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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 5 septembre 2024, n° 23/02532

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BTSG² (SCP)

Défendeur :

Nautica (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Court-Menigoz, Me Simon-Thibaud

T. com. Antibes, du 3 févr. 2023, n° 22/…

3 février 2023

EXPOSE DU LITIGE

La Sarl Nautica exerce une activité de chantier naval sur le port d'[Localité 7]. Elle a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, suivant un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 27 février 2014 ayant donné lieu à un plan de redressement le 10 mars 2015. Le plan a été résoluet la liquidation judiciaire a été ouverte par jugement du 19 mai 2022. La SCP BTSG² a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement en date du 03 février 2023, le tribunal de commerce d'Antibes, saisi à la requête de la SCP BTSG² a reporté la date de cessation des paiements de la Sarl Nautica au 16 mars 2022 rejetant implicitement la demande de report de la date de cessation des paiements au 19 décembre 2020 ou subsidiairement au 18 février 2022.

La SCP BTSG² ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Nautica a interjeté appel du jugement par déclaration du 14 février 2023.

Par conclusions d'appelant déposées et notifiées par RPVA le 7 mars 2023, la SCP BTSG² demande à la cour :

- de la recevoir en son appel,

- d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a reporté la date de cessation des paiements de la SarlNautica au 16 mars 2022 seulement,

Et statuant à nouveau,

- de reporter la date de cessation des paiements au 19 décembre 2020 ou subsidiairement au 18

février 2022,

- juger les dépens frais privilégiés de la procédure collective.

La SCP BTSG² fait valoir que :

- depuis plusieurs années, la Sarl Nautica a cessé de régler les redevances portuaires du chantier

naval depuis la reprise de la concession par la société Vauban 21 en janvier 2017, cette dernière

ayant obtenu par ordonnance de référé du 18 février 2022, la condamnation de la Sarl Nautica au paiement d' une indemnité provisionnelle de 128 081,52 euros, ayant donné lieu à une saisie

attribution le 18 mars 2022, ayant abouti à l'assèchement de la trésorerie de la Sarl Nautica,

- la créance de Vauban 21 constitue pour l'essentiel le nouveau passif de la Sarl Nautica et était la créance principale du plan de redressement adopté le 10 mars 2015,

- les comptes de la Sarl Nautica révèlent un chiffre d'affaires peu élevé et des pertes très importantes, malgré des apports en compte courant de 175 000 euros par M. [Z] (correspondant davantage à l'abandon d'un compte courant plutôt qu'un apport d'argent frais)

- le stock de marchandises comptabilisé à l'actif, restait invariable (263 540 euros en 2019, 263 515 euros en 2020 et 263 415 euros en 2021).

- en réalité, la Sarl Nautica était en état de cessation des paiements depuis plusieurs années, ce justifie le report en arrière de la date de cessation des paiements dans la limite de 18 mois.

- ce report permettra de remettre en cause un paiement préférentiel de 60 000 euros que s'est octroyé M. [Z] le 7 mars 2022 en remboursement partiel de son compte courant d'associé et la saisie attribution du 18 mars 2023 de 38 340 euros au profit de la société Vauban 21.

- le 7ème dividende du plan de redressement adopté le 10 mars 2015 venant à échéance le 13 mars

2022, n'a été que partiellement provisionné à hauteur de 18 884,03 euros (au lieu de 20 583,98 euros).

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 7 avril 2023 et notifiées au ministère public par RPVA le 19 avril 2024, la Sarl Nautica et M. [U] [Z], parties intimées, sollicitent :

- la confirmation de la décision du premier juge,

- le report de la déclaration de cessation des paiements de la Sarl Nautica à la date du 16 mars 2022,

- le débouté de la SCP BTSG²,

- la condamnation de la SCP BTSG² au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamnation de la SCP BTSG² aux entiers dépens.

Elle fait valoir que la Ville d'[Localité 7] avait obtenu par arrêté préfectoral du 28 octobre 1971 la concession de l'établissement et l'exploitation du Port [10] et a établi une convention de sous-traité de concession de l'aire publique de carénage (lot n°7) au bénéfice de la SA Nautica en date du 17 janvier 1984. Pour pouvoir exercer son activité, la société Nautica a été autorisée, le 13 septembre 1985, à mettre en place un bureau-atelier sur le terre-plein du port [10]. Lors de la restructuration du port en 1977, il lui a été proposé de disposer, à la place d'un linéaire de quai, de places de port devant son installation, permettant d'intervenir sur les navires à l'eau sans par ailleurs de possibilité de levage. La société Nautica est donc restée sur les lieux qu'elle occupait et n'a pas intégré l'aire de carénage se trouvant à proximité du [Localité 8], ce en accord avec le gestionnaire du port et la commune d'[Localité 7]. Aucune résiliation n'a été signifiée à la Sarl Nautica avant 1997, ni en 1997 ni postérieurement. La société Nautica a exercé son activité comme professionnel du port [10] depuis plus de 30 ans dans les mêmes conditions au su et au vu de la commune d'[Localité 7] et de l'ancienne société concessionnaire, la SAEM. Par la suite, a été appliqué un tarif global préférentiel concernant les charges relatives aux places de port amodiées et places publiques utilisées comprenant l'utilisation du terre-plein jusqu'à l'arrivée de la société SAS Vauban 21.

Un important litige est né entre la SAS [10] 21 et la Sarl Nautica à propos de redevances d'occupation réclamées par la SAS [10] 21 qui a saisi en référé le tribunal administratif de Nice aux fins d'expulsion de la Sarl Nautica et sa condamnation au paiement d'une somme de 122 302,50 euros TTC. Par décision rendue le 12 novembre 2019, le tribunal administratif a rejeté la requête.

La SAS [10] 21 a de nouveau saisi en référé le juge administratif, pour demander la condamnation de la Sarl Nautica au paiement d'une provision de 122 302,50 euros, qui à nouveau a rejeté la requête.

La SAS Vauban 21 a déposé une requête au fond le 6 octobre 2020, sollicitant la condamnation de la Sarl Nautica au paiement d'une somme de 333 250,88 euros et la résiliation des actes d'amodiation pour la jouissance des postes 950, 951 et 952 au torts de la Sarl Nautica dont elle est amodiataire, outre la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts et son expulsion des postes publics n° 942 et 943 qu'elle occupe dans le cadre d'une convention d'amarrage. Elle engageait en outre une procédure contre M. [U] [Z] aux fins de le voir condamner au paiement d'une somme de 37 734,48 euros TTC en tant qu'amodiataire des postes 947, 948, 949 et 526 et obtenir la résiliation des actes d'amodiations correspondants.

Ces procédures empêchaient tout transfert d'amodiation au profit d'un tiers, M. [Z] et la Sarl Nautica ne pouvant négocier les droits d'amodiation assortis du droit d'usage en fin de concession qui leur auraient permis d'engranger de la trésorerie et permettre à la Sarl Nautica dont l'activité a été à l'arrêt pendant plus d'une année, en raison de la crise sanitaire.

Une ordonnance de référé rendue par le président du tribunal administratif de Nice du 18 février 2022 a condamné la Sarl Nautica au paiement de la somme de 128 081,52 euros au profit de la SAS Vauban 21 à titre de provision. Un appel a été formé contre cette ordonnance. Néanmoins, la SAS Vauban 21 a fait exécuter l'ordonnance en faisant pratiquer une saisie exécution sur le compte bancaire de la Sarl Nautica, la privant ainsi de ses liquidités et de toute possibilité d'honorer les échéances du plan de redressement et de continuation sur 10 ans dont elle a bénéficié. Suite à la résolution du plan, la liquidation judiciaire de la Sarl Nautica a été prononcée le 19 mai 2022.

Elle conteste l'action en modification de la date de cessation des paiements engagée par le liquidateur judiciaire estimant que la défaillance de la Sarl Nautica résulte de l'assèchement de ses liquidités du fait de l'exécution forcée de l'ordonnance de référé du 18 février 2022 qui n'a pas autorité de chose jugée sur le fond et a fait l'objet d'un appel.

Elle conteste en effet les sommes réclamées par la SAS Vauban 21 et indique que M. [Z] a apporté en comte courant la somme de 174 000 euros et a abandonné des sommes en compte courant.

Elle soutient qu'à la date du 19 décembre 2020, la Sarl Nautica n'était pas en cessation des paiements et que celle-ci pourrait être fixée au 16 mars 2022 date de la saisie exécution.

**

Un avis de fixation de l'affaire à bref délai a été adressé aux parties le 28 février 2023 pour une audience le 15 novembre 2023 et une date de clôture prévisible au 19 octobre 2023.

A la suite du décès de M. [U] [Z], gérant de la Sarl Nautica, survenu le [Date décès 1] 2023 :

- Me [X] [K] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc de la Sarl Nautica par ordonnance du président du tribunal de commerce d'Antibes du 21 juillet 2023.

- l'ordonnance de clôture rendue le 19 octobre 2023 a été révoquée le 15 novembre 2023 et une nouvelle clôture a été prononcée par ordonnance du 5 juin 2024.

Me [X] [K], désigné en qualité de mandataire ad hoc de la Sarl Nautica par ordonnance du président du tribunal de commerce d'Antibes du 21 juillet 2023, suite au décès de son gérant en cours d'instance, a été assigné en intervention forcée devant la cour, par acte en date du 16 mai 2024 délivré à personne morale et n'a pas constitué avocat.

Par un avis déposé le 17 octobre 2023, le ministère public a requis la réformation de la décision entreprise en ce qu'elle a reporté la date de la cessation des paiements de la Sarl Nautica au 16 mars 2023, le liquidateur judiciaire démontrant que la société n'était plus in boni depuis plusieurs années antérieurement à la résolution du plan de redressement et sollicite le report de la date de cessation des paiements au 19 décembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La recevabilité de l'appel interjeté par la SCP BTSG² n'est pas contestée.

Vu les articles L. 631-1, alinéa 1er, L. 631-8, alinéa 2, et L. 641-1, IV, du code de commerce :

Il résulte de la combinaison de ces textes que la date de cessation des paiements est, en cas de liquidation judiciaire, fixée comme en matière de redressement judiciaire, au jour où le débiteur a été placé dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Pour sa détermination, il n'est pas nécessaire que les créances invoquées aient fait l'objet d'un titre exécutoire et seules peuvent être exclues du passif exigible les dettes incertaines, telle une créance litigieuse dont le sort définitif est lié à une instance pendante devant un juge du fond ou résultant d'une décision susceptible de recours (Cass com, 22 novembre 2023, pourvoi n° 22-19.768).

En l'espèce, le liquidateur judiciaire à qui incombe la charge de la preuve, ne verse pas aux débats d'éléments sur la situation financière de la Sarl Nautica susceptible d'établir un état de cessation des paiements au 19 décembre 2020. En effet, la notion de cessation des paiements est distincte de celle de résultat comptable et le fait que la débitrice ait présenté au 31 mars 2019 et 2020 et au 31 décembre 202, des pertes ne permet pas d'en déduire un état de cessation des paiements au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce.

La créance de redevances portuaires découlant des actes d'amodiation est contestée et ne résulte que d'une ordonnance de référé du juge administratif, frappée d'appel.

En revanche il n'est pas contesté que la saisie attribution pratiquée en exécution de l'ordonnance de référé du 16 mars 2022 sur le compte bancaire de la Sarl Nautica, sur la somme de 38 340,20 euros a privé celle-ci de sa trésorerie.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a reporté la date de cessation des paiements de la Sarl Nautica au 16 mars 2022.

Au vu des circonstances de la cause, il n'y a pas lieu à prononcer de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la Sarl Nautica.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et rendu par mise à disposition au greffe,

Déclare l'appel interjeté recevable ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Antibes le 3 février 2023 ;

Dit n'y avoir lieu à prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette la demande de la SCP BTSG² ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Nautica sur ce chef ;

Ordonne que les dépens soient employés en frais privilégiés de la procédure collective de la Sarl Nautica.