par refus d'application, l'article 700 du code de procédure civile. »

23. Par son premier moyen, la société Waroude Automation fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec les sociétés Carrier, Cap ingelec, Carcelles et MMA à payer à la société RTE la somme de 23 356,53 euros hors taxes au titre des honoraires réglés de M. [W] et des sommes versées à la société Becice, alors « que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en énonçant, pour condamner la société Waroude Automation à payer à la société Réseau de transport d'électricité la somme de 23 356,53 euros hors taxes, correspondant aux honoraires réglés à M. [E] [W] et aux sommes versées à la société Becice, que M. [E] [W] avait accompagné la société Réseau de transport d'électricité pendant les opérations d'expertise et que la société Becice avait réalisé des études et devis dans le cadre des opérations d'expertise, quand, en se déterminant ainsi, elle qualifiait de préjudice réparable les frais non compris dans les dépens engagés par la société Réseau de transport d'électricité dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 700 du code de procédure civile :

24. Selon ce texte, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

25. L'arrêt alloue à la société RTE, au titre des préjudices qu'elle a subis, diverses sommes qu'elle a déboursées pour se faire assister par un technicien et pour solliciter des études et devis lors de l'expertise judiciaire. Il accorde ensuite à la société RTE une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

26. En statuant ainsi, alors que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

27. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la société Carrier ne s'étend pas à la condamnation de cette société à relever et garantir les sociétés Cap Ingelec, Waroude Automation, Carcelles et MMA de toutes les condamnations prononcées à leur encontre, dès lors que cette condamnation, qui ne se trouve pas dans un lien de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif cassé, est justifiée par des motifs non critiqués par le pourvoi.

28. En effet, la condamnation à garantie, qui ne se fonde pas sur les dispositions de l'article 1792-4 du code civil, ne dépend pas d'une condamnation préalable du fabricant au profit du maître de l'ouvrage.

29. La cassation de la condamnation des sociétés Carrier, Cap Ingelec, Waroude Automation et Carcelles à payer la somme de 23 356,53 euros s'étend à la condamnation prononcée in solidum du même chef contre les sociétés MMA, qui se sont associées aux moyens des sociétés Carrier et Waroude Automation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Réparant l'omission matérielle affectant l'arrêt attaqué, en page 20, ajoute avant le dernier chef du dispositif :

« Condamne les sociétés Établissements Jean Carcelles, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles in solidum à garantir la société Waroude Automation de toutes les condamnations prononcées à son encontre ; »

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- condamne la société Carrier à payer à la société Réseau de transport d'électricité la somme de 104 176,78 euros HT au titre du remplacement du groupe froid 1 et la somme de 308 000 euros au titre de la perte de récupération de chaleur, lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,- condamne in solidum la société Waroude automation, la société Cap Ingelec, la société Établissements Jean Carcelles, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks et la société Carrier à payer à la société Réseau de transport d'électricité la somme de 23 356,53 euros HT au titre des honoraires réglés à M. [W] et des sommes versées à la société Becice, ladite somme portant intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- condamne in solidum la société Waroude automation, la société Cap Ingelec, la société Établissements Jean Carcelles, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks et la société Carrier à payer à la société RTE la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne in solidum la société Waroude Automation, la société Cap Ingelec, la société Établissements Jean Carcelles, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks et la société Carrier au paiement des entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, en ce compris les dépens de l'instance en référé et les frais d'expertise,
- condamne la société Carrier à relever et garantir la société Cap Ingelec, la société Waroude Automation, la société Établissements Jean Carcelles et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks des condamnations prononcées à leur encontre au titre des dépens, des frais d'expertise et de l'article 700 du code de procédure civile,

l'arrêt rendu le 22 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.