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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 3 septembre 2024, n° 24/00998

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mtp (SAS)

Défendeur :

Urssaf Idf, Selarl Mmj

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Conseillers :

M. Roth, Mme Cougard

Avocats :

Me Launay, Me Wenisch, Me Debray, Me Ceprika, Me Cioloca, Me Lemarié

T. com. Pontoise, 9e ch., du 05 févr. 20…

5 février 2024

EXPOSE DU LITIGE

La société MTP a été créée en 2016, elle avait pour président et unique actionnaire M. [C] [R] [E].

Par acte du 18 janvier 2024, l'URSSAF d'Île-de-France (l'URSSAF) l'a assignée devant le tribunal de commerce de Pontoise aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation ou subsidiairement de redressement judiciaire.

Par un jugement contradictoire du 5 février 2024, ce tribunal a :

- ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société MTP ;

- fixé provisoirement au 1er septembre 2023 la date de cessation des paiements ;

- nommé M. [U], juge-commissaire ;

- nommé la SELARL MMJ en qualité de liquidateur ;

- désigné la SELARL [H] [W] en qualité de commissaire de justice chargé de réaliser l'inventaire et la prisée ;

- imparti aux créanciers pour la déclaration de leurs créances un délai de 2 mois à compter de la publication du présent jugement au BODACC, délai augmenté de 2 mois pour les créanciers hors territoire national ;

- dit que le délai imparti au liquidateur pour l'établissement de la liste des créances est de dix mois à compter de l'expiration du délai ci-dessus fixé pour les déclarations ;

- fixé au 5 février 2026 le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée ;

- rappelé qu'en cas de présence ou l'absence de salariés dans l'entreprise, le procès-verbal de désignation du représentant ou le procès-verbal de carence est déposé au Greffe conformément à l'article R. 621-14 du code de commerce ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit à titre provisoire conformément à l'article R. 661-1 du code de commerce ;

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le 13 février 2024, la société MTP a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions du 29 mai 2024, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

- ouvrir une procédure de redressement judiciaire et renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Pontoise ;

- débouter l'Urssaf de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- statuer de ce que de droit sur les dépens.

Par dernières conclusions du 6 mai 2024, l'URSSAF demande à la cour de :

- déclarer mal fondée la société MTP en son appel ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au moins sur le principe de la cessation des paiements antérieure à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ;

- condamner la société MTP au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés en frais privilégiés de procédure collective, au profit de l'Urssaf.

Par avis du 7 mars 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

Par lettre du 3 mai 2024 adressée à la cour et communiquée aux parties par le greffe le 16 mai 2024, la société MMJ indique que le passif de la société MTP s'élève à 259 334,77 euros et que cette dernière ne dispose pas d'actif.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 juin 2024.

Par conclusions d'interventions volontaires reçues le 5 août 2024, la SCI Thiphalex demande à la cour de :

- la déclarer recevable en son intervention volontaire ;

- confirmer le jugement ;

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1- Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Tiphalex

La société Tiphalex expose qu'elle est créancière à titre chirographaire de l'appelante à hauteur de 8 850 euros au titre de loyers et charges impayés entre le 1er décembre 2022 et le 1er avril 2024 et qu'elle a déclaré sa créance le 13 juin 2024, le juge-commissaire ayant fait droit à sa requête en relevé de forclusion par ordonnance du 25 juin 2024. Elle soutient au visa de l'article 554 du code de procédure civile que son intervention volontaire en appel est recevable en faisant valoir qu'elle n'était ni présente, ni représentée en première instance et qu'elle justifie d'un intérêt à agir volontairement aux motifs qu'elle est créancière de la société MTP et qu'elle revendique le bénéficie d'une requête de résiliation de plein droit du bail que le juge-commissaire n'a pas encore examiné dans l'attente de la décision de la présente cour. Elle en conclut qu'elle dispose d'un intérêt à agir pour voir la société MTP déboutée de son appel.

Réponse de la cour

Selon l'article 554 du code de procédure civile, 'peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.'

En l'espèce, il est constant que la société Tiphalex n'était ni partie, ni représentée en première instance et qu'elle n'y figurait pas en une autre qualité.

Dès lors qu'elle justifie être créancière de la société MTP et avoir été relevée de la forclusion pour sa déclaration de créance au passif de la société MTP, son intervention se rattache par un lien suffisant aux prétentions des parties à la présente instance. En conséquence, son intervention sera déclarée recevable.

2- Sur la demande de redressement judiciaire

Faisant valoir qu'elle dispose de fonds représentant 60 % de l'actif déclaré à titre définitif, la société MTP explique qu'elle est en mesure de réaliser un chiffre d'affaires au moins égal à 30 000 euros, équivalent à celui qu'elle réalisait avant la procédure collective. Elle en déduit qu'elle peut poursuivre son activité et apurer son passif s'élevant au 14 mars 2024 à 131 362,45 euros.

L'URSSAF conclut pour sa part à la confirmation du jugement. Elle soutient que l'état de cessation des paiements de la société MTP est toujours établi en ce que cette dernière retient des précomptes, en ce qu'une inscription de privilège du 21 juin 2023 n'a pas été soldée et en ce que son insolvabilité est avérée à la suite à une vaine tentative de saisie des comptes de l'appelante du 4 mai 2023 et d'un procès-verbal aux fins de saisie-vente transformé en procès-verbal de carence le 1er septembre 2023.

Elle précise qu'au jour de l'audience devant le tribunal de commerce le 31 janvier 2024, la société MTP ne disposait que 14 759 euros d'actif disponible alors que la dette à son égard s'élevait à 57 014 euros de sorte qu'elle ne pouvait solder ni les cotisations dues à hauteur de 51 643 euros, ni la part ouvrière nécessaire pour l'octroi d'un échéancier. Elle fait valoir qu'il ressort des pièces de l'appelante que son passif s'élève à 250 775 euros pour une trésorerie d'environ 1 000 euros.

La société Tiphalex sollicite la confirmation du jugement d'ouverture. Elle fait valoir que la société MTP ne justifie pas d'éléments financiers démontrant qu'elle n'est pas / plus en état de cessation des paiements. Elle ajoute qu'un redressement judiciaire paraît improbable compte tenu de la période de cessation d'activité de la société MTP et que la résiliation du bail qui est acquise.

Le ministère public expose que le jugement doit être confirmé sauf à ce que l'appelante non comparante en première instance, démontre par la production d'un compte prévisionnel de trésorerie sur quatre mois certifié par son expert-comptable soit qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements, soit que son redressement est possible.

Réponse de la cour

L'article L. 631-1, alinéa 1er, du code de commerce prévoit :

« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. »

L'article L. 640-1, alinéa 1er, du même code dispose :

« Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. »

- Sur la cessation des paiements de la société MTP

Après avoir constaté que la créance certaine, liquide et exigible de l'URSSAF est restée irrecouvrée en dépit de la mise en 'uvre de voies d'exécution, le tribunal a retenu que la société MTP était dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

En l'espèce, la société MTP ne discute pas son état de cessation des paiements ni la date à laquelle elle a été fixée par le tribunal. Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.

3 -Sur la demande de redressement

Selon la liste des créanciers actualisée au 7 mai 2024 établie par la société MMJ ès qualités et communiquée à la cour par cette dernière en annexe de sa lettre précitée du 3 mai 2024, le passif de l'appelante s'élève à 259 334,77 euros dont 140 026,77 euros à titre provisionnel, provenant pour l'essentiel du pôle de recouvrement spécialisé. Le passif définitif de 131 362,45euros, est constitué par les créances suivantes :

- Allianz : 35 981,89 euros ;

- Agirc Arco et BTP prévoyance : 13 880 euros (à titre privilégié) ;

- ASF ; : 868,49 euros ;

- [F] TP : 5 100 euros ;

- CINTP : 430,83 euros ;

- Constructys OPCA ProBTP : 1 187 euros ;

- Frans Bonhomme : 2 376,66 euros ;

- Pôle recouvrement spécialisé : 99 151 euros dont 97 000 à titre provisionnel ;

- 7 PUM : 14 229 euros ;

- Somag : 2 160 euros ;

- URSSAF [Localité 8] : 83 969 euros dont 32 416,50 à titre privilégié.

A l'appui de sa demande de redressement, la société MTP soutient qu'elle dispose d'un actif disponible de 77 361,95 euros.

Il résulte du relevé d'opérations de son compte professionnel Shine versé aux débats couvrant la période du 1er février au 29 février 2024 qu'au 31 janvier 2024 le solde de son compte s'élevait à 14 759,55 euros et à 77 361,95 euros au 26 février 2024. Cette somme provient pour l'essentiel d'un virement de 70 616,71 euros reçu le 8 février 2024 par la débitrice (virement référencé : « situation N3 et N4 Boémie, de RCPI Agro).

Il résulte par ailleurs des états comptables et fiscaux établis par le cabinet [I] produits en pièce 9 qu'au 31 décembre 2023, la société MTP détenait des immobilisations corporelles constitués par des installations techniques, du matériel ou de l'outillage d'une valeur nette de 1 842 euros contre 3 891 euros au cours de l'exercice précédent.

Toutefois, la cour relève que dans son rapport établi en application des articles L. 641-2 et R. 641-10 du code de commerce, le liquidateur souligne que le commissaire de justice chargé de réaliser l'inventaire et la prisée a dressé le 16 février 2024 un procès-verbal de carence, s'agissant du mobilier, des matériels et du stock de la débitrice.

Il indique de surcroît dans sa lettre du 3 mai 2024 adressée à la cour en vue de l'audience que la fiche comptable laisse apparaître un actif nul et constate dans son rapport que l'absence de tout document comptable récent n'a pas permis de retracer la situation active et passive de la société MTP.

Ces éléments viennent corroborer le procès-verbal de saisie vente établi le 1er septembre 2023 qui a été transformé en procès-verbal de carence.

Il résulte en outre du rapport du liquidateur que le poste client n'a pas pu être évalué précisément et qu'en l'absence de communication par le dirigeant de factures, aucune relance n'a pu être réalisée alors que selon le dirigeant, ce poste s'élèverait à 100 000 euros.

Les états comptables précités et le rapport du liquidateur montrent que les résultats d'exploitation se sont dégradés entre les exercices 2021 et 2022 passant de + 3 341 euros en 2021 à ' 53 495 euros en 2022. Au cours de cette même période, le chiffre d'affaires a diminué passant de 463 920 à 343 877 euros.

Même si la dégradation des résultats d'exploitation est moins importante pour l'exercice clos au 31 décembre 2023 par rapport à l'exercice précédent' étant observé que la date de cessation des paiements a été fixé provisoirement au 1er septembre 2023, il reste négatif à ' 5 119,63 euros, le chiffre d'affaires s'établissant pour cet exercice à 368 566 euros soit environ 30 700 euros par mois.

L'appelante soutient que l'état prévisionnel sur janvier à août 2024 qu'elle produit en pièce 8 démontre qu'elle pourra a minima régler ses charges courantes.

Cet état, comportant le cachet de l'expert-comptable de la société MPT, intitulé « budget de trésorerie mensuel de janvier 2024 à août 2024 » dresse d'une part, un état mensuel du chiffre d'affaires évalué entre 21 000 et 25 000 euros entre janvier et mars 2024 et à 30 000 euros entre avril et août 2024 et d'autre part, des dépenses mensuelles évaluées entre 25 000 et 29 000 selon les mois.

Si ces prévisions de chiffre d'affaires établies sur un semestre correspondent au chiffre d'affaires moyen constaté en 2023 ' le résultat d'exploitation étant au demeurant négatif sur cet exercice -, la société MTP n'apporte toutefois pas d'éléments sur ses commandes en cours ou à venir qui pourraient étayer de telles prévisions.

La cour relève par ailleurs que si l'appelante se prévaut de liquidités de l'ordre de 77 000 euros au 29 février 2024, elle ne produit pas de relevé actualisé et ne donne pas d'éléments sur ses autres actifs, en particulier sur son poste client.

La faiblesse des actifs, la persistance d'une exploitation déficitaire et l'importance du passif, même en ne tenant pas compte du passif provisionnel déclaré par le pôle de recouvrement spécialisé, sont autant d'éléments qui conduisent à retenir que le redressement de la société est manifestement impossible.

Dans ces conditions, le jugement entrepris sera confirmé.

4- Sur les mesures accessoires

Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

L'équité commande de rejeter la demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt réputé contradictoire,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Tiphalex,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Rejette la demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.