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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 29 août 2024, n° 23/12997

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lodi (SARL)

Défendeur :

S.E.L.A.R.L. GM (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Fici, Me Brogini, Me Guedj

CA Aix-en-Provence n° 23/12997

28 août 2024

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La Sarl Lodi exerçant sous l'enseigne Garage [P] (établissement principal) et Carrosserie Gauloise (second établissement) a pour activité principale l'entretien et la réparation de véhicules automobiles légers, est immatriculée au RCS de Grasse sous le numéro 388 710 576 depuis le 1er octobre 1992 ; elle employait au sein de ses deux établissements situés respectivement :

[Adresse 3] [Localité 7] et [Adresse 8] à [Localité 7], cinq salariés et a pour gérant M. [N] [P].

Elle a rencontré des difficultés financières consécutivement à un redressement fiscal en septembre 2022 ayant conduit à la saisie de ses comptes bancaires, à l'arrêt des livraisons des fournisseurs et à la cessation de l'intervention du cabinet comptable.

Par jugement du 09 septembre 2022, le tribunal de commerce de Grasse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son égard et désigné la Selarl GM prise en la personne de Me [W] [B] en qualité de mandataire judiciaire. La période d'observation initialement de 6 mois a été renouvelée jusqu'au 9 septembre 2023.

Par requête du 19 juillet 2023, le mandataire judiciaire a demandé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Le représentant légal de la Sarl Lodi, M. [N] [P] a comparu devant le tribunal de commerce et a sollicité la poursuite de l'activité.

Par jugement rendu le 4 octobre 2023 (n° 2023F280) , le tribunal de commerce de Grasse a prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Le tribunal de commerce de Grasse a retenu que le maintien de la procédure de redressement judiciaire se justifie par la perspective d'une solution de continuation ou de cession de l'entreprise et qu'il apparaît que la situation de la société, au vu des éléments développés en chambre du conseil, apparaît irrémédiablement compromise dans la mesure où :

- le dirigeant ne collabore pas avec les organes de la procédure,

- aucun document comptable ni attestation d'absence de création de dettes nouvelles n'a été réceptionnée par le mandataire depuis l'ouverture de la procédure,

- la société est en période d'observation depuis plus d'un an et n'a proposé à ce jour aucun plan de redressement,

- la situation semble stagner et aucune possibilité de redressement n'est envisageable.

Par jugement séparé du 4 octobre 2023 (n° 2023F143) le tribunal de commerce de Grasse, constatant que par jugement du même jour a été prononcée la conversion de la procédure en liquidation judiciaire à l'égard de la Sarl Lodi, a dit n'y avoir lieu de statuer sur le renouvellement de la période d'observation et passé les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

La Sarl Lodi a interjeté le 18 octobre 2023 appel de ces deux décisions, enregistrés respectivement sous les numéros RG 23/12999 et RG 23/12997.

Elle sollicite de la cour, aux termes de ses écritures déposées et notifiées par RVPA le 15 mai 2024, qu'elle :

- la déclare recevable en son appel ;

- infirme le jugement rendu le 4 octobre 2023 en ce qu'il a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Lodi, a maintenu Mme [K] juge commissaire, nommé la Selarl GM et Me [M] [G], mandataire judiciaire en qualité de liquidateur judiciaire, maintenu la date de cessation des paiements, dit que la clôture de la procédure devra intervenir dans un délai de deux ans de l'ouverture de la procédure judiciaire et ordonné la publicité du jugement,

- mette fin à la mission de la Selarl GM prise en la personne de Me [W] [B] ès qualités de liquidateur judiciaire ;

- renvoie devant le tribunal de commerce de Grasse pour étude de la mise sous régime de liquidation judiciaire ou de la mise en place d'un plan de redressement au vu des éléments comptables apportés ;

- ordonne le prolongement de trois mois de la période d'observation pour se faire ;

- désigne la Selarl GM prise en la personne de Me [W] [B] en qualité de mandataire judiciaire.

Elle fait valoir que le passif est constitué d'une quarantaine de créances pour un montant total de 436 969,78 euros dont 264 534,60 euros à titre définitif, et constitué d'une dette de TVA pour un montant de 246 688,90 euros pour partie à titre provisionnel.

Elle n'a pu produire devant le tribunal de commerce ses bilans comptables des trois derniers exercices et a mandaté un expert comptable qui a ressorti ces bilans qui sont produits. Elle soutient qu'elle a une réelle possibilité de redressement et prévoit de réembaucher ses salariés.

En terme de perspectives économique, la société travaille en partenariat avec le groupe Chopard ce qui lui assure des recettes régulières bien que le délai d'encaissement soit long

Les liasses fiscales et les bilans des trois derniers exercices (2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022) mettent en évidence des résultats positifs.

Elle propose un plan de redressement, sur la base d'une poursuite d'activité dégageant un résultat de 68 000 euros par an, permettant le remboursement intégral des créances déclarées définitivement à hauteur de 264 534,60 euros sur une période de 10 ans, avec :

- paiement des créances inférieures à 500 euros dès l'adoption du plan (9 créances)

- des annuités de 26 000 euros par an de 2024 à 2032, plus une dernière annuité du montant du solde restant dû.

Une renégociation des termes de paiement (30 jours fin de mois) de son principal client, le groupe Chopard, qui représente la moitié du CA total (35 000 euros mensuels) pour réduire les délais d'encaissement

Une restructuration de l'entreprise et la suppression d'un des locaux utilisés permettant une économie de 55 000 euros par an et la suppression du poste de secrétaire, permettant une économie de 30 000 euros par an. La réévaluation des taux horaires trop bas actuellement par rapport à la concurrence, une baisse des remises accordées aux partenaires et une réduction de certains coûts trop importants.

La migration du service réparation mécanique dans l'actuel local commercial de 800 m² après adjonction d'un second pont élévateur

Sa trésorerie est de 60 000 euros. Le groupe Chopard a réalisé un virement de 24 866,45 euros en janvier 2024 et un autre de 3 379,11 euros, contestés par Me [B].

Chopard conserverait un séquestre de 32 965 euros correspondant aux dettes qu'il a déclarées à Me [B]. Si ces fonds avaient été récupérés, la trésorerie aurait permis de couvrir les dettes postérieures.

Le stock de véhicules d'occasion gagé par le service des impôts depuis 2 ans représente environ 50 000 euros en revente.

Elle a fait établir un prévisionnel par son nouvel expert-comptable duquel il ressort :

1ère année : CA 480 000 euros et résultat 35 799 euros

2ème année et plus : CA en progression

Concernant les dettes postérieures son expert comptable a fourni, contrairement à ce qui est invoqué par le liquidateur judiciaire des explications sur le fait que le compte fournisseur a augmenté après le redressement judiciaire car la société a du procéder aux règlements à réception des factures, ne bénéficiant plus des délais habituels de la part de ses fournisseurs.

Par conclusions n°3 déposées et notifiées par RVPA le 6 mai 2024, la Selarl GM prise en la personne de Me [W] [B] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Lodi sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, en l'absence de possibilité de redressement de la Sarl Lodi et le débouté de celle-ci de toutes ses demandes.

A titre subsidiaire, l'ouverture d'une nouvelle période d'observation d'une durée maximale de trois mois et le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Grasse afin qu'il soit statué sur l'issue de la procédure.

Dans tous les cas, l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Le mandataire judiciaire fait observer que contrairement à ce qu'avance l'appelante, le passif définitivement admis ne comprend aucune dette provisionnelle, en ce compris la dette fiscale. Il s'élève à 264 534,60 euros (et non 246 534,60 euros comme indiqué par l'appelante).

L'activité de la société est loin d'être celle décrite par l'appelante et aucune comptabilité n'a été produite malgré les nombreuses relances du mandataire judiciaire ; en réalité aucune comptabilité n'a été tenue depuis 2019 et il a fallu attendre le 25 janvier 2024 pour que la société produise devant la cour les liasses fiscales arrêtées au 30 septembre 2020, 2021 et 2022. Il manque encore les comptes annuels 2023 et le compte de résultat sur la période d'observation, la situation s'appréciant à la date à laquelle la cour statue. Ce n'est que le 19 février 2024 que la société a produit la liasse fiscale arrêtée au 30 septembre 2023 qui fait apparaître un résultat fiscal après imputation des déficits, de 24 619 euros.

Concernant les postes figurant à l'actif :

l'appelante indique que le compte client a augmenté de 77 037 euros (65,8 %) et la Sarl envisage d'accélérer les délais d'encaissement des créances clients, 'ce qui semble avoir été la cause de la défaillance de trésorerie sur les années passées' : or, durant la PO l'entreprise n'a pas su mettre à profit ce délai pour redresser la situation et recouvrer les créances.

A la clôture de l'exercice 2023, les disponibilités en caisse n'étaient que de 4 867 euros contre 18 154 en 2022. Or l'appréciation des facultés d'apurement du passif s'apprécient, outre au regard de son résultat, au regard de sa trésorerie surtout s'il existe des créances postérieures au jugement d'ouverture et des avances effectuées par le CGEA.

Le stock de véhicules d'occasion gagés par le service des impôts de [Localité 6] représentent une valeur de réalisation, sous réserve du contrôle technique, de 39 500 euros dont 13 800 euros de véhicules gagés ou immobilisés par la police ou dont l'immatriculation est suspendue, soit un stock estimé à 25 000 euros, qui ne permet pas de régler le passif postérieur.

La société Lodi s'autofinance et n'a pas recours à l'emprunt, elle est vierge d'endettement (toutefois il ressort du passif qu'un crédit de trésorerie a été consenti par le Crédit Agricole).

Le mandataire judiciaire observe que le poste fournisseurs était de 79 515 euros au 30 septembre 2023, après déduction des créances antérieures au jugement d'ouverture (21 688 euros) ce qui met en évidence que la Sarl Lodi a généré pendant la période d'observation un passif fournisseur de 57 827 euros. Cet élément ne permet pas de caractériser des perspectives de redressement.

Concernant le poste 'autres dettes', d'un montant total de 368 688 euros (en augmentation par rapport à l'exercice précédent : 281 988 euros), la Sarl Lodi racontait la création d'un endettement fiscal important durant la période d'observation (postes TVA à décaisser 97 866 et TVA sur ventes 132 774) sans donner d'explication sur la façon dont elle va apurer ce nouveau passif.

Enfin, le poste 'autre dettes' fait apparaître sur la période du 1er octobre 2022 au 30 septembre 2023 un remboursement du compte courant d'associé de M. [P] à hauteur de 23 123 euros, qui interroge sur la capacité du gérant à mettre en oeuvre et respecter les mesures de redressement mises en place en évitant de privilégier son dirigeant au détriment de ses créanciers.

Concernant le compte de résultat, la renégociation des trois baux commerciaux (diminution des surfaces louées ou la renégociation des baux en cours) implique l'accord des bailleurs, dont il n'a pas été justifié aux débats.

Concernant la diminution de la masse salariale (suppression d'un emploi) : si le jugement de liquidation judiciaire était infirmé, les 5 salariés devront être repris.

Le financement des mesures de restructuration ne sont pas chiffrées ni financées.

Le prévisionnel fourni prévoyant une réduction drastique des charges d'exploitation (les loyers commerciaux qui représentent une dépense annuelle de 160 029 euros) à 70 290 euros, aboutirait à diminuer les charges de 89 739 euros (soit 56 %) est peu crédible.

Dans l'hypothèse inverse où les loyers resteraient au niveau où ils sont actuellement, la capacité d'autofinancement de la Sarl Lodi se trouverait ramenée à des montants négatifs, ce qui ne peut augurer du redressement de la Sarl Lodi avec l'apurement de son passif.

La Sarl Lodi ne produit pas d'attestation d'absence de dettes nouvelles créées.

Bien au contraire, il apparaît que de nouvelles dettes sont apparues postérieurement au jugement d'ouverture :

- notification de créances émises par Urssaf : 1 939 euros

- avis de recouvrement portant sur la TVA postérieure

- signification d'une IP pour une dette de 1 872 euros

- factures impayées d'un fournisseur pour 5 355.43 euros

Le ministère public a requis, aux termes d'un avis déposé le 14 mai 2024, la confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Grasse n° 2023F280 ayant prononcé la liquidation judiciaire et celui n° 2023F143 ayant dit n'y avoir lieu à prolonger la période d'observation.

La clôture a été prononcée le 16 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il y a lieu d'ordonner dans un souci de bonne administration de la justice, la jonction de la procédure RG n° 23-12999 avec celle n°23-12997.

Il se déduit des dispositions combinées des articles L. 631-1 et L. 631-15 du code de commerce que la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire n'est possible que si la poursuite de l'activité et le redressement sont manifestement impossibles.

L'impossibilité manifeste du débiteur à se redresser s'apprécie in concreto, au cas par cas, au regard de sa situation matérielle et financière globale et de son activité.

Par ailleurs, pour mener à bien cette appréciation, la cour doit examiner la situation matérielle réelle de l'appelante au jour où elle statue.

L'analyse des pièces comptables et liasses fiscales produites aux débats montre des trois dernières années produites par l'appelante montrent que la société LODI a dégagé des résultats positifs et que la société envisage de réduire ses charges d'exploitation. Toutefois, le plan de redressement établi par la société LODI, sur la base d'une poursuite d'activité dégageant un résultat de 68 000 euros par an, avec un remboursement intégral des créances déclarées définitivement à hauteur de 264 534,60 euros sur une période de 10 ans, moyennant des dividendes annuels de 26 000 euros après règlement de toutes les créances de moins de 500 euros, n'apparaît pas réaliste en raison de la constitution d'un nouveau passif fiscal (TVA) pendant la période d'observation sur lequel elle ne fournit pas d'explications et ne propose pas de solution de règlement de ce nouveau passif fiscal à partir de sa trésorerie qu'elle chiffre à 60 000 euros, sans pour autant justifier de son montant, au jour où la cour statue.

Par ailleurs, ses capacités d'autofinancement au regard des mesures de restructuration de son activité et de ses locaux sur un seul site telles annoncées, s'appuient sur les économies à réaliser à partir d'une réduction drastique de ses charges d'exploitation. Celles-ci nécessitent une renégociation des baux commerciaux ce dont il n'est pas à ce jour justifié devant la cour en l'absence de pourparlers ou de lettre d'intention du bailleur.

De même, il n'est pas davantage justifié de pourparlers avec son principal client, la société Chopard, en vue de diminuer les délais de règlement, lui permettant de se constituer une trésorerie suffisante qui lui a fait, jusqu'alors défaut, comme elle le reconnaît elle-même dans ses écritures.

Par ailleurs, elle ne verse pas aux débats d'attestation circonstanciée d'absence de nouvelles dettes établie par un expert-comptable.

La société LODI bien qu'ayant bénéficié d'une période d'observation d'une année et d'un délai de six mois nécessaire à l'audiencement de l'affaire, n'a pas mis la cour en mesure d'apprécier la faisabilité de ses capacités de redressement, en l'absence de réponse claire et chiffrée comme de justifications aux interrogations sur les points précités.

La poursuite de son activité et son redressement étant manifestement impossibles, la décision attaquée sera par conséquent confirmée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Ordonne la jonction de la procédure RG n° 23-12999 avec celle n°23-12997.

Confirme en toutes leurs dispositions les jugements rendus le 4 octobre 2023 n° 2023F280 et n° 2023F143 par le tribunal de commerce de Grasse, en ce qu'il a prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire d'une part, et en ce que constatant la conversion de la procédure en liquidation judiciaire à l'égard de la Sarl Lodi, a dit n'y avoir lieu de statuer sur le renouvellement de la période d'observation, d'autre part ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.