CA Bourges, 1re ch., 5 septembre 2024, n° 24/00202
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Saint Joseph (SCI)
Défendeur :
Crédit Logement (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Clement
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Avocats :
Me Salle, Me Fleurier
EXPOSÉ
Suivant offre en date du 30 octobre 2013, [A] [T] et son épouse [C] [V] ont souscrit auprès de la BNP PARIBAS un prêt relais d'un montant de 1.399.999,99 €, remboursable sur une durée de 12 mois, pour financer leur résidence principale situé à [Adresse 19], ainsi que des travaux, dans l'attente de la vente de leur bien immobilier situé à [Localité 20].
Le bien immobilier situé à Urzy a finalement été acheté par la SCI Saint-Joseph représentée par son gérant [A] [T] par acte notarié du 19 novembre 2013.
Les parts de la SCI détenues par les époux [T] ont fait l'objet de cession par dons manuels à leurs cinq enfants [P], [H], [D], [K] et [B] [T].
La société CREDIT LOGEMENT, qui s'était portée caution à hauteur de la somme empruntée, a procédé au paiement des sommes dues par les époux [T] suite à la défaillance des emprunteurs.
Par jugement rendu le 3 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nevers ' confirmé par arrêt de la cour de ce siège le 26 septembre 2019 ' les époux [T] ont été condamnés à payer à la société CREDIT LOGEMENT la somme de 1.399.999,99 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2016, ainsi que celle de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
[A] [T] a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement rendu le 23 janvier 2017 par le tribunal de grande instance de Versailles, laquelle a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement subséquent du 10 octobre 2022.
Par actes d'huissier en date des 11 et 13 janvier 2023, la société CREDIT LOGEMENT a fait assigner [A] [T],[C] [V] épouse [T], la SCI Saint-Joseph, [P] [T], [H] [T], [B] [T] épouse [F], [Z] [T] et [K] [T] devant le tribunal judiciaire de Nevers sur le fondement de l'article 1321 ancien du code civil, aux fins de voir déclarer [A] [T] et [C] [T] née [V] véritables propriétaires des biens et droits immobiliers acquis par la SCI dénommée SAINT-JOSEPH suivant acte authentique reçu le 19 novembre 2013, consistant en un domaine immobilier dénommé « [Adresse 14] », ainsi que les biens mobiliers pris dans leur état garnissant le bien et en ordonner la réintégration dans le patrimoine des époux [T].
Par conclusions d'incident du 10 mai 2023, [A] [T] et la SCI SAINT-JOSEPH ont saisi le juge de la mise en état d'une exception de nullité et de deux fins de non-recevoir.
Par ordonnance du 15 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nevers a :
- Rejeté l'exception de nullité pour irrégularité de l'assignation et l'exception de caducité soulevée par [A] [T] et la SCI SAINT JOSEPH,
- Déclaré recevable l'action intentée par la SA CREDIT LOGEMENT à l'encontre de la SCI SAINT JOSEPH,
- Déclaré irrecevable l'action intentée par la SA CREDIT LOGEMENT à l'encontre de [A] [T] pour défaut de qualité à agir,
- Constaté que la recevabilité des actions formées contre les autres défendeurs n'est pas contestée,
- Condamné la SA CREDIT LOGEMENT à verser à [A] [T] la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés,
- Réservé les dépens,
- Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 14 mars 2024.
La société civile SAINT JOSEPH et [A] [T] ont interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 28 février 2024 et demandent à la cour, dans leurs dernières écritures en date du 7 mai 2024, à la lecture desquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, de :
Vu l'article 754 du Code de Procédure Civile,
Vu l'article L.643-11 et L 643-13 du Code de Commerce,
Vu l'article 122 du code de Procédure Civile,
Vu l'article 463 du code de Procédure Civile,
Vu l'article 2224 du Code Civil,
Vu l'article 1240 du Code Civil,
- Dire et Juger recevables et bien fondés en leur appel Monsieur [A] [T] et la SCI SAINT JOSPEH
A titre principal,
- Dire et Juger que le présent litige est indivisible,
- Dire et Juger irrecevable l'action du CREDIT LOGEMENT, faute d'intérêt et de qualité à agir ;
- Infirmer en conséquence l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de NEVERS du 15 février 2024 en ce qu'elle a déclaré recevable l'action intentée par la SA CREDIT LOGEMENT à l'encontre de la SCI SAINT JOSEPH et constaté que la recevabilité des actions formées contre les autres défendeurs n'est pas contestée,
A titre subsidiaire,
Réparant l'omission de statuer du premier juge ;
- Constater que l'action du CREDIT LOGEMENT est prescrite et le dire en conséquence irrecevable en son action ;
- Infirmer en conséquence l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de NEVERS du 15 février 2024 en ce qu'elle a déclaré recevable l'action intentée par la SA CREDIT LOGEMENT à l'encontre de la SCI SAINT JOSEPH et constaté que la recevabilité des actions formées contre les autres défendeurs n'est pas contestée,
En tout etat de cause,
- Prononcer le dessaisissement consécutif du Tribunal Judiciaire de NEVERS et l'extinction de l'instance enrôlée sous le numéro de répertoire général 23/00017 ;
- Rejeter toute prétention plus ample et contraire ;
- Condamner le CREDIT LOGEMENT à payer à Monsieur [A] [T] et à la société ST JOSEPH une somme de 4.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner le CREDIT LOGEMENT à verser à Monsieur [T] et à la société une somme de 5.000 euros chacun à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- Condamner le CREDIT LOGEMENT aux dépens.
La société CREDIT LOGEMENT demande pour sa part à la cour, dans ses dernières écritures en date du 12 avril 2024, à la lecture desquelles il est pareillement expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, de :
- Déclarer l'appel de Monsieur [A] [T] et la Société SAINT JOSEPH mal fondé et les en débouter,
- Débouter Monsieur [A] [T] et la Société SAINT JOSEPH de leurs fins de non-recevoir,
- Les déclarer irrecevables à émettre une prétention pour le compte des autres parties intimées,
- Recevoir le CREDIT LOGEMENT en son appel incident limité, et y faisant droit :
- Réformer l'ordonnance du Juge de la Mise en Etat en ce qu'elle a déclaré le CREDIT LOGEMENT irrecevable en son action à l'encontre de Monsieur [A] [T] pour défaut de qualité à agir,
- Réformer l'ordonnance du Juge de la Mise en Etat en ce qu'elle a condamné le CREDIT LOGEMENT à payer à Monsieur [T] la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- La confirmer pour le surplus,
- Débouter Monsieur [A] [T] et la Société SAINT JOSEPH de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- Les condamner solidairement à payer à la Société CREDIT LOGEMENT la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Les condamner in solidum aux dépens d'appel.
[C] [T], [P] [T], [H] [T], [B] [F] née [T], [D] [T] et [K] [R] née [T], intimés, n'ont pas constitué avocat devant la cour.
SUR QUOI
Il doit être observé, à titre liminaire, que Monsieur [T] et la SCI SAINT-JOSEPH ne maintiennent pas, en cause d'appel, l'exception de nullité qu'ils avaient formée devant le premier juge tendant à la nullité de l'assignation introductive d'instance et tenant à l'incompétence territoriale de l'avocat pour postuler devant le tribunal judiciaire de Nevers.
Selon l'article L. 622-21 du code de commerce, « I.-Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent (...) ».
Ce texte est applicable aux procédures de liquidation judiciaire selon l'article L. 641-3 du même code qui dispose que « le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire a les mêmes effets que ceux qui sont prévus en cas de sauvegarde par les premier et troisième alinéas du I et par le III de l'article L. 622-7, par les articles L. 622-21 et L. 622-22, par la première phrase de l'article L. 622-28 et par l'article L. 622-30 ».
Il est constant que la société CREDIT LOGEMENT, qui s'était portée caution des engagements pris par Monsieur et Madame [T] dans le cadre du prêt relais d'un montant de 1 399 999,99 € qui leur avait été consenti par la BNP PARIBAS le 30 octobre 2013, a engagé une action en paiement contre ces derniers, ayant abouti au jugement rendu le 3 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nevers, confirmé par la cour de céans le 26 septembre 2019, condamnant les époux [T] au paiement de ladite somme avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2016 (pièces numéros 3 et 4 du dossier de la société CREDIT LOGEMENT).
Le tribunal judiciaire de Versailles a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de Monsieur [T] selon jugement rendu le 23 janvier 2017, laquelle a été clôturée pour insuffisance d'actif par un jugement subséquent du 10 octobre 2022 (pièces numéros 7 et 10 du même dossier).
Pour conclure à la recevabilité de son action en déclaration de simulation, la société CREDIT LOGEMENT se prévaut des dispositions de l'article L. 643-11 du code de commerce selon lesquelles « I.-Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. Il est fait exception à cette règle : (...) II.-Les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s'ils ont payé à la place de celui-ci (...) ».
Toutefois, l'exception au principe de l'absence de reprise des poursuites des créanciers après le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif figurant au II de cet article est applicable au seul recours exercé après son paiement par la caution, qu'il s'agisse du recours personnel ou du recours subrogatoire .
Tel n'est pas le cas de la société CREDIT LOGEMENT, qui dispose déjà d'un titre exécutoire constitué par le jugement du 3 novembre 2017 confirmé par la cour d'appel le 26 septembre 2019, et qui a engagé une action, non pas en sa qualité de caution, mais en qualité de créancier résultant de ce titre exécutoire sur le fondement de l'ancien article 1321 du code civil.
C'est en conséquence à juste titre que le juge de la mise en état a considéré que l'action engagée par la société CREDIT LOGEMENT à l'encontre de Monsieur [T] se heurtait au principe de non reprise des poursuites individuelles édité par le texte précité et devait, en conséquence, être déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir.
La décision de première instance devra donc être confirmée de ce chef, sans qu'il n'y ait donc lieu d'examiner, s'agissant des prétentions formées à l'égard de Monsieur [T], le moyen tenant à la prescription de l'action.
En application du principe « nul ne plaide par procureur », Monsieur [T] et la SCI SAINT-JOSEPH ne peuvent utilement conclure à l'irrecevabilité de l'action engagée à l'égard des autres parties à la procédure, dont [C] [V], co-débitrice solidaire, étant surabondamment rappelé à cet égard qu'il est de principe que l'époux co-débiteur solidaire d'un emprunteur objet d'une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d' actif, ne peut invoquer l'interdiction de reprendre les poursuites contre son conjoint prévue par l'article L. 643-11 du code de commerce , qui ne lui profite pas en raison de sa qualité de débiteur tenu d'une obligation distincte (Cass. com., 2 févr. 2022, n° 20-18.791).
En outre, la SCI SAINT-JOSEPH ne peut utilement se prévaloir du principe, résultant de l'article L643 ' 11 du code de commerce précité, selon lequel les créanciers ne recouvrent pas l'exercice individuel de leurs actions après le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, dès lors que ce texte n'est applicable qu'aux seules actions exercées contre le débiteur ayant fait l'objet de la procédure collective.
À titre subsidiaire, la SCI SAINT-JOSEPH conclut à la prescription de l'action engagée à son encontre par la société CREDIT LOGEMENT en raison de la prescription quinquennale résultant de l'article 2224 du code civil selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », rappelant que, selon ce texte, la prescription de l'action en déclaration de simulation court à compter du jour où le titulaire de ce droit d'action a connu ou aurait dû connaître les faits argués de dissimulation lui permettant de l'exercer.
Il est constant que si la prescription quinquennale applicable depuis la loi du 17 juin 2008 doit courir, à l'égard des parties à l'acte simulé, à compter du jour où la contre-lettre a été conclue ( Cass. 3e civ., 17 nov. 2021, n° 19-26.104), elle court à l'égard des tiers non pas à compter du jour de l'acte simulé, mais à compter du jour où ces derniers ont eu connaissance ou auraient dû avoir connaissance de l'existence de la simulation (Cass. 3e civ., 17 nov. 2021, n° 20-18.524).
En l'espèce, si l'acte authentique du 19 novembre 2013 par lequel la SCI SAINT-JOSEPH a acquis le Château des Bordes a fait l'objet d'une publication le 10 décembre 2013 au service de la publicité foncière de Nevers, il ne saurait en être déduit que la société CREDIT LOGEMENT a connu à cette date, ou aurait dû connaître, l'existence d'un tel transfert de propriété alors même qu'elle indique dans ses écritures, sans qu'aucun élément du dossier ne puisse la contredire sur ce point, avoir découvert que le Château des Bordes avait été acquis, non pas par Monsieur et Madame [T], mais par la SCI SAINT-JOSEPH, lorsqu'elle a souhaité engager des mesures d'exécution pour recouvrer le solde de sa créance après distribution du prix d'adjudication de l'immeuble situé à Versailles et appartenant à ces derniers suite à la procédure de saisie immobilière qu'elle avait engagée.
Par ailleurs, il ne saurait être déduit du fait que la société CREDIT LOGEMENT ait fait inscrire le 9 septembre 2016 une hypothèque judiciaire sur l'immeuble appartenant aux époux [T] situé à [Localité 20], et non sur le bien prétendument financé, qu'elle aurait eu connaissance à cette date, ou aurait dû avoir connaissance, de l'identité réelle de l'acquéreur du [Localité 13] des [Localité 12].
Il apparaît que le jugement de clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire applicable à Monsieur [T] a été prononcé le 10 octobre 2022 par le tribunal judiciaire de Versailles et a fait l'objet d'une publication au BODACC le 22 octobre suivant (pièce numéro 10), le conseil de la société CREDIT LOGEMENT demandant copie auprès du service de la publicité foncière de l'acte de vente du Château des Bordes dès le 31 octobre suivant (pièce numéro 12).
L'assignation introductive d'instance devant le premier juge ayant été délivrée les 11 et 13 janvier 2023, soit moins de cinq ans après la communication de cet acte par le service de la publicité foncière de [Localité 16] le 21 novembre 2022 (pièce numéro 12), il apparaît que la prescription quinquennale résultant de l'article 2224 du code civil précité n'était pas acquise à cette date.
En conséquence, et pour les motifs ainsi substitués, il y aura lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable l'action engagée par la société CREDIT LOGEMENT à l'encontre de la SCI SAINT-JOSEPH.
Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance dont appel devra être confirmée en l'intégralité de ses dispositions.
Dès lors, la demande formée par Monsieur [T] et la SCI SAINT-JOSEPH tendant à l'octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive devra nécessairement être rejetée.
Les prétentions de Monsieur [T] et de la SCI SAINT-JOSEPH dans le cadre de leur appel principal, tout comme les prétentions de la société CREDIT LOGEMENT dans le cadre de son appel incident, se trouvant ainsi rejetées, aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, chaque partie devant, par ailleurs, conserver à sa charge les dépens d'appel par elle exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
' Confirme l'ordonnance entreprise
Y ajoutant,
' Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires
' Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
' Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens d'appel par elle exposés.