CA Lyon, 3e ch. A, 5 septembre 2024, n° 23/09086
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Literie Saônoise (SAS)
Défendeur :
SCP Daval - Herodin (SCP), Urssaf de Franche-Comté (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Vice-président :
Mme Jullien
Conseiller :
Mme Le Gall
Avocats :
Me Ligier, Me De Magalhaes, Me Monnot, Me Aguiraud, Me Werthe
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 3 août 2016, par lettre d'observation, l'Urssaf de Franche-Comté a notifié à la société Literie Saônoise un redressement de cotisations sociales pour travail dissimulé.
Le 20 septembre 2016, le tribunal de commerce de Vesoul a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Literie Saônoise. L'Urssaf de Franche-Comté a déclaré une créance de 391.583 euros à titre privilégié au passif de la procédure.
La société Literie Saônoise a contesté la créance au motif qu'il existerait une double taxation des revenus perçus par Messieurs [Y] et [H] au titre de leurs fonctions de dirigeants de la société.
Le 18 juin 2019, par ordonnance, le juge-commissaire a admis la créance à titre privilégié pour la somme de 391.583 euros au motif que cette dernière avait été définitivement établie par un titre.
Le 27 juin 2019, la société Literie Saônoise a interjeté appel de cette décision.
Le 4 décembre 2019, la cour d'appel de Besançon a infirmé l'ordonnance rendue le 18 juin 2019 par le juge commissaire de la liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société Literie Saônoise et prononcé l'admission de la créance déclarée par l'Urssaf de Franche-Comté au passif de ladite procédure collective pour la somme de 376.583 euros à titre chirographaire.
La société Literie Saônoise a formé un pourvoi en cassation.
Le 19 mai 2021, la Cour de cassation a jugé au visa des articles L.622-24 alinéa 4 du code de commerce et L.244-9 de la sécurité sociale, qu'en retenant que la créance déclarée était définitive faute pour la société d'avoir contesté, dans les trente jours, la lettre d'observations qui lui avait été notifiée le 3 août 2016, sans constater la production d'une contrainte délivrée dans le délai imparti au mandataire judiciaire pour la vérification du passif, seule susceptible de constituer le titre exécutoire permettant l'admission définitive de la créance, la cour d'appel avait violé les textes susvisés.
La Cour de cassation a en conséquent cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Besançon et remis les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Dijon, en condamnant l'Urssaf de Franche-Comté aux dépens.
Le 17 février 2022, la cour d'appel de Dijon a infirmé l'ordonnance rendue le 18 juin 2019 par le juge commissaire du tribunal de commerce de Vesoul en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et prononcé l'admission de la créance déclarée par l'Urssaf de Franche-Comté au passif de la liquidation judiciaire de la société Literie Saônoise pour la somme de 133.049 euros à titre chirographaire.
La société Literie Saônoise a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 25 octobre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation, au visa des articles L.622-24 alinéa 4 du code de commerce et L.244-9 de la sécurité sociale, a :
cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon,
remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon,
condamné l'Urssaf de Franche-Comté aux dépens,
rejeté les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile,
dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.
Par déclaration du 5 décembre 2023, la société Literie Saônoise a saisi la cour d'appel de Lyon.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 1er février 2024, la société Literie Saônoise demande à la cour, au visa de l'article L.244-9 du code de la sécurité sociale, de :
à titre principal ;
infirmer en tous points l'ordonnance de monsieur le juge commissaire près le tribunal de commerce de Vesoul en date du 18 juin 2019,
statuant à nouveau,
constater l'absence de titre exécutoire définitif établissant la créance de l'Urssaf,
constater l'existence d'une double taxation des revenus perçus par messieurs [Y] et [H] au titre de leurs fonctions de dirigeants de la société Literie Saônoise et au titre de leur activité non-salariée,
juger que les revenus taxés ne pouvaient l'être qu'au titre des cotisations sociales de travailleurs non-salariés du fait notamment du statut de la micro entreprise qui prévoit un calcul de l'ensemble des charges sociales et fiscales sur le chiffre d'affaires,
Par conséquent,
rejeter la créance de l'Urssaf au passif de la société Literie Saônoise,
débouter l'Urssaf et la SCP Daval-Herodin de toutes leurs demandes reconventionnelles,
condamner l'Urssaf au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner l'Urssaf aux entiers dépens de première instance, d'appel et de Cour de cassation.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 4 avril 2024, l'Urssaf de Franche-Comté demande à la cour, de :
déclarer irrecevable le recours de la société Literie Saônoise portant sur les cotisations postérieures à son immatriculation pour un montant de 133.049 euros,
déclarer irrecevable le moyen relatif à l'absence de production d'un titre,
confirmer l'ordonnance du 18 juin 2019 rendue par monsieur le juge commissaire près le tribunal de commerce de Vesoul en ce qu'elle a admis la créance de l'Urssaf de Franche-Comté mais l'infirmer sur le quantum,
fixer la créance admise au passif de la liquidation de la société Literie Saônoise à la somme de 376.583 euros à titre chirographaire,
Subsidiairement,
fixer la créance admise au passif de la liquidation de la société Literie Saônoise à la somme de 133.049 euros à titre chirographaire.
En tout état de cause,
débouter la société Literie Saônoise de l'intégralité de ses demandes,
condamner la société literie Saônoise à payer à l'Urssaf de Franche-Comté la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner aux entiers dépens la société Literie Saônoise.
La SCP Daval-Herodin, mandataire judiciaire, à qui la déclaration d'appel a été signifiée par acte du 21 décembre 2023, n'a pas constitué avocat.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 28 mai 2024, les débats étant fixés au 6 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes de la société Literie Saônoise
L'Urssaf fait valoir que :
la société Literie Saônoise n'est pas recevable en ses contestations concernant les cotisations dues postérieurement à son immatriculation, ces contestations n'ayant jamais été soulevées jusque-là,
en application de l'article L624-1§2 du code de commerce, l'appelante aurait dû émettre cette contestation dans un délai de 30 jours après la déclaration de la créance ce qui n'a pas été le cas, l'intéressée ne contestant que les cotisations réclamées entre le 1er janvier 2011 et le 30 juin 2013,
le courrier du liquidateur judiciaire du 3 avril 2017, ne contestait que la réclamation des cotisations antérieures à l'immatriculation de la société Literie Saônoise,
le juge-commissaire n'a jamais été saisi de cette contestation qui tient donc lieu de demande nouvelle devant la cour d'appel,
la société Literie Saônoise ne peut soulever de moyen relatif à l'absence de contrainte devant la juridiction d'appel puisque ce moyen n'a pas été soulevé devant le juge-commissaire et qu'à aucun moment, l'irrégularité de la procédure n'a été soulevée,
le débiteur n'est plus recevable à contester la lettre d'observation qui a été adressée ce qui doit mener à confirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 19 juin 2017.
La société Literie Saônoise n'a pas présenté de moyens concernant les demandes de l'Urssaf.
Sur ce,
L'article 564 du code de procédure civile dispose que à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, les éléments critiquées par l'Urssaf ne portent pas sur des demandes nouvelles mais uniquement sur des moyens nouveaux développés aux mêmes fins que précédemment à savoir le rejet de la demande d'admission au passif de la créance déclarée par la concluante.
Il convient en conséquence de déclarer recevable les conclusions et moyens soulevés par la société Literie Saônoise.
Sur la demande d'admission de la créance de l'Urssaf
La société Literie Saônoise fait valoir que :
l'admission au passif d'une créance de l'Urssaf ne peut intervenir en raison de l'absence d'émission d'un titre comme l'a rappelé à deux reprises la cour de cassation sur le fondement des articles L244-9 du code de la sécurité sociale et L622-24 du code de commerce,
l'Urssaf n'a jamais versé aux débats de contrainte concernant les cotisations réclamées, ce qui ne permet en aucun cas de constater le caractère définitif de la créance qu'elle réclame, que ce soit pour la période antérieure à l'immatriculation de la société ou postérieure,
il existe une double taxation des revenus sur la période antérieure à l'immatriculation de la société puisque les deux dirigeants ont été destinataires de trois mises en demeure du RSI au titre des périodes également visées par l'Urssaf, en reprenant les revenus retenus de l'administration fiscale concernant l'évaluation des revenus, étant rappelé que le social suit le fiscal, des rectifications étant faites après déclarations effective des revenus,
l'immatriculation de la société Literie Saônoise n'est intervenue qu'à compter du 24 juin 2013 avec un début d'activité au 4 juin 2013, l'Urssaf en tenant compte en proratisant les cotisations sollicitées au titre de l'année 2013, ce qui dès lors ne pourrait mener qu'à retenir la somme de 133.049 euros au titre des cotisations dues postérieurement à l'immatriculation,
le tribunal correctionnel dans ses motifs, n'a pas retenu la notion de société créée de fait qui aurait permis d'envisager un redressement pour une période antérieure à la constitution de la société.
L'Urssaf fait valoir que :
elle détient un titre définitif puisque ni la lettre d'observation ni la mise en demeure n'ont été contestées dans les délais impartis par la société Literie Saônoise ou ses dirigeants,
la société Literie Saônoise a acquiescé à la dette postérieure à l'immatriculation de la société de sorte que la production d'une contrainte pour cette période n'est pas exigible,
il n'existe pas de double taxation concernant la situation de Messieurs [Y] et [C] [H] au titre de leurs fonctions de dirigeants de société et de leur activité non salariée,
la lettre d'observations faisant état d'un travail dissimulé n'a jamais été contestée, ce qui rend sa créance définitive,
les revenus des dirigeants étaient impossibles à individualiser en raison des procédés utilisés (encaissement par plusieurs chèques), les cotisations ayant été calculées au regard des sommes portées sur leurs comptes personnels déduction faite des cotisations payées au titre de leur activité personnelle,
les rectifications du RSI sont postérieures à l'émission de sa créance par la concluante et il appartenait aux personnes concernées de contester une éventuelle double cotisation,
les dirigeants de la société Literie Saônoise ont été condamnés par jugement du tribunal correctionnel de Vesoul du 4 juillet 2019 pour des faits de travail dissimulé sur la période de janvier 2010 à décembre 2014, le tribunal ayant sursis à statuer dans l'attente de la décision devant être rendue par la cour,
la société Literie Saônoise reconnaît devoir des cotisations pour un montant de 133.049 euros pour la période postérieure au début officiel de son activité,
le RSI n'a jamais réclamé les cotisations antérieures aux dirigeants de l'appelante.
Sur ce,
L'article L622-24 § 4 du code de commerce dispose notamment : « La déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre. Celles dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation. Les créances du Trésor public et des organismes de prévoyance et de sécurité sociale ainsi que les créances recouvrées par les organismes visés à l'article L. 5427-1 à L. 5427-6 du code du travail qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration sont admises à titre provisionnel pour leur montant déclaré. En tout état de cause, les déclarations du Trésor et de la sécurité sociale sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration. Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 624-1. »
L'article L 244-9 du code de la sécurité sociale dispose : « La contrainte décernée par le directeur d'un organisme de sécurité sociale pour le recouvrement des cotisations et majorations de retard comporte, à défaut d'opposition du débiteur devant le tribunal judiciaire spécialement désigné en application de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, dans les délais et selon des conditions fixés par décret, tous les effets d'un jugement et confère notamment le bénéfice de l'hypothèque judiciaire.
Le délai de prescription de l'action en exécution de la contrainte non contestée et devenue définitive est de trois ans à compter de la date à laquelle la contrainte a été notifiée ou signifiée, ou un acte d'exécution signifié en application de cette contrainte. »
En l'espèce, l'Urssaf entend faire valoir qu'elle dispose d'un titre définitif suite à l'envoi d'une lettre d'observation à la société Literie Saônoise mais aussi d'une mise en demeure qui n'ont fait l'objet d'aucune contestation, cette absence de contestation lui octroyant à son sens le titre définitif de paiement tel que défini à l'article L622-24 du code de commerce.
Or, la lecture exacte de cet article indique qu'en l'absence d'un titre définitif, une déclaration provisionnelle de la créance revendiquée doit être faite suivie d'une déclaration définitive une fois le titre obtenu ou bien une fois la procédure judiciaire en cours terminée.
En la présente instance, l'Urssaf ne fait état à aucun moment de ce qu'elle a adressé à la société Literie Saônoise une contrainte qui n'aurait pas été contestée ou bien aurait été confirmée par une juridiction judiciaire, seule une contrainte ou un jugement pouvant présenter le caractère de titre de créance définitif.
La décision rendue par le tribunal correctionnel visant le travail dissimulé est de nul effet puisqu'il ne statue pas sur un titre émis par l'Urssaf qui de par sa qualité d'organisme de sécurité sociale dispose de la possibilité exorbitante du droit commun d'émettre un titre de recouvrement qui peut être contesté ou non devant les juridictions du Pôle Social.
C'est à tort que l'Urssaf prétend que l'absence de contestation d'une mise en demeure vaudrait titre en l'absence d'émission d'une contrainte.
Par conséquent, eu égard à ce qui précède, il convient d'infirmer la décision rendue par le juge-commissaire le 18 juin 2019 qui avait admis une créance à titre privilégié pour un montant de 391.583 euros.
En l'absence de tout titre, la demande d'admission au passif de la créance déclarée par l'Urssaf de Franche-Comté ne peut qu'être rejetée.
Sur les demandes accessoires
L'Urssaf de Franche-Comté échouant en ses prétentions, elle sera condamnée à supporter l'intégralité des dépens de la procédure.
L'équité ne commande pas d'accorder à l'Urssaf de Franche-Comté ou à la société Literie Saônoise une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence, tant les demandes formées par la société Literie Saônoise que par l'Urssaf seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel
Déclare recevable les conclusions et moyens présentés par la SAS Literie Saônoise,
Infirme dans son intégralité l'ordonnance du juge-commissaire du Tribunal de Commerce de Vesoul du 18 juin 2019,
Statuant à nouveau et y ajoutant
Déboute l'Urssaf de Franche-Comté de l'intégralité de ses demandes,
Condamne l'Urssaf de Franche-Comté à supporter les entiers dépens de la procédure,
Déboute la SAS Literie Saônoise de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute l'Urssaf de Franche-Comté de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.