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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 29 août 2024, n° 23/14751

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Cavigal (SAS), Côte d'Azur Handball (SAS)

Défendeur :

Selarl (S) et Associés

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Gelato, Me Badie

T. com. Nice, du 17 nov. 2023, n° 2023L0…

17 novembre 2023

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball, créée le 4 août 2021 exerçait une activité de gestion et d'animation d'activités liées au handball.

Elle avait signé avec la ville de [Localité 4] et le département des Alpes-maritimes des conventions lui procurant le versement de subventions publiques.

Elle avait procédé en 2021 à une augmentation de capital dans le but de faire rentrer un nouvel actionnaire, portant le capital de 10 000 à 11 000 euros, et conclu divers partenariats avec des sponsors notamment :

- la société Immeuble et commerce investissements pour un montant de 150 000 euros,

- la société Noesis Consulting pour un montant de 42 000 euros,

- M. [C] [T], également nouvel associé, à hauteur de 70 000 euros.

Dès le début de l'année 2022, les sponsors sont apparus défaillants dans leurs engagements financiers et dès le mois de mars 2022, la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball enregistrait des retards dans le paiement des salaires et charges sociales et des fournisseurs.

Le commissaire aux comptes a, par courrier recommandé avec AR dommages et intérêts 21 avril 2022 a averti la société que ses difficultés de trésorerie étaient de nature à compromettre la continuité de l'exploitation et demandé à son président, M. [G] [K], de l'informer des mesures prises pour pallier aux difficultés. Ce dernier indiquait que la société Noesis Consulting avait versé une partie des sommes promises et restait devoir la somme de 38 000 euros et que des mises en demeure allaient être adressées à la société Immeuble et commerce.

Ayant estimé ces mesures insuffisantes pour remédier à la situation de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball, le commissaire aux comptes a demandé le 8 juin 2022 la tenue d'une assemblée générale, pour présenter un rapport d'alerte.

Les difficultés s'aggravant, tandis qu'aucune mesure concrète n'était prise, la commission nationale de contrôle de gestion décidait, le 30 juin 2022, de ne pas autoriser l'équipe 1 à participer au championnat de Proligue en l'état du déficit budgétaire et rétrogradait l'équipe 1 du club en National 2.

Devant ces décisions, la ville de [Localité 4] et le département des Alpes-maritimes résiliaient les conventions les liant avec la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et annulaient le versement des subventions.

Par courrier recommandé AR du 8 juillet 2022, le commissaire aux comptes réitérait sa demande de convocation d'une assemblée générale au cours de laquelle un rapport spécial sera présenté aux associés, afin de mettre en oeuvre des mesures concrètes pour pallier aux difficultés financières relevées,

Par jugement en date du 20 octobre 2022, le tribunal de commerce de Nice sur saisine d'office du ministère public, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et fixé la date de cessation des paiements au 20 octobre 2022.

En l'absence de perspectives de redressement et en l'état de nouvelles dettes créées, le liquidateur judiciaire sollicitait l'ouverture d'une liquidation judiciaire et par jugement en date du 7 décembre 2022, le tribunal de commerce de Nice a, sur requête de la société [S] et Associés prise en la personne de Me [W] [S] ès qualités de mandataire judiciaire, prononcé la liquidation de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball.

Le liquidateur judiciaire a fait délivrer assignation à la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et à son président Monsieur [G] [K] aux fins de report de la date de cessation des paiements au 1er avril 2022.

Par jugement du 17 novembre 2023, le tribunal de commerce de Nice a reporté la date de cessation des paiements au 1er avril 2022, après avoir constaté, au vu des pièces produites et notamment des courriers d'alerte du commissaire aux comptes, du rapport d'assemblée générale du 22 juillet 2022 et du jugement du conseil des prud'hommes de [Localité 4] confirmant l'existence de retard dans le paiement des salaires dès 2021, que l'actif disponible de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball était, au moins depuis la fin du mois de mars 2022, insuffisant pour faire face à son passif exigible.

Par déclaration en date du 1er décembre 2023, la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et Monsieur [G] [K] ont interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA en date du 30 mai 2024, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, M. [K] [G] et la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball demandent à la cour, au visa des articles L.631-1 et L.631-8 du code de commerce et 700 du code de procédure civile, de :

- les juger recevables et bien fondés en leur appel,

En conséquence,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 17 novembre 2023,

Statuant à nouveau,

- juger que l'état de cessation des paiements est consacré à la date d'ouverture du 20 octobre 2022,

- fixer l'état de cessation des paiements de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball au20 octobre 2022,

- dire que les dépens seront employés en frais de liquidation judiciaire.

Les appelants indiquent que s'il est exact que la dette salariale s'élevait au 31 août 2022 à la somme de 65 000 euros, il ne restait à la date de l'ouverture du redressement judiciaire aucune créance salariale exigible. Ils soulignent à cet égard que la seule créance salariale dont s'est prévalu le mandataire judiciaire pour demander la liquidation est celle née après le jugement d'ouverture et correspondant à la somme de 2 464,17 euros.

Ils soutiennent par ailleurs que l'exigibilité des dettes sociales n'est pas démontrée puisqu'aucune mise en demeure n'a été adressée à la société à la date de l'ouverture de la procédure collective.

S'agissant des actifs disponibles, ils font valoir l'existence :

- d'une convention d'objectifs 2022 établie entre la ville de [Localité 4] et la société dès le mois de mars 2022 devant permettre le versement à son profit de 209 000 euros,

- d'un contrat de nantissement en vue du versement d'un montant de 1 400 000 euros signé le 9 mai 2022 avec possibilité de disposer de ce montant sous 5 jours, cette somme devant permettre de régler en une seule fois les dettes de la société,

- d'un procès-verbal de conciliation signé le 4 octobre 2022 avec la société Immeubles et Commerces Investissements pour un règlement de 125 000 euros, accord homologué par jugement du 8 novembre 2022.

Ils affirment que les difficultés de trésorerie, auxquelles toutes les sociétés sont confrontées, notamment lors du premier exercice, ne peuvent être assimilées à un état de cessation des paiements.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA en date du 5 février 2024, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, la Selarl [S] et Associés prise en la personne de Maître [W] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball demande à la cour, au visa des articles L631-8 et L641-1-1 du code de commerce, de :

- la juger recevable et fondée en ses demandes,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nice du 17 novembre 2023 en ses entières dispositions,

- débouter la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et Monsieur [K] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- ordonner l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de la procédure collective de la société Cavigal [Localité 4] Sport Handball.

Le liquidateur judiciaire soutient, par la mise en perspective des soldes bancaires et des créances exigibles à la même période, que depuis le mois de mars 2022, l'actif disponible de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball était insuffisant pour faire face à son actif disponible.

Il relève ainsi qu'en mars 2022, la société était dans l'incapacité de faire face à ses charges salariales, lesquelles n'ont pu être réglées qu'après la perception de subventions du conseil départemental et au détriment d'autres créanciers puisqu'elle était dans l'incapacité de régler les charges relatives à l'URSSAF qui a déclaré un montant de 127 235 euros au titre des cotisations dues pour les mois de mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre 2022 et les charges relatives à AG2R La Mondiale qui a déclaré une créance d'un montant de 41 066,10 euros au titre des cotisations dues pour les mois de février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre 2022.

Il souligne que le jugement du conseil de prud'hommes de Nice en date du 27 juin 2023 a confirmé l'existence de retards de salaires dès le mois de juillet 2021.

Il indique que les actifs allégués par la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball ne répondent pas à la définition de l'actif disponible.

Par avis en date du 23 mai 2024, le ministère public requiert la confirmation du jugement querellé.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article L631-8 du code de commerce, la date de cessation des paiements ne peut être reportée plus de 18 mois avant le jugement d'ouverture de la procédure collective.

L'état de cessation des paiements se définit par l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec l'actif disponible

La jurisprudence constante considère la notion d'actif disponible comme l'actif limité aux avoirs immédiatement disponibles, constaté au jour où le juge statue, notion par conséquent distincte de la notion comptable de résultat.

Le passif exigible est constitué des dettes certaines, liquides et exigibles, ou échues. Il n'est à cet égard pas nécessaire, pour être exigible, qu'une dette soit exigée par le créancier.

En outre, il appartient à celui qui l'invoque de le démontrer, le juge ne pouvant se contenter de simples présomptions tirées d'éléments extrinsèques qui, si elles permettent de fonder la saisine du tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, ne peuvent se substituer à une analyse, même succincte, de la situation financière du débiteur, pour caractériser l'état de cessation des paiements au sens de l'article L 631-8 précité, et prononcer l'ouverture d'une procédure collective.

En l'espèce, le tribunal, procédant à l'analyse du passif exigible à la date du 1er avril 2022, a retenu :

- s'agissant des créances salariales, que les salaires du mois de mars 2022 n'ont pu être payés qu'à réception au mois de mai 2022 de la subvention versée par le conseil départemental et qu'à fin mai, l'intégralité des salaires n'était pas versée. Au 30 août 2022, la dette salariale était de 65 000 euros,

- concernant la créances des organismes sociaux (URSSAF PACA), la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball a rencontré des difficultés pour honorer les cotisations et contributions sociales dès le début de l'année 2022 et qu'au 30 août 2022, la créance de l'Urssaf était de 85 000 euros. L'Urssaf a déclaré une créance de 127 235 euros (dont 33 948 euros de part salariale) au titre des cotisations dues pour les mois de mars, avril, mai, juin, juillet, septembre et octobre 2022.

- s'agissant de la dette fiscale, le pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-maritimes a déclaré une créance définitive de 40 984 euros au titre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, de la TVA et de la CFE couvrant la période du 1er août 2021 au 31 août 2022

Le tribunal de commerce a estimé, à juste titre par ailleurs, que ne pouvaient être pris en compte comme actif disponible, les subventions publiques comme les versements à intervenir dans le cadre des conventions de partenariat, ces fonds ne pouvant être mobilisés dans un délai rapide, et s'agissant des subventions publiques, n'étaient pas encore intégralement versées au 30 juin 2022.

A cet égard, les sommes dont le versement résultait de l'accord intervenu le 4 octobre 2022, homologué par ordonnance de référés du 8 novembre 2022 entre la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et la SASU Immeubles et Commerce Investissements, prévoyait un versement de la somme de 125 000 euros en trois échéances à intervenir au plus tard le 7octobre 2022 (40 000 euros), le 21 octobre 2022 (40 000 euros) et le 18 novembre 2022 (45 000 euros), et ne pouvaient, dès lors, être prises en compte au titre de l'actif disponible à la date du 1er avril 2022.

De même, l'acte de nantissement du 9 mai 2022 invoqué par les appelants, matérialisé par une ligne de crédit de 1 400 000 euros qui n'était disponible dans le meilleur des cas, qu'au mois de juin 2022 évoquée dans le courrier du 4 mai 2022 de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball en réponse au CAC, ne pouvait être pris en compte au titre de l'actif disponible à la date du 1er avril 2022.

Tant le courrier d'alerte du commissaire aux comptes du 21 avril 2022 dans lequel celui-ci mentionne :

- que les salaires du personnel du mois de mars 2022 n'ont pas été réglés à la date du 19 avril 2022, et qu'il en est de même pour les charges sociales de mars 2022 et/ou du 1er trimestre 2022,

- que la trésorerie repose essentiellement sur le versement des sommes annoncées par les partenaires sponsors aux échéances convenues, échéances qui n'ont pas été respectées,

que le rapport d'AG du 22 juillet 2022, ainsi que le jugement du conseil de prud'hommes de Nice constatant un retard de paiement dans les salaires dès 2021, confirment bien l'existence d'un état de cessation des paiements de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball à la date du 1er avril 2022.

Les difficultés financières rencontrées par la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball ne peuvent être qualifiées de passagères dès lors qu'il résulte des éléments ci-dessus que la trésorerie de la débitrice dépendait pour l'essentiel des versements des sponsors et des subventions publiques et que la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball n'a pu trouver ni mettre en oeuvre aucune mesure efficiente pour pallier cette dépendance financière structurelle.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a considéré l'état de cessation des paiements établi à la date du 1er avril 2022 et prononcé le report de la date de cessation des paiements de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball à cette date.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Cavigal [Localité 4] Sport Handball.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Déboute la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball et M. [G] [K] de leurs demandes ;

Confirme le jugement rendu le 17 novembre 2023 (n° minute 2023L01799) par le tribunal de commerce de Nice en toutes ses dispositions ;

Ordonne que les dépens soient employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Cavigal [Localité 4] Côte d'Azur Handball.