CA Lyon, 3e ch. A, 5 septembre 2024, n° 24/01752
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lexspecialities (SAS)
Défendeur :
Lexspecialities (SAS), Selarlu (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Ulrich, Me Chambaretaud, Me Binzoni, Me De Belval
EXPOSÉ DU LITIGE
La S.A.S. Lexspecialities, dont M. [B] [T] est le président, est une société d'avocats. Mme [A] [F] [W], avocate associée au sein de la société, a conclu avec celle-ci un contrat de travail à durée indéterminée, pour l'établissement de Bordeaux. Mme [I] [L] épouse [C] a été embauchée par la société en qualité d'assistante juridique, pour l'établissement de Bordeaux.
Par décision d'arbitrage du 24 janvier 2022, rectifiée le 15 avril 2022, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Marseille a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [F] [W] s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la société Lexspecialities à verser à celle-ci diverses indemnités et rappels de salaire. Les mesures d'exécution forcée engagées par Mme [F] [W] pour recouvrer ces sommes sont restées vaines.
Par jugement du 15 octobre 2021, le conseil des prud'hommes de Bordeaux a dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [L] aux torts de la société Lexspecialities était justifiée et produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la société Lexspecialities à payer diverses sommes à Mme [L]. Les mesures de recouvrement de ces condamnations par Mme [L] ont été vaines.
Le 24 janvier 2024, Mmes [L] et [F] [W] ont chacune assigné la société Lexspecialities devant le tribunal judiciaire de Lyon, aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement réputé contradictoire du 19 février 2024, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- ordonné la jonction de la procédure N° RG 2024/19 à la procédure N° RG 2024/18,
- constaté l'état de cessation des paiements et prononcé la liquidation judiciaire de la société Lexspecialities sise [Adresse 2],
- dit qu'iI n'y a pas lieu de faire application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée,
- fixé provisoirement au 19 Août 2022 la date de cessation des paiements,
- désigné Mme [G] [V] en qualité de juge commissaire, Mme [J] [E] en qualité de juge commissaire suppléant et à défaut M. le président du tribunal judiciaire de Lyon,
- désigné la selarlu [O], prise en la personne de Maître [M] [O] - [Adresse 4], en qualité de liquidateur judiciaire,
- désigné M. le Bâtonnier du Barreau de Lyon ou son délégataire - ordre des avocats [Adresse 3], en qualité de contrôleur,
- désigné la selarl Actaura Rhône, commissaire de justice, pour procéder à l'inventaire des biens de la débitrice, et en adresser rapport au tribunal avant le 20 mars 2024,
- fixé à un an le délai au terme duquel la clôture devra être examinée,
- dit que le délai pour produire les créances est de deux mois à compter de la publication du présent jugement au Bodacc, ce dernier délai est augmenté de deux mois pour les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine,
- dit qu'en application de l'article 624-1 du code de commerce le délai est de dix mois à compter du présent jugement, pour établir la liste des créanciers,
- ordonné la publicité du présent jugement et la transmission des extraits prescrits par la loi,
- dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ainsi que les frais avancés par le trésor public.
La société Lexspecialities a interjeté appel par déclaration du 29 février 2024.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 avril 2024, la société Lexspecialities demande à la cour, au visa des articles 7, 12 et 16 du code de procédure civile, de :
- infirmer le jugement contradictoire rendu le 19 février 2024 par le tribunal judiciaire de Lyon, en ce qu'il a :
' ordonné la jonction de la procédure N° RG 2024/19 à la procédure N° RG 2024/18,
' constaté l'état de cessation des paiements et prononcé la liquidation judiciaire de la société Lexspecialities sis [Adresse 2],
' dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée,
' fixé provisoirement au 19 Août 2022 la date de cessation des paiements,
' désigné Mme [G] [V] en qualité de juge commissaire, Mme [J] [E] en qualité de juge commissaire suppléant et à défaut M. le président du tribunal judiciaire de Lyon,
' désigné la selarlu [O], prise en la personne de Me. [M] [O] - [Adresse 4], en qualité de liquidateur judiciaire,
' désigné M. le Bâtonnier du barreau de Lyon ou son délégataire - ordre des Avocats [Adresse 3], en qualité de contrôleur,
' désigné la selarl Actaura Rhône, commissaire de justice, pour procéder à l'inventaire des biens de la débitrice, et en adresser rapport au tribunal avant le 20 mars 2024,
' fixé à un an le délai au terme duquel la clôture devra être examinée,
' dit que le délai pour produire les créances est de deux mois à compter de la publication du présent jugement au Bodacc, ce dernier délai est augmenté de deux mois pour les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine,
' ordonné la publicité du présent jugement et la transmission des extraits prescrits par la loi,
' dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ainsi que les frais avancés par le trésor public.
Et statuant à nouveau à titre principal sur les chefs infirmés :
- dire et juger que les assignations sont nulles et lui portent griefs,
En tout état de cause,
- dire et juger que les demandeurs seront déboutés de leur demande et dire que la société n'est pas en situation de liquidation judiciaire,
À titre subsidiaire,
- dire et juger qu'il y a lieu à ouverture d'une procédure de redressement judiciaire,
- dire que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 2 mai 2024, Mme [F] [W] demande à la cour, au visa des articles L.640-1 et suivants et L.631-1 et suivants du code de commerce, de :
à titre liminaire,
- dire et juger que les assignations en liquidation judiciaire signifiées à la société Lexsepcialities ne sont pas entachées de nullité,
' titre principal,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire en ce qu'il a constaté l'état de cessation des paiements et prononcé la liquidation judiciaire de la société Lexspecialities,
' titre subsidiaire,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire,
et statuant de nouveau :
- ordonner l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Lexspecialities,
- désigner les organes de la procédure collective.
En tout état de cause,
- ordonner les mesures de publicité prévues par la loi,
- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation ou redressement judiciaire.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 2 mai 2024, Mme. [L] épouse [C] demande à la cour, au visa des articles L.640-1 et suivants et L.631-1 et suivants du code de commerce, de :
à titre liminaire,
- dire et juger que les assignations en liquidation judiciaire signifiées à la société Lexsepcialities ne sont pas entachées de nullité.
' titre principal,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire en ce qu'il a constaté l'état de cessation des paiements et prononcé la liquidation judiciaire de la société Lexspecialities,
' titre subsidiaire,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire,
et statuant de nouveau :
- ordonner l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Lexspecialities,
- désigner les organes de la procédure collective.
En tout état de cause,
- ordonner les mesures de publicité prévues par la loi,
- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation ou redressement judiciaire.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 25 avril 2024, la selarl [O], ès-qualités, demande à la cour, au visa des articles L.631-1, L.640-1, R.661-1 et L.626-27 du code de commerce, de :
à titre liminaire,
- s'en rapporter sur l'exception de nullité soulevée,
- statuer ce que de droit sur la nullité de l'assignation,
- à titre principal :
Sous réserve de l'état des créances dont le délai de deux mois pour déclarer expire le 8 mai 2024, selon Bodacc du 8 mars 2024,
- confirmer le jugement dont appel,
- juger que la société Lexspecialities n'apporte aucun élément précis sur sa situation de nature à justifier la réformation du jugement de liquidation judiciaire.
En tout état de cause,
- condamner la société Lexspecialities à payer à la selarlu [O], ès-qualités, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens d'instance qui pourront être tirés en frais privilégiés.
Le ministère public n'a pas communiqué d'avis écrit. À l'audience, il a oralement soutenu que les assignations sont valables et sollicité la confirmation du jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 21 mai 2024, les débats étant fixés au 6 juin 2024.
En cours de délibéré, les parties ont été invitées à présenter leurs observations, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire, sur le moyen tiré de la nullité du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire résultant de l'absence d'audition ou de convocation du représentant de l'ordre des avocats au barreau de Lyon, en violation des dispositions de l'article L. 621-1, alinéa 2, du code de commerce.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exception de nullité des assignations
La société Lexspecialities fait valoir que :
- les tentatives de signification des assignations ont été réalisées à l'ancien siège social de la société Lexspecialities ; ces locaux sont la propriété de la SCI Les trois fleuves dont Mme [F] [W] est associée avec M. [T], et également gérante ; la société Lexspecialities a quitté les locaux en janvier 2024 car ceux-ci devaient être vendus ;
- alors que Mme [F] [W] savait que les locaux n'étaient plus occupés, les assignations ont été signifiées sous la forme d'un procès-verbal prévu à l'article 659 du code de procédure civile ; quant à Mme [L], elle avait connaissance du numéro de téléphone portable du gérant, M. [T] ;
- les demanderesses, qui sont représentées par le même avocat, ont organisé une signification qui ne lui a pas permis de faire valoir ses droits à défense, entraînant l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Mme [L] réplique que :
- elle est tiers à la société, de sorte qu'il lui appartenant de tenir compte des seules informations figurant au Kbis de la société ; le projet de vente du local ne lui est pas opposable ;
- la société Lexspecialities n'a pas modifié les mentions relatives à l'adresse du siège [Adresse 2], de sorte qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ; les conclusions d'appel de la société Lexspecialities mentionnent d'ailleurs encore cette adresse ;
- la copie de l'assignation a également été transmise à l'adresse e-mail de la société dès le 24 janvier 2024, de sorte que cette dernière ne démontre pas l'atteinte aux droits de la défense ; l'appel est interjeté à des fins dilatoires.
Mme [F] [W] réplique que :
- elle est certes associée dans la SCI Les trois fleuves mais elle a démissionné de son mandat le 12 décembre 2019, car elle n'avait pas accès aux comptes, aux moyens de paiement, aux factures, aux dépenses ni aux entrées, et aucune vue sur les contrats de la société ; si elle a été informée de la vente des locaux, c'est grâce au notaire chargé de cette opération ; le président de la société Lexspecialities n'a pas sollicité l'accord unanime des associés pour modifier le siège social, de sorte qu'elle-même n'était pas informée ; elle n'a donc pu se fier qu'aux mentions figurant à l'extrait Kbis ;
- la société Lexspecialities n'a pas modifié les mentions relatives à l'adresse du siège [Adresse 2], de sorte qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ; les conclusions d'appel de la société Lexspecialities mentionnent d'ailleurs encore cette adresse ;
- la copie de l'assignation a également été transmise à l'adresse e-mail de la société dès le 23 janvier 2024, de sorte que cette dernière ne démontre pas l'atteinte aux droits de la défense ; l'appel est interjeté à des fins dilatoires.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que l'extrait Kbis de la société mentionne toujours le siège social au [Adresse 2], de même que les conclusions d'appel de la société Lexspecialities, et que l'adresse que revendique cette dernière, située [Adresse 5] n'est pas en cohérence avec les mentions légales.
Sur ce,
L'article 659 du code de procédure civile dispose :
Lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.
Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification.
Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.
Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale qui n'a plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés.
En l'espèce, les assignations délivrées à la demande de Mme [L] et de Mme [F] [W] ont été signifiées par commissaire de justice le 24 janvier 2024, chacune suivant procès-verbal de l'article 659 du code de procédure civile.
Aux termes de ces procès-verbaux, la signification est faite à la 'S.A.S. Lexspecialities demeurant [Adresse 2] à [Localité 9]'. Il est précisé que le clerc assermenté chargé de la signification s'est présenté à cette adresse et qu'il a constaté 'le nom du destinataire de l'acte sur une boîte aux lettres' mais qu'il a rencontré le gardien de l'immeuble qui l'a informé 'que la société LEXSPECIALITIES ne serait plus domiciliée ici'.
Le clec ajoute : 'les recherches sur l'annuaire Internet, pages jaunes et blanches, au nom et prénom du destinataire de l'acte et dans le département de la dernière adresse connue du destinataire de l'acte, m'ont permis de trouver une adresse mail ([Courriel 16]) à laquelle j'écris le 23 janvier 2024. Je n'ai reçu aucune réponse.'
Il précise l'ensemble des recherches qu'il a effectuées, notamment en appelant le numéro trouvé (04 72 98 22 22) où personne ne répond, en effectuant des recherches sur le moteur Google qui n'ont pas abouti, et en interrogeant le greffe du tribunal de commerce de Lyon, lequel lui a 'transmis un extrait du registre du commerce et des sociétés en date de ce jour [24 janvier 2024], au nom de la société destinataire de l'acte, sur lequel la société destinataire de l'acte a toujours son siège social sis [Adresse 2].'
Mmes [L] et [F] [W] produisent deux exemplaires de l'extrait Kbis de la société Lexspecialities, l'un en date du 8 janvier 2024 soit antérieur à la signification des assignations, et l'autre en date du 8 avril 2024. Or, les deux mentionnent la même adresse au [Adresse 2].
Au vu de ces éléments, le commissaire de justice ne pouvait que signifier les assignations suivant les dispositions du dernier alinéa de l'article 659 précité.
La société Lexspecialities soutient que Mme [F] [W] savait qu'elle n'occupait plus les locaux qui allaient être vendus. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que Mme [F] [W] avait connaissance de la nouvelle adresse de la société, étant observé que la rupture des relations de travail entre la société Lexspecialities et Mme [F] [W] date du 13 janvier 2020, comme cela ressort de la décision d'arbitrage du bâtonnier de [Localité 17], devant lequel seule Mme [F] [W] s'est présentée.
La société Lexspecialities affirme aussi, que Mme [L] disposait du numéro de téléphone du dirigeant. Or, outre le fait qu'une telle affirmation ne constitue qu'une pure allégation dépourvue de preuve, il convient d'observer que Mme [L] n'était plus en relation de travail avec la société Lexspecialities à la suite du jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux sur lequel la société Lexspecialities est mentionnée 'absente', en date du 15 octobre 2021 soit plus de deux ans avant la signification de l'assignation litigieuse.
Enfin, la société Lexspecialities ne justifie pas de sa prétendue nouvelle adresse. En effet, si elle produit l'accusé de réception d'une lettre recommandée sur lequel elle apparaît comme expéditeur avec pour adresse le [Adresse 5], ce document ne constitue pas la preuve de son adresse officielle [Adresse 18], alors que, de surcroît, ce document date du 12 février 2024 et se trouve donc être postérieur à la date de signification des assignations contestées. De plus, il convient d'observer, comme le font aussi les intimées, que ses conclusions d'appel notifiées le 8 avril 2024 mentionnent toujours son adresse au [Adresse 2].
La signification des assignations effectuée par le commissaire de justice suivant procès-verbal de l'article 659 est donc valable et l'exception de nullité des assignations doit ainsi être rejetée.
Sur l'audition ou la convocation du représentant de l'ordre des avocats au barreau de Lyon, devant le tribunal judiciaire
Les parties ont été invitées à former leurs observations sur le moyen soulevé d'office tiré de l'absence d'audition ou de convocation du représentant de l'ordre des avocats au barreau de Lyon devant le tribunal judiciaire, prévue à l'article L. 621-1 du code de commerce.
La société Lexspecialities fait valoir que l'absence d'une telle convocation constitue un grief au droit de la défense et entraîne la nullité du jugement d'ouverture.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que l'absence d'audition de l'ordre des avocats au barreau de Lyon apparaît indifférente au regard de l'appréciation de l'existence objective de la cessation des paiements, et qu'en tout état de cause la cour a pouvoir d'évocation.
Mmes [L] et [F] [W] font valoir qu'aucune des parties n'a soulevé la nullité du jugement pour ce motif, que la nullité du jugement pour non respect des dispositions de l'article L. 621-1 du code de commerce n'est prévue par aucun texte, et qu'en tout état de cause l'ordre des avocats au barreau de Lyon a bien été convoqué devant le tribunal judiciaire, comme elles en justifient. Elles ajoutent que la société Lexspecialities n'avait pas jugé utile de soulever la nullité du jugement et l'invoque pour la première fois dans sa note en délibéré du 1er juillet 2024, alors qu'en application de l'article 112 du code de procédure civile, la nullité est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ce qui est le cas en l'espèce.
Sur ce,
Selon l'article L. 621-1, alinéa 2, du code de commerce, 'lorsque le débiteur exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, le tribunal statue après avoir entendu ou dûment appelé, dans les mêmes conditions, l'ordre professionnel ou l'autorité compétente dont, le cas échéant, il relève.'
En l'espèce, s'il ne résulte pas du jugement du 19 février 2024 que le tribunal ait entendu ou appelé le représentant de l'ordre des avocats au barreau de Lyon avant de prononcer la liquidation judiciaire de la société Lexspecialities, Mmes [L] et [F] [W] produisent, avec leur note en délibéré, la lettre adressée par le tribunal judiciaire à l'ordre des avocats au barreau de Lyon, le 6 février 2024 reçue par celui-ci le 7 février suivant, le priant d'être présent ou représenté à l'audience du 13 février 2024 concernant demande d'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société Lexspecialities.
Les dispositions de l'article L. 621-1 précité ont donc été accomplies, de sorte que la nullité du jugement n'est pas encourue.
Sur l'état de cessation des paiements et l'ouverture de la liquidation judiciaire
La société Lexspecialities fait valoir que Mmes [F] et [L] n'apportent aucun justificatif sur la situation réelle de la société alors que la charge de la preuve pèse sur elles ; que Mme [F] est associée mais ne produit aucun bilan financier ou état de la situation financière ; que l'absence d'exécution d'une décision judiciaire est insuffisante pour caractériser l'état de cessation des paiements ; qu'à titre subsidiaire, il conviendra de prononcer l'ouverture d'un redressement judiciaire, aucun créancier ne s'étant jamais manifesté.
Mmes [F] et [L] répliquent chacune, par des moyens identiques, que :
- elles ont démontré en première instance que la société Lexspecialities était bien dans l'impossibilité de faire face à son passif avec son actif disponible, toutes les mesures de recouvrement de leurs créances respectives étant demeurées vaines ;
- la société Lexspecialities, sur qui pèse la charge de la preuve, est défaillante à établir qu'elle dispose d'un actif disponible pour faire face au passif exigible ;
- le liquidateur indique que le passif de la société est de 452.390,69 euros au 16 mai 2024, sans tenir compte des déclarations de créance de Mme [F] et de Mme [L] effectuées le 4 mars 2023, qui doivent être intégrées au passif ; à titre subsidiaire, il conviendra d'ordonner à tout le moins l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que :
- l'état de cessation des paiements a été retenu par le tribunal dès lors que les créances n'ont pas été payées malgré des mesures d'exécution vaines ;
- il n'a pas pu avoir de contact avec le dirigeant de la société Lexspecialities mais si les sommes réclamées sont échues et impossibles à recouvrer, alors la probabilité d'une cessation des paiements apparaît très forte ;
- la société Lexspecialities, qui sollicite la réformation du jugement, ne démontre pas qu'elle est en mesure de faire face à son passif exigible avec l'actif disponible ;
- il est en train de recevoir des déclarations de créances et au 16 mai 2024, le passif était de 452.390,69 euros, non vérifié ;
- il n'y a pas de situation sur le cabinet, de sorte que la capacité de redressement de l'entreprise n'est pas démontrée.
Sur ce,
Mme [L] justifie détenir une créance certaine, liquide et exigible résultant du jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux, en date du 15 octobre 2021. Aux termes de cette décision définitive, la société Lexspecialities a été condamnée à payer à Mme [L] diverses sommes représentant un total de 24.521,20 euros en brut et de 9.387,15 euros en net, outre 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle produit également les divers actes accomplis aux fins de recouvrement de la créance, qui n'ont pas aboutis. Le 12 octobre 2023, un commissaire de justice a ainsi établi un certificat d'irrecouvrabilité aux termes duquel il est précisé qu'un acompte de 2.335,90 euros a été payé par la débitrice le 30 octobre 2020, mais que toutes les moyens possibles pour exécuter à l'encontre de la société Lexspecialities se sont avérés vains.
De même, Mme [F] [W] justifie détenir une créance certaine, liquide et exigible résultant de la décision d'arbitrage du bâtonnier de [Localité 17], en date du 24 janvier 2022, rectifiée à la suite d'une erreur matérielle, par décision du 15 avril 2022. Aux termes de ces décisions définitives, la société Lexspecialities est condamnée à payer à Mme [F] [W] diverses sommes représentant un total de 26.635,46 euros en brut et de 1.416,25 euros en net.
Le 18 décembre 2023, un commissaire de justice a établi un certificat d'irrecouvrabilité mentionnant l'ensemble des diligences accomplies en vain pour tenter de recouvrer ces créances, et précisant : 'la société n'a plus de compte bancaire'.
L'ensemble de ces éléments établit l'impossibilité pour la société Lexspecialities de faire face à ce passif exigible avec son actif disponible.
En outre, le liquidateur judiciaire fait état d'un passif au 16 mai 2024, de 452.390,69 euros, non vérifié.
La société Lexspecialities, qui conteste l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, se borne à soutenir qu'il appartient à Mmes [F] [W] et [L] de justifier de la situation réelle de la société et que l'absence d'exécution des décisions judiciaires est insuffisante à caractériser l'état de cessation des paiements.
Or, les diligences accomplies par les commissaires de justice ayant été totalement vaines, l'inexistence de tout actif disponible est ainsi caractérisée.
Il appartient donc à la société Lexspecialities de rapporter la preuve qu'elle dispose à ce jour d'un actif disponible suffisant pour payer son passif exigible, ce qu'elle ne fait pas. Elle ne prétend pas, et a fortiori ne démontre pas, qu'elle serait en mesure de faire face au passif exigible et produit en tout et pour tout deux pièces, sans aucun lien avec sa situation financière, la première étant un justificatif des mandataires sociaux de la SCI Les Trois Fleuves et la seconde étant la copie de l'accusé de réception d'une lettre recommandée qu'elle a adressée le 12 février 2024 à un juge d'instruction.
Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il constate l'état de cessation des paiements de la société Lexspecialities et fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 19 août 2022.
De plus, le redressement de la société apparaît manifestement impossible. En effet, il s'avère que la société Lexspecialities a quitté ses locaux situés au [Adresse 2], mais elle ne justifie pas disposer de nouveaux locaux professionnels ; selon les déclarations de créances effectuées par Mmes [L] et [F] [W], elle doit faire face à un passif exigible global pour ces seules créances, de près de 79.000 euros en principal et intérêts, pour un actif réalisable nul ; elle ne produit aucun document comptable ou financier, ce qui ne permet pas d'avoir une visibilité sur l'activité réellement exercée et les résultats qu'elle génère.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il prononce l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire et dit n'y avoir lieu de faire application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de partage.
En application de l'article 700 du code de procédure, l'équité commande de ne pas accueillir la demande formée par la Selarl [O] à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement,
Rejette l'exception de nullité des assignations soulevée par la société Lexspecialities ;
Constate que le tribunal judiciaire a appelé à l'audience le représentant de l'ordre des avocats au barreau de Lyon, conformément aux dispositions de l'article L. 621-1, alinéa 2, du code de commerce ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ainsi que les frais avancés par le trésor public ;
Rejette la demande formée par la Selarlu [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.