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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 5 septembre 2024, n° 23/03938

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MJ Synergie (SELARL)

Défendeur :

Mj Synergie (SELARL), Styl'Beton (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Baufume, Me Thouvenot, Me Aguiraud, Me Asta-Vola

T. com. Bourg en Bresse, du 26 janv. 202…

26 janvier 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Styl'béton, créée en 2014 par M. [H] [R] associé unique et président, exer'ait une activité de création, vente et pose de piscines, ainsi que tous travaux de dallage, béton, 'drainomarbre'.

Le 27 octobre 2021, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a placé la société Styl'béton en procédure de redressement judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 15 octobre 2021. Le 26 janvier 2022, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire. La Selarl MJ synergie a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 28 juin 2022, la selarl MJ synergie, ès-qualités, a assigné M. [H] [R] en sa qualité de président de la société Styl'béton, au titre de l'insuffisance d'actif.

Par jugement contradictoire du 3 mai 2023, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :

- déclaré la selarl MJ synergie recevable et bien fondée dans ses demandes, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Styl'béton,

- rejeté la demande de sursis à statuer formulée par le défendeur,

- constaté que M. [H] [R] est bien président de la société Styl'béton,

- condamné M. [H] [R] à payer à la selarl MJ synergie, représentée par Me. [Z], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Styl'béton, une contribution pour insuffisance d'actif d'un montant de 500.000 euros,

- ordonné qu'il lui soit octroyé des délais de paiement à hauteur de 12 mois afin d'exécuter son obligation en paiement de la condamnation prononcée,

- prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 10 ans à l'encontre de M. [R] [H], né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 9], dirigeant de l'entreprise Styl'Béton, [Adresse 7],

- débouté le défendeur de l'ensemble de ses demandes, fins, prétentions,

- condamné le même au paiement d'une somme de 4.000 euros à la selarl MJ synergie au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- constaté l'exécution provisoire,

- rejeté toutes autres demandes,

- condamné le défendeur aux entiers dépens.

M. [R] a interjeté appel par déclaration du 12 mai 2023.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 26 mai 2024, M. [R] demande à la cour, au visa des articles L.651-2 et L 653-8 du code de commerce, de :

- le juger recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse le 3 mai 2023 en ce qu'il :

' l'a condamné à payer à la selarl MJ synergie agissant en sa qualité de liquidateur judicaire de la société Styl'béton une contribution pour insuffisance d'actifs d'un montant de 500.000 euros,

' a prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de dix années,

' l'a condamné au paiement d'une somme de 4.000 euros à la selarl MJ synergie au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Et statuant à nouveau

- juger aucune faute de gestion qualifiée à son encontre,

- débouter la Selarl MJ synergie de l'ensemble de ses fins demandes et conclusions,

- condamner la Selarl MJ synergie à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Selarl MJ synergie aux entiers dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 28 mai 2024, la selarl MJ synergie, ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L.651-1 et suivants, L.653-1 et suivants et R.643-16 du code de commerce, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse le 3 mai 2023 en ce qu'il :

' l'a déclarée recevable et bien fondée dans ses demandes, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Styl'beton,

' a rejeté la demande de sursis à statuer formulée par M. [R],

' a constaté que M. [R] est bien président de la société Styl'beton,

' a condamné M. [R] à lui payer une contribution pour insuffisance d'actif d'un montant de 500.000 euros,

' a débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

' a condamné M. [R] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse le 3 mai 2023 en ce qu'il a uniquement prononcé à l'encontre de M. [R] une interdiction de gérer de 10 ans, en lieu et place de la mesure de faillite personnelle de 15 ans sollicitée,

- en conséquence, et statuant à nouveau sur ce point au regard des différentes fautes de gestion commises par M. [R] et du caractère sérieux de celles-ci, prononcer à l'encontre de M. [R] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 15 ans.

Subsidiairement :

- prononcer à l'encontre de M. [R] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 10 ans.

En toute hypothèse

- rejeter toutes demandes, fins, conclusions contraires,

- condamner M. [R] au paiement d'une somme supplémentaire de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement.

***

Le ministère public, par avis communiqué contradictoirement aux parties le 29 août 2023, a requis la confirmation de la décision entreprise.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 juin 2024, les débats étant fixés au 6 juin 2024.

L'appelant a déposé de nouvelles conclusions le 4 juin 2024, après l'ordonnance de clôture et sans solliciter la révocation de celle-ci et qui ne sont donc pas recevables.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'insuffisance d'actif

La Selarl MJ synergie fait valoir que :

- après déclarations de créances et certains paiements autorisés par le juge-commissaire, le passif s'élève à la somme de 1.277.610,89 euros, soit le double de celui déclaré par le dirigeant initialement,

- l'état des créances est définitif,

- le passif antérieur à l'ouverture de la procédure collective s'élève à 1.212.754,13 euros,

- après recouvrement des actifs par la liquidation judiciaire, l'insuffisance d'actif est de 1.169.673,82 euros et en déduisant du passif antérieur l'intégralité des instances en cours, l'insuffisance d'actif est de 807.087,05 euros,

- l'insuffisance d'actif est donc certaine, déterminée et quantifiée.

M. [R] ne fait pas valoir de moyens sur ce point.

Le ministère public fait valoir que l'insuffisance d'actif a été relevée à 807.087 euros par le jugement.

Sur ce,

L'article L 651-2 alinéa premier du Code de commerce dispose que « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les gérants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de gérants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du gérant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. ».

Il n'est pas contesté de manière liminaire que M. [R] était le dirigeant de droit de la société Styl'béton et son actionnaire unique de sorte que les dispositions susvisées lui sont applicables.

D'autre part, l'insuffisance d'actif n'est pas contestée par l'appelant et est avérée par les productions pour le montant susvisé.

Sur les fautes de gestion du dirigeant contribuant à l'insuffisance d'actif

M. [R] fait valoir que :

- l'ensemble des fautes qui lui sont reprochées ont été relevées par l'administration fiscale ; le délai de contestation de sa proposition de rectification demeure ouvert, l'avis de mise en recouvrement n'est pas au dossier, de sorte que la créance fiscale reste contestable jusqu'au 31 décembre 2025,

- l'administration fiscale ne le poursuit pas sur le fondement de la fraude fiscale faute de gravité suffisante ni sur l'action autonome dont elle dispose en comblement de passif pour faute ; par son inertie, l'administration fiscale confirme la faible gravité de ses fautes,

- la faiblesse des salaires présumés excessifs est à comparer avec le montant bien plus important du prêt garanti par l'Etat,

- la société était bénéficiaire et obtenait un chiffre d'affaires constant lors des exercices clos en 2019 et 2020 ; le dépôt n'a pu être effectué pour l'exercice 2021, l'expert comptable n'étant pas rémunéré ; l'administration fiscale a donc procédé à une reconstitution n'aboutissant à aucun grief,

- le montant de la sanction de l'administration fiscale pour la TVA reste à relativiser car la motivation des majorations ne caractérise pas son intention délibérée, aucune sanction fiscale n'est constatée pour l'exercice 2020, de sorte que le résultat déficitaire n'est pas causé par sa faute,

- il ne lui est pas reproché d'avoir tardé à effectuer une déclaration de cessation des paiements contrairement à l'usage,

- il résulte de l'ensemble de ce qui précède que sa faute de gestion relevée par l'administration fiscale n'est pas qualifiée, alors qu'il lui est réclamé 5 fois ce que les services fiscaux ont sollicité,

- sa faute de gestion relative à des malfaçons n'est pas qualifiée,

- le lien de causalité entre l'insuffisance d'actif et une action de sa part n'est pas établi.

La Selarl MJ synergie fait valoir que :

- l'appelant a commis des irrégularités comptables manifestes et réitérées, relevées par l'administration fiscale ; malgré relance, il n'a pas répondu à la proposition de rectification des services fiscaux ni réagi à la notification puis à la signification de l'ordonnance de relevé de forclusion relative à la créance fiscale ; de même, il n'a pas répondu à la déclaration de créance de l'administration fiscale,

- l'appelant n'indique pas en quoi les griefs de l'administration fiscale en son encontre seraient erronés et ne peut plus contester la créance fiscale devenue définitive, il ne conteste pas les griefs relatifs à la TVA, qui caractérisent sa faute délibérée ; la proposition de rectification ne présente pas de défaut de motivation ; elle est détaillée et la majoration pour manquement délibéré appliquée par l'administration fiscale concerne également l'exercice clos en 2020,

- l'absence de poursuites (non prescrites) pour fraude fiscale ou sur le fondement de l'article L.267 du livre des procédures fiscales est indifférente ; de surcroît,

- l'appelant a poursuivi abusivement une activité déficitaire, a minima pour l'exercice débuté le 1er novembre 2020 ; il connaissait cette situation en tant que dirigeant et a poursuivi l'activité pour des fins purement personnelles notamment de rémunération excessive ou remboursement de frais indus, et perçu des acomptes clients créant une trésorerie artificielle, alors que la société n'avait plus les moyens d'honorer ses commandes ; des procès à l'encontre de la société se sont multipliés),

- il était inutile de reprocher à l'appelant un dépôt tardif de déclaration d'état de cessation des paiements face aux griefs caractérisés,

- l'appelant a détourné à des fins personnelles tout ou partie des prêts souscrits par la société, des acomptes clients et plus généralement la trésorerie de la société, par une rémunération excessive, le remboursement de frais indus, un compte courant d'associé utilisé comme un compte bancaire personnel générant notamment des frais bancaires de rejets, des dépenses somptuaires contraires aux intérêts de la société et de ses créanciers, et des dépenses pour un projet d'activité de location de voitures de luxe,

- l'appelant a commis une faute en autorisant sans décision préalable de l'assemblée générale la perception de dividendes en 2019 et 2020 et ne s'explique pas sur ce point,

- l'appelant a détourné des biens appartenant à la société ; un véhicule a disparu sans qu'il ne soit justifié de sa cession ; un poêle à granulé a été acheté par la société pour l'utilisation personnelle de l'appelant,

- les fautes reprochées ont contribué à l'insuffisance d'actif du fait des pénalités fiscales, de l'augmentation substantielle du passif de la société, et des détournements de fonds et biens de la société à des fins personnelles, ce comportement fautif n'est pas une simple négligence.

Le ministère public fait valoir que :

- l'appelant a commis des fautes de gestion relevées notamment par l'administration fiscale, par l'application délibérée d'un taux de TVA inférieur pendant les exercices de 2019 à 2021 malgré un précédent redressement fiscal pour le même motif ; il ne justifie pas de sa contestation des éléments de la vérification fiscale et le résultat déficitaire et n'avait pas répondu au mandataire liquidateur sur la proposition de redressement,

- l'appelant avait conscience du caractère déficitaire de son activité, qu'il a poursuivie, il s'est payé de manière manifestement excessive au regard des résultats,

- l'appelant a détourné des actifs par l'effet d'un compte courant associé débiteur par des paiements réalisés à titre personnel sur le compte de la société,

- les fautes de gestion de l'appelant ont pleinement contribué à une insuffisance d'actif conséquente.

Sur ce,

Il convient de reprendre chacune des fautes imputées au dirigeant dans le détail.

* les irrégularités comptables

L'article L. 123-14 du Code de commerce énonce en son alinéa 1 er que 'Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise'. Il est jugé avec constance que l'existence d'irrégularités comptables constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 du Code de commerce.

Il résulte des productions que dans le cadre d'une vérification de comptabilité effectuée en avril 2022, dont M. [R] avait été informé, la DDFP de l'Ain a relevé un certain nombre d'irrégularités comptables, donnant lieu à proposition de rectification.

Il a ainsi été constaté (p6 de l'intimée) des irrégularités importantes en matière d'impôt sur les sociétés concernant l'exercice clos le 31 octobre 2020, et en matière de TVA résultant de l'application entre 2019 et 2021 du taux réduit de 10 % sur des travaux exclus de son champ d'application, travaux devant être assujettis à la TVA au taux normal de 20 %.

L'Inspectrice des Impôts, rappelant les contrôles précédents, a relevé expressément le caractère délibéré et substantiel des manquements et les rappels de TVA pour la période allant du 01/01/2019 au 31/10/2021 et d'impôt sur les sociétés pour l'exercice clos au 31/10/2020 ont été assortis d'une majoration de 40 % pour manquements délibérés. Elle a noté que le dirigeant ne pouvait ignorer ses obligations quant au respect de l'application de la législation fiscale, notamment concernant les taux de TVA en raison des contrôles antérieurs.

Il est constaté en outre que par courrier recommandé avec avis de réception du 11 mai 2022, le liquidateur a interrogé le dirigeant suite à la réception de la proposition de rectification pour être en mesure de répondre mais que le courrier n'a pas été récupéré. Ce même dirigeant n'a pas plus réagi après la signification de l'ordonnance de relevé de forclusion du 26 septembre 2022 et n'a pas répondu au liquidateur suite à lé déclaration de créance de l'administration fiscale.

L'état des créances déposé au greffe du tribunal de commerce et publié au Bodacc le 31 janvier 2023 est désormais définitif.

C'est donc vainement que le dirigeant qui n'a fait valoir aucun argument concret contre les griefs reprochés et n'a justifié d'aucune action en contestation dans les délais rappelés par la proposition de rectification, qui n'a pas répondu aux sollicitations du mandataire ni contesté la créance fiscale admise définitivement ensuite se prévaut désormais de ce qu'il disposerait néanmoins d'un recours rendant actuellement contestable la faute de gestion reprochée en produisant un extrait de conclusions d'un rapporteur public dans le cadre d'une autre procédure pendante devant le conseil d'Etat, pièce qui n'est pas une décision juridictionnelle et de plus inopérante dans le présent dossier, et d'une jurisprudence inapplicable à l'espèce puisque rendue en matière de vérification de passif.

C'est également vainement que le dirigeant estime que la proposition de redressement ne serait pas documentée au regard du calcul du résultat déficitaire, cette contestation étant manifestement tardive.

Enfin, M. [R] prétend à tort n'avoir pas été sanctionné alors que des majorations ont été appliquées et il est indifférent que l'administration fiscale n'ait pas par ailleurs engagé des poursuites pour fraude fiscale, ce qui est sans emport sur la créance fiscale et la présente procédure.

Cette faute de gestion est retenue et n'est pas une simple négligence compte tenu de son ampleur des contrôles antérieurs et de la répétition des manquements sur trois exercices.

* la poursuite abusive d'une activité déficitaire

La jurisprudence considère que la poursuite par le dirigeant social d'une activité déficitaire constitue une faute de gestion, laquelle n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements. Cette faute de gestion est caractérisée même en l'absence de démonstration de la poursuite par le dirigeant de la satisfaction d'un intérêt personnel.

En l'espèce, il résulte des productions que l'activité de la société s'est révélée déficitaire a minima sur l'exercice débuté le 1er novembre 2020, ce qui résulte de la vérification de comptabilité de l'administration fiscale mettant en relief la baisse conséquente du chiffre d'affaires et le résultat d'exploitation déficitaire de - 451.745 euros.

Mais en parallèle, les charges se sont maintenues au niveau des précédents exercices, ce qui le dirigeant ne pouvait ignorer. M. [R], plutôt que d'en tirer toutes conséquences et de stopper son activité, a donc poursuivi volontairement une activité déficitaire, ceci, manifestement pour répondre à un intérêt purement personnel (maintien de sa rémunération, remboursement de frais, retraits de fonds, dépenses non contrôlées). Il a également perçu des acomptes de clients pour des travaux non réalisés pour un montant s'élevant à environ 129.000 euros objet de déclarations de créance, affectés à la trésorerie et non à l'acquisition de matériaux, ce qui a créé une trésorerie artificielle, et alors même que l'exécution des travaux donnait lieu à des contestations (désordres et malfaçons apparaissant dans les déclarations de créances pour un total de 400.000 euros environ alors que la garantie décennale n'a pas été souscrite). Cette pratique et notamment la perception d'acomptes s'est intensifiée avant l'ouverture de la procédure collective.

M. [R] se prévaut vainement de ce que le résultat déficitaire opposé serait celui reconstitué par l'administration fiscale et erroné alors qu'il n'a jamais réagi ni émis de contestation dans les délais requis. Il est par ailleurs indifférent, ce qui est rappelé supra, que le dépôt tardif de la déclaration de la cessation des paiements ne lui soit pas reproché dans le présent litige.

La poursuite abusive de l'activité déficitaire pour répondre à un intérêt personnel est donc clairement établie et ne peut au vu de ce qui précède constituer une simple négligence.

* le détournement à des fins personnelles d'actifs de la société et l'utilisation du crédit de la société à des fins personnelles

L'appelant qui développe quasi uniquement son argumentation sur la créance fiscale reste très taisant sur les détournements qui lui sont imputés alors que le détournement à des fins personnelles de tout ou partie des prêts souscrits par la société Styl'Béton, des acomptes clients perçus et plus généralement de la trésorerie de la société résultent clairement des productions.

M. [R] a en effet bénéficié de deux prêts de 100.000 et 50.000 euros en mai et octobre 2020 ainsi que des acomptes clients, ce qui s'ajoute à des remboursements injustifiés de frais (frais kilométriques), à des dépenses de nature somptuaires, à la distribution illicite de dividendes (sans décision préalable le permettant), au détournement de biens (disparitions d'actifs) outre le compte courant d'associé débiteur, ce qui est prohibé. Il résulte notamment des pièces produites que M. [R] avait adopté un train de vie particulièrement dispendieux (véhicules haut de gammes dont les frais de carburant et dépenses d'entretien conséquents étaient réglés par la société, séjours dans des hôtels de luxe, et restaurants, dépenses personnelles et de loisirs prises en charge par la société, alors que les comptes bancaires de celle-ci étaient débiteurs dès 2017).

S'agissant de sa rémunération, elle est passée de 38.317 euros en 2019 à 103.908 euros sur l'exercice suivant comprenant deux périodes de confinement successives puis à 63.320 euros en 2021. Il s'en déduit donc que les aides et avances ont été détournées pour élever sa rémunération, ce qui a notamment été souligné par l'administration fiscale.

M. [R] ne donne aucune explication sérieuse sur ce comportement.

Cette faute de gestion est donc parfaitement établie et ne saurait constituer une simple négligence au vu des montants en cause et du comportement réitéré.

* le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif

Les fautes retenues à l'encontre du dirigeant ont manifestement concouru à l'insuffisance d'actif en ce qu'elles ont en effet engendré des pénalités fiscales, ont privé la société de liquidités, augmenté artificiellement le passif et diminué l'actif (absence de règlement des dettes sociales, prélèvements injustifiés, utilisation des fonds pour des dépenses personnelles).

Le lien de causalité est donc manifeste, étant rappelé que les fautes de gestion retenues peuvent être à l'origine de seulement une partie de l'actif.

Sur le quantum de la condamnation en comblement du passif

M. [R] fait valoir que la condamnation à hauteur de 500.000 euros est incompréhensible, étant plus de dix fois supérieure aux salaires prétendument trop élevés, et plus de 5 fois supérieure à la sanction l'administration fiscale.

La Selarl MJ synergie fait valoir qu'elle ne fait pas appel incident de la limitation de la condamnation de l'appelant à la somme de 500.000 euros.

Le ministère public fait valoir que les comportements frauduleux de l'appelant justifient sa condamnation à hauteur de 500.000 euros.

Sur ce,

M. [R] ne donne aucun élément concret justifiait de sa situation financière actuelle (revenus, patrimoine) alors qu'il a manifestement créé une autre société en Suisse, et qu'il a par ailleurs largement profité des actifs de sa société.

Compte tenu de ces éléments, la sanction financière prononcée par le tribunal de commerce apparaît tout à fait proportionnée aux fautes commises et à sa situation personnelle de sorte que le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la sanction personnelle

M. [R] fait valoir que :

- la sanction d'interdiction de gérer est actuellement suspendue à l'appréciation de la cour et il n'appartient pas à l'intimée de se substituer au ministère public en s'exprimant sur ce point,

- l'intimée ne se fonde que sur des présomptions, notamment en ce qui concerne un prétendu détournement d'actif par la création d'une nouvelle société à l'activité identique,

- en tant que père de famille, il n'a d'autre choix que de poursuivre l'utilisation de son savoir-faire au sein de la nouvelle structure qu'il a créée, conformément à sa liberté d'entreprendre,

- il est contradictoire de lui reprocher un détournement de clientèle, tout en affirmant que sa clientèle serait constituée d'un ensemble d'insatisfaits.

La Selarl MJ synergie fait valoir que :

- l'ensemble des fautes susceptibles de justifier le prononcé d'une faillite personnelle au sens des articles L.653-4 et L.653-5 du code de commerce a été caractérisé ; ces multiples fautes sont graves,

- l'appelant a de surcroît cessé toute coopération avec le liquidateur judiciaire par une absence de réception des courriers et de réponses,

- l'appelant n'a pas souscrit d'assurance décennale au titre de l'année 2020, et celle souscrite pour l'année suivante a été annulée au regard de ses dissimulations ; il s'agit d'une infraction pénale,

- l'appelant a créé une société dont l'activité est identique avant la liquidation de la société Styl'Beton, laissant soupçonner un détournement de clientèle et faisant craindre la réitération des comportements fautifs ; il a créé en Suisse une nouvelle société dont l'activité est identique aux deux précédentes pour échapper à une sanction commerciale ; son commencement d'activité est antérieur à sa constitution.

Le ministère public fait valoir que les comportements frauduleux de l'appelant relevés par le fisc, le liquidateur et le tribunal de commerce justifient de l'écarter du monde des affaires pendant 10 ans.

Sur ce,

Aux termes de l'article L 653-4 du code de commerce, 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale'.

Selon l'article L 653-5 du même code, 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (...)

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables (...)'.

Enfin, l'article L 653-8 précise que 'Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci'.

De manière liminaire, la cour rappelle que rien n'empêche au liquidateur judiciaire de solliciter aux termes de ses conclusions l'application d'une sanction déterminée dans le cadre de la présente instance.

Il résulte de ce qui précède que les fautes de gestion retenues à l'encontre de M. [R] sont susceptibles de voir prononcer à son encontre la peine de faillite. Il est en outre manifeste qu'il s'est abstenu de coopérer avec les organes de la procédure, ne répondant notamment pas sur la proposition de redressement fiscal au mandataire malgré l'importance de la créance fiscale.

M. [R] confond manifestement et volontairement ses intérêts personnels avec ceux de sa société. Il nuit également à celle-ci et à sa clientèle puisqu'il n'a pas souscrit d'assurance décennale, ce qui est sanctionnable pénalement. Il ne tire par ailleurs aucune conséquence de ses carences puisqu'il a été à nouveau dirigeant d'une autre société, Stone et création, ayant la même activité et créée avant le placement de Styl'béton en liquidation judiciaire et elle même placée en liquidation judiciaire. Si le détournement de clientèle suggéré par le liquidateur judiciaire n'est pas établi bien que plausible, le risque de réitération du même mode de fonctionnement est ainsi démontré. Une troisième autre société a été créée en 2023, cette fois ci en Suisse, avec toujours la même activité.

M. [R], en raison des fautes commises et de son comportement doit donc être écarté durablement de la gestion des affaires et la durée de 10 ans retenue par le tribunal de commerce est tout à fait proportionnée aux fautes commises. Par contre, au vu de la gravité de celles-ci , une peine de faillite doit être prononcée plutôt que l'interdiction de gérer. Le jugement est en conséquence infirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens d'appel sont à la charge de l'appelant, lequel versera à la Selarl MJ Synergie ès-qualités la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a prononcé une peine d'interdiction de gérer de dix ans à l'encontre de M. [H] [R].

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce une peine de faillite d'une durée de dix ans à l'encontre de M. [H] [R] né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 9] (01).

Condamne M. [H] [R] aux dépens d'appel avec droit de recouvrement et à payer à la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Maître [Z], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Styl'béton la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.