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Décisions

CA Lyon, premier président, 2 septembre 2024, n° 24/00152

LYON

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Le Florian (SASU)

Défendeur :

Comptable du Trésor Public chargé du Recouvrement

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardoux

Avocats :

Me Guichard, Me Beyer, Me Charvolin

CA Lyon n° 24/00152

1 septembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par assignation du 3 mai 2024, le Service des impôts des entreprises de [Localité 9] (SIE) a saisi le tribunal de commerce de Lyon aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire et subsidiairement de redressement judiciaire à l'encontre de la S.A.S.U. le Florian, lequel par jugement contradictoire du 28 juin 2024 a prononcé la liquidation judiciaire de cette société et nommé la SELARL [Y] [J] en qualité de liquidateur judiciaire.

La société le Florian a interjeté appel de cette décision le 4 juillet 2024.

Par assignations en référé délivrées le 11 juillet 2024 au SIE, à la SELARL [Y] [J] et au ministère public, la société le Florian a saisi le premier président afin d'arrêter l'exécution provisoire, que la décision à intervenir soit déclarée opposable au liquidateur judiciaire et la condamnation du SIE au paiement de la somme de 800 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'audience du 21 août 2024 devant le délégué du premier président, les parties, qui ont été régulièrement représentées, s'en sont remises à leurs écritures, qu'elles ont soutenues oralement.

Dans son assignation, la société le Florian invoque les dispositions de l'article R. 661''1 du Code de commerce et son absence d'état de cessation des paiements à raison de l'absence de production d'un titre exécutoire par le SIE qui conduit à l'irrecevabilité de la demande de ce service.

Elle considère que la dette du SIE n'est pas certaine, liquide et exigible et en outre que sa situation financière n'est pas irrémédiablement compromise. Elle considère que son activité économique est viable.

Elle affirme que le tribunal de commerce a statué par voie de simple affirmation et a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.

Elle prétend que le maintien de l'exécution provisoire va entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives.

Dans son soit transmis du 26 juillet 2024 régulièrement porté à la connaissance des parties notamment lors de l'audience, le ministère public sollicite le rejet de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire et estime que le tribunal de commerce n'a pas excédé les limites de sa saisine et que l'état de cessation des paiements et la situation irrémédiablement compromise ont été motivés. Il souligne que la société le Florian comporte des effectifs et fait fi de la dette fiscale.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 2 août 2024 par RPVA, le SIE s'oppose à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire et sollicite la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société le Florian la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il affirme que les dettes fiscales visées dans son assignation sont exigibles conformément à l'article L. 269 du Code général des impôts pour la TVA et L. 204-A du même code pour le prélèvement à la source. Il précise que cette imposition a été calculée en fonction des déclarations faites par ce contribuable.

Il ajoute avoir pris en compte tous les règlements opérés par la société le Florian pour un montant supérieur à ceux dont elle fait état et qu'il n'est pas tenu à produire un titre exécutoire pour l'assigner en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire.

Il souligne qu'en application de l'article R. 661-1 du Code de commerce, il n'est pas besoin de caractériser des conséquences manifestement excessives du maintien de l'exécution provisoire.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe par RPVA le 16 août 2024, la société le Florian maintient les demandes contenues dans son assignation comme les arguments et moyens qu'elle y formulait. Elle réplique aux observations du ministère public comme aux conclusions du SIE.

La SELARL [Y] [J], bien qu'assignée par acte remis à une personne habilitée à le recevoir, n'a pas comparu.

Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties, à la décision déférée, aux conclusions régulièrement déposées et ci-dessus visées, comme pour l'exposé des moyens à l'énoncé qui en sera fait ci-dessous dans les motifs.

MOTIFS

Attendu que la présente ordonnance est réputée contradictoire en ce que la défenderesse non comparante a été assignée à sa personne ;

Attendu qu'aux termes de l'article R. 661-1 du Code de commerce, le jugement prononçant la liquidation judiciaire est exécutoire de plein droit à titre provisoire et par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du Code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel statuant en référé ne peut arrêter l'exécution provisoire d'un tel jugement, que si les moyens invoqués à l'appui de l'appel paraissent sérieux ;

Attendu qu'un moyen sérieux ne relève pas d'une simple affirmation ni de la seule reprise des arguments développés en première instance ; qu'en d'autres termes un moyen sérieux est un moyen suffisamment consistant pour mériter d'être allégué ou soutenu, pris en considération et avoir des chances d'être retenu après discussion et réflexion et qui doit en tout état de cause conduire à l'annulation ou à la réformation ;

Que l'absence de pouvoir juridictionnel du premier président pour déterminer les chances de succès de l'appel doit le conduire à ne retenir un moyen que s'il repose sur une base factuelle évidente ;

Attendu que le texte susvisé en ce qu'il édicte une exception expresse à l'application de l'article 514-3 du Code de procédure civile ne peut conduire à conditionner l'arrêt de l'exécution provisoire à de quelconques conséquences manifestement excessives, qui n'en constituent pas un critère ; que les arguments présentés par la société le Florian au titre des conséquences d'un maintien de l'exécution provisoire ne sont dès lors pas examinés ;

Attendu que la société le Florian soutient au visa de l'article 455 du Code de procédure civile un moyen d'annulation du jugement du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'elle l'affirme affecté d'un défaut de motifs à raison de ce que les premiers juges ont statué par voie de simple affirmation concernant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du SIE et concernant l'existence d'une situation irrémédiablement compromise ;

Qu'elle ajoute dans ses dernières écritures que le tribunal de commerce n'a pas repris les nouvelles demandes présentées par le SIE lors de la dernière audience, et allègue que l'administration fiscale a alors manifesté son accord pour un redressement judiciaire et pour un échelonnement du paiement de sa créance ;

Attendu que s'agissant des éléments dits soutenus oralement devant le tribunal de commerce, seules les notes d'audience tenues par le greffier sont susceptibles de faire foi de l'évolution des prétentions respectives des parties, telles que consignées dans une assignation et dans les conclusions auparavant régulièrement déposées et communiquées ;

Que la société le Florian est contredite par le SIE concernant l'évolution des prétentions de cette dernière qui précise dans ses dernières écritures dans le cadre du présent référé que « lors de l'audience du 26 juin 2024, [il] s'en est remis à l'appréciation du tribunal sur l'ouverture d'une éventuelle procédure de redressement judiciaire, conformément d'ailleurs à l'assignation délivrée à la société le Florian faisant état d'une demande de liquidation judiciaire ou à titre subsidiaire de redressement judiciaire» ; que cette société demanderesse ne produit nullement une copie des notes d'audience du greffier de cette juridiction ;

Attendu qu'elle ne peut ainsi sérieusement soutenir que les premiers juges aient excédé leur saisine en statuant sur la demande de liquidation judiciaire contenue dans l'assignation ;

Attendu qu'il doit ensuite être rappelé que l'article 455 du Code de procédure civile ne sanctionne par la nullité une décision de première instance qu'en ce qu'elle se trouve dépourvue de motifs circonstanciés, ce qui est sans rapport avec l'appréciation de la qualité ou de la pertinence des motifs pris telle qu'effectuée par la société le Florian ;

Que comme l'a relevé le ministère public, la seule lecture des motifs du jugement rendu le 28 juin 2024 par le tribunal de commerce de Lyon tant sur la question de la cessation des paiements que sur l'impossibilité manifeste de redressement révèle que la décision fait une référence concrète aux éléments de la cause tels l'existence de 14 SATD entre le 27 août 2021 et le 26 janvier 2024 ayant permis le recouvrement de la somme de 15 437,44 €, des dernières SATD restées infructueuses, d'un compte bancaire présentant une position débitrice, d'un plan de règlement qui a été dénoncé pour non-respect des échéances et d'un dernier paiement datant du 25 juillet 2023 comme une nouvelle demande d'échéancier qui n'a pas été respectée par le débiteur ;

Que le moyen d'annulation du jugement déféré ne peut être considéré comme sérieusement soutenu, les moyens et arguments articulés par la société le Florian venant en critique de la décision prise correspondant à des moyens de réformation d'ailleurs articulés ;

Attendu que la société le Florian conteste se trouver en état de cessation des paiements, alors qu'il convient de rappeler que cet état doit être apprécié au jour où le juge statue et qu'il appartient à la demanderesse dans le cadre du présent référé de rapporter la preuve de ce qu'elle n'est pas actuellement en état de cessation des paiements ; que le premier président doit en effet également se situer au jour où il statue ;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 631-1 du Code de commerce, la cessation des paiements se définit comme l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ;

Attendu que dans son assignation, la société le Florian prétend que l'appréciation de cet état de cessation des paiements suppose l'existence de titres exécutoires mais surtout que le SIE n'a pas alors justifié d'une créance certaine liquide et exigible sans la détailler et en commettant des confusions dans ses décomptes notamment concernant le montant des paiements qu'elle a opérés ;

Que comme le SIE l'a souligné dans ses écritures, les créances mises en avant dans son assignation résultent d'avis de mise en recouvrement et de titres exécutoires exigibles en application des articles L. 269 et L. 204-A du Code général des impôts, et en tout état de cause l'appréciation des montants de ces avis et titres échappe à l'appréciation du juge judiciaire et se trouve réservée au tribunal administratif ;

Que surtout aucun titre exécutoire n'est susceptible d'être exigé au stade de l'appréciation d'une cessation des paiements ;

Attendu que la société le Florian tout en soulignant son incertitude sur le montant de ses dettes fiscales ne discute pas en fait l'existence d'une dette fiscale impayée en affirmant qu'un accord serait intervenu avec l'administration fiscale pour leur paiement échelonné ; qu'elle détaille les éléments de sa contestation en faisant état d'une dette subsistante de 43 916,12 € (97 794 € - 53 877,88 €) ;

Attendu qu'en tout état de cause, elle demeure totalement taisante sur son actif disponible actuel et défaille ainsi à établir qu'elle se trouve en capacité financière de faire face à ces créances reconnues et dites comme devant être échelonnées, la production d'un prévisionnel pour l'année 2024 étant inopérante à fournir des éléments sur sa trésorerie actuelle, car aucun de ses postes n'en fait état ;

Attendu que nonobstant sa discussion du caractère exigible ou certain d'une partie de ses dettes fiscales, cette carence à éclairer sur son actif disponible ne permet pas de retenir qu'elle soutienne sérieusement son absence d'état de cessation des paiements ;

Attendu que la société le Florian conteste se trouver dans la situation définie par le Code de commerce qui conditionne le prononcé d'une liquidation judiciaire, à savoir que son redressement est manifestement impossible ;

Que sa critique des motifs pris par le tribunal de commerce ou sur l'ampleur des créances fiscales exigibles ne la dispense pas de fournir des éléments de nature à contredire cette impossibilité manifeste de redressement ;

Attendu qu'elle produit à cet effet le prévisionnel susvisé, établi par son expert-comptable, sans faire état de ses bilans et comptes de résultats des années précédentes, et fait référence à une liquidation de l'impôt sur les sociétés du 12 juillet 2024 en vertu d'une déclaration fiscale déposée le 29 avril 2024 pour indiquer avoir connu un résultat fiscal de 53 630 € au cours de l'exercice 2023 ;

Que le prévisionnel produit est basé sur un résultat annuel pour l'année 2024 d'un montant de 37 300 € qui s'avère être compatible avec le résultat de l'exercice précédent ;

Attendu que si ce prévisionnel n'est susceptible d'être analysé dans sa crédibilité et dans sa fiabilité qu'au regard d'éléments financiers et comptables, telles les disponibilités ou la trésorerie qui ne sont en rien évoqués dans les pièces par ailleurs produites, les éléments communiqués permettent en revanche de retenir que la société le Florian soutient sérieusement que son redressement n'est pas manifestement impossible ;

Attendu que ce seul moyen paraissant sérieux suffit à motiver l'arrêt de l'exécution provisoire de la liquidation judiciaire prononcée à son encontre et à faire droit à la demande de la société le Florian ;

Qu'il est rappelé à cette société demanderesse que le temps qui va s'écouler jusqu'à l'examen par la cour de son appel ne sera plus commandé par la suspension des poursuites inhérente à l'ouverture d'une procédure collective ;

Attendu que compte tenu du résultat obtenu par la société le Florian et de la subsistance potentielle d'un état de cessation des paiements et d'une éventuelle nécessité d'ouverture d'un redressement judiciaire, il convient de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens ; qu'ils ne peuvent être présumés comme devant être employés en frais privilégiés de procédure tant que la cour n'aura pas statué sur l'appel formé par la société le Florian ;

Que les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne peuvent dès lors recevoir application et il est rappelé que les frais irrépétibles susceptibles d'être alloués sont insusceptibles d'entrer dans le passif antérieur à la procédure collective et d'être fixés au passif ;

PAR CES MOTIFS

Nous, Pierre Bardoux, délégué du premier président, statuant publiquement, en référé, par ordonnance réputée contradictoire,

Vu la déclaration d'appel du 4 juillet 2024,

Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire attachée de plein droit au jugement rendu le 28 juin 2024 par le tribunal de commerce de Lyon,

Disons que chaque partie garde la charge de ses propres dépens et rejetons les demandes respectives présentées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.