CA Grenoble, ch. com., 5 septembre 2024, n° 23/03026
GRENOBLE
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
Viessmann France (SAS)
Défendeur :
Sweetair France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Avocats :
Me Bozzarelli, Me Madrid, Me Colomb-Rey
EXPOSE DU LITIGE
Vu l'ordonnance rendue le 6 juillet 2022 par le juge commissaire à la procédure collective de la société Sweetair France qui a rejeté la demande en revendication présentée par la société Viessmann et mis les dépens à la charge du requérant,
Vu le jugement rendu le 24 juillet 2023 entre d'une part la société Viessmann France et d'autre part la société Sweetair France et Me [P] mandataire judiciaire de la société Sweetair France par le tribunal de commerce de Grenoble qui a :
- déclaré l'opposition à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 6 juillet 2022 recevable et non fondée,
- débouté la société Viessmann France de sa demande en revendication du prix entre les mains du liquidateur, et de toute somme qu'il sera éventuellement conduit à encaisser au même titre pendant la liquidation judiciaire outre la condamnation aux dépens,
Vu la déclaration d'appel formée le 7 août 2023 par la société Viessmann France à l'encontre du jugement du 24 juillet 2023 en intimant la société Sweetair France et Me [P] mandataire judiciaire de la société Sweetair France,
Vu l'avis de caducité de la déclaration d'appel adressé le 17 octobre 2023 à l'appelante en l'absence de signification de la déclaration d'appel à la société Sweetair France,
Vu les conclusions d'incident déposées par Maître [B] [P], liquidateur judiciaire de la société Sweetair France, le 11 avril 2024, en vue de voir constater la caducité de l'appel,
Dans ses dernières conclusions d'incident déposées le 30 mai 2024, Maître [B] [P] demande au conseiller de la mise en état de :
- prononcer la caducité de l'appel de la SAS Viessmann France,
- condamner la société Viessmann France au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Viessmann France au paiement des entiers dépens de l'instance.
Il fait valoir que :
- le jugement dont appel a été rendu entre, la société Viessmann France, la société Sweetair France et Maître [P] es qualité mandataire judiciaire de cette dernière,
- la déclaration d'appel a été régularisée contre « la SAS Sweetair France agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège à [Adresse 8] » et contre «Organisme [P], mandataire judiciaire de la SAS Sweetair France à [Localité 7] »,
- la société Viessmann France a correctement régularisé la procédure contre Maître [P] es qualité,
- en revanche la société Viessmann France n'a accompli aucune diligence pour signifier la déclaration d'appel et ses conclusions d'appelant à la société Sweetair France qu'elle a elle-même intimée à la procédure,
- la liquidation judiciaire d'une société ne met pas fin à celle-ci et en application de l'article 1844-7 du code civil, seule la clôture de la liquidation judiciaire, qui n'est pas advenue, met fin à la société,
- en vertu d'une jurisprudence constante le débiteur placé en liquidation judiciaire dispose d'un droit propre, dont notamment tous les droits exercés dans le cadre de la procédure de vérification des créances, laquelle est indivisible entre le créancier, le mandataire et le débiteur titulaire d'un droit propre, tel l'appel contre une décision d'admission (Cass. com., 9 janv. 2001, n° 98-11.003),
- nonobstant la liquidation judiciaire prononcée, la société Sweetair France a une existence légale indépendante de celle du liquidateur,
- en matière de revendication, la cour de cassation considère que le fait que la société débitrice soit intervenue devant le tribunal, puis ait été intimée devant la cour d'appel, la rend partie à l'instance, ce dont il résulte compte tenu de l'indivisibilité de l'appel que c'est à bon droit que la cour d'appel a prononcé la caducité de l'appel pour défaut de notification des conclusions d'appel à la société débitrice placée en liquidation judiciaire (Com, 27 Novembre 2019 ' n° 17-28.066),
- la société Viessmann France a elle-même reconnu ce droit propre du débiteur en concluant contre lui en première instance et en l'intimant dans sa déclaration d'appel,
- en matière de revendication la société débitrice est intimement liée à la procédure de revendication et partant intéressée au litige, puisque l'article L.624-17 et R.624-13 du code de commerce requièrent les observations, voire l'accord du débiteur sur la demande.
Dans ses dernières conclusions d'incident déposées le 22 mai 2024, la société Viessmann France demande au conseiller de la mise en état de :
- rejeter la demande présentée par Maître [B] [P], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetair France, de voir constater la caducité de l'appel à son encontre en raison de la caducité de la déclaration d'appel à l'endroit de la société Sweetair France,
- déclarer, au contraire, pérenne et parfaitement recevable l'appel du jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 24 juillet 2023 interjeté par la société Viessmann France à l'encontre de Maître [B] [P] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetair France,
- condamner Maître [B] [P], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetair France à payer à la société Viessmann France la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Maître [B] [P], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetair France, à supporter les dépens de l'incident,
- débouter Maître [B] [P], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetair France, de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires.
Elle fait valoir que :
- la procédure devant la cour d'appel est conduite selon les dispositions des articles 905 et suivants par application de l'article R.661-6 du code de commerce,
- les conclusions d'incident de l'intimé sont irrecevables,
- l'arrêt rendu par la cour de cassation le 27 novembre 2019 concerne l'irrecevabilité de l'appel à l'égard de tous les intimés en cas d'omission d'un intimé dans la déclaration d'appel et de la faculté de régularisation de cette situation,
- il ne concerne pas la caducité de l'appel faute de respect du délai de l'article 902 du code de procédure civile pour signifier la déclaration d'appel à celui des intimés qui n'a pas constitué avocat devant la cour,
- la cour de cassation a jugé qu'il n'y a pas d'indivisibilité lorsque l'exécution d'une décision n'est pas incompatible avec l'exécution de l'autre (Cass. soc., 4 juin 1984, n° 82-16.499), seule l'impossibilité d'exécuter à la fois deux décisions contraires caractérisant l'indivisibilité au sens de ce texte (Cass. 2e civ., 5 janv. 2017, n° 15-28.356),
- l'exécution de la décision contestée qui ne concerne que le liquidateur judiciaire et non la société Sweetair France elle-même, contre laquelle il n'y a donc aucune raison d'exécuter, n'est pas incompatible avec l'arrêt de la cour d'appel à intervenir qui viendrait à réformer cette décision, accueillerait, en conséquence, la demande en revendication de l'appelante et ordonnerait au liquidateur judiciaire de payer la somme réclamée et toute somme qu'il sera éventuellement conduit à encaisser au même titre pendant la liquidation judiciaire,
- l'indivisibilité du litige n'existant pas, la caducité de la déclaration d'appel à l'endroit de la société Sweetair France n'entraîne ni la caducité ni l'irrecevabilité de l'appel interjeté à l'encontre du liquidateur judiciaire.
MOTIFS DE LA DECISION
1/ Sur la recevabilité de la demande de caducité présentée devant le conseiller de la mise en état
En application de l'article R.661-6 alinéa 3 du code de commerce dans les cas autres que ceux qui sont mentionnés au 2° ci-dessus et sauf s'il est recouru à la procédure à jour fixe, l'affaire est instruite conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile. Le président de la chambre peut toutefois décider que l'affaire sera instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre dans les conditions prévues par les articles 907 à 916 du même code.
L'action en revendication de propriété ne relève pas de l'article R.661-6 du code de commerce de sorte que la procédure n'est pas soumise de plein droit aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile. En tout état de cause, le président de chambre est en droit de décider que l'affaire sera instruite en application des articles 907 à 916 du même code. En l'espèce, l'affaire est effectivement instruite sous le contrôle d'un conseiller de la mise en état.
En application de l'article 914, le conseiller de la mise en état est seul compétent jusqu'à la clôture de l'instruction pour prononcer la caducité de l'appel.
Dès lors, la société Viessmann France est mal fondée à soulever l'irrecevabilité des conclusions de Maître [B] [P], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetair France, au motif qu'elles sont présentées devant le conseiller de la mise en état.
2/ Sur la caducité de la déclaration d'appel
En application de l'article 902 du code de procédure civile, à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, la signification de la déclaration d'appel doit être effectuée dans le mois de l'avis adressé par le greffe.
Cette déclaration d'appel doit être signifiée à toute partie intimée devant la cour d'appel, qu'elle soit ou non représentée par son liquidateur judiciaire (C. cass., 2eme civ, 21 décembre 2023 - n°21-23.178)..
En l'espèce, le jugement du 24 juillet 2023 a mentionné la société Sweetair France comme étant l'une des parties à l'instance et la société Viessmann France l'a intimée dans le cadre de l'instance d'appel.
La déclaration d'appel devait donc lui être signifiée et la notification effectuée au liquidateur ne peut s'y substituer.
En effet, si en application de l'article L.641-9 du code de commerce, le débiteur est dessaisi de ses droits et actions concernant son patrimoine, ceux-ci étant exercés par le liquidateur pendant la durée de la procédure collective, tant la loi que la jurisprudence ont réservé au débiteur l'exercice de droits propres échappant à la règle du dessaisissement afin notamment de permettre au débiteur d'exercer des actions et voies de recours lorsque ses intérêts divergent de ceux appréciés par le liquidateur, de faire prendre en compte ses intérêts et de faire valoir son point de vue sur le déroulement de la procédure collective.
L'article L 624-17 du code de commerce prévoit ainsi que la requête en revendication est portée devant le juge-commissaire qui statue sur le sort du contrat, au vu des observations du créancier, du débiteur et du mandataire judiciaire.
Comme relevé précédemment, le jugement du 24 juillet 2023 a d'ailleurs mentionné la société Sweetair France comme étant l'une des parties à l'instance et la société Viessmann France l'a intimée à l'instance d'appel.
Le débiteur dispose donc d'un droit propre en vue de la défense de ses intérêts s'agissant d'une action en revendication diligentée à son encontre.
En outre, cette action est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire (Cass. Com, 27 novembre 2019, n°17-28.066). Il est en effet impossible de juger de manière distincte à l'égard de la société représentée par son dirigeant et disposant d'un droit propre et à l'égard de la société représentée par son liquidateur.
Il en résulte que si la déclaration d'appel n'a pas été signifiée à l'une des parties intimées, la caducité est totale et produit son effet à l'égard de toutes les parties.
En l'espèce, l'avis d'avoir à signifier a été adressé par le greffe le 21 août 2023.
Maître [B] [P], liquidateur judiciaire de la société Sweetair France, a constitué avocat le 7 septembre 2023. La déclaration d'appel lui a alors été notifiée par l'intermédiaire de son avocat le 8 septembre 2023.
En revanche, la société Viessmann France n'a accompli aucune diligence pour signifier la déclaration d'appel à la société Sweetair France, représentée par son président.
Faute d'avoir signifié sa déclaration d'appel à la société Sweetair France alors qu'elle l'avait intimée à l'instance d'appel et que le litige est indivisible, la déclaration d'appel formée le 7 août 2023 est caduque et cette caducité produit son effet à l'égard de toutes les parties.
La société Viessmann France qui succombe sera condamnée aux dépens de l'incident.
Elle sera condamnée à payer à Maître [B] [P] es qualités la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Nous, Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente, chargée de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance, contradictoirement
Déclarons recevable la demande de caducité présentée devant le conseiller de la mise en état.
Déclarons caduque la déclaration d'appel formée le 7 août 2023 par la société Viessmann France avec effet à l'égard de toutes les parties.
Condamnons la société Viessmann France aux dépens de l'incident.
Condamnons la société Viessmann France à payer à Maître [B] [P] es qualités la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboutons la société Viessmann France de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.