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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 3 septembre 2024, n° 24/03042

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI RHT (SCI)

Défendeur :

Le Comptable Public Responsable du Service des Impôts des Particuliers de l'Aube, Le Comptable Public Responsable du Pôle de Recouvrement Spécialisé de l'Aube

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Lacheze, Mme Pelier-Tetreau

Avocats :

Me Cheval, Me Dalat, Me Ader, Me Salomoni

TJ Créteil, du 15 janv. 2024, n° 23/0021…

15 janvier 2024

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société civile immobilière RHT exerce l'activité d'acquisition, administration et gestion par bail, location ou toute autre forme de tous immeubles et biens immobiliers depuis le 11 janvier 2016. M. [K] et Mme [K] détiennent chacun la moitié de son capital social de 50 000 euros.

Par acte introductif d'instance du 31 octobre 2023, le service des impôts des particuliers de l'Aube a assigné la société RHT devant le tribunal judiciaire de Créteil aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à titre principal et de redressement judiciaire à titre subsidiaire, faisant état d'une créance de 14 147,28 euros non recouvrée malgré des mises en demeure et des procédures de recouvrement forcé, au titre des taxes foncières impayées des années 2017 à 2023 et assises sur la propriété d'un bien immobilier situé [Adresse 5] à [Localité 2].

Par jugement du 15 janvier 2024 le tribunal judiciaire de Créteil a :

- constaté la cessation des paiements de la société RHT ;

- ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard ;

- fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 15 juillet 2022 ;

- désigné Me [Z] [R] en qualité de mandataire liquidateur.

Par déclaration du 2 février 2024, la société RHT a relevé appel de ce jugement et a intimé le service des impôts de l'Aube et Me [R] ès qualités.

Par dernières conclusions (n° 4) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 23 juin 2024, la société RHT demande à la cour :

- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

- à titre principal, de prononcer la nullité de l'assignation ;

- de prononcer la nullité du jugement subséquent rendu le 15 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de Créteil ;

- à titre subsidiaire, d'infirmer ledit jugement ;

- en toute hypothèse, de condamner in solidum les comptables publiques responsables respectivement du Service des impôts des particuliers et du Pôle de recouvrement spécialisé de l'Aube, au paiement d'une indemnité de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- en tant que de besoin, de débouter les comptables publiques responsables respectivement du Service des impôts des particuliers et du Pôle de recouvrement spécialisé de l'Aube, ainsi que Me [R] de toutes demandes dirigées contre la société RHT.

Par dernières conclusions (n° 4) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 24 juin 2024, M. le comptable public responsable du service des impôts des particuliers de l'Aube et M. le comptable public responsable du service du pôle de recouvrement spécialisé de l'Aube, intervenant volontaire, s'en rapportent à justice sur l'ouverture d'une procédure collective et demandent à la cour :

- de prendre acte du règlement effectué auprès de leurs services en paiement des taxes foncières 2017 et 2018 pour un montant de 14 147,28 euros ;

- de débouter la société RHT de ses demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

- d'ordonner que les dépens de première instance et d'appel soient employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par dernières conclusions (n° 2) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 juin 2024, Me [R] ès qualités demande à la cour :

- de confirmer le jugement rendu le 15 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de Créteil en toutes ses dispositions ;

- de débouter la société RHT de l'ensemble de ses demandes, conclusions et fins ;

- d'ordonner que les dépens de première instance et d'appel soient employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 24 juin 2024.

SUR CE,

Sur la nullité de l'assignation et du jugement

La société RHT soutient que l'acte introductif d'instance comporte des irrégularités manifestes (adresse du domicile du gérant erronée, code postal de signification à domicile -[Localité 8] au lieu de [Localité 9]- erroné, date de la lettre non renseignée, modalités de contestation de l'acte de signification sans objet) et a été signifié à la mauvaise adresse, ce qui l'a privée de la faculté de venir présenter ses moyens de défense en première instance et qui justifie d'annuler l'assignation et le jugement subséquent.

Le service des impôts rétorque qu'il a procédé à la délivrance de l'assignation en liquidation judiciaire au siège social de la société RHT à [Localité 9] tel que mentionné sur l'extrait Kbis de la société et que la mention sur l'acte de signification « représentée par M. [K] domicilié [Adresse 6], [Localité 10] » est simplement une précision qui n'a pas donné lieu à délivrance de l'acte, que les modalités de contestation ne portent nullement à confusion puisqu'elles ne sont pas cochées et que la société RHT a bien reçu le jugement de première instance, notifié par le greffe à la même adresse.

Sur ce,

L'article 656, alinéa 1er du code de procédure civile dispose que si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.

S'agissant d'une signification réalisée par un huissier des finances publiques, le retrait de l'acte s'effectue au poste comptable et non à l'étude de l'huissier.

L'article 658, alinéa 1er, du même code prévoit que dans tous les cas prévus aux articles 655 et 656, l'huissier de justice doit aviser l'intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l'avis de passage et rappelant, si la copie de l'acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l'article 656. La lettre contient en outre une copie de l'acte de signification.

En l'espèce, il ressort du « procès-verbal de signification d'un acte d'huissier des finances publiques » que l'acte introductif d'instance du 31 octobre 2023 a été signifié au siège social de la société RHT tel qu'il ressort de son extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, à savoir au [Adresse 4] à [Localité 9], de sorte que l'erreur matérielle affectant le code postal ([Localité 8] au lieu de [Localité 9]) et l'irrégularité sur l'adresse du représentant légal (adresse à [Localité 10] en lieu et place de l'adresse du siège social mentionnée dans l'extrait Kbis) se sont révélées sans incidence sur la signification de l'acte qui fait état de ce que l'huissier s'est présenté au siège social de la société RHT, que le destinataire de l'acte était absent, que l'huissier a laissé un avis de passage et que la lettre prévue à l'article 658 du code de procédure civile a été envoyée.

Il s'ensuit que les formes prévues aux articles précités ont été respectées, de sorte qu'à défaut de preuve contraire, la signification a valablement été faite au poste comptable.

En conséquence, l'exception de nullité de l'assignation sera déclarée mal fondée et la société RHT sera déboutée de sa demande d'annulation du jugement

Sur l'état de cessation des paiements

La société RHT fait valoir pour l'essentiel que les services fiscaux de l'Aube ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d'un état de cessation de paiements, qu'elle conteste la créance fiscale en ce que d'après les pièces que les comptables publiques communiquent, leur créance alléguée s'élèverait au maximum à la somme de 13 734 euros de laquelle il convient de déduire les acomptes versés d'un total de 724,72 euros et les sommes recouvrées par voie d'ATD pour des montants de 677,22 euros, 31,45 euros et 16,05 euros soit un solde de 12 284,56 euros, qu'elle a finalement reçu une réponse favorable à sa demande de dégrèvement, qu'elle est bénéficiaire d'un crédit de TVA, qu'elle dispose d'un actif disponible suffisant pour faire face au paiement de ses dettes éventuelles exigibles car elle a conclu un nouveau bail avec la société La Bruxelloise à effet le 2 mai 2023, après la cessation d'activité de son ancienne locataire, pour un loyer annuel de 12 000 euros et la prise en charge de la moitié de la taxe foncière par la locataire et que conformément à leur accord, la société La Bruxelloise a réglé sa dette fiscale de 14 147,28 euros.

Pour s'en rapporter à justice, le SIP et le PRS de l'Aube indiquent en substance que la créance fiscale de taxes foncières de 2017 à 2023 totalisant 14 147,28 euros est certaine et immédiatement exigible et que le 7 juin 2024, le PRS a reçu un virement de 14 147,28 euros (égal au montant des créances dans l'assignation en liquidation judiciaire) en provenance de la société La Bruxelloise pour le compte de la société RHT.

Me [R] ès qualités soutient que la société RHT est redevable d'une créance fiscale de 18 383,28 euros dont 2 833 euros à titre provisionnel, que nonobstant paiement de cette créance, elle reste débitrice de 14.147,28 euros auprès de la société La Bruxelloise, quand bien même la créance ne figurerait pas au passif déclaré et que la SCI ne détient aucun compte bancaire pour y faire face, que M. [K] est le bénéficiaire effectif de la société Europsol qui est associée pour 49% du capital social de la société La Bruxelloise.

Sur ce,

Il résulte des termes de l'article L. 631-1 du code de commerce qu'est en état de cessation des paiements tout débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.

En l'espèce, la liste des créances déclarées se présente comme suit :

- une créance du PRS du Val-de-Marne de 2 358 euros au titre de la TVA échue en décembre 2021, juillet 2022 et 2023 et décembre 2023,

- une créance du SIP de l'Aube de 13 182,28 euros au titre de la taxe foncière de 2017 à 2023 (outre une créance de 2 833 euros déclarée à titre provisionnel au titre de de taxe foncière 2024, non encore exigible à ce jour).

S'agissant de la créance du SIP de l'Aube, elle s'élève à la somme de 14 872 euros, dont il a été déduit les « acomptes » versés de 724,72 euros, équivalant au montant des sommes recouvrées par avis à tiers détenteur, de sorte que d'une part, il n'y a pas lieu de déduire deux fois cette somme contrairement à ce que soutient la société RHT et que, d'autre part, au jour du jugement d'ouverture, le montant de la créance du SIP de l'Aube s'élevait à la somme de 14 147,28 euros.

Il est constant qu'une somme de 14.147,28 euros a été réglée pour le compte de la société RHT en paiement de sa dette fiscale auprès du PRS de l'Aube par un tiers, la société La Bruxelloise.

Au jour où la cour statue, le passif de la société RHT n'est donc plus composé que de la créance du PRS du Val-de-Marne de 2 358 euros au titre de la TVA échue en décembre 2021, juillet 2022, juillet 2023 et décembre 2023 (pièce n° 4 de Me [R]). Même en déduisant le crédit de TVA généré au titre de l'année 2023 de 1 096 euros (pièce n° 20 de la société RHT), le solde de cette créance demeure positif de 1 262 euros et constitue le passif exigible.

La société RHT ne dispose pas d'actif disponible, alors qu'elle n'a plus de compte bancaire et que le bien immobilier dont elle est propriétaire à [Localité 2] ne constitue pas un actif disponible car n'étant pas immédiatement réalisable.

En dépit du paiement de la créance du créancier à l'initiative de la procédure, la société RHT demeure au jour où la cour statue dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, de sorte qu'elle se trouve en état de cessation des paiements.

Sur l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire

Aux termes de l'article L. 631-1 du code de commerce, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements et le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. (')

Il résulte de l'article L. 640-1 du code de commerce que la procédure de liquidation judiciaire n'est ouverte qu'au débiteur en cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible.

L'article R. 640-2 du même code prévoit que la cour d'appel qui infirme un jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ou son prononcé peut, d'office, ouvrir la procédure de redressement judiciaire.

En l'espèce, la société RHT justifie avoir retrouvé un locataire, la société La Bruxelloise, laquelle a, conformément à ses engagements et afin d'occuper le local commercial, réglé en lieu et place de son bailleur la créance du PRS de l'Aube qui constitue la majeure partie des dettes de la société RHT. Ce locataire n'a pas déclaré sa créance et contrairement à ce qu'affirme Me [R] ès qualités, il n'est pas établi que ce paiement pour le compte de la société RHT soit devenu une dette de cette dernière puisqu'il intervient en contrepartie de la mise en disposition du local commercial appartenant à la société débitrice.

La société RHT produit également deux baux d'habitation de studios situés à la même adresse que son siège social à [Localité 9], dont il ressort qu'elle est intervenue en tant que « bailleur ou son mandataire ». Il s'en déduit, faute de preuve de sa qualité de propriétaire, qu'elle est a minima susceptible de tirer des revenus de cette activité locative.

Il s'ensuit que la société RHT exerce effectivement une activité de nature immobilière dont elle tire des revenus.

Compte tenu de la modicité de son passif social, son redressement n'est pas manifestement impossible.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce sens et, statuant à nouveau, d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société RHT avec une période d'observation d'une durée de six mois.

Malgré un paiement récent, il apparaît que le SIP de l'Aube justifie avoir vainement diligenté plusieurs mises en demeure et saisies à tiers détenteur, et ce depuis le 3 avril 2018. A ce jour, la créance fiscale n'est toujours pas apurée avec un reliquat restant dû au PRS du Val de Marne au titre des échéances de décembre 2021 et juillet 2022. Compte tenu de l'ancienneté de la dette, il convient de fixer la date de cessation des paiements au 15 juillet 2022 en application de l'article L. 631-8 du code de commerce.

Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure.

Le paiement de la créance du PRS de l'Aube étant intervenu en cours de procédure, l'équité commande de rejeter la demande de la société RHT au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Rejette la demande d'annulation de l'acte introductif d'instance et du jugement déféré ;

Infirme le jugement ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI RHT dont le siège social se situe [Adresse 4] à [Localité 9] ;

Fixe la date de cessation des paiements au 15 juillet 2022 ;

Fixe la durée de la période d'observation à six mois à compter du présent arrêt ;

Désigne M. [E] [U] en qualité de juge-commissaire et M. [L] [J] en qualité de juge-commissaire suppléant ;

Désigne Maître [Z] [R], en qualité de mandataire judiciaire ;

Fixe à six mois à compter de la publication de l'arrêt au BODACC le délai pour établir la liste des créances ;

Fixe le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée par le tribunal à deux ans ;

Désigne Maître [C] [M], en qualité de commissaire-priseur afin de réaliser l'inventaire prévu par l'article L. 641-1 lequel renvoie à l'article L. 626-6 du code de commerce ;

Renvoie l'affaire et les parties devant le tribunal judiciaire de Créteil pour la poursuite de la procédure de redressement judiciaire ;

Rappelle que le greffe du tribunal judiciaire de Créteil devra procéder aux mentions et publicités prévues par la loi ;

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective ;

Déboute la société RHT de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.