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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 3 septembre 2024, n° 22/01812

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

V (M.), U (Mme)

Défendeur :

MJC2A (SELARL), Motor Sport (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Tabi, Me O

T. com. Melun, du 10 nov. 2021, n° 2021L…

10 novembre 2021

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La SARL [Localité 12] Motor Sport a pour activité le commerce de voitures et de véhicules légers.

M. [R] [V] en a été le gérant de droit depuis sa création en 2011 et jusqu'au 25 octobre 2016, date à laquelle a été prononcée à son encontre une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de 5 ans. Il est cependant resté le gérant de fait de cette société dont la gérance de droit a été confiée à sa mère Mme [C] [U] [K] épouse [T].

Sur requête du ministère public et par jugement du 8 juillet 2019 confirmé en appel le 16 janvier 2020, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [Localité 12] Motor Sport, désigné la SCP [N] [O] en qualité de liquidateur judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 7 janvier 2018.

Par acte du 18 juin 2021, la SELARL MJC2A, représentée par Maître [N] [O], ès qualités, a assigné M. [V] en qualité de gérant de droit puis de gérant de fait et Mme [T] en qualité de représentant légal de la société [Localité 12] Motor Sport, aux fins de les voir condamnés solidairement à contribuer à l'insuffisance d'actif à hauteur de 1 000 000 euros en application de l'article L. 651-2 du code de commerce et aux fins de voir prononcer leur faillite personnelle pour une durée de 10 ans, leur reprochant :

- d'avoir omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai légal de 45 jours de l'état de cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ;

- de s'être volontairement abstenu de coopérer avec les organes de la procédure et fait obstacle au bon déroulement de celle-ci ;

- de ne pas avoir remis de mauvaise foi les renseignements qu'ils étaient tenus de communiquer en application de l'article L.622-6 du code de commerce (liste des créanciers, compte client, contrats en cours) ;

- d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif de la société ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ;

- d'avoir exercé une activité commerciale ou d'administration d'une personne morale contrairement à l'interdiction qui était faite ;

- d'avoir commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif en créant un passif fiscal constitué de rappels de TVA des exercices 2011 à 2016 d'un montant de 1 290 466 euros.

Par jugement du 10 novembre 2021, le tribunal de commerce de Melun a :

- prononcé à l'encontre de Mme [T] en sa qualité de dirigeante de droit de la SARL [Localité 12] Motor Sport une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans,

- prononcé à l'encontre de M. [V] en sa qualité de dirigeant de fait une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans,

- condamné « conjointement et solidairement » Mme [T] et M. [V] à payer la somme de 800 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- condamné Mme [T] et M. [V] aux entiers dépens.

Par déclaration du 20 janvier 2022, M. [V] et Mme [T] ont relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 avril 2022, M. [V] et Mme [T] demandent à la cour de les juger recevables et bien fondés en leur appel et d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il les a condamnés à une « interdiction de gérer » (sic) ainsi qu'au paiement solidaire de la somme 800 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif.

Au soutien de leur demande d'infirmation du jugement, M. [V] et Mme [T] exposent que la société [Localité 12] Motor Sport a formé un recours contentieux devant le tribunal administratif de Melun assorti d'une demande de sursis à paiement le 31 décembre 2017. L'instance étant pendante puisqu'aucune réponse ne leur est parvenue, ils considèrent qu'aucune somme n'est exigible et ne peut être considérée comme une insuffisance d'actif. Il n'est pas soutenu d'autres moyens à l'appui de leur demande d'infirmation du jugement.

Par avis communiqué par voie électronique le 7 juillet 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé une faillite personnelle d'une durée de 10 ans et une condamnation à contribuer à hauteur de 800 000 euros à l'insuffisance d'actif et, si la cour décidait de retenir la faute de retard dans la déclaration de cessation des paiements, de prononcer une mesure d'interdiction de gérer de 10 ans à ce titre.

Le ministère public fait valoir qu'il n'est pas nécessaire que le passif soit entièrement chiffré ni que l'actif ait été réalisé, dès lors que l'insuffisance d'actif est certaine au moment où statue la juridiction saisie de l'action en contribution à l'insuffisance d'actif. Il ajoute que les autres motifs du jugement ne sont pas contestés de sorte que la cour peut confirmer la décision.

La SELARL MJC2A, ès qualités, qui s'est vu signifier la déclaration d'appel à personne le 22 avril 2022, n'a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 mars 2023.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 18 avril 2023.

A la demande des appelants se prévalant de l'annulation de la dette fiscale de la société [Localité 12] Motor Sport et par arrêt du 12 septembre 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats sur la question de l'insuffisance d'actif, a invité les parties à faire part de leurs observations sur les conséquences de la décision rendue le 20 juillet 2023 par le tribunal administratif de Melun au regard de l'exigibilité de la dette fiscale et a réservé le sort des dépens.

Les parties n'ont pas reconclu.

SUR CE,

- Sur les griefs et les sanctions personnelles

Pour prononcer une faillite personnelle, le tribunal a retenu les cinq griefs reprochés.

Aux termes de l'article 954, alinéa 5, du code de procédure civile, la partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

En l'espèce, M. [V] et Mme [T] forment appel contre les sanctions prononcées à leur encontre aux termes de leur déclaration d'appel et dans le dispositif de leurs dernières conclusions sans toutefois invoquer un quelconque moyen à l'appui de leurs contestations dans leurs écritures.

Faute par eux d'exposer les moyens sur lesquels ils fondent leurs prétentions, la cour n'est saisie d'aucun moyen et ne peut que confirmer ces chefs de jugement sans pour autant retenir le grief tenant au défaut de déclaration de cessation des paiements qui n'est sanctionné que par une interdiction de gérer.

- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

- Sur l'insuffisance d'actif

L'article L. 651-2 du code de commerce dispose : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée (') ».

En l'espèce, l'actif de la société [Localité 12] Motor Sport est inexistant et le montant de son passif s'élevait à l'issue de la procédure collective à la somme de 1 777 616,07 euros ainsi que l'indique le mandataire liquidateur, dont une créance fiscale privilégiée de 1 775 202,71 euros et une créance chirographaire de 2 413,36 euros.

Pour contester l'insuffisance d'actif, les appelants se limitent à contester le caractère exigible de la créance fiscale, arguant du défaut de réponse à leur recours devant le tribunal administratif à l'encontre d'une décision de rejet de leur réclamation contentieuse du 31 décembre 2017.

Ils produisent en ce sens, et ce point a été mis aux débats par l'arrêt du 12 septembre 2023, un jugement rendu le 20 juillet 2023 par le tribunal administratif de Melun dont il ressort que la société [Localité 12] Motor Sport a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er août 2013 au 31 août 2016, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause le régime de taxation sur la marge que la société avait appliquée lors de la revente de véhicules. Cette vérification a donné lieu à deux propositions de rectification, la première le 1er décembre 2016 au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant du 1er août au 31 décembre 2013, et la seconde le 28 mars 2017 pour la période allant du 1er janvier 2014 au 31 août 2016.

La requête la société [Localité 12] Motor Sport aux fins de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas prospéré concernant la première de ces périodes, au motif qu'elle n'avait pas fait d'observations dans le délai franc de 60 jours suivant sa notification de sorte qu'elle était réputée avoir accepté les rectifications en cause, mais la société a été déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés pour la seconde période.

Il s'ensuit que la société reste débitrice pour la période allant du 1er août au 31 décembre 2013 à concurrence de 163 493 euros, dont 106 164 euros au titre des droits et de 57 329 euros au titre des pénalités. Cette somme, avec les autres droits et pénalités réclamés au titre de la période allant du 1er janvier 2014 au 31 août 2016, a fait l'objet d'un dégrèvement partiel portant sur les pénalités par courrier du 10 octobre 2018 mais les pièces produites en la cause ne permettent pas de déterminer le montant de ce dégrèvement ni son imputabilité sur les sommes restant dues pour la période allant du 1er août au 31 décembre 2013, si bien qu'il ne sera pas tenu compte de ce dégrèvement partiel.

En outre, et ce point a été omis par les parties, il ressort des pièces du dossier que, le 10 juillet 2014, la société [Localité 12] Motor Sport avait fait l'objet d'une première proposition de rectification portant sur une période antérieure, allant du 10 mars 2011 au 31 juillet 2013, d'un montant de 517 030 euros dont 299 224 euros de droits, 152 489 euros de pénalités au titre de rappels de TVA et 65 317 euros d'amende.

Cette proposition de rectification portant sur la période allant du 10 mars 2011 au 31 juillet 2013 a fait l'objet de deux « réclamations contentieuses » auprès de l'administration les 30 mars et 14 mai 2017 ayant été rejetées les 6 décembre 2017 et 20 avril 2018. Il n'est pas allégué de recours pendant devant la juridiction administrative, de sorte que ladite somme de 517 030 euros entre dans le passif définitif exigible.

Au vu de ces éléments, la créance fiscale s'élève à la somme de 680 523 euros se décomposant comme suit :

- pour la période allant du 10 mars 2011 au 31 juillet 2013 : 517 030 euros, dont :

* 299 224 euros de droits au titre de rappels de TVA,

* 152 489 euros de pénalités au titre de rappels de TVA,

* 65 317 euros d'amende,

- pour la période allant du 1er août au 31 décembre 2013 : 163 493 euros, dont :

* 106 164 euros de droits au titre de rappels de TVA,

* 57 329 euros de pénalités au titre de rappels de TVA.

En ajoutant la créance chirographaire de la société Volkswagen Bank de 2 413,36 euros, l'insuffisance d'actif s'élève donc à une somme de 682 936,36 euros et ce montant constitue le maximum encouru au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif.

- Sur les fautes de gestion

Pour condamner M. [V] en qualité de gérant de fait et Mme [T] en qualité

de gérante de droit à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 800 000 euros, le tribunal a retenu le défaut de déclaration de la cessation des paiements, l'application erronée de la réglementation en matière de TVA entre 2011 et 2016, période durant laquelle M. [V] était dirigeant de droit, et le détournement d'une partie de l'actif consistant en un défaut de restitution du véhicule Renault Captur de la société durant la procédure collective.

Ces fautes ne sont pas discutées. Se pose toutefois la question de déterminer à qui ces fautes sont imputables et si ces fautes sont en lien de causalité avec l'insuffisance d'actif.

Le passif fiscal composant l'insuffisance d'actif se rapporte à une période comprise entre le 10 mars 2011 au 31 décembre 2013, date à laquelle M. [V] était gérant de droit, de sorte que Mme [T] ne saurait être tenue de réparer l'application erronée de la réglementation en matière de TVA, alors que le défaut de déclaration de la cessation des paiements ou le défaut de restitution du véhicule Renault Captur, véhicule mis en circulation le 27 mars 2002, n'ont impacté l'insuffisance d'actif que dans des proportions très réduites équivalentes à la valeur de ce véhicule âgé de 19 ans au jour du jugement d'ouverture.

Par conséquent, il convient de mettre l'insuffisance d'actif à la charge exclusive de M. [V], le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné Mme [T] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif.

- Sur le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif

L'application erronée et récurrente de la législation fiscale fait ressortir des carences en matière de gestion de la part de dirigeant de droit de la société [Localité 12] Motor Sport, en l'occurrence M. [V] pour la période comprise entre le 10 mars 2011 au 31 décembre 2013, ces carences étant à l'origine de la quasi-totalité de l'insuffisance d'actif.

En outre, il ressort tant de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 janvier 2020 que du jugement du tribunal administratif de Melun du 20 juillet 2023, que M. [V] qui ne conteste pas sa qualité de gérant de fait au-delà du 25 octobre 2016, a laissé expirer les délais de recours pour contester ce passif fiscal, et ce à plusieurs reprises alors que la proposition de rectification du 10 juillet 2014 (qui a fait l'objet de « réclamations contentieuses » devant l'administration qui les a rejetées, ce qui n'a pas donné lieu à recours devant le tribunal administratif) et celle du 1er décembre 2016 (qui a fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif qui n'a pas abouti car la société Paris Motors Sport n'avait pas fait d'observations dans le délai franc de 60 jours suivant sa notification de sorte qu'elle est réputée avoir accepté les rectifications en cause), portaient sur des sommes conséquentes.

Ces carences revêtent dans ces conditions un caractère grave qui justifie de condamner M. [V], qui ne fait pas état du montant de ses ressources et charges, à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 200 000 euros.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné « conjointement et solidairement » Mme [T] et M. [V] à payer la somme de 800 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif.

- Sur les demandes accessoires

Partie perdante, M. [V] sera condamné aux dépens d'appel.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a mis les dépens de première instance à la charge de ce dernier et de Mme [T] condamnée à une sanction personnelle.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné « conjointement et solidairement » Mme [T] et M. [V] à payer la somme de 800 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne M. [R] [V] à payer à la selarl MJC2A, en la personne de Me [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [Localité 12] Motor Sport, la somme de 200 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

Déboute la SELARL MJC2A, ès-qualités, de sa demande de condamnation à l'encontre de Mme [C] [U] [K] épouse [T] ;

Condamne M. [R] [V] aux dépens d'appel.